Interview de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication à France-Inter le 28 septembre 2015, sur le projet de loi sur la création artistique et la liberté d'expression et de création.

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Média : France Inter

Texte intégral


LÉA SALAME
Bonjour Fleur PELLERIN.
FLEUR PELLERIN
Bonjour.
LÉA SALAME
France 3 diffuse ce soir un documentaire d'Yves JEULAND sur les coulisses de l'Elysée, où on voit François HOLLANDE vous conseiller juste après votre nomination au ministère de la Culture, il vous dit : vas aux spectacles tous les soirs, il faut que tu te tapes ça, et tu dis que c'est bien, et tu dis que c'est beau. Est-ce que vous avez écouté le président ? Est-ce que vous vous tapez des spectacles tous les soirs ?
FLEUR PELLERIN
Vous savez, les conseils que m'ont prodigués, à la fois le Premier ministre et le président de la République, n'ont pas été forcément filmés par Yves JEULAND, et concernaient des choses qui étaient, à l'époque, beaucoup plus pressantes, comme de travailler sur le régime de l'intermittence, de préparer l'ouverture de la philharmonie en temps et en heure, voilà. Donc je crois qu'il ne faut pas faire de cette séquence autre chose qu'une conversation de perron, qui était amicale, qui était un peu second degré aussi, et remettre les choses en place…
LÉA SALAME
Il vous a conseillée de voir très vite Jack et Monique LANG…
FLEUR PELLERIN
Et donc effectivement, je vais très souvent aux spectacles…
LÉA SALAME
LANG, vous les avez vus…
FLEUR PELLERIN
Par exemple, la semaine dernière, j'étais, même avec le président de la République, à l'opéra, c'était le premier président de la République à se rendre à l'opéra depuis les années 90, depuis 96, je crois, très précisément, à la Comédie française aussi, donc oui, ça fait partie du métier.
LÉA SALAME
Vous allez aux spectacles, donc tous les soirs, vous vous tapez ça. Vous avez lu Le Figaro ce matin, coup de gueule de Nathanaël KARMITZ, le président des cinémas MK2, contre le CNC, il dénonce la gestion opaque des aides accordées par le Centre national du cinéma, notamment en ce qui concerne les subventions aux salles de cinéma. Il en appelle à votre intervention, Fleur PELLERIN, qu'est-ce que vous lui répondez ?
FLEUR PELLERIN
Aux salles d'art et essai, effectivement, il y a un problème entre MK2 et la Commission de classification des salles d'art et essai, moi, c'est une situation que je regrette beaucoup, dont je connais les tenants et les aboutissants depuis un certain nombre de mois. Mais c'est vrai que MK2, qui, encore une fois, est une très belle entreprise, qui a beaucoup fait pour le cinéma d'auteur et le cinéma d'art et essai, n'a pas souhaité répondre aux questions du CNC, qui permettent justement d'attribuer ces aides, donc il y a un malentendu. Les questions qui ont été posées et qui sont mentionnées dans l'article par Nathanaël KARMITZ sont des questions qui sont posées à toutes les salles qui souhaitent bénéficier des aides art et essai. Et donc il faut qu'on puisse régler, de manière amiable, par la négociation, par la discussion, cette situation, voilà. Ces questions qui sont posées à MK2 correspondent à des questions qui sont posées à tous ceux qui souhaitent avoir les aides art et essai.
LÉA SALAME
Les radios musicales sont vent debout, en cause, un amendement voté en catimini la semaine dernière, par les députés, qui leur impose de diversifier les chansons françaises qu'elles passent à la radio – les radios – et elles dénoncent une tutelle artistique, franchement, est-ce que c'est vraiment le rôle du législateur de s'improviser directeur des programmes des radios ?
FLEUR PELLERIN
La question n'est pas de s'improviser directeur des programmes, il y a dans la loi une disposition qui vise à promouvoir la diversité de l'offre culturelle sur les radios. Cette loi, elle existe déjà, elle n'est pas appliquée dans l'esprit de ce qu'a voulu le législateur, c'est-à-dire que cette obligation de diffuser 40 % de chansons francophones à la radio, elle est respectée, elle est respectée en passant les dix titres qui forment le top ten des classements des chansons. Et donc en fait, les gens écoutent toute la journée des rotations des mêmes titres, et je crois que ce n'est pas exactement ce qu'on entend par diversité culturelle. Donc là, ce que proposent les députés, c'est effectivement de remplir mieux cette obligation de promouvoir la diversité culturelle, en exposant un peu plus que dix titres pour remplir cette obligation…
LÉA SALAME
C'est-à-dire que vous imposez combien, douze titres ? C'est vraiment une urgence ?
FLEUR PELLERIN
Donc ça veut dire que, en gros, il y aura deux ou trois titres, selon les radios et selon la manière dont elles remplissent cette obligation ; sur un mois, il faudra passer deux ou trois titres supplémentaires, ce n'est pas une atteinte liberticide comme j'ai pu le lire ça et là…
LÉA SALAME
C'est ce que disent les radios privées…
FLEUR PELLERIN
Et au contraire, ça permettra de mettre mieux en valeur la jeune création française, des artistes qui ont beaucoup besoin de la radio encore pour se faire connaître, ça reste un très grand prescripteur, la radio, donc c'est important, je crois, qu'elle contribue à mettre en avant la diversité française.
LÉA SALAME
Alors, Fleur PELLERIN, vous portez cette semaine à l'Assemblée nationale un projet de loi qui veut défendre la liberté de création en France, vous rêvez même qu'elle soit aussi emblématique, cette loi, que la loi de 1881 sur la liberté d'expression, la liberté de création en France, elle est en danger ?
FLEUR PELLERIN
Je crois que c'est surtout une affirmation politique qui était absolument nécessaire, parce que les créateurs se voyaient, enfin, voyaient leur liberté de création protégée dans le cadre de la liberté d'expression, mais on sait bien que la démarche artistique, elle n'est pas exactement la même que n'importe quelle forme d'expression. Et donc je crois que c'était important d'avoir cette affirmation politique extrêmement forte à ce moment-là…
LÉA SALAME
Et pour qui ? A qui vous l'adressez cette loi ?
FLEUR PELLERIN
Pour l'ensemble des créateurs…
LÉA SALAME
Est-ce que c'est une loi pour les maires Front national par exemple ?
FLEUR PELLERIN
Je l'adresse d'abord aux artistes, aux créateurs, et à ceux qui les diffusent ou à ceux qui les programment, et je crois que ‘c'est un moment où ils ont besoin de sentir que l'Etat, que la puissance publique, que la République est à côté d'eux, est derrière eux, parce que c'est vrai que…
LÉA SALAME
Pourquoi ?
FLEUR PELLERIN
Ces derniers temps, ce n'était pas le cas vraiment au moment où on a commencé à écrire ce projet de loi, mais c'est le cas depuis quelques mois, où on voit des maires qui effectivement décident de repeindre une statue qui ne correspond pas à leurs goûts et qui est présentée dans l'espace public, où on voit des maires ou des élus ou des associations parfois, ça peut aussi bien être des associations qui se revendiquent de certaines communautés ou de certaines sensibilités idéologiques, on voit certains s'improviser directeurs de salles, galeristes, pour imposer leurs goûts ou leurs avis dans la politique de programmation des salles, des centres culturels, etc…
LÉA SALAME
On a vu aussi un maire Front national qui a interdit une affiche, l'affiche du film « La belle saison », parce que deux femmes s'embrassent…
FLEUR PELLERIN
Absolument « La belle saison », ça avait été le cas également pour « L'inconnu du lac », l'année dernière ou il y a deux ans...
LÉA SALAME
Pardonnez-moi une question un peu cash…
FLEUR PELLERIN
Donc ces atteintes à la liberté de création se multiplient, c'est vrai…
LÉA SALAME
Est-ce que c'est une loi anti-FN, cette loi ?
FLEUR PELLERIN
C'est une loi anti… c'est une loi pro-liberté d'expression, donc je crois que c'est une loi qui vise à un moment… je ne vise personne en particulier, je vise tous ceux à qui il prendrait l'idée de se dire : eh bien, puisque je paie, je dois pouvoir décider de ce qui est diffusé dans tel cinéma ou dans telle salle, la politique culturelle, c'est une politique où effectivement, la puissance publique, les collectivités ou l'Etat viennent soutenir financièrement un certain nombre d'institutions, mais elles ne s'arrogent pas le droit de décider ce qui doit être montré ou ce qui convient à la population ou pas…
LÉA SALAME
Est-ce que par exemple les réalisateurs des deux documentaires déprogrammés par Vincent BOLLORE sur Canal pourront se prévaloir de votre loi par exemple, de la liberté de création ?
FLEUR PELLERIN
Mais vous savez, il y a effectivement un principe qui est le pluralisme… en tout cas, dans l'audiovisuel, qui est, et j'en suis la garante, qui est le respect du pluralisme des idées et de l'indépendance des rédactions. Donc je crois que le message a été entendu par Vincent BOLLORE, que j'ai eu au téléphone avant qu'il soit auditionné par le CSA, il s'est engagé à prendre un certain nombre de mesures, que ce soit sur I-Télé ou sur Canal+ pour assurer l'indépendance des rédactions…
LÉA SALAME
Est-ce que ça vous inquiète ce qui se passe à Canal ? Est-ce que ça vous inquiète, vous, la ministre de la Communication ou ce n'est pas votre boulot ?
FLEUR PELLERIN
Je suis vigilante, bien sûr que c'est mon travail, puisque, encore une fois, je suis garante de ce pluralisme des idées et de l'indépendance des rédactions qui doivent être respectés sur les antennes…
LÉA SALAME
Donc la déprogrammation de documentaires, par exemple, elle en pense quoi la ministre de la Communication ?
FLEUR PELLERIN
Aucune enquête pour l'instant n'a révélé s'il y avait une intervention directe, etc. S'il s'avérait que, effectivement, il y a des interventions directes d'annonceurs, de l'actionnaire, sur une chaîne pour déprogrammer des programmes qui dérangent, j'en serais extrêmement contrariée, il faudrait sans doute que j'évoque ce sujet avec le CSA.
LÉA SALAME
On a une télévision d'hommes blancs de plus de 50 ans, il va falloir que ça change, dit Delphine ERNOTTE, la nouvelle patronne de France Télés, vous êtes d'accord avec elle ou c'est une lapalissade de dire ça ?
FLEUR PELLERIN
Non, ce n'est pas une lapalissade, je suis assez d'accord avec elle, je crois qu'il y a une réflexion qui est en cours depuis de nombreuses années sur l'audiovisuel public…
LÉA SALAME
Oui, mais rien ne change…
FLEUR PELLERIN
Effectivement, pour non seulement rendre les plateaux un peu plus conformes à la diversité de la société, mais pas seulement les plateaux. Moi, je crois que le management, enfin, les équipes de direction, l'entourage aussi de la présidence, tout ça doit refléter aussi ce qu'est la France aujourd'hui…
LÉA SALAME
C'est-à-dire que vous le trouvez pas assez diversifié, l'entourage ?
FLEUR PELLERIN
Je le trouve un peu, oui, un peu monocolore, oui, un peu monocolore…
LÉA SALAME
L'entourage de Delphine ERNOTTE est trop monocolore ?
FLEUR PELLERIN
Non, non, non…
LÉA SALAME
C'est ce que vous dites…
FLEUR PELLERIN
Je pense que c'est ça qu'elle a souhaité dire, c'est-à-dire que jusqu'à présent, on avait une direction, une présidence, un secrétariat général qui étaient vraiment effectivement, c'est factuel, qui étaient composés, beaucoup, par des hommes de plus de 50 ans…
LÉA SALAME
Donc vous lui dites : il faut que ça change.
FLEUR PELLERIN
Voilà, donc je suis… moi, c'est un combat que j'ai mené beaucoup à titre personnel, avant d'entrer en politique, donc je suis évidemment d'accord avec elle.
LÉA SALAME
Merci Fleur PELLERIN.
FLEUR PELLERIN
Merci à vous.
LÉA SALAME
Bonne journée à vous.
FLEUR PELLERIN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 octobre 2015