Interview de M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, à RFI le 21 octobre 2015, sur la situation des migrants à Calais et la mise en oeuvre de la réforme du droit d'asile.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

JULIEN CHAVANNE
Notre invité ce matin, le secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement. Bonjour Jean-Marie LE GUEN.
JEAN-MARIE LE GUEN
Bonjour.
JULIEN CHAVANNE
800 personnalités ont donc signé l'Appel de Calais, c'est dans Libération ce matin, des intellectuels, des artistes, qui dénoncent le désengagement de la puissance publique vis-à-vis des demandeurs d'asile. Est-ce qu'ils ont raison ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Il y a une situation qui est préoccupante à plusieurs titres. D'abord, effectivement au plan humanitaire. Deuxièmement, il y a une situation qui pour le Calaisis, je crois que l'on dit, est évidemment très préoccupante, parce qu'il s'agit d'une ville relativement petite, quelques dizaines de milliers d'habitants, qui se trouve aujourd'hui avec ce que l'on a appelé une jungle, c'est-à-dire une zone, quand même, de fragilisation de la vie sociale dans cette aire géographique. Et en même temps, il faut relativiser parce que ça n'a rien à voir avec les vagues migratoires que l'on connait par ailleurs en Europe. Donc comment, à partir de là, réagir ? C'est ce que va faire Bernard CAZENEUVE aujourd'hui, il y a sans doute à renforcer, effectivement, la question humanitaire, il y a sans doute aussi à traiter, d'une façon plus particulière, le droit d'asile de ces personnes, qui, je le rappelle, parce que peut-être que ce n'est pas très clair…
JULIEN CHAVANNE
Dans l'esprit des auditeurs.
JEAN-MARIE LE GUEN
… chez vos auditeurs et même peut-être parmi les signataires, c'est que ces personnes ne demandent pas l'asile en France, ils demandent l'asile en Grande-Bretagne. Ils ne souhaitent pas avoir l'asile en France, donc la France est dans une situation qui est un peu paradoxale, c'est qu'elle est amenée à gérer une situation de gens qui ne demandent pas l'asile au plan national, mais qui le demandent au plan britannique, les Britanniques, pour les raisons que vous savez, ne souhaitant pas accueillir ces personnes et en général ne pas leur donner leur droit d'asile. Donc on est dans une situation qui est complexe à gérer du point de vue tampon, un peu paradoxale, qui doivent être traités avec humanité mais qui ne peut pas non plus donner l'impression que nous serions simplement un pays où nous ne pourrions pas traiter, selon le droit, y compris le droit au retour, des personnes qui sont en situation qui n'est pas régulière et qui ne sont pas en situation de demander le droit d'asile chez nous, soit qu'ils ne le veulent pas, soit qu'elles n'y aient pas droit en regard de leur statut. Donc une situation juridiquement un peu complexe, humanitairement qui justifie sans doute une mobilisation.
JULIEN CHAVANNE
Oui, sur ce plan, je vous cite le constat de Jacques TOUBON, défenseur des droits : « A Calais, atteinte aux droits fondamentaux des exilés, extrême précarité, conditions de vie déplorables, promiscuité, épuisement physique et psychique. Est-ce qu'il y a quelque chose à faire de ce côté-là ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, bien sûr, il y a sans doute quelque chose à faire. Mais encore une fois, imaginez la situation paradoxale, c'est que si c'était des gens qui demandaient le droit d'asile en France, on pourrait dire : « La France doit traiter très rapidement ces dossiers ». Or, ce sont des gens qui viennent demander le droit d'asile en Grande-Bretagne.
JULIEN CHAVANNE
Mais ça n'empêche qu'il y a 6 000 personnes en ce moment à Calais.
JEAN-MARIE LE GUEN
J'entends, mais en même temps…
JULIEN CHAVANNE
200 places d'hébergement proposées par l'Intérieur.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non mais … vous vous souvenez aussi que personne ne peut demander à ce que le Calaisis devienne un lieu de résidence de gens qui ne sont pas, de droit, sur le territoire français, qui ne souhaitent pas rester sur le territoire français, mais qui viendraient camper sur le territoire français, pour attendre un passage en Grande-Bretagne qui ne se fera jamais, ou qui se ferait dans des conditions absolument abominables que l'on connait à travers le passage en force. Donc, il y a quand même une situation qui est particulière, qui est plus complexe à gérer que si c'était simplement un droit d'asile vis-à-vis de la France. Voilà. Alors là, nous serions peut-être à même de dire oui ou non à telle ou telle personne. Là on se trouve devant une situation où on ne peut pas non plus complètement laisser des personnes croire qu'ils vont pouvoir rester dans l'attente d'une réponse britannique, car c'est bien de ça dont il s'agit, parce que nous ne pouvons pas facilement considérer que ces personnes puissent rester dans une situation de non droit, par rapport à eux-mêmes et par rapport à la France, puisqu'encore une fois ils posent une question à laquelle on ne peut pas, nous, répondre, donc si vous voulez, nous sommes dans une situation très paradoxale, sur laquelle…
JULIEN CHAVANNE
Donc le gouvernement ne peut rien faire en attendant que les Britanniques…
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais, est-ce que je vous ai dit ça ?
JULIEN CHAVANNE
Quelle est la solution ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non mais écoutez, s'il vous plait… J'ai dit qu'il y avait… Il n'y a pas de solution, justement, il n'y a que des approches qui sont diverses, qui sont humanitaires, je le dis et je le répète, il me s'emble l'avoir dit précédemment, donc il faut une aide humanitaire vis-à-vis de ces gens-là, mais en même temps nous n'avons pas la réponse juridique à leurs demande, ni même à leurs souhaits, puisqu'ils ne souhaitent pas rester sur le territoire français, tout en y étant. Vous voyez un peu le caractère paradoxal. Donc il faut continuer à discuter avec les Britanniques. Des efforts ont été faits et puis sans doute, vraisemblablement, il faut que l'on puisse mieux maitriser, d'une façon générale, les flux migratoires. Mais il n'est pas satisfaisant de revenir à ce qui avait eu lieu il y a quelques années, le fameux Sangatte, où on laisse des dizaines de milliers de personnes ou des milliers et des milliers de personnes stationner, avec la non-volonté de demander quelque chose à la France, et l'espoir d'obtenir quelque chose de la Grande-Bretagne, que la Grande-Bretagne ne veut pas leur donner.
JULIEN CHAVANNE
Il y a un rapport de la Cour des Comptes qui vient de sortir, qui concerne précisément cette fois les demandeurs d'asile qui ont été déboutés. La Cour des Comptes fait ce constat, elle dit que 93 % des personnes déboutées du droit d'asile resteraient en France, ce qui veut dire qu'en fait, l'immense majorité des gens qui devraient quitter le territoire français ne le font pas et restent de manière illégale. Qu'est-ce qu'il faut faire de ce côté-là ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Il faut faire ce que nous avons déjà fait, c'est-à-dire une réforme de la loi du droit d'asile, il y a une réforme qui a été adoptée début août, et donc nous avons aujourd'hui la possibilité de traiter beaucoup plus rapidement que nous le faisions auparavant, les demandes de droit d'asile. Il y a des moyens qui ont été donnés à l'OFPRA, à l'OFII, pour traiter d'une façon beaucoup plus rapide les dossiers, car effectivement, ce que dénonce la Cour était relativement connu, c'est-à-dire des procédures qui étaient extrêmement longues, des gens qui s'installaient sur le territoire national et qui après cela, évidemment, étaient déjà insérés.
JULIEN CHAVANNE
Une fois qu'on leur dit non, on ne sait pas exactement où ils se trouvent, c'est ce que dit aussi la Cour des Comptes.
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais c'est pour ça qu'il faut améliorer les procédures, c'est bien ce qu'est en train de faire Bernard CAZENEUVE. Pour être très clair, autant la France doit respecter le droit d'asile pour les personnes individuelles qui se trouvent dans une situation dans leur pays où leur vie est en jeu, pour des raisons, en gros, pour des raisons de guerre, pour des raisons politiques, etc. etc., autant nous ne souhaitons pas recevoir sans discernement, une migration d'origine économique, même si nous pouvons comprendre évidemment qu'il y a des difficultés qui se situent dans tout un tas de pays au Sud, c'est pourquoi d'ailleurs il faut accélérer, c'est ce que fait la France en demandant à l'Union européenne d'être plus active en Turquie, mais surtout peut-être au Liban et en Jordanie, avec une véritable aide vis-à-vis de ces pays, de façon à ce que les populations qui sont, la plupart d'entre elles viennent évidemment des cas de guerre se situant en Syrie, eh bien ces populations puissent trouver j'allais dire, à côté de leur pays d'origine, une réponse, la réponse n'étant pas, de notre point de vue, nous, Français, que les migrations, pour des raisons économiques, se fassent sans discernement.
JULIEN CHAVANNE
Une dernière chose. Dans ce rapport de la Cour des Comptes, Jean-Marie LE GUEN, l'hébergement des demandeurs d'asile se répercute sur l'hébergement d'urgence du droit commun, en clair, ça veut dire qu'il n'y a pas assez de place pour accueillir à la fois les migrants et les sans-abris en France, c'est ce que dit la Cour des Comptes. Est-ce que vous partagez ce constat ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non mais c'est une photo qui correspond à une politique qui était encore à l'oeuvre depuis… enfin, évidemment depuis des années et encore à l'oeuvre il y a quelques mois. Nous avons, au regard de l'ampleur des problèmes migratoires, d'une part, nous avons anticipé, puisque la loi asile a été votée, elle a commencé à être discutée et présentée au Parlement il y a maintenant un an, elle a été adoptée au mois d'août, elle se met en place, avec ces différents aspects, y compris les aspects de politique sociale dont vous parlez, c'est-à-dire que les hébergements sont différenciés avec les CHRS habituels, c'est-à-dire les lieux de refuge pour les personnes SDF classiques, si j'ose dire, en France.
JULIEN CHAVANNE
Merci Jean-Marie LE GUEN.
JEAN-MARIE LE GUEN
Merci à vous.
JULIEN CHAVANNE
Je rappelle que vous êtes secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 octobre 2015