Déclaration de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur la lutte contre le commerce illicite des produits du tabac, Paris le 17 septembre 2015.

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Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant la ratification du protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac (nos 2741, 3059).
Présentation
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.
Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes. Madame la présidente, madame la rapporteure de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les députés, 120 milliards d'euros : tel est le chiffre vertigineux qui ressort de l'évaluation du coût social du tabac publiée il y a quelques jours par l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies – OFDT. Derrière cette statistique, il y a des vies : celles des 78 000 Français qui meurent chaque année à cause du tabac ; celles de tous ceux qui, à cause du tabac, souffrent d'une pathologie pulmonaire, respiratoire ou d'un cancer ; celles des centaines de milliers de nos concitoyens contraints d'assister aux souffrances, et bien souvent aux terribles regrets, d'un proche qui a été fumeur.
Lutter contre le tabagisme, c'est donc d'abord une exigence de santé publique. Mais c'est infiniment plus que cela. Dans un pays où un jeune de 17 ans sur trois est un fumeur régulier, où les femmes enceintes fument davantage qu'ailleurs, où la consommation et l'achat de tabac progressent, c'est un combat de société. Ce combat, le Gouvernement est déterminé à le mener de front. Le protocole visant à éliminer le commerce illicite des produits du tabac, dont le Gouvernement vous demande aujourd'hui la ratification, est une arme supplémentaire dans cette bataille.
De quoi s'agit-il ? De répondre à un phénomène qui nuit à l'efficacité de nos politiques anti-tabac : le commerce illicite. Les divergences entre législations et l'absence de coordination européenne et internationale sont autant d'alliés objectifs du tabagisme. Selon l'Organisation mondiale des douanes, une cigarette sur dix circulant dans le monde appartiendrait au marché illicite. La France n'échappe évidemment pas à ce phénomène. Notre pays a fait le choix, parmi d'autres, de pratiquer des prix élevés du tabac pour en dissuader nos concitoyens et en particulier les plus jeunes. Or la France, particulièrement dans ses territoires frontaliers, est confrontée au trafic de cigarettes. Vendues moins cher, en l'absence de tout contrôle, elles sont un obstacle à l'efficacité de notre action.
C'est pour cela que notre pays a été, le 10 janvier 2013, l'un des premiers États à signer ce protocole issu de la Convention-cadre de lutte anti-tabac – CCLAT – de l'Organisation mondiale de la santé – OMS. Concrètement, il s'agit de lutter contre le commerce illicite à la racine, en agissant sur l'ensemble des acteurs qui y participent, depuis le simple revendeur jusqu'aux réseaux transnationaux organisés.
Le principal dispositif figurant dans ce protocole est la création d'un système global de suivi et de traçabilité des produits du tabac. Il s'agit de pouvoir identifier l'origine de chaque paquet commercialisé ou importé dans notre pays. Des discussions sont en cours, au niveau européen, pour préciser les recommandations opérationnelles qui devront être appliquées. Cette traçabilité sera assurée par des « tiers indépendants », eux-mêmes soumis au contrôle de la Commission européenne et d'un auditeur externe lui-même indépendant, afin de parvenir à une indépendance – tel est le maître mot ! – et à une transparence – c'est important aussi – complète du dispositif.
M. Bruno Le Roux. Très bien !
Mme Marisol Touraine, ministre. Les États membres auront un accès permanent aux données gérées par ce ou ces tiers indépendants – puisqu'ils peuvent évidemment être plusieurs. Les débats parlementaires portant sur le volet « tabac » du projet de loi de modernisation de notre système de santé ont montré, à l'Assemblée nationale et récemment au Sénat, que la représentation nationale est attachée au déploiement rapide d'un tel dispositif appliqué à l'enregistrement et à la traçabilité des données liées aux opérations d'importation et de commercialisation. La ratification de ce protocole vient ainsi renforcer notre arsenal de lutte anti-tabac. Il permet aussi le renforcement des sanctions pénales et la coopération internationale des services de répression des fraudes et des services judiciaires.
Ce protocole permettra aussi de protéger les buralistes, dans le moment de transition que connaît leur activité. Depuis plus de trois ans, j'ai, au nom du Gouvernement, une ambition affirmée : faire de la génération d'enfants qui naît aujourd'hui la première génération d'adultes non-fumeurs. Bien sûr, nous ne parviendrons pas aussi facilement à un « monde sans tabac », formule qui, je le rappelle, est retenue à l'échelle internationale. Mais, en tout cas, l'objectif doit bien être de libérer notre pays de son emprise. Ma conviction, c'est que nous n'y parviendrons pas sans des mesures fortes, audacieuses. Notre pays a trop souffert des déclarations de principe et des demi-mesures. L'adoption d'un programme cohérent et global de réduction du tabagisme doit nous permettre de franchir une nouvelle étape. Ce programme comprend un ensemble de mesures, dont le paquet neutre, qui a fait ses preuves en Australie, où le nombre de « premières cigarettes fumées » a diminué, et où les appels téléphoniques à l'équivalent de notre « Tabac information service » se sont multipliés.
Le programme national de réduction du tabagisme, c'est un tout : campagnes d'information, paquet neutre, restriction des lieux où l'on peut fumer, notamment ceux où se trouvent des enfants, aide au sevrage et lutte contre les trafics. Dans ce contexte, les buralistes font part de leur inquiétude, alors même que, depuis cette année, les ventes de tabac chez eux recommencent à augmenter, ce qui est aussi une source d'inquiétudes en matière de santé publique. Ils doutent de leur avenir. Je veux le dire à nouveau de la manière la plus forte qui soit : lutter contre le tabagisme, ce n'est évidemment pas s'en prendre aux buralistes. Mais soutenir les buralistes, ce ne peut pas être un renoncement à la lutte contre le tabagisme. C'est les accompagner dans la diversification de leurs activités. Pour cela, nous devons anticiper, innover et avancer collectivement. C'est la raison pour laquelle le député Frédéric Barbier anime depuis plusieurs mois un groupe de travail sur l'avenir des buralistes. Ses travaux avancent dans quatre directions : la sécurité des commerces, la lutte contre la contrebande, la rémunération et la diversification des activités. À partir de ces propositions, c'est bien le métier de buraliste de demain que nous devrons collectivement construire.
Avec la ratification du protocole qui vous est aujourd'hui proposé, la France poursuit son action volontariste à l'international. L'entrée en vigueur de ce protocole est subordonnée à sa ratification par au moins quarante États. Neuf pays l'ont ratifié à ce jour, dont seulement trois États membres de l'Union européenne : l'Autriche, l'Espagne et le Portugal. Nous espérons que la France complétera rapidement cette liste. En ratifiant ce texte, nous voulons envoyer un signal fort au niveau international, au moment même où la France a pris la tête d'une coalition internationale contre le tabac.
À l'issue du sommet qui a réuni à Paris, en juillet dernier, les ministres en charge de la santé de dix pays, une déclaration commune a été signée faisant référence au paquet neutre et à d'autres mesures de lutte contre le tabac, mais faisant aussi état de la volonté des États signataires de s'engager pour favoriser la ratification de ce protocole par le plus grand nombre d'États possibles. Cet engagement international, que je n'ose qualifier de croisade internationale, est absolument essentiel au vu du chemin qui reste à parcourir, mesdames et messieurs les députés ! Je l'ai dit, neuf pays ont ratifié ce protocole et la France sera le dixième, si vous le voulez bien : nous sommes loin des quarante ! Nous avons donc besoin d'être actifs et moteurs au niveau international. Les combats menés par la France vont précisément en ce sens.
Outre la mise en place du paquet neutre et la ratification du protocole de l'OMS, un combat nous mobilise aussi fortement : la recherche des voies d'une convergence entre les prix du tabac au sein de l'Union européenne.
M. Frédéric Barbier. Tout à fait !
Mme Marisol Touraine, ministre. La France est le pays d'Europe continentale où le paquet de cigarettes est le plus cher : 7 euros en moyenne, contre 4,80 au Luxembourg ou 4,75 en Espagne. La Belgique a d'ores et déjà pris des mesures d'augmentation, ce qui est une excellente nouvelle. Mais nous devons faire évoluer la situation. La directive en vigueur sur les accises a fixé certaines règles minimales qui se révèlent insuffisantes. C'est la raison pour laquelle je viens de demander, avec Michel Sapin et Christian Eckert, à la Commission européenne de mettre en œuvre une meilleure harmonisation de la réglementation sur la fiscalité des produits du tabac.
Mesdames, messieurs les députés, la ratification de ce protocole est une étape importante dans le combat que nous menons contre le tabagisme. Cette ratification nous permettra de lutter mieux encore contre le commerce illicite, qui sape l'efficacité de nos politiques de santé et fragilise l'économie de certains territoires frontaliers. Il s'agit là d'une nouvelle occasion de montrer que la France est à l'avant-garde. Je vous remercie de votre soutien et de votre engagement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
(…)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Marisol Touraine, ministre. Quelques mots rapides pour remercier l'ensemble des intervenants de leur soutien à ce texte. Je commencerai en reprenant les mots par lesquels Mme Delaunay a conclu, et qui devraient nous rassembler : envers les générations futures, nous ne pouvons pas assumer la responsabilité de l'immobilisme ou de l'inaction car nous endosserions alors une faute non seulement morale, mais aussi sanitaire.
Nous devons nous donner les moyens de lutter efficacement contre les trafics. Je ne reviendrai pas sur les différents enjeux qui ont été évoqués au cours de la discussion, et ne reprendrai donc pas l'ensemble des volets – sanitaire, réglementaire, législatif – qui doivent composer une stratégie de lutte résolue contre le tabagisme. En revanche, plusieurs interpellations m'ayant été adressées sur ce qui nous concerne plus particulièrement aujourd'hui, à savoir la manière de mettre en œuvre le protocole, je veux y répondre.
Mme Hobert et M. Le Roux ont insisté sur le caractère véritablement indépendant des « tiers indépendants ». En effet, il faut appeler un chat un chat : force est de constater que beaucoup de cigarettes circulant sur les marchés illégaux y sont placées par les fabricants de tabac eux-mêmes, qui se donnent ainsi les moyens de vendre à la fois par les voies légales et par les voies illégales. Ce sont des pratiques que nous ne pouvons pas tolérer. Cela suppose que ceux qui, aux termes du texte que nous examinons, vont contrôler la traçabilité des produits soient indépendants. C'est la raison pour laquelle, à l'occasion de l'examen en première lecture par l'Assemblée du projet de loi de modernisation de notre système de santé, un amendement a été adopté qui vise à préciser le caractère des tiers indépendants, qui devront l'être en particulier par rapport à ceux qui produisent le tabac. Cette disposition a été adoptée conforme par le Sénat, ce qui veut dire qu'elle est acquise.
Des interrogations sont apparues sur la signification précise de la notion de tiers indépendant, et j'ai pris bonne note de certaines interprétations qui pourraient être faites. M. Serville, M. Pancher et M. Reiss se sont demandé ce qu'il en serait de l'articulation entre la directive européenne et le protocole de l'OMS. Il est vrai que les définitions ne sont pas exactement les mêmes dans ces deux documents, mais elles sont parfaitement conciliables. Le protocole de l'Organisation mondiale de la santé demande aux parties de mettre en place des systèmes de suivi et de traçabilité placés sous leur contrôle, c'est-à-dire indépendants des industriels. La directive sur les produits du tabac, elle, impose de recourir à des tiers indépendants pour le stockage des données ; elle ne l'exige pas pour ce qui est de l'enregistrement, mais elle ne l'interdit pas pour autant. Il n'existe donc pas d'incompatibilité entre le protocole et la directive, et c'est à nous, État français, de nous engager résolument dans cette voie, en profitant des possibilités qui nous sont offertes.
Monsieur Le Roux, vous avez souhaité que la France puisse, sinon précéder le mouvement, tout au moins le suivre d'emblée – dès lors, bien évidemment, que le présent texte aura été adopté. Un volet du texte est laissé à l'appréciation des États signataires. Dès lors que le texte aura été voté, nous pourrons donc mettre en œuvre les dispositions correspondantes le plus vite possible. Toutefois, une partie de la transposition appelant à une coopération entre les États signataires, nous serons sur ce point obligés d'attendre la ratification du protocole par les pays concernés.
Monsieur Reiss, vous avez insisté sur la nécessité d'agir au plan européen ; quant à vous, monsieur Pancher, vous avez affirmé qu'il était de la responsabilité de l'action publique de convaincre les autres États européens. Je veux vous assurer que nous sommes très actifs dans ces domaines – sur tous les sujets, d'ailleurs.
M. Bertrand Pancher. Très bien !
Mme Marisol Touraine, ministre. La France s'est engagée à l'échelle internationale et européenne à être l'un des pays moteurs en matière de lutte contre le tabagisme. Nous ne ménageons pas nos efforts pour convaincre les autres États membres de l'Union européenne de ratifier le protocole, et la Commission de procéder à une réévaluation des prix. Je l'ai dit tout à l'heure, la stratégie des prix suppose une plus grande coordination et une meilleure coopération – la France étant l'un des pays d'Europe continentale où le prix du tabac est le plus élevé. Je veux donc vous assurer de l'engagement de notre pays et des pouvoirs publics en faveur d'une harmonisation européenne.
Je terminerai en vous remerciant, chacune et chacun, pour les propos que vous avez tenus et pour votre engagement. Il y va de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures – et aussi des générations actuelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, du groupe Les Républicains et du groupe de l'Union des démocrates et indépendants.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 23 septembre 2015