Déclaration de M. Harlem Désir, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, sur la crise des réfugiés, la situation en Syrie et sur la construction européenne, au Sénat le 13 octobre 2015.

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Circonstance : Union européenne - Débat préalable au conseil européen, au Sénat le 13 octobre 2015

Texte intégral


Je suis très heureux de participer à ce débat. Je veux vous remercier, Monsieur le Président, ainsi que la conférence des présidents, de l'avoir organisé à une heure propice à un débat approfondi.
La crise des réfugiés et la situation en Syrie seront les principaux points à l'ordre du jour du conseil européen de jeudi.
Selon Frontex, 710.000 personnes sont entrées dans l'Union européenne au cours des neuf premiers mois de 2015, contre 282.000 l'an passé. En Allemagne, on parle d'un million de migrants et réfugiés cette année. Ces femmes et ces hommes, pour qui l'Europe est une terre de sécurité et d'espoir, tombent souvent entre les mains de passeurs criminels. Plus de 3.000 migrants sont morts en Méditerranée. Jamais le phénomène migratoire n'a connu une telle ampleur. C'est la solidarité européenne qui est ainsi remise en cause.
Un mécanisme de répartition a été mis en place, ainsi que des centres d'accueil et d'enregistrement. Le contrôle des frontières a été renforcé au moyen de l'action Sofia, soutenue par les Nations unies. Celle-ci permet d'arraisonner les navires. Des accords de coopération et de réadmission ont enfin été conclus.
Le conseil européen devra s'assurer de la mise en oeuvre de ces dispositifs. L'effectivité du système d'asile dépend de l'effectivité des contrôles aux frontières de l'Union européenne, de la solidarité entre États membres, de la responsabilité de chacun pour ce qui lui incombe et du traitement des causes de la crise avec les pays d'origine. C'est la position constante, défendue par la France depuis le début de la crise.
Des moyens budgétaires ont été dégagés sur le budget de cette année, et le seront en 2016, pour un total de 1,7 milliard d'euros ; ils abonderont le fonds asile migration, le budget de Frontex, le Trust Fund et l'aide aux pays tiers.
L'Union européenne renforce son action avec les pays d'accueil des réfugiés. Un plan spécifique avec la Turquie, discuté avec le président Erdogan lors de son passage en Europe et portant à la fois sur l'assistance aux réfugiés en Turquie et la lutte contre les trafics et l'immigration clandestine au départ de ce pays, est en cours de mise en oeuvre. Ces négociations sont difficiles.
Avec les pays des Balkans, il s'agit maintenant de mettre en oeuvre les décisions prises le 8 octobre, lors de la conférence de Luxembourg, concernant l'assistance humanitaire et la lutte contre les filières criminelles.
Le conseil européen préparera en outre le Conseil de la Valette, qui portera sur l'aide apportée aux États africains en matière économique et de réadmission.
Il examinera les pistes d'amélioration du système intégré de contrôle aux frontières. L'adaptation du mandat de Frontex et la création d'un corps de garde-côtes européen seront discutées. Les opérations maritimes comme Poséidon et Triton allaient déjà dans cette direction.
Troisième axe : améliorer l'efficacité des politiques de retour. Il nous faut, parallèlement à l'ouverture rapide de «hotspots» et aux relocalisations, mettre en oeuvre effectivement la directive ; créer, au sein de Frontex, une équipe dédiée pour soutenir les États membres ; élargir le mandat de Frontex pour lui donner la possibilité d'organiser des opérations de retour de sa propre initiative ; promouvoir auprès des pays tiers des laissez-passer consulaires européens.
Deuxième sujet à l'ordre du jour du conseil européen : la situation en Syrie. Le Conseil des affaires étrangères auquel j'ai participé hier a repris les trois grandes priorités défendues par la France : la lutte contre le terrorisme d'abord. La France a pris ses responsabilités en groupant les centres d'entraînement de Daech ; toute la communauté interventionniste doit à présent être mobilisée. Ensuite l'élaboration d'une transition politique. Tous les acteurs - Russie, États-Unis, Union européenne, Turquie, Arabie Saoudite, Iran - doivent s'engager dans cette voie. Nous devons rassembler les membres de l'opposition modérée qui rejettent le terrorisme ainsi que les éléments du régime qui ne sont pas impliqués dans des crimes de guerre, pour que cette transition puisse se mettre en place. Celle-ci ne pourra se faire avec Bachar al-Assad, responsable de près de 250.000 morts. Le conseil européen se prononcera sur l'attitude de la Russie : ses opérations militaires doivent cesser de viser les éléments modérés de l'opposition au régime.
La situation en Libye devra être abordée, afin que ce pays recouvre sa souveraineté.
Enfin, le Conseil entendra une communication au sujet du referendum britannique sur l'appartenance du Royaume-Uni à l'Union, et des demandes formulées par ce pays.
S'il fallait un mot pour définir le conseil européen à venir, je dirais : gravité. Il sera aussi empreint de responsabilité, face à la situation très grave de la crise migratoire et de la guerre syrienne.
(Interventions des parlementaires)
Merci aux orateurs de leurs interventions. Je confirme que la France soutient la création des garde-frontières européens, idée reprise par le président Juncker.
Le système de relocalisation des réfugiés est déjà une exception aux règles de Dublin, qui imposent cependant la responsabilité de chaque État membre pour la surveillance de ses frontières et la discrimination entre réfugiés et autres migrants. Certes, il n'y a pas de bons et de mauvais migrants, mais les règles diffèrent : l'asile est une protection individuelle accordée à des personnes fuyant la guerre et les persécutions qui découle de la convention de Genève. Si nous ne faisons pas cette différence, le refus de l'asile finira par l'emporter.
La réponse à la crise suppose aussi d'aider les pays d'origine et de transit, ainsi que les pays voisins de la Syrie, pour que les réfugiés puissent y rester. La dégradation des conditions de vie dans les camps gérés par le HCR et même le manque de nourriture ont jeté des dizaines de milliers de personnes sur les routes de l'exode.
On ne répond pas à une telle crise en créant un impôt. Les sommes nécessaires doivent être prélevées sur les budgets européens et nationaux.
La liste des pays d'origine sûre doit être la même pour tous les pays européens, c'est vrai, Monsieur le Sénateur. Des laissez-passer européens seraient également utiles, pour ne pas jeter les réfugiés dans les bras des passeurs. Et d'autres pays, comme les États-Unis, doivent prendre leur part de l'effort.
Offrir une réponse coordonnée est difficile, cela est vrai, parce que les États membres ne sont pas dans la même situation géographique - certains comme l'Italie, la Grèce ou les pays des Balkans sont plus exposés - et parce que les migrants veulent, pour beaucoup, aller prioritairement en Allemagne, en Suède et en Grande-Bretagne. C'est pourquoi nous avons dû insister sur la part que chaque État membre devrait prendre dans cette crise.
La COP21 ne sera pas absente du Conseil. L'Union européenne a été exemplaire et a adopté des objectifs ambitieux. Les enjeux sont financiers et diplomatiques, la démocratie européenne doit agir pour convaincre la quarantaine de pays qui ne l'ont pas encore fait de transmettre leur contribution. Les moyens supplémentaires donnés au HCR, au programme alimentaire national mondial sont au rendez-vous : l'Union européenne a débloqué 200 millions en 2015 et débloquera 300 millions en 2016 ; des efforts équivalents seront demandés aux États membres.
M. le sénateur, tout en prétendant défendre la nation, a accusé la France d'être à l'origine de la guerre en Syrie, ce que personne d'autre ne fait sur la planète, loué les mérites du régime d'Assad et les bombardements russes sur l'opposition modérée. Je lui laisse, mais il est absent, la responsabilité de propos incohérents, inconséquents et irresponsables.
M. le sénateur a insisté sur la solidarité. Le président Hollande a évoqué mercredi dernier à Strasbourg, devant le Parlement européen, la nécessité de convergences qui ne soient pas seulement budgétaires ou fiscales - la presse n'a donné qu'un compte rendu partiel de son intervention. Oui, l'Union économique et monétaire souffre d'un défaut de conception. Des progrès ont été réalisés depuis 2009, encore en 2013 et en 2014. Je souhaite aller plus loin. La France ne « décroche » pas elle se redresse : le déficit public était de 5,1% en 2011, il sera inférieur à 3% en 2017.
De même la croissance était nulle avant 2012, elle sera de 1% en 2015 et de 1,5% en 2016. Nous voulons un approfondissement de l'UEM parce que la zone euro doit être une zone de croissance, d'innovation, d'investissement. Il faut des outils nouveaux de coordination des politiques économiques, de même qu'un contrôle parlementaire, l'objectif étant de parvenir à un parlement de la zone euro.
Notre position sur les Britanniques est qu'ils doivent demeurer dans l'Union, c'est leur intérêt et celui de l'Europe. On peut se préparer aux négociations, mais encore faut-il savoir sur quels sujets elles vont porter ; les demandes n'ont pas encore été officiellement formulées. Je vous confirme que le président Hollande s'exprime au nom de la France quand il répond à un député européen eurosceptique et lui rappelle que dans l'Union les droits emportent des devoirs. M. Cameron veut rester dans l'Union, les sujets évoqués sont le fonctionnement de celle-ci, la lutte contre les abus sociaux. Il ne saurait y avoir de remise en cause des principes fondamentaux tels que la liberté de circulation ou des politiques communes. Nous entendons en tout cas travailler à traité constant, l'Union doit se concentrer sur l'essentiel - la crise migratoire, le développement économique et l'emploi - et non sur des questions inconstitutionnelles éloignées des préoccupations quotidiennes des Européens. Nous incitons nos amis Britanniques à être pragmatiques - c'est une de leurs qualités.
L'Europe ne se désintéresse pas du numérique. La Commission européenne a rendu une communication trop centrée sur les consommateurs et l'accès au marché ; nous défendrons d'autres enjeux : la régulation des plateformes, les droits d'auteur, l'émergence de champions européens.
Monsieur le Sénateur, nous examinerons en détail le projet de comité budgétaire consultatif. La France soutient les demandes de l'Autriche et de l'Italie d'assouplir les règles budgétaires face à la crise migratoire, exceptionnelle, sans désarticuler les pouvoirs de la commission européenne. Il faudra peut-être créer des structures spécifiques en son sein.
Nous défendrons la voie vers un Parlement de la zone euro, dont les parlements nationaux ne peuvent pas être écartés puisqu'ils sont les représentants de la souveraineté budgétaire. Oui, il faut une forme de Trésor européen, des capacités budgétaires et d'investissement. Avec quelles ressources ? C'est l'objet des discussions, on peut penser par exemple à une part de la TTF. On peut aussi s'inspirer du mécanisme de stabilité européen, dont l'effet de levier est très puissant, mais qui est aujourd'hui un instrument défensif. Mes lignes rouges, ce sont les valeurs de l'Europe.
M. le sénateur a raison, la voie est étroite. Respect du droit d'asile, lutte contre les passeurs, solidarité, contrôle des frontières. C'est en traitant tous les aspects de la crise migratoire que nous pourrons la résoudre.
Les États membres n'ont pas la même culture de l'asile. Mais chacun doit assumer sa part. Les pays de première arrivée ont refusé d'enregistrer les réfugiés par peur que la répartition ne se fasse pas. Chacun doit s'engager, c'est la condition de la réussite du contrôle aux frontières et des «hotspots». Nous soutenons la création de gardes-frontières.
La Turquie, qui a accueilli deux millions de réfugiés syriens, doit être soutenue pour combattre les passeurs. Le plan d'action qui sera mis en place sera décisif pour juguler les flux et protéger les réfugiés.
Merci pour ce débat de qualité et de vos propos équilibrés. La crise migratoire appelle de la ténacité et, face aux populismes qui empoisonnent les débats dans de nombreux pays, de la raison et de la pédagogie.
(Interventions des parlementaires)
Le Conseil des ministres de l'intérieur a déjà pris la décision de créer des «hotspots» ; elle sera confirmée par le conseil européen. Ils sont d'ores et déjà en train d'être mis en place en Grèce et en Italie par la Commission européenne, Frontex et le Bureau européen compétent en matière d'asile. La difficulté est l'urgence : il faudra plus de centres, en Sicile, à Lampedusa, dans plusieurs îles grecques, sans doute dans le Péloponnèse. Dans ces centres, on relèvera les empreintes digitales et on fera un premier traitement des demandes d'asile. Les déboutés seront reconduits dans leur pays d'origine dans le cadre des accords de réadmission.
(Interventions des parlementaires)
À ce stade, et peut-être pour des raisons de politique intérieure, David Cameron n'a pas formulé de demandes officielles.
Pour notre part, nous l'encourageons à ne pas présenter de propositions incompatibles avec les traités. Concentrons-nous sur l'essentiel : la croissance, l'emploi, le numérique et la crise migratoire.
(Interventions des parlementaires)
Ne confondons pas les actions militaires comme l'opération Barkhane, et les actions de souveraineté comme le contrôle des frontières. Nous formons de nombreux policiers et militaires de ces pays dans le cadre d'accords bilatéraux. Un des principaux pays de transit africain est le Niger, de nombreuses routes de migration passant par Agadès. Nous avons demandé à l'Union européenne d'y créer un centre pour examiner les demandes d'asile.
(Interventions des parlementaires)
J'exprime d'abord la solidarité du gouvernement aux victimes du terrible attentat de samedi. La Turquie est un acteur très important de la région. Les élections législatives doivent s'y dérouler dans des conditions apaisées et démocratiques.
Nous avons élaboré un plan d'action pour l'aider à surmonter la crise migratoire, à accueillir les réfugiés - dont certains ne sont pas dans des camps. Nous le pousserons à reprendre les négociations avec les Kurdes.
(Interventions des parlementaires)
Pour l'heure, l'Union économique et monétaire a beaucoup fonctionné sur la coordination budgétaire et financière. Nous pensons, nous, qu'il faut aller vers plus de convergence économique, fiscale et sociale : salaire minimum, portabilité des droits, dialogue entre partenaires sociaux - délaissé depuis Delors. Nous avons soutenu les paquets fiscaux proposés en mars et juin 2015 et défendions une approche ambitieuse en matière fiscale - assiette commune de l'impôt sur les sociétés, directive TTF, renforcement des échanges entre les administrations fiscales, promotion de la transparence, lutte contre l'optimisation fiscale agressive. Nous le faisons aussi au sein de l'OCDE.
(Interventions des parlementaires)
L'opération Sofia détient un mandat de l'ONU pour intervenir en haute mer ; la France y contribue avec un navire, un avion, un personnel d'expertise et un vice-amiral au centre de commandement de Rome. Nous travaillons à New York pour obtenir l'autorisation pour elle, avec l'accord des autorités de Libye, d'entrer dans les eaux territoriales de ce pays. Quoi qu'il en soit, cette opération marque un grand progrès ; c'est une étape vers de futurs garde-côtes européens.
(Interventions des parlementaires)
Effectivement, le président de la République défend l'idée d'un parlement de la zone euro. Pour ma part, je suis convaincu de sa nécessité depuis longtemps. D'abord parce que l'existence de l'euro a un impact sur les budgets que les parlements nationaux votent. Ensuite, parce que des mesures comme le plan d'aide à la Grèce doivent recevoir l'aval des parlements nationaux. Cela renforcera la dynamique d'appropriation de l'Europe.
(Interventions des parlementaires)
Les demandes d'asile seront examinées par les agents de Frontex, des membres du Bureau européen de l'asile - installé à Malte - ainsi que par les experts techniques dépêchés par les États membres et les autorités nationales elles-mêmes. Les centres «hotspots» devront être nombreux pour traiter les demandes.
Ce n'est pourtant qu'une des réponses à la crise migratoire avec le plan d'action négociée, avec la Turquie, la lutte contre les passeurs et l'aide aux pays d'accueil des réfugiés.
(Interventions des parlementaires)
Depuis des mois, Laurent Fabius alerte sur la situation explosive en Israël et en Palestine. Le gouvernement condamne toutes les violences, de part et d'autre, l'assassinat de civils israéliens comme la violation des droits des Palestiniens. Nous continuons de croire en la solution de deux États et d'y travailler. Fin septembre, le quartet s'est réuni en formation élargie avec les pays arabes ; 3.000 actions prioritaires sont conduites sur place et nous maintenons notre soutien collectif à la réconciliation en Palestine. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 octobre 2015