Texte intégral
GÉRARD LECLERC
L'invitée du matin, c'est Myriam EL KHOMRI, Ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social.
MYRIAM EL KHOMRI
Bonjour.
GÉRARD LECLERC
Bonjour. On démarre avec ces derniers chiffres de l'Insee qui ne sont pas extraordinaires puisque la croissance pour 2015 est revue légèrement en baisse, 1,1 %, et avec comme conséquence pas de baisse du chômage avant la fin de l'année, on resterait autour de dix pourcents. C'est décevant, non ?
MYRIAM EL KHOMRI
Les chiffres du mois d'août en effet, avec vingt mille demandeurs d'emploi en plus, ne sont pas satisfaisants, mais nous voyons que nous avons la croissance qui repart, le climat des affaires qui n'a jamais été aussi bon depuis quatre ans. Mais nous avons dans notre pays une hausse démographique qui fait que cette croissance, malgré ce climat-là, ça ne permet pas de créer suffisamment d'emplois. Donc aujourd'hui, même s'il y a des bonnes nouvelles notamment sur le chômage des jeunes puisque nous avons près de dix mille jeunes qui sont sortis du chômage sur les trois derniers mois, ce qui est une bonne chose et ce qui montre que les outils qu'on a mis en place portent leurs fruits. Il faut bien, en effet, que les entreprises puissent créer de l'emploi et donc que cette croissance soit un peu plus forte.
GÉRARD LECLERC
Certes, ça va un petit mieux pour les jeunes mais en revanche, ça ne va toujours pas notamment pour les seniors ; ça ne va toujours pas pour les chômeurs de longue durée et chaque mois on bat des records. Quand allons-nous arriver à inverser cette fameuse courbe du chômage ?
MYRIAM EL KHOMRI
Je commence dès aujourd'hui un tour dans l'ensemble des régions de France pour me retrouver au niveau local.
GÉRARD LECLERC
Mais à quoi ça sert un tour de France ?
MYRIAM EL KHOMRI
Pour mobiliser les acteurs de l'emploi, de la formation et du monde de l'entreprise. Pourquoi ? Parce que nous avons parfois des blocages. Je le pense par exemple sur la question de l'apprentissage. L'apprentissage est utile, parce qu'on sait que quand un jeune est apprenti, près de soixante-dix pourcents trouve un emploi derrière. Nous avons parfois des blocages, des jeunes qui cherchent des entreprises, des entreprises qui n'arrivent pas à trouver des apprentis. On voit bien qu'au niveau local, une plus forte mobilisation de tous les acteurs et plus de fluidité et la formation prioritaire, entre les emplois non-pourvus, parce que nous avons cette question des emplois non-pourvus qui se pose dans notre pays. Il faut que nous soyons en capacité de mettre les personnes, notamment les seniors, les chômeurs de longue durée, face à ces formations prioritaires afin qu'ils puissent répondre à ces offres d'emploi. Il y a donc des choses qui fonctionnent bien : l'apprentissage, je le dis. Ça fait quatre ans que nous n'avions pas eu une hausse de l'apprentissage ; aujourd'hui c'est plus virgule six, virgule cinq pourcents (sic). C'est important. Nous avons également des secteurs d'avenir : je pense au numérique, je pense à la transition écologique et il convient aujourd'hui de former les personnes notamment celles qui sont le plus en difficulté : chômeurs longue durée, seniors, pour permettre ces reconversions professionnelles parfois.
GÉRARD LECLERC
Mais est-ce que ça suffit ? Parce que vous dites vous-même, il y a quand même des signes de reprise et ça ne bouge pas sur le front de l'emploi.
MYRIAM EL KHOMRI
Parce qu'on a une croissance démographique importante dans notre pays.
GÉRARD LECLERC
Oui, mais ça
MYRIAM EL KHOMRI
Nous avons tous les ans beaucoup plus de personnes qui rentrent sur le marché de l'emploi et si nous avons aujourd'hui mis en place le Pacte de responsabilité et de solidarité, c'est justement pour permettre aux entreprises de créer de l'emploi et d'investir. Sur le budget de 2016, nous avons l'impôt des entreprises qui va diminuer ainsi que l'impôt des ménages. Pour nous, ça c'est essentiel. C'est-à-dire que nous savons aujourd'hui que dans notre pays, ceux qui créent de l'emploi ce sont les entreprises et nous essayons donc de mettre en oeuvre toutes les mesures, notamment pour soutenir les TPE, afin qu'elles puissent créer cet emploi. En effet, la croissance n'est pas suffisamment forte pour qu'elle crée plus d'emploi. Nous avons quand même des créations nettes d'emploi mais pas suffisamment pour absorber tous les jeunes notamment qui rentrent sur le marché.
GÉRARD LECLERC
Est-ce qu'il ne faudrait pas aller plus loin, plus fort, et notamment lever un certain nombre de blocages ? Je pense à une série particulière, c'est tout ce qui est lié au droit du travail. Il y a un rapport qui a été fait par monsieur COMBREXELLE pour revoir justement l'organisation du travail, le fameux code du travail. Le problème, c'est qu'au même moment le gouvernement dit : « Oui, mais on ne touche pas au contrat de travail, on ne touche pas aux trente-cinq heures, on ne touche pas au SMIC ». Alors qu'est-ce qui reste ?
MYRIAM EL KHOMRI
Le Premier ministre a dit : « On ne touche pas au CDI, au SMIC et aux trente-cinq heures ». Nous souhaitons, en effet, laisser plus de place à la négociation collective et aux accords d'entreprise.
GÉRARD LECLERC
Mais sur quoi ?
MYRIAM EL KHOMRI
Les concertations ont commencé avec les partenaires sociaux. Nous croyons au dialogue social. Ces concertations ont commencé depuis hier, je les rencontre tous pour avoir leur avis sur le rapport de Jean-Denis COMBREXELLE. Il y a trois niveaux aujourd'hui de régulation : le code du travail, les accords de branche et les accords d'entreprise. L'organisation du temps de travail pourrait faire l'objet d'accords d'entreprise. Aujourd'hui l'objectif, c'est que nous soyons en capacité de laisser plus de souplesse aux entreprises - je pense notamment aux petites entreprises tout en maintenant des garanties pour les droits des salariés.
GÉRARD LECLERC
On va voir ce qui va se passer mais effectivement, il y a toujours ce doute. Au même moment, il y a Nicolas SARKOZY, lui, qui a fait ses propositions dans Les Echos cette semaine. Là au moins, les choses sont plus claires. Il veut refonder le modèle social, il dit : « Il faut sortir des trente-cinq heures par la négociation, y compris en passant par des référendums dans les entreprises s'il n'y a pas d'accord. Il faut des allocations chômage dégressives ; il faut supprimer le fameux seuil de dix salariés qui freine les embauches ». Est-ce que ce n'est pas ça, les bonnes solutions ? Est-ce qu'il ne faut pas prendre des risques, en tout cas aller carrément vers de vraies réformes ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non. Ce que propose Nicolas SARKOZY, c'est plus de syndicats, c'est la fin du paritarisme, c'est tout pour les accords d'entreprise. Je partage qu'il faut faire un travail dans le cadre des accords d'entreprise, que ça peut être un bon niveau de négociations, mais pas en supprimant les branches professionnelles. Je vous parlais des trois niveaux. Supprimer les branches professionnelles, c'est quelque part permettre du dumping social et permettre également une concurrence déloyale entre les entreprises d'un même secteur. Nous, nous sommes donc attachés à ces trois niveaux de régulation et nous ne souhaitons pas détricoter l'ensemble des droits des salariés parce que c'est la proposition qui est faite par Nicolas SARKOZY. Aujourd'hui il y a une concertation, il y a une envie de bouger et je crois que les partenaires sociaux sont responsables. Il faut donc tout à fait que nous arrivions à trouver ensemble les niveaux de régulation nécessaires, et surtout permettre cette souplesse mais pas en limitant les garanties des salariés.
GÉRARD LECLERC
Il y a quand même toujours cet obstacle du code du travail, tous les chefs d'entreprise le disent : « C'est trop compliqué ». Robert BADINTER, qui est un homme de gauche, a fait des propositions en disant qu'effectivement il faut simplement garder un certain nombre de droits fondamentaux, puis il faut alléger le reste.
MYRIAM EL KHOMRI
C'est ce sur quoi nous travaillons. Vous savez par exemple, le débat sur les trente-cinq heures est un faux débat. Aujourd'hui, la durée légale est de trente-cinq heures et ça permet le seuil de déclenchement des heures supplémentaires mais beaucoup d'entreprises travaillent au-delà. Beaucoup de salariés dans les entreprises travaillent au-delà des trente-cinq heures et peuvent annualiser aussi le temps de travail. Ça, c'est la réalité des entreprises aujourd'hui. Aujourd'hui, le travail que nous sommes en train de mener, à la fois avec ce que dit Robert BADINTER mais également tout ce que propose le rapport de Jean-Denis COMBREXELLE, vise justement à regarder quels sont les niveaux de régulation les plus pertinents par rapport aux garanties qui doivent être données aux salariés.
GÉRARD LECLERC
Ça veut dire quoi, le niveau de garantie pertinent ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ce qui doit relever du code du travail, ce qui doit relever de la branche professionnelle et ce qui doit relever de l'accord d'entreprise. La concertation a commencé. A l'issue fin octobre, nous ferons des propositions à l'issue de ce travail de concertation pour voir comment nous pouvons donner plus de souplesse.
GÉRARD LECLERC
Et tout ça, ça pourra déboucher quand ?
MYRIAM EL KHOMRI
Dans une loi que je dois porter au premier semestre 2016.
GÉRARD LECLERC
Vous savez, vous avez une lourde responsabilité sur les épaules parce que François HOLLANDE a dit que s'il n'y a pas d'inversion de la courbe du chômage, il ne pourra pas se représenter en 2017. Cette inversion, vous la voyez pour quand ?
MYRIAM EL KHOMRI
Je ne suis pas le ministre ni des statistiques mensuelles, ni des pronostics.
GÉRARD LECLERC
J'ai bien compris mais là, c'est le président de la République qui lui-même a pris ce
MYRIAM EL KHOMRI
Je crois que le cap fixé par le gouvernement est clair. Le Pacte de responsabilité et de solidarité, nous nous y sommes engagés et nous sommes en train de le mettre en oeuvre. Si je vais sur le terrain, c'est parce qu'en effet parfois il y a des blocages dans certains domaines. Aujourd'hui pour nous, nous mettons en place tous les outils afin justement de permettre ces créations d'emploi. C'est tout le travail qui est en train d'être mis en oeuvre depuis trois ans. On voit que sur les jeunes, ça porte ses fruits donc il faut continuer, renforcer, aller plus vite et plus loin.
GÉRARD LECLERC
Les négociations ont échoué à AIR FRANCE. Les pilotes ont refusé notamment de travailler davantage. Il y aurait dix pourcents des lignes qui pourraient être supprimées avec le plan de restructuration de la direction, des milliers d'emplois on parle de trois mille pourraient disparaître. Vous êtes ministre du Dialogue social, qu'est-ce que vous faites ? Vous laissez AIR FRANCE se débrouiller avec les syndicats ou le gouvernement va intervenir d'une façon ou d'une autre pour essayer de faciliter la discussion ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ecoutez, le gouvernement et le Premier ministre, Alain VIDALIES, Emmanuel MACRON et moi-même sommes particulièrement préoccupés, bien sûr, par cette situation. Alain VIDALIES a des contacts très réguliers avec l'ensemble des acteurs en jeu et nous attendons donc justement que nous puissions régler cette situation qui nous préoccupe, en effet, parce qu'il y a beaucoup d'emplois en jeu, et parce que c'est aussi un magnifique fleuron de notre économie. Nous y sommes donc attachés.
GÉRARD LECLERC
Oui, mais est-ce que ce n'est pas justement un exemple des blocages et de la difficulté de négocier en France ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ecoutez, le rapport de Jean-Denis COMBREXELLE dit bien qu'il y a une question culturelle dans notre pays. L'enjeu de la négociation collective, c'est comment nous pouvons passer parfois d'une culture de l'affrontement à la culture de la négociation. Pour cela il faut de la confiance, de la confiance entre les différents acteurs et cette confiance ne se décrète pas. Nous devons donc tout mettre en oeuvre mais je fais confiance à l'intelligence collective.
GÉRARD LECLERC
Merci Myriam EL KHOMRI.
MYRIAM EL KHOMRI
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 octobre 2015