Interview de Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à Europe 1 le 10 septembre 2015, sur le dialogue social et la lutte contre le chômage.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1

Texte intégral


THOMAS SOTTO
Hier, Manuel VALLS recevait le rapport Combrexelle, ce matin, Jean-Pierre ELKABBACH, vous recevez la nouvelle ministre du Travail, Myriam El KHOMRI. Madame, Monsieur, c'est à vous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qui va mettre en application justement le rapport Combrexelle. C'est parti ! Le code du travail sera réformé, sans doute avant l'été 2016. Chaque jour compte. Bienvenue Myriam El KHOMRI.
MYRIAM EL KHOMRI
Bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et bonjour ! Oui, les uns espéraient un vrai chambardement, familièrement dit, un big bang, etc., les autres le redoutaient, résultat, c'est un signal, mais un signal plutôt prudent.
MYRIAM EL KHOMRI
Écoutez, ce rapport est important, parce qu'il propose des réformes structurelles, nous avons dans notre pays une culture de l'affrontement, et l'enjeu, c'est de passer à une culture de la négociation, c'est-à-dire d'assurer des garanties aux salariés, tout en permettant plus de souplesse aux entreprises.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire que, est-ce que plus de souplesse pour les entreprises, ce n'est pas finalement de toute façon moins de protections pour les salariés ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non, je crois qu'il est important de pouvoir concilier la performance sociale et la performance économique, il y a des propositions qui vont vraiment dans le bon sens, mais aujourd'hui, s'ouvre une période de concertations avec les partenaires sociaux, et à l'issue de cette période de concertations, nous regarderons ce que nous retenons et que nous introduisons dans une loi.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord, et après, le rapport Combrexelle, ce que vous allez en faire, c'est ça qui est important, la réussite éventuelle de cette réforme, Myriam El KHOMRI, est-ce que c'est une arme, une vraie arme contre le chômage ?
MYRIAM EL KHOMRI
Oui…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire, est-ce qu'on en attend des résultats, à quels termes, et des résultats positifs ?
MYRIAM EL KHOMRI
En tant que ministre du Travail et de l'emploi, j'ai en charge, à la fois la protection des salariés, mais j'ai bien sûr en charge la lutte contre le chômage, et en effet, cela permettra de mieux s'adapter aux réalités locales, et donc d'assurer une meilleure compétitivité de notre économie. Ça ne veut pas dire que c'est une réforme structurelle, Jean-Denis COMBREXELLE le dit lui-même, il y a des mesures jusqu'à quatre ans, il y a la question de la restructuration des branches, parce qu'il faut apporter plusieurs niveaux de régulation…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On va y arriver, on va y arriver…
MYRIAM EL KHOMRI
Et donc, dans ce cadre-là, en effet, cela permettra de créer plus d'emplois.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez dit : la défense et la protection des salariés, etc., vous n'avez pas dit un mot de l'entreprise.
MYRIAM EL KHOMRI
Si, j'ai dit la compétitivité de notre économie…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Eh bien, vous le précisez maintenant…
MYRIAM EL KHOMRI
Aujourd'hui, quels sont les secteurs qui recrutent, ce sont les TPE, les PME, donc il faut être en capacité de s'adapter aux réalités locales donc, mais ce n'est pas à n'importe quel prix, et il faut bien sûr assurer la protection des salariés.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors priorité : négociation collective, priorité : discuter des conditions de travail, de l'embauche et des salaires dans les branches professionnelles et directement dans les entreprises. Tout le monde, y compris Pierre GATTAZ, que vous avez vu hier, et qui parle aujourd'hui dans Les Echos, dit : il faut aller vite. Quel est votre calendrier ?
MYRIAM EL KHOMRI
Mon calendrier a été fixé par le Premier ministre, j'ouvre la concertation avec l'ensemble des partenaires sociaux dès aujourd'hui. A partir de là, ils me feront part de leurs objections, de leurs propositions, de leurs observations. Début octobre, nous les informerons, nous relançons une deuxième phase de concertations pour voir ce que nous intégrons dans une loi, qui devrait passer en Conseil des ministres fin 2015 début 2016. Et à partir de là, cette loi passera au premier trimestre. Donc il y a tout le travail après avec les parlementaires.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et si tous les partenaires sociaux disent : non, votre réforme, on n'en veut pas, enfin, pas tous, parce qu'il y a des syndicats… la CFDT et la CGT sont plutôt d'accord, qu'est-ce que vous faites ? Vous passez quand même parce qu'il faut cette réforme ?
MYRIAM EL KHOMRI
Je crois qu'il faut cette réforme, ça fait très longtemps que nous parlons des problématiques, et on a bien vu, et cette réforme n'est pas dans la simplicité, elle explique bien que la question, ce n'est pas la taille du code du travail, elle explique qu'il faut des niveaux de régulation, et il faut que nous ayons des grands principes qui permettent justement de ne pas déroger à la protection des salariés.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'accord, mais est-ce qu'on entame de grandes réformes si près de la fin d'un mandat présidentiel et d'une législature ? Est-ce qu'on peut vraiment réformer ?
MYRIAM EL KHOMRI
Vous savez, quand on sert la France, on met en place des réformes structurelles, elles porteront leurs fruits bien évidemment pas au moment où la loi sera adoptée, début 2016, mais je crois qu'il est bon pour notre économie, c'est des choses dont on parle depuis des années, et je crois que, aujourd'hui, cette concertation est nécessaire, le dialogue social est nécessaire, et pour nous…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça, c'est sûr…
MYRIAM EL KHOMRI
Ça peut porter ses fruits, et vous le savez, on ne travaille pas que pour la prochaine année, nous travaillons pour que notre pays aille mieux.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce que vous pensez que vous engagez l'opposition, qui croit à l'alternance, sur un projet de réforme qu'elle rejette déjà, parce que vous dites, par exemple, il y a une architecture qui doit durer quatre ans, dit monsieur COMBREXELLE, et le Premier ministre aussi, mais est-ce que vous serez là dans quatre ans ?
MYRIAM EL KHOMRI
Mais écoutez, moi, je ne peux pas présager de ce que vont faire les électeurs en 2017. Mais quand on sert le pays, on le sert justement pour qu'il aille mieux, on ne le sert pas pour une échéance électorale, en l'occurrence, c'est une réforme structurelle, qui est courageuse, qui est audacieuse, et qui est aujourd'hui mise en concertation. Et nous verrons justement sur quoi cela aboutira, mais il est clair que quand le Premier ministre et le président de la République m'ont proposé d'être ministre de l'Emploi et du travail, j'avais comme objectif de réformer dans ce cadre-là…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous dites d'abord : vive la France !
MYRIAM EL KHOMRI
Bien sûr…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et quand dans une grande entreprise, les syndicats sont forts, bon, ça, ça va, mais dans les PME et les TPE, sans syndicats, est-ce qu'il ne va pas y avoir une rupture du principe d'égalité ?
MYRIAM EL KHOMRI
Eh bien justement, il y a des propositions, notamment sur les accords de branche, qui sont proposés dans le cadre d'accords types, c'est une des propositions qui est mise aujourd'hui au débat avec les partenaires sociaux. C'est un point extrêmement important, puisque 90 % de notre tissu économique est fait de TPE. Donc bien évidemment, il faut qu'il puisse y avoir également une régulation sociale, mais je voudrais rappeler ici à quoi sert l'accord de branche, l'accord de branche, on a 700 branches professionnelles, on en a trop, le Premier ministre l'a rappelé…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
En Allemagne, il y en a une cinquantaine…
MYRIAM EL KHOMRI
Voilà, on en a beaucoup trop. C'est un niveau qui est important, parce que ça permet justement d'éviter d'avoir de la concurrence déloyale entre les entreprises d'une même branche, donc d'éviter le dumping social et en protégeant les salariés…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc quand on peut dans l'entreprise, oui, et sinon, on va à la branche. Vous dites, il y a 700 branches.
MYRIAM EL KHOMRI
Il y a une question de restructuration des branches, en effet, qui est posée…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Qui, oui, mais qui va les faire ?
MYRIAM EL KHOMRI
Eh bien écoutez…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ou des fusions ou des réductions ?
MYRIAM EL KHOMRI
Depuis un an, c'était dans la feuille de route, les organisations, les partenaires sociaux devaient s'attacher à cette question, ça ne va pas suffisamment rapidement, j'ai eu l'occasion de le rappeler hier à Pierre GATTAZ, lors de notre entretien, et donc c'est une des propositions du rapport Combrexelle, mais il est nécessaire aujourd'hui que nous arrivions en effet à restructurer les branches professionnelles.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Les 35h par semaine, ça, c'est intangible, monsieur GATTAZ dit : il faudrait qu'on puisse discuter aussi de la durée du travail dans les entreprises, vous lui dites : non, ça, c'est tabou ?
MYRIAM EL KHOMRI
Le président de la République l'a dit, le Premier ministre l'a redit, si vous voulez que la ministre du Travail vous le redise : il n'y aura pas de changement s'agissant de la durée légale ni du Smic. Je pense que c'est clair…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, vous avez commencé, Myriam El KHOMRI, vous avez commencé à rencontrer les syndicats, aujourd'hui, vous allez recevoir monsieur MARTINEZ, vendredi, Laurent BERGER, de la CFDT. Vous consultez. Il y en a que vous connaissez, d'autres que vous ne connaissez pas. Et vous allez découvrir le vieux couple français, monsieur simulacre et madame posture, qui c'est qui craint le changement le plus en France, et dans les syndicats, les partenaires sociaux, qui veut la réforme ?
MYRIAM EL KHOMRI
Écoutez, moi, j'ai des bons contacts avec l'ensemble des partenaires sociaux, nous parlons, bien sûr, de l'agenda social, nous parlons du rapport de Jean-Denis COMBREXELLE, nous parlons de la conférence sociale. Mais nous parlons aussi du climat social dans les entreprises, des difficultés des entrepreneurs, des secteurs sous tension…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous apprenez ça ?
MYRIAM EL KHOMRI
De l'apprentissage…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est un apprentissage accéléré pour vous ?
MYRIAM EL KHOMRI
Mais c'est essentiel…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous savez ce qu'on dit, vous savez ce qu'on lit et on dit…
MYRIAM EL KHOMRI
Il faut être concret et constructif…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On dit : Myriam El KHOMRI, elle n'a aucune expérience de l'entreprise. C'est vrai ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ecoutez, je remarque que c'est rare qu'on fasse ces procès aux hommes, mais si vous voulez que je déroule mon CV, j'ai commencé à travailler à l'âge de 17 ans…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ah non, non, moi, je ne vous demande ni vos papiers ni vos CV…
MYRIAM EL KHOMRI
Avec mon père dans un magasin de reprographie, où j'ai travaillé à temps partiel, j'ai été hôtesse d'accueil, j'ai été vendeuse de maillots, j'ai fait des travaux agricoles, voilà, je connais le monde de l'entreprise, j'y ai travaillé…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Eh bien, c'est ça ce qu'il fallait dire ! C'est une réponse pour d'autres. Dernière question, Emmanuel MACRON a défini 12 zones touristiques dans la loi Macron, etc. Est-ce que vous êtes d'accord ? Et est-ce qu'il faut appliquer la loi sur le travail du dimanche ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ecoutez, moi, je suis contre la généralisation du travail le dimanche, d'ailleurs, comme Emmanuel MACRON, il y a la loi Croissance et Activité, qui a permis, dans ces zones touristiques internationales, d'avoir…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Non, mais le travail du dimanche…
MYRIAM EL KHOMRI
D'avoir la possibilité de travailler le dimanche, avec un accord. Donc quand je parle de : je suis attachée à l'intelligence collective et à la culture de la négociation, ce ne sera possible que s'il y a un accord, aujourd'hui, il y a des arrêtés qui ont été mis en concertation pour délimiter ces zones de tourisme international, et donc à partir de là, laissons les partenaires sociaux, les représentants des employeurs et les élus parisiens se prononcer…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc ce que monsieur MACRON croit que c'était – les 12 zones touristiques internationales – il croyait ficelé…
MYRIAM EL KHOMRI
C'est une proposition…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ce n'est pas donc…
MYRIAM EL KHOMRI
En concertation…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça va être modifié ?
MYRIAM EL KHOMRI
C'est une proposition…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ça va être modifié ?
MYRIAM EL KHOMRI
Attendons la fin de la concertation, c'est une proposition qui a été faire aux partenaires sociaux et aux élus parisiens, attendons les remontées, et à partir de là, nous définirons les zones touristiques internationales…
THOMAS SOTTO
Merci…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Autrement dit, entre ministres, il y a des désaccords…
MYRIAM EL KHOMRI
On est sur la même ligne ! Pas du tout, on est sur la même ligne !
THOMAS SOTTO
Merci Madame El KHOMRI d'être venue ce matin.
MYRIAM EL KHOMRI
Merci à vous.
THOMAS SOTTO
Il y a un homme qui n'a pas réussi à inverser la courbe du chômage, c'est François HOLLANDE, et vous, est-ce que vous êtes certaine d'y arriver à l'inversion de cette courbe ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ecoutez, il y a plusieurs outils qui ont été mis en place par François HOLLANDE dès 2012, et ces outils commencent à porter leurs fruits, notamment en direction de jeunes dans certains territoires…
THOMAS SOTTO
Mais est-ce que Myriam El KHOMRI, ministre du Travail, va réussir à inverser la courbe du chômage ?
MYRIAM EL KHOMRI
Myriam El KHOMRI, ministre du Travail, est déterminée à réussir, et compte mettre en place toutes les solutions possibles…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que c'est à un ministre…
MYRIAM EL KHOMRI
Les outils qui ont été mis en place, mais également être en capacité de comprendre quels sont les nouveaux secteurs, les secteurs d'avenir, je pense à l'écologie, je pense au numérique, et donc de permettre de mieux former…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous auriez pu avoir un chemisier vert aujourd'hui vous aussi !
MYRIAM EL KHOMRI
Tout à fait, Jean-Pierre ELKABBACH.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Voilà.
THOMAS SOTTO
Merci beaucoup Myriam El KHOMRI d'être venue en direct sur Europe 1 ce matin…
MYRIAM EL KHOMRI
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 septembre 2015