Déclaration de M. Bernard Kouchner, ministre délégué à la santé, sur le décloissonnement du système de soins, le dépistage des cancers et de l'hépatite C et l'alcoolisme, Paris le 26 mars 2001.

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Circonstance : Journées francophones de pathologie digestive à Paris le 26 mars 2001

Texte intégral

Chers collègues,
C'est toujours un plaisir pour moi, de venir, quand je peux, aux réunions nationales que vous organisez chaque année.
Ce plaisir est d'autant plus vif cette année que votre société s'est engagée dans une importante démarche en réalisant un Livre Blanc sur les enjeux des maladies de l'appareil digestif et du foie. Ce travail va vous être exposé dans quelques minutes. Il est remarquable. Je l'ai lu et je tiens à vous féliciter.
Il met clairement en évidence les besoins de santé dans le domaine des maladies hépatiques et digestives, et mais je crois qu'on ne pouvait en douter l'important rôle transversal de la discipline.
Enfin, de manière claire et je m'en réjouis, vous vous engagez dans d'importants enjeux de santé publique : alcool, hépatites et dépistage du cancer colo-rectal, j'aurai l'occasion d'y revenir.
Auparavant, j'aimerai insister sur certains points qui vous tiennent particulièrement à cur.
1 - La nécessité de décloisonner notre système de soins, de rapprocher l'hôpital de la ville, l'exercice public et libéral :
Le monde de la santé change, les modes d'organisation évoluent, même s'il faut bien le reconnaître les résistances au changement se font là comme ailleurs (ou plus peut-être qu'ailleurs) fortement sentir.
Les besoins évoluent, en particulier les progrès de la médecine qui ont transféré vers la médecine ambulatoire nombre de prises en charge hier réalisables seulement à l'hôpital.
Et pourtant l'offre de services telle qu'elle est aujourd'hui permet difficilement de prendre en compte toutes ces évolutions.
Les personnes malades veulent à juste titre des prises en charge plus globales et mieux coordonnées. La dichotomie entre :
* d'un côté, l'hôpital lieu de la technicité, mais aussi temple d'une hiérarchie professionnelle dépassée,
* et de l'autre côté, les médecins de ville, trop souvent isolés dans leur pratique, est et reste une réalité qu'il faut faire évoluer.
Cette situation est aujourd'hui dépassée. Les états généraux de la santé que j'ai organisé, ont bien montré les attentes de nos concitoyens : ils ont à la fois une conscience plus aiguë des enjeux de santé publique qui les rend plus vigilants aux questions relatives à la sécurité des soins ou à l'émergence de nouvelles maladies.
Mais ils sont également plus exigeants quant à la place qui est la leur dans le dispositif. Les relations entre les professionnels et les usagers des soins ont en fait changé, sans doute plus que les structures et les organisations.
Il nous faut donc - les praticiens mais aussi tous les responsables professionnels, institutionnels et politiques - d'une part nous adapter à de nouveaux modes de relation entre les usagers et les professionnels mais aussi entre les professionnels eux-mêmes.
Une des réponses à ces évolutions est, j'en suis persuadé, le développement des réseaux de soins. Il s'agit de réponse concrète de la restructuration des services de soins : les réseaux Ville - hôpital bien entendu mais aussi de toutes les autres formes de réseaux qui permettent de rassembler des compétences diverses et complémentaires autour de la personne malade qui est ainsi au centre du dispositif, c'est-à-dire à la place qui est la sienne.
Depuis 1997, le nombre de réseaux a considérablement évolué, pratiquement doublé chaque année. Dans un nombre croissant de régions, les réseaux ont su mobiliser leurs principaux interlocuteurs (ARH, URCAM, URML notamment) dans une dynamique de guichet unique. Ils sont de mieux en mieux acceptés par l'ensemble des professionnels et de plus en plus utilisés par les usagers, je ne peux que m'en réjouir. Le fond d'amélioration de la qualité des soins de ville doté de 700 MF cette année, participe à cette dynamique.
Et, sans trahir la présentation que vous allez avoir dans quelques minutes, le Livre Blanc que vous avez réalisé s'inscrit bien dans cette démarche.
2 - Les cancers
En 1998, devant vous déjà je faisais le constat qui n'existait pas pour les patients d'organisation visible et facile d'accès en matière de cancer.
Je m'étais engagé à la construire. Nous l'avons construite.
Quelques mois après avoir fait ce constat, en 1998, j'ai publié une circulaire sur l'organisation en matière de cancer, à partir des principes suivants :
*une évaluation multidisciplinaire dès le diagnostic, avec constitution d'un dossier de soins unique et d'un schéma thérapeutique,
*à partir d'une concertation de professionnels, la création de réseaux agréés par les Agences Régionales de l'Hospitalisation qui devront évoluer à terme vers des Agences de Santé, qui comprendront :
-l'identification des niveaux de compétences des différents types d'établissements (prise en charge, recherche, soins de suite,)
-l'implication des médecins libéraux généralistes ou spécialistes, qui sont la porte d'entrée naturelle du malade dans le réseau de soins.
Pour compléter ce travail initial, avant mon départ au Kosovo, j'avais demandé que soit mise en place une politique plus volontariste de lutte contre le cancer. J'ai souhaité, qu'au-delà de l'organisation des soins réalisée par la circulaire sur la cancérologie, le Gouvernement s'engage sur des objectifs clairement affichés, qui tiennent compte des propositions des professionnels, de vos propositions.
Cela a été fait avec le programme de lutte annoncé en février 2000, et ses axes que vous connaissez bien : prévention, dépistage, qualité des soins, conditions de vie et droits des personnes malades, enfin recherche.
Ce programme est ambitieux et nous avons mobilisé des moyens à la hauteur de ce défi.
Voilà un an que ce programme a été annoncé et je souhaite devant vous insister sur deux points.
Les moyens importants mobilisés pour donner aux professionnels les moyens d'offrir des soins de qualité :
Dans ce domaine, un travail considérable a déjà été réalisé. Je tiens à rappeler que toutes les régions ont maintenant retenu la lutte contre le cancer comme une priorité d'action pour la période 1999-2004 et défini l'organisation qu'elles souhaitent mettre en place et les modalités permettant d'offrir aux personnes malades des soins de qualité. Par ailleurs, en trois ans, 11 régions ont mis en place un programme régional de santé spécifique à la cancérologie.
Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des mesures déjà prises pour améliorer la qualité des soins (nouvelles autorisations pour l'équipement lourd, programme pluriannuel de soutien aux innovations diagnostiques et thérapeutiques, reconduction de la priorité " cancer " dans le PHRC 2001, et enfin enveloppe spécifique - près de 500 MF - pour mieux prendre en compte le coût des chimiothérapies), je voudrais insister sur le dépistage du cancer colo-rectal.
Je connais votre engagement dans ce domaine et l'importance des propositions que vous avez faites l'année dernière sur ce grave problème de santé publique.
La loi de financement de la Sécurité Sociale de 1999 jeta les bases de ce dépistage.
Depuis deux ans, un important travail a été réalisé. Je ne sous-estime pas les difficultés d'ordre organisationnel rencontrées ni les controverses scientifiques que ce dépistage a suscité.
Mais ce temps est maintenant dépassé. Le dépistage organisé du cancer colo-rectal est efficace. Les essais de dépistage précoce menés ces dernières années dans différents pays le confirme.
Il est faisable en France comme l'ont montré les études pilotes menées en Bourgogne sous la direction du professeur Jean Faivre (Dijon).
Les cahiers de charge sont maintenant prêts, et ont été validés par l'ensemble des experts.
Je souhaite que dès cette année, les départements qui sont prêts puissent engager de tels programmes et que nous nous mobilisions tous pour que la participation de la population soit importante.

3 - L'hépatite C
Là aussi, en 1998, devant vous, je m'étais engagé à mettre en place un programme pluriannuel.
Je l'ai annoncé en janvier 1999 en fixant des objectifs pour quatre ans, en particulier pour le dépistage et l'organisation des soins.
Même si cela reste insuffisant, en deux ans d'importantes avancées ont été réalisées, je citerai en particulier :
-Pour le dépistage :
*l'extension du dépistage du VHC dans les centres de dépistage anonyme,
*l'incitation au dépistage du VHC en direction des usagers de drogue,
*les actions d'information et de formation incitant au dépistage en direction des anciens transfusés et la création d'un numéro vert national " hépatites Info Services ".
De même, nous avons considérablement renforcé l'organisation des soins pour les personnes atteintes par le VHC en particulier au niveau des réseaux Ville - hôpital, et des pôles de références.
Ceci reste insuffisant et on estime que 40 % des personnes ignorent encore leur séropositivité. Pour cela, je souhaite qu'ensemble nous réfléchissions à une nouvelle étape et que nous définissions de nouveaux objectifs pour les années à venir, en particulier en terme de qualité de prise en charge.
4 - Enfin, j'aimerai terminer sur l'alcool.
C'est une de mes priorités et je rejoins en cela vos préoccupations.
Les chiffres restant accablants : 40 à 50 000 décès par an, responsables de 10 % de la mortalité en France.
Outre les campagnes du CFES d'information et l'important programme de prévention développé par la mission interministérielle de lutte contre les dépendances, j'ai demandé que soit renforcé le dispositif de prise en charge des personnes en difficulté avec l'alcool.
En septembre dernier, une circulaire a réorganisé cette prise en charge en demandant en particulier la mise en place de réseaux Ville-hôpital et d'équipes de liaison intra-hospitalières. Cette circulaire s'est accompagnée de moyens importants - près de 50 MF en deux ans. Je vous invite à utiliser ces budgets pour transformer l'organisation de la prise en charge de ces personnes dépendantes, que ce soit en ville ou à l'hôpital.
Voici en quelques mots ce que je voulais vous dire.
Merci pour votre invitation et encore une fois bravo pour le travail réalisé avec le Livre Blanc.
(source http://www.snfge.asso.fr, le 5 septembre 2001)