Interview de Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à France-Inter le 20 octobre 2015, sur la politique urbaine et l'organisation du temps de travail.

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Média : France Inter

Texte intégral


PATRICK COHEN
Bonjour Myriam El KHOMRI.
MYRIAM EL KHOMRI
Bonjour.
PATRICK COHEN
Avant d'accéder au ministère du Travail, vous étiez chargée de la politique de la ville ; François HOLLANDE se rend aujourd'hui à la Courneuve, il a changé quoi ce quinquennat pour les banlieues et leurs habitants ?
MYRIAM EL KHOMRI
Il a changé à la fois en terme de rénovation urbaine, il y a un nouveau programme de rénovation urbaine qui a été lancé par le président de la République en décembre dernier, cinq milliards d'euros pour les quartiers populaires, il a changé également en terme de mixité sociale, l'application de la loi SRU, qui est une réponse aussi, parce que, on continue à concentrer…
PATRICK COHEN
Elle est vraiment mieux appliquée aujourd'hui ?
MYRIAM EL KHOMR
Tout à fait, elle est mieux appliquée, pour éviter de concentrer la pauvreté toujours dans la pauvreté, et puis, en matière d'emplois et de développement économique, nous avons mis en place, au-delà de l'éducation prioritaire, nous avons mis en place par exemple les jeunes des quartiers, les habitants des quartiers populaires sur les dispositifs emplois ne bénéficiaient que de 9 % des contrats aidés en 2011, aujourd'hui, c'est plus de 20 % des contrats d'avenir. Donc en effet, il y a sur de nombreux dispositifs plus d'actions dans les quartiers populaires. Néanmoins…
PATRICK COHEN
Néanmoins, il y a beaucoup de déceptions…
MYRIAM EL KHOMRI
Néanmoins, la précarité est là, dans ces quartiers, et aujourd'hui, l'enjeu de ce lancement de cette agence nationale du développement économique, c'est que, il y a beaucoup plus de créations d'entreprises dans ces quartiers qu'ailleurs, mais elles sont plus fragiles. Et donc l'enjeu de cette agence, c'est de permettre aux jeunes et aux moins jeunes de ces quartiers de les aider à créer leur entreprise, voire de les aider au bout de trois ans, en permettant de l'investissement.
PATRICK COHEN
Vous avez été secrétaire d'Etat à la politique de la ville pendant…
MYRIAM EL KHOMRI
Un an.
PATRICK COHEN
Un an. Vous avez entendu la déception de ces quartiers, de leurs habitants, sur ce quinquennat, sur ce président pour lequel beaucoup d'habitants de ces quartiers ont voté, vous l'avez entendue, Myriam El KHOMRI ?
MYRIAM EL KHOMRI
Oui, j'ai fait beaucoup de déplacements comme secrétaire d'Etat à la politique de la ville, et ce sentiment d'abandon, en effet, il est exprimé dans ces quartiers, parce que la situation est difficile, parce que la pauvreté y est particulièrement présente, mais je crois que c'est important de dire que les problèmes dans ces quartiers ne sont pas ceux de ces quartiers, sont ceux de la France entière. Et l'enjeu de la mixité sociale est essentiel, je pense que c'est un signal très important donné à ces quartiers, et que si quelque part, on a des quartiers ce qu'on appelle des zones sensibles, c'est parce que nous avons dans notre pays des zones qui sont insensibles, et que tout l'enjeu, on voit bien que, on sait bien que les équilibres sociaux dans un quartier, ce n'est pas en cinq ans qu'on peut les changer, mais aujourd'hui, avec le nouveau programme de rénovation urbaine, quand on va démolir un immeuble dans ces quartiers, eh bien, on ne pourra plus le construire dans ce quartier ; il faudra trouver un terrain dehors d'un quartier politique de la ville justement pour assumer cette mixité sociale.
PATRICK COHEN
Je reviens aux sujets sociaux, ceux qui sont les vôtres aujourd'hui, Myriam El KHOMRI, la conférence sociale donc hier, avec une annonce, en tout cas, un sujet qui n'était pas à l'agenda de la réunion, le droit du travail, il y aura – on peut le dire comme ça – un nouveau code du travail en France d'ici à l'été prochain ?
MYRIAM EL KHOMRI
Il y aura une ré-achitecture, en effet, du droit du travail…
PATRICK COHEN
Ce sera une grande modification du code du travail ?
MYRIAM EL KHOMRI
C'est un travail qui prend du temps, donc je vais expliquer un petit peu, j'ai lancé, on a eu un rapport de Jean-Denis COMBREXELLE, qui nous a été remis en septembre, je crois que tout le monde aujourd'hui, en France, partage ce souci de l'illisibilité aujourd'hui de notre droit du travail, l'illisibilité, ça veut dire que les salariés ne sont pas bien protégés, et que les employeurs ont aussi une insatisfaction parce que, il y a une sorte d'imprévisibilité juridique. Ce souci de l'illisibilité, il a été montré aussi par l'ouvrage d'Antoine LYON-CAEN et de Robert BADINTER, c'est quelque chose qui est admis. A partir de là, il nous semble essentiel de voir comment on peut laisser plus de place à la négociation, en reprenant les différents niveaux, vous avez trois niveaux, vous avez le code du travail, vous avez l'accord de branche, les conventions collectives, et vous avez les accords d'entreprise. Aujourd'hui, nous réfléchissons avec l'ensemble des partenaires sociaux, je n'ai pas encore fini les concertations, je vois monsieur MARTINEZ, la CGT, cet après-midi, sur ce point, l'enjeu est de véritablement voir ce qu'on peut laisser aux accords d'entreprise, ce qu'on doit laisser aux accords de branche, et ce qui est nos grands principes du droit du travail.
PATRICK COHEN
Alors ça, les grands principes, ils ont été rappelés hier par François HOLLANDE et Manuel VALLS : on ne touche pas au contrat de travail, on ne touche pas au Smic, et on ne touche pas aux 35h.
MYRIAM EL KHOMRI
Tout à fait.
PATRICK COHEN
Vous êtes d'accord là-dessus ?
MYRIAM EL KHOMRI
C'est tout à fait nos lignes qu'on a posées.
PATRICK COHEN
Alors ensuite, qu'est-ce qui reste ?
MYRIAM EL KHOMRI
L'enjeu est de pouvoir laisser de la souplesse à l'échelle des entreprises, donc de voir ce qui relèverait des entreprises. Je peux vous donner un…
PATRICK COHEN
Un exemple, oui…
MYRIAM EL KHOMRI
Un exemple sur l'organisation du temps de travail, on peut avoir, bien sûr, comme principe, le droit au repos quotidien, le droit au repos hebdomadaire, et on pourrait laisser par exemple à l'entreprise la question du fractionnement des congés, voilà, différentes questions qui permettraient de laisser plus de souplesse pour être plus collé à la réalité des entreprises.
PATRICK COHEN
C'est quoi le fractionnement des congés ?
MYRIAM EL KHOMRI
L'enjeu…
PATRICK COHEN
Pardon, fractionnement des congés, que vous avez cité, c'est quoi ?
MYRIAM EL KHOMRI
Le fractionnement des congés ou différents titres, je ne vais pas rentrer dans les… c'est hyper technique, donc je ne veux pas…
PATRICK COHEN
Non, là, les congés, ça parle à tout le monde, à tous les salariés, vous les fractionnez comment les congés ?
MYRIAM EL KHOMRI
Le débat sur les différents congés, le débat également sur l'organisation du travail de nuit, tout ça pourrait relever de la convention collective, de l'accord de branche ou autrement de l'accord d'entreprise. L'enjeu…
PATRICK COHEN
Travail le dimanche aussi éventuellement ? Oui ?
MYRIAM EL KHOMRI
Le travail du dimanche, non, il y a eu la loi – qui a été votée – Macron, actuellement, il y a des accords d'entreprises, en effet, pour mettre des conditions. L'enjeu, c'est de pouvoir laisser plus de souplesse aux uns et aux autres, et de laisser plus de place notamment à la négociation. C'est pour ça que le président de la République hier a cité par exemple la question de l'accord majoritaire, c'est-à-dire, que ces accords d'entreprises devraient être votés par… devraient être acceptés par 50 % des représentants des salariés.
PATRICK COHEN
Alors que, aujourd'hui, c'est 30 % !
MYRIAM EL KHOMRI
Exactement.
PATRICK COHEN
Et la CGPME dit : ça pourrait tout bloquer votre passage de 30 à 50 %.
MYRIAM EL KHOMRI
Ça pourrait tout bloquer si on ne laisse pas de plus grand objet à la négociation, mais ça touche aussi une autre question, c'est comment on revitalise la négociation dans notre pays, c'est ça la question, comment on arrive à laisser de la souplesse, à permettre des garanties pour les salariés, mais aussi, comment on arrive véritablement à revitaliser le dialogue social, au plus près du terrain, je vais vous donner un exemple, dans le cadre des plans sociaux, aujourd'hui, on a 60 % de ces plans sociaux qui sont signés par les représentants des salariés et les directions. Donc on voit bien que depuis que nous avons mis cette réforme en 2013, nous avons permis justement d'améliorer le dialogue social au niveau de l'entreprise. C'est essentiel, c'est au plus près des réalités.
PATRICK COHEN
Un point encore, vous voulez diminuer le nombre de branches ; pour quelle raison et comment pourriez-vous procéder pour réduire ce nombre de branches professionnelles ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ce niveau de l'accord de branches est essentiel, il est essentiel, parce que ça représente tous les salariés et les entreprises qui travaillent dans un même secteur d'activité, ça permet d'éviter le dumping social, ça permet d'avoir une concurrence plus loyale, et donc aujourd'hui, on se compare souvent à l'Allemagne, en Allemagne, il y a 50 branches, en France, on en a plus de 700. Certaines sont des branches un petit peu mortes, et elles n'ont pas fait de convention depuis bien longtemps, et l'enjeu aujourd'hui, c'est que si nous voulons avoir des niveaux de régulation qui concernent le maximum de salariés et qui en même temps permettent cette régulation entre les différentes entreprises, le niveau de la branche est essentiel. Et 700 branches aujourd'hui, ce n'est pas satisfaisant, ça fait vingt ans que nous en parlons, donc en effet, la loi que je porterai début 2016 portera sur cette réforme du droit du travail, mais portera également sur cette volonté de restructurer les branches, de le faire un peu d'autorité, trouver des critères avec les partenaires sociaux. Jean-Denis COMBREXELLE parle d'un critère des branches qui concernent plus de 5.000 salariés, voilà, il faut poser tout sur la table, c'est le sens des concertations que je mène, et ces concertations auront une fin, puisque le 28 octobre prochain, je remets au Premier ministre l'intégralité des concertations que j'ai menées avec les partenaires sociaux jusqu'à maintenant…
PATRICK COHEN
C'est une concertation ou une consultation et pas une négociation…
MYRIAM EL KHOMRI
Non…
PATRICK COHEN
Vous consultez les partenaires sociaux, et ensuite, vous décidez, vous élaborez, vous, un projet de loi…
MYRIAM EL KHOMRI
Et j'ouvre après une deuxième phase de concertations avec les partenaires sociaux, pour voir ce qu'on introduit dans la loi, par contre, la loi que je porte a d'autres sujets, elle a comme sujet également le compte personnel d'activité…
PATRICK COHEN
On en reparlera tout à l'heure, parce que là, on n'a plus le temps, oui, mais c'est effectivement important…
MYRIAM EL KHOMRI
Et le compte personnel d'activité, il y a une négociation qui a été décidée hier à la conférence sociale, une négociation sur le calendrier et la méthode.
PATRICK COHEN
Ça, ce sera négocié par les partenaires sociaux, mais pour la réforme du droit du travail, ça fera l'objet donc d'un projet présenté en décembre, c'est ça ? Orientation…
MYRIAM EL KHOMRI
Début 2016.
PATRICK COHEN
Ah bon, en janvier, d'accord. Et les orientations, le 28 octobre.
MYRIAM EL KHOMRI
Tout à fait.
PATRICK COHEN
Myriam El KHOMRI, ministre du Travail. Et on vous retrouve dans quelques minutes avec les auditeurs de France Inter. 01.45.24.7000, et puis, sur les réseaux sociaux, les tweets avec le mot clef : interactiv.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 octobre 2015