Déclaration de M. Manuel Valls, Premier ministre, en réponse à une question sur la politique étrangère de la France après les attentats perpétrés à Paris et à Saint-Denis, au Sénat le 17 novembre 2015.

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Circonstance : Question au gouvernement posée par M. Jean-Pierre Raffarin, sénateur (Les Républicains) de la Vienne, au Sénat le 17 novembre 2015

Texte intégral

Monsieur le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin, j'apprécie votre engagement. Vous avez rappelé nos principes républicains, la solidité de nos institutions, celles de la Ve République. Je partage l'idée que, dans de tels moments, le chef de l'État incarne effectivement l'essentiel. Je crois que c'est ainsi que nous avons ressenti hier les choses et, au-delà du Congrès, que nos compatriotes les ont perçues.
L'ennemi, c'est Daech. Nous n'avons jamais changé de position. L'ennemi, c'est Daech. L'État islamique nous a visés au mois de janvier 2015, parce que nous sommes la France. Nous sommes un peuple debout qui parle au monde, un peuple libre.
Vous le savez, nous avons décidé dès 2014 d'intégrer une coalition, à laquelle nous avons contribué, afin de frapper l'État islamique en Irak. Nous l'avons fait avec le soutien d'un certain nombre de nos amis traditionnels, de pays de la région, à la demande du pouvoir irakien, avec le soutien aussi des Kurdes. Des résultats ont été obtenus sur le terrain, même si nous avons toujours dit que ce serait long et difficile et qu'il fallait d'abord contenir Daech.
Il faut aussi sans cesse rappeler que l'épicentre de l'État islamique est en Irak. C'est là où il est d'abord né, du démembrement de l'Irak, ainsi que des conséquences de l'intervention américaine. Mossoul est leur capitale. Ce n'est pas un village, vous le savez. Ce sont sans doute 300.000 habitants et des moyens financiers tout à fait considérables que Daech a accaparés et qui nourrissent aujourd'hui le terrorisme.
Nous avons décidé voilà encore quelques semaines, malgré les difficultés que cela peut représenter vu la situation en Syrie, de frapper Daech. C'est cela, toujours, notre objectif. C'est l'ennemi.
J'étais moi-même voilà quelques semaines avec le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, au Caire, à Riyad, et en Jordanie. Nous avons précisément dit - ce sont vos propos, ainsi que ceux du président de la République - que Daech était notre ennemi. Nous continuerons donc à frapper.
Monsieur Raffarin, vous connaissez bien ces questions. Le ministre de la défense se tient évidemment à votre disposition. Les sites que nous frappons, comme nous l'avons notamment fait à Raqqa, sont des centres de commandement, des camps d'entraînement. Ils correspondent à des objectifs que nous avons définis. Je ne doute pas des résultats que nos avions ont obtenus. Mais, à ce stade, je veux rester prudent et discret vu les circonstances et les autres frappes que nous avons à effectuer.
Par ailleurs, s'il y a un changement sur le périmètre des alliances, ce n'est pas du fait de la diplomatie française ; ce sont les circonstances qui l'ont imposé.
Il y a une prise de conscience dans d'autres capitales. Ce qui s'est passé au cours de la nuit de vendredi dernier à Paris renvoie à la série d'attentats qui ont frappé ailleurs, dans un certain nombre de pays, comme la Turquie ou le Liban.
Je pourrais aussi évoquer l'avion de la compagnie russe. Monsieur Raffarin, vous êtes fin observateur. Vous l'aurez remarqué, c'est seulement ce matin que, pour la première fois, le gouvernement russe a considéré qu'il s'agissait d'un attentat. Je ne doute pas que les Russes ont désormais décidé de frapper aussi Daech. Cela constitue un vrai changement. Jusqu'à maintenant, les frappes russes concernaient en priorité ce que l'on appelle l'opposition modérée à Bachar al-Assad en Syrie.
Je salue ce changement : le président la République y voit une occasion nouvelle. La France et l'ensemble de la communauté internationale doivent la saisir, d'où la proposition d'une résolution au Conseil de sécurité.
Des rencontres auront lieu la semaine prochaine avec les présidents Poutine et Obama pour créer les conditions de cette coalition unique. Chacun doit y prendre sa place, non seulement les deux grandes puissances que nous avons évoquées, mais aussi les États de la région. Sans eux, rien ne sera possible.
Je ne veux pas oublier non plus le nécessaire soutien aux Kurdes, qui se battent sur le terrain avec une vaillance absolument extraordinaire.
J'en viens enfin à la solution politique. Personne ne peut penser que l'on trouvera, à terme - j'insiste sur ce mot -, une solution dans cette région du Levant, marquée par la division entre sunnites et chiites, si Bachar al-Assad se maintient au pouvoir. Toute solution politique devra intégrer cet élément. C'est le sens du processus de Vienne. Certes, la réunion à laquelle Laurent Fabius a participé samedi dernier n'a sans doute pas encore produit les résultats que nous espérions. Toutefois, la constitution d'une large coalition sur le plan militaire permettra, je n'en doute pas, de faire avancer l'indispensable processus politique qui doit s'engager entre des éléments du régime actuel et l'opposition modérée.
Nos objectifs sont clairs : l'ennemi, c'est Daech. Il est nécessaire de disposer d'une coalition large. La France va pleinement y contribuer, tant par ses frappes que par les initiatives du président de la République.
Nous devons également avoir une vision à long terme. Trop souvent, dans les interventions menées ces dernières années en Irak ou en Libye, s'il y a eu victoire militaire dans un premier temps, l'erreur a été de ne pas avoir pensé la suite. Nous commettrions une faute stratégique si nous nous en tenions uniquement aux frappes, à une opération militaire, sans penser à la suite, notamment en Syrie.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 novembre 2015