Déclaration de M. Emmnauel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, sur la nécessité de l'évaluation des politiques publiques, à Paris le 18 septembre 2015.

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Circonstance : Discours du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, devant l'OCDE, Paris le 18 septembre 2015

Texte intégral

Monsieur le Secrétaire général.
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs.
Je suis ravi de me retrouver ici dans un lieu qui m'est cher et avec des équipes que je commence à bien connaître parce que nous avons travaillé ensemble avant de faire la loi, pendant que nous faisions la loi et donc maintenant après avoir fait la loi puisqu'il leur reviendra de précisément l'évaluer, la mesurer.
La croissance mondiale n'apportera pas la solution à nos problèmes. Je crois qu'aujourd'hui si on devait schématiser un contexte qui nous est à toutes et tous familier, nous avons une économie mondiale qui a essentiellement un moteur, le moteur américain, beaucoup d‘incertitudes, peut-être des opportunités, des taux qui pour le moment restent bas, un prix du pétrole qui je pense les prochains semestres le restera et un euro qui nous met encore en situation relativement favorable. Donc dans ce contexte-là moi je tire une conclusion pragmatique pour ce qui relève de mes propres compétences : nous devons continuer à réformer et nous devons réformer avec force parce que c'est à cette condition que d'une part on améliorera notre croissance, en tout cas la croissance potentielle ; et d'autre part, c'est à cette condition qu'on sera plus intensif en investissements et en emplois et donc que les résultats concrets de cette croissance seront tangibles. Voilà donc le défi qui est aujourd'hui porté.
Et dans ce cadre-là, j'ai durant toute la première partie de cette année défendu une loi pour la croissance et l'activité dans notre pays, qui ouvre toute une série de secteurs. Et donc je tenais à ce qu'on puisse avoir cet échange et je tenais à ce que vous puissiez conduire ce travail parce qu'il y a la préparation d'une loi, l'explication, il y a ensuite sa défense politique jusqu'au vote puis sa promulgation. Et nous sommes maintenant dans un exercice de la politique publique qu'en France on a trop souvent déserté, qui est l'application et l'évaluation. Et c'est à mes yeux l'un des instruments de la réforme, c'est un des instruments de la réforme parce que d'abord c'est un des instruments de sa crédibilité : en effet, à quoi sert d'avoir des débats, de porter une loi si elle n'est pas appliquée dans la réalité ? J'y reviendrai, c'est l'un des défis, ça c'est de mon côté. Et en même temps il est essentiel, quand on a mené un débat sur des constats, d'évaluer. Il est capital d'évaluer les mesures votées puis d'actualiser cette évaluation à la lumière des mesures mises en oeuvre et puis de mesurer ensuite sa mise en place concrète.
Et ça c'est un défi d'efficacité pour les politiques publiques et c'est un défi démocratique parce qu'on ne peut pas avoir des débats adultes, on ne peut pas avoir des débats constructifs et sains dans nos démocraties si on n'a pas ce continuum et en même temps ces instruments. Et donc je pense que vous faites aujourd'hui oeuvre utile en participant à ce travail qui est le coeur de votre métier, vous le faites déjà beaucoup à travers le travail de comparaison permanente des économies, des secteurs, des sous-secteurs qui sont très importants pour nous mais ce que je veux, c'est qu'on le mette au coeur du débat public, c'est pour moi un gage, vous l'avez compris, de crédibilité d'efficacité et en même temps de visibilité.
Cette évaluation de la loi votée et donc promulguée début août, je l'ai voulue indépendante et plurielle. Les services du gouvernement font ces évaluations et elles me sont très utiles pour préparer un texte, mais vis-à-vis de nos concitoyens et du Parlement, il faut une évaluation indépendante. Et donc, à cet égard, j'ai mobilisé deux réseaux, vos experts parce qu'ils apportent cet éclairage international et en même temps une commission ad hoc présidée par madame PERROT, commission indépendante qui continue ce travail avec un aspect plus exhaustif mais aussi des évaluations qualitatives parce que beaucoup de ces mesures, vous l'avez dit dans votre exposé liminaire, ne peuvent pas être quantifiées numériquement compte tenu des nécessaires rigueurs méthodologiques que vos experts prennent. C'est pourquoi je vous remercie vraiment pour le travail d'évaluation que vous avez conduit sur cette mesure de la loi pour l'activité, la croissance et l'égalité des chances économiques.
Vous avez donné le chiffrage à 0,3 point à cinq ans, alors il y a des effets de composition qui ensuite se feront, une dynamique positive, il y a tout le reste, mais c'est déjà très important pour nous de mesurer la robustesse des effets chiffrables de ces quelques mesures par rapport à votre méthode et ce qui a été observé. C'est fondamental parce que ça s'inscrit dans cette dynamique de mise en oeuvre. Il y a près de 200 mesures dans ce texte de loi, l'ouverture des lignes d'autocars, la réforme des prud'hommes, la modernisation des accords de maintien dans l'emploi défensifs, les 12 dimanches du maire autorisés chaque année, 9 dès l'année 2015, dans quelques jours les zones touristiques internationales pour la capitale et quelques autres villes. La moitié des mesures de la loi sont entrées directement en application au moment de sa promulgation, c'est-à-dire qu'elles sont en vigueur depuis août dernier, depuis le 6 août, donc la moitié.
L'application de la loi nécessitera 95 décrets, 50 d'entre eux passeront devant le Conseil d'Etat, une bonne partie y sont déjà, et plus de 80 % de ces travaux réglementaires seront pris dans les trois mois. Ce qui, je crois pouvoir le dire, est une première, on n'a jamais travaillé aussi vite mais c'est une nécessité pour que la réforme soit crédible sinon le doute s'installe. C'est pourquoi les dimanches du maire c'est déjà une réalité, les zones touristiques internationales, le décret sera pris dans les prochains jours. Donc cela avance à marche forcée mais dans le même temps il est nécessaire d'évaluer et de rendre des comptes. Il y a votre travail, d'ici la fin de l'année la commission Perrot présentera le sien et moi-même je rendrai des comptes aux parlementaires, ce qui là aussi ne s'est jamais fait, mais pour aller au bout de la transparence je présenterai vos travaux, ceux de la commission Perrot et l'état de l'art de la mise en oeuvre d'ici deux mois à l'ensemble des membres des commissions spéciales de l'Assemblée et du Sénat. C'est un élément essentiel de cette évaluation et de cette transparence au fil de l'eau. Et le travail en continu sera approfondi, je n'exclus pas de vous solliciter à nouveau sur tel ou tel chiffrage ou telle ou telle mesure dans les prochains mois pour tester la robustesse des évaluations qui nous seront données et surtout pour continuer cette évaluation à la lumière des textes pris et à la lumière précisément de ce qui pourra d'ores et déjà être mesuré.
Votre rapport le montre très bien, la dynamique de la réforme s'est enclenchée, elle est là, vous avez rappelé les chiffrages, et donc elle doit être poursuivie. Et la discussion que nous avons eue ensemble il y a un instant, comme ce que votre document permet de commencer à explorer, ce sont les voies de l'intensification et de la poursuite de cette réforme dans les prochains mois. D'abord sur le marché du travail et sur ce plan-là ma collègue en charge du Travail et de l'Emploi, Myriam EL KHOMRI, a annoncé qu'elle inscrirait les propositions qui lui ont été faites par monsieur COMBREXELLE dans son rapport dans une loi qui sera présentée en Conseil des ministres en début d'année prochaine. Qu'est-ce qu'il y aura dans ce texte ? A la fois la réforme très profonde que propose le rapport Combrexelle qui donc permet de repenser l'organisation de la fabrique de la loi en matière de droit du travail et donc de donner plus d'espace à des accords majoritaires d'entreprises et en même temps toute la modernisation du compte personnel d'activité que le Président de la République a annoncé il y a plusieurs mois. Lequel est aussi un des instruments d'une plus grande flexibilité du marché du travail et d'une plus grande mobilité des salariés. Et donc ces éléments c'est la loi que portera Myriam EL KHOMRI en début d'année prochaine et que nous accompagnerons avec beaucoup d‘ardeur parce que je crois que c'est vraiment un sujet essentiel.
Ensuite il y a au-delà de ces éléments de modernisation l'anticipation des transformations à venir. Comme vous l'avez évoqué, un monde est en train de changer devant nous, il ne nous a pas attendu, il n'a pas attendu les régulations, il n'a pas besoin des gouvernements, parfois même il les craint. Mais ce monde a quelques caractéristiques, il va plus vite, il est plus disruptif, donc il a des conséquences de déstabilisation sociale, fiscale, on le voit bien, réglementaire mais en même temps il est créateur d'opportunités formidables en matière d'emplois, en matière d'innovation et de productivité. Et donc tout le défi qui est le nôtre, et là l'OCDE a un rôle extrêmement important, c'est de mettre en lumière ces opportunités et de comparer les méthodes des uns avec celles des autres. Il nous faut construire le terrain équitable de survenue de cette nouvelle économie et en même temps nous devons nous assurer que nos économies sont là pour, un, accompagner au mieux la réallocation des facteurs de production de manière la plus efficace possible et, deux, créer le maximum d'activité et d'emplois sur ces nouveaux secteurs.
Et c'est ce travail que je conduirai dans les prochains mois qui passe à la fois par un exercice de transparence et de comparaison, j'aurai besoin de vous, par des débats publics, citoyens parce que ces réformes ne sont pas possibles si elles ne sont pas comprises par nos concitoyens, si elles ne sont pas intégrées, ou sinon le changement est toujours vécu comme une menace, et en même temps par des débats techniques sectoriels qui sont nécessaires. Le tourisme, le logement, l'énergie, la mobilité, l'éducation, la santé, ce sont autant de secteurs, et il y en a bien d'autres, qui sont bouleversés par ces innovations, qu'elles soient technologiques ou d'usage. Ça veut dire que des parts importantes de notre produit intérieur brut sont en train d'être déplacées, que les usages sont transformés, qu'en même temps les pratiques de travail sont profondément elles aussi transformées. Parce qu'on parle de plateformes de logiciels ou de services qui de plus en plus ont recours à des travailleurs indépendants, des auto-entrepreneurs, à des modèles beaucoup plus déconcentrés d'activités qui conduisent à repenser en profondeur le modèle de l'entreprise unique à contrat à durée indéterminée, du salariat fixe. Et donc vous voyez bien qu'il y a à la fois à mener une réflexion sectorielle, afin de s'assurer que nos règles ne brident pas l'innovation, n'empêchent pas ces améliorations de productivité ou ces transformations. En même temps il y a à réfléchir au bon cadre parce que ces activités doivent se faire dans un cadre social et fiscal équitable. Donc il y aura beaucoup de sujets réglementaires, sectoriels, de droit du travail, de droit commercial qui sont nécessaires pour que nous puissions réussir ces transformations.
La réforme ça n'est pas un mouvement qui tourne à vide, c'est la nécessité pour les politiques publiques de tirer tous les partis de ce qui est en train d'advenir et de s'assurer précisément que nos économies réussiront mieux dans cette mondialisation. C'est le défi qui nous est livré et dans ce cadre-là je considère que l'exercice de transparence, de rigueur, de comparaison que vous me permettez de conduire est extrêmement important et je tiens à nouveau à vous en remercier.
Merci pour votre attention.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 19 octobre 2015