Texte intégral
Q - Bonjour Laurent Fabius.
R - Bonjour.
Q - Vous êtes ministre des affaires étrangères et du développement international et président de la COP21 dont nous allons parler ce matin. 40.000 participations, les délégations de 196 États - la France comprise - des entreprises, des ONG, des scientifiques, des collectivités locales, 3.000 journalistes vont se retrouver dans un peu plus de trois semaines au Bourget pour cette COP21 acronyme un peu barbare pour désigner la 21ème conférence des Nations unies sur le changement climatique. Un gigantesque rendez-vous planétaire donc, avec un objectif : obtenir un accord global et des engagements concrets de tous les pays pour maintenir le réchauffement mondial en dessous de 2° à la fin du siècle, un enjeu crucial quand on sait qu'au-dessus de ces 2° le monde basculerait dans un enchaînement de catastrophes et de risques de guerre.
Cette semaine vous revenez de Chine avec une très bonne nouvelle, le président Xi Jinping s'est déclaré devant François Hollande et vous favorable lors de la conférence de Paris à un accord contraignant juridiquement - avec révision tous les cinq ans - alors que la Chine y était réticente jusque-là. Est-ce que cet engagement est réel sur cet énorme enjeu ou est-ce qu'il signifie surtout que la Chine a décidé de jouer son rôle de coresponsable avec les États-Unis du bon fonctionnement de la planète ?
R - D'abord bonjour, cela me fait plaisir d'être parmi vous. Non l'engagement est réel et il est lié à quoi ? Au fait que la Chine elle-même, qui est le plus grand émetteur de gaz à effet de serre, est très directement touchée, donc son propre développement serait tragiquement handicapé si la Chine ne réagissait pas, elle est obligée de réagir.
Q - Mais c'est un enjeu aussi de politique intérieure ?
R - Bien sûr ! Et puis en même temps, compte tenu du fait qu'elle est le premier émetteur - entre 25 et 27% des émissions - au niveau mondial elle a une responsabilité, et c'est cela qui a poussé les Chinois à modifier leur position. Vous vous rappelez peut-être qu'on cite toujours comme échec la fameuse conférence de Copenhague en 2009...
Q - En 2009 ! Oui.
R - Qui effectivement avait été un échec et, parmi les responsables de l'échec, il y avait les Chinois qui à l'époque n'étaient pas du tout dans l'état d'esprit dans lequel ils sont aujourd'hui. Alors, pourquoi ce que l'on a fait avec François Hollande et le président chinois est-ce important ? Pour la raison suivante, les travaux des scientifiques, ce qu'on appelle le GIEC, nous montrent que si on ne fait rien, le climat va...
Q - Les températures vont monter ! Oui.
R - Il va s'élever de 5°, avec probablement 4, 5 ou 6° - et là c'est la catastrophe absolue. On a demandé et même exigé de chaque pays de publier des engagements pour le futur. Maintenant, on a les contributions de chaque pays et les Nations unies ont fait l'addition de toutes contributions. On ne se trouve pas à 4, 5 et 6°, bonne nouvelle, mais on ne se trouve pas non plus à 2° qui est l'objectif...
Q - Oui ! Exactement, l'ONU vient de déclarer justement qu'on ne sera pas au...
R - Donc on est au milieu, à 3°, on sera vraisemblablement...
Q - Oui ! Plus près de 3 que de 2.
R - Exactement. Donc comment voulez-vous qu'on signe à Paris, si c'est un succès, un accord sur lequel on s'engage à ne pas dépasser 2° si quand on additionne les engagements de tous les pays nous atteignons 3° ? Ce que l'on a conclu avec les Chinois, c'est qu'il y aurait tous les cinq ans au moins un rendez-vous, une clause de révision, où on referait le point et les pays s'engageraient à revoir leur contribution...
Q - À la hausse !
R - Mais à le revoir dans la bonne direction. Alors, évidemment il faut maintenant qu'on fasse partager ça à tous les pays, mais ça c'est une nouvelle qui change complètement la phase des choses.
Q - Oui ! Avec le fait qu'on a vu récemment - et c'est donné par les Chinois eux-mêmes - que la Chine a massivement dépassé son seuil d'émission de la consommation de charbon entre 2000 et 2012 si bien qu'elle aura le plus grand mal à maintenir ses objectifs eux-mêmes qu'ils ont fixés à 2030 comme étant le pic de leurs émissions ?
R - Oui. Mais, cela dit, ces chiffres sont controversés parce que pour nous ce n'est pas une nouvelle. Ce que cela signifie c'est que l'on a un besoin de transparence absolue, c'est-à-dire qu'il ne suffit pas simplement de s'engager sur des chiffres, il faut qu'il puisse y avoir des vérifications, et donc ce qui s'est passé en Chine milite énormément pour des mesures sur la transparence.
Q - Justement, cet accord que tout le monde souhaite, enfin que vous souhaitez en tout cas, est contraignant, qu'est-ce que cela veut dire exactement dans la mesure où on sait que les principes peuvent l'être mais pas forcément les objectifs chiffrés, par exemple la Chine parle d'un accord juridiquement contraignant mais on sait que les États-Unis ne peuvent pas signer des objectifs chiffrés juridiquement contraignants parce que le Congrès ne ratifierait pas ?
R - Oui et non ! La formule «juridiquement contraignant», qui est la traduction française, existe depuis très longtemps. Mais, il ne va pas y avoir, en tout cas pour le moment, un tribunal pénal disant : «telle Nation, si vous avez dépassé vos objectifs...
Q - Vous serez punis !
R - ... On va arrêter le président et on va le mettre en prison». Non ! Mais cela pose deux problèmes : d'abord quelle est la nature de l'accord qu'on va passer ? - et c'est là où les États-Unis posent un problème spécifique - parce que le Congrès républicain est hostile. Il faut trouver des méthodes et des formulations qui permettent à la fois d'aller dans le sens de l'objectif sans se heurter au veto américain. C'est toute la subtilité des juristes qui n'en manquent pas mais cela pose un autre problème qui est le contrôle de tout cela...
Q - Oui ! Qui va contrôler alors ?
R - Encore une fois il n'y a pas de tribunal, mais il y a d'abord ce qu'on appelle la pression internationale. Si vous avez publiquement tous les cinq ans - on reprend la déclaration franco-chinoise - des évaluations et si on constate - je vais vous dire comment on le fait - que vous ne respectez pas ces obligations, il y aura une pression internationale colossale. Alors, comment va-t-on le contrôler ?
Q - Mais c'est déclaratif jusqu'à présent ?
R - Bien sûr ! Mais la technologie va aider parce qu'il y a maintenant des satellites qui vont être envoyés dans l'atmosphère, qui tourneront et qui, en permanence, vous diront au-dessus de telle géolocalisation : «Voilà où on en est de l'émission de gaz à effet de serre».
Q - Donc, on désignera les mauvais, les mauvais élèves...
R - Vous voyez la situation d'un pays qui a dit : «je fais 100 et dont on constate urbi et orbi qu'il fait 200». Voilà ! Cela ne veut pas dire qu'ensuite il n'y aura pas des mesures plus autoritaires, mais pour le moment c'est ça qui est en perspective.
Q - Ces émissions de gaz à effet de serre évidemment sont dues à l'activité humaine, à des tas de choses, aux problèmes agricoles, les ruminants etc., mais c'est dû aussi à l'accroissement de la population mondiale. Qu'est-ce qu'on va faire quand on sait qu'on va passer de 7 milliards à 10 milliards d'habitants, que des pays comme le Nigeria sont en pleine explosion démographique, c'est une pente inévitable ?
R - Oui ! Mais cela veut dire que c'est un changement de mode de développement. Si on a le même mode de développement qu'aujourd'hui - le mode de développement américain, occidental - cela veut dire qu'il ne faut pas une planète mais il faut deux planètes, trois planètes voire quatre planètes. Cela pose tout le problème de notre mode de développement, parce que ce n'est pas simplement le climat, ce sont aussi les inondations, les sécheresses, la santé - et donc c'est la question de la paix de la guerre. Prenons l'exemple du Nigeria. À la fin du siècle, l'ONU prévoit qu'au Nigeria il y aura 950 millions d'habitants et si le Nigeria et chaque Nigérian se met à émettre autant de gaz à effet de serre que les Américains, à ce moment-là ça ne fonctionne plus. Le problème qui est posé c'est celui du changement de mode de développement. Mais, en même temps, il faut mettre l'accent sur les opportunités : la croissance, l'emploi différent, c'est ce qu'on appelle la croissance verte.
Q - Et, par ailleurs, la question aussi : qui va payer pour qui ?
R - Oui !
Q - Puisqu'on sait que les pays développés sont historiquement responsables, que l'Inde par exemple dit : «on a 400 à 500 millions d'habitants qui n'ont pas accès à l'électricité» cela vous dit...
R - Et on a du charbon !
Q - Et on a du charbon ! C'est dire, est-ce qu'on peut leur demander, aux pays qui sont moins développés, de restreindre leur accession à notre niveau de développement à nous ?
R - Vous vous faites une très bonne avocate de ces pays ! Quand je discute avec leurs dirigeants, ils me disent : «Monsieur Fabius on vous aime beaucoup mais donnez-nous les finances et les technologies, d'abord parce qu'on est responsable de rien» - et c'est vrai qu'ils émettent, je pense aux pays africains, très peu de gaz effet de serre - et ensuite parce que beaucoup n'ont pas les finances et les technologies. Donc nous nous sommes engagés, il y a de nombreuses années, à ce qu'en 2020 les pays riches, dont nous faisons partie, apportent aux pays pauvres pour le climat au moins 100 milliards de dollars par an.
Q - Oui ! Alors est-ce que c'est vraiment acté, parce que cela fait partie des engagements qui vont être vraiment étudiés à la loupe par les pays en voie de développement ?
R - Oui. Il y a une bonne nouvelle, l'OCDE a fait pour la première fois une étude qui montre - je suis très précis - qu'en 2014, les pays riches avaient apporté aux pays pauvres pour le climat 64 milliards de dollars, certes 64 milliards de dollars ce n'est pas 100 milliards...
Q - Oui ! Mais ça c'est l'aide au développement classique...
R - Non.
Q - La question est de savoir si c'est une aide spécifique ?
R - Non pas du tout, c'est l'aide climat. L'aide au développement classique est beaucoup plus large. Et tout le problème c'est d'aller de ces 64 milliards aux 100 milliards de dollars. Personnellement, je suis assez confiant. Simplement deux autres problèmes vont se poser, qui sont actuellement posés : premièrement, que fait-on après 2020, cela ne s'arrête pas en 2020, est-ce que l'on continue et est-ce que l'on augmente ? Et d'autre part, l'aide publique c'est nécessaire, mais, si on veut empêcher ce que vous disiez sur le Nigeria, il faut ce soit l'ensemble du système financier qui bouge et l'ensemble du mode de développement.
Q - Sur la responsabilité des pays riches il y a aussi le fait que nous consommons et qu'eux produisent, c'est-à-dire que - je prends un mauvais exemple d'ailleurs, les iPhone, parce qu'ils sont consommés aussi en Chine - mais les iPhone que nous consommons dans les pays développés, les usines sont délocalisées ?
R - Oui. C'est un autre problème, vous avez raison, qui est en train de se poser. C'est-à-dire qu'il y a des délocalisations, qui ont d'ailleurs parfois des conséquences sur l'emploi, mais, du coup, la pollution, l'émission de gaz à effet de serre géographiquement se déplace et il faut aussi prendre en compte ce changement.
Q - Pour notre bénéfice !
R - Oui. Et il faut aussi prendre en compte ce changement. C'est pourquoi les techniciens parlent toujours de ce qu'on appelle dans leur jargon l'atténuation et l'adaptation. L'atténuation c'est qu'est-ce qu'on doit faire comme effort, comme action pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Mais l'adaptation c'est quoi ? Compte tenu du fait qu'il y a déjà beaucoup d'émissions de gaz à effet de serre dans l'atmosphère, il faut prendre des mesures pour s'adapter à la réalité et jusqu'à présent on a beaucoup parlé de l'atténuation et pas assez de l'adaptation pour faire face à la situation actuelle et pas simplement à ce qui se passera dans 40 ans.
Q - Vous dites : «ils nous demandent, ils nous disent, on va répondre», vous avez trois semaines pour essayer de mettre le monde d'accord pour que les 196 pays - comme vous avez dit une fois - lèvent le doigt et disent...
R - C'est la difficulté. Et c'est d'ailleurs pour cela que jusqu'à présent cela été une succession d'échecs. C'est parce qu'il ne faut pas simplement des mesures ambitieuses dans un domaine très complexe mais il faut le consensus.
(...)
Q - Évidemment à trois semaines de la grande conférence de Paris sur le climat, qui doit réunir les 196 pays pour adopter un accord dont vous nous venons de parler longuement, ceux qui sont moins favorables à l'accord, cela parait logique, ce sont les pays producteurs d'énergies fossiles : Venezuela, surtout les pays du Golfe, peut-être même la Russie, est-ce qu'ils peuvent bloquer l'accord ?
R - Théoriquement oui. Puisque, je vous ai dit, il faut qu'à la fin de la conférence je soumette un texte et qu'il y ait un consensus. Le consensus se fait par groupe de pays. Si vous voulez, il y a le groupe des petites îles, il y a le groupe de ce qu'on appelle BASIC : Brésil, Inde, etc., Il y a le groupe européen et enfin il y a toute une série de groupes. Après, il y a des situations différentes, vous prenez l'exemple des pays producteurs de pétrole, c'est vrai que cela leur pose un gros problème si 95% de ressources financières viennent du pétrole - donc énergies fossiles par définition - et qu'on vous dit : «Monsieur le Président, Émir, Votre Altesse, l'avenir n'est pas aux énergies fossiles, l'avenir est aux énergies décarbonées», vous dites : «Oui ! C'est très intéressant, mais vais-je poursuivre mon développement ?».
Alors vous pouvez et vous devez développer les énergies renouvelables, vous pouvez aussi faire du stockage de carbone, faire des recherches mais, en attendant, vous avez un énorme problème. Ayez ce chiffre en tête, en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, le plus polluant c'est le charbon, 2 ; après vous avez le pétrole, 1,5 ; ensuite vous avez le gaz, 1 - mais l'ensemble est quand même polluant - et donc nous sommes obligés de discuter avec ces pays pour faire en sorte qu'ils aient une ambition à long terme qui soit de réduire vraiment très fortement leur production d'énergies fossiles mais cela ne peut pas être fait du jour au lendemain.
Q - Oui ! Avec aussi, vous me parlez de ces pays du Golfe, un problème que doit résoudre le ministre du développement international qui est le conflit possible entre diplomatie environnementale et diplomatie économique, quand on vend des avions au pays du Golfe on est plus dépendants d'eux mais on a peut-être moins de levier sur eux ?
R - Non. J'avais à l'esprit autre chose, je croyais que vous alliez me dire le conflit entre les ventes et puis la lutte contre le gaz à effet de serre. Là ce conflit on le résout de mieux en mieux, par exemple nous avons décidé de ne plus aider les centrales à charbon. Maintenant, pour ce qui est le problème général des relations politiques et des relations économiques, si on m'a demandé de présider cette conférence c'est sans doute parce qu'il y a besoin de faire preuve de diplomatie.
Q - Est-ce que l'on ne serait pas quand même, Laurent Fabius, plus convaincants - nous la France - si on était plus cohérents ? On a vu ces derniers jours les écologistes, mais il n'y a pas qu'eux, qui se disent : Voilà ! On va présider la conférence de Paris et on relance Notre-Dame-des-Landes, quelle cohérence cela a ?» et quand par exemple à Bruxelles aussi les pays européens sont d'accord pour aider les constructeurs automobiles à éviter des contrôles un peu trop, trop poussés...
R - Je pourrais sortir mon joker, mais je ne vais pas le faire, non je ne vais pas me substituer à telle ou telle décision. Mais c'est vrai que, prenons l'exemple de l'aérodrome, alors certains disent : «mais on a absolument besoin de cet aérodrome pour des raisons économiques», d'autres disent : «c'est un gaspillage, on va trouver une solution transactionnelle» et c'est vrai que certains écologistes disent : «il y a contradiction». Mais en ce qui concerne la France en général, pour une fois ne soyons pas masochiste, elle est bien placée du point de vue de sa production, plutôt de sa non production de gaz à effet de serre. Si on regarde combien chacun d'entre nous émet de CO2 par an : un Américain c'est 17 tonnes, un Français c'est 6 tonnes, un Allemand c'est 10 tonnes, un Indien c'est entre 1 et 2 tonnes - et pourquoi émet-on moins de gaz à effet de serre que beaucoup ? C'est à la fois parce qu'on a de l'hydroélectricité, du nucléaire et qu'on développe de plus en plus l'énergie renouvelable. Mais il faut qu'on entraîne tout le monde, parce que l'une des caractéristiques évidemment de cette affaire des gaz à effet de serre, c'est que les frontières n'existent pas.
Q - Et justement, le succès de Paris dépend aussi de la capacité de la France à entraîner tout le monde, est-ce que finalement la France pèse face à aux États-Unis et à la Chine qui sont les plus gros émetteurs ?
R - Elle peut peser la France de deux façons : d'abord en tant que puissance bien sûr au sein de l'Europe, mais, si notre modèle - et c'est le cas avec en particulier ce qu'on a fait dans la loi sur la transition énergétique - donne le bon exemple, ça pèse. Et puis, elle peut peser aussi par le fait que c'est le président de la République qui accueille tout le monde et que la présidence est française.
Q - Est-ce que Paris est plus important que Copenhague ? Qu'est-ce qui fait que Paris peut-être un succès et qu'à Copenhague on allait droit dans le mur ?
R - Il y a trois raisons objectives : la première, c'est que le phénomène s'est aggravé et donc la prise de conscience aussi. La deuxième, c'est que les scientifiques ont fait un travail magnifique et le débat pour savoir si oui ou non le phénomène existe est un débat médiatique, mais scientifiquement il est tranché. Et, le troisième élément, c'est que les États-Unis et la Chine ont viré leur cuti. Toutes ces données objectives font qu'on a beaucoup plus de chances de réussir à Paris que ce n'était le cas à Copenhague. Lorsque la France a été désignée il est vrai que nous étions le seul candidat, donc ça facilite la désignation...
Q - Vous êtes réaliste au moins !
R - Non, mais parce que les échecs avaient été si nombreux que peu de monde voulait y aller.
Q - Qu'il y avait peu de candidats ! Oui.
R - Je me rappelle très bien, je dis toujours ça en souriant, quand nous avons été désignés - c'était à Varsovie il y a trois ans - les délégués sont venus vers moi et ils m'ont dit : «Good luck mister Fabius» et, maintenant, je comprends très bien de quoi il s'agit. Donc c'est vrai qu'il y a une réalité objective. Moi j'avais demandé à tous mes prédécesseurs non pas qu'est-ce qu'il faut faire pour réussir mais qu'est-ce qu'il ne pas faire ? Et ils m'ont tous dit la même chose : «N'invitez pas les chefs d'État à la fin»...
Q - Eh oui ! Parce qu'ils font une déclaration.
R - Oui. Parce que si vous les invités à la fin, d'une part les ministres ne vont pas travailler avant en attendant que leur patron arrive et, d'autre part, ils n'arriveront pas à résoudre en deux jours des problèmes aussi compliqués et à Copenhague c'est ce qui s'est passé. Là nous avons décidé avec François Hollande de les inviter tous au début...
Q - Et de les virer après !
R - Non, car après ce sont les négociateurs, les ministres qui travaillent, et nous allons avoir plus de 100 présidents et Premiers ministres qui seront là le premier jour pour prendre la parole.
Q - Dernier point pratique, technique, Christine Lagarde et le président de la Banque mondiale plaident pour une taxation du carbone, la France d'ailleurs est assez en retard sur la taxation.
R - C'est au niveau européen. Nous avons décidé une taxation du carbone, mais qui ne fonctionne pas pour différentes raisons que je ne peux pas expliquer, mais oui c'est nécessaire. Si on veut aller de la société actuelle carbonée vers une société décarbonée, c'est cela l'essentiel. D'une part, il faut qu'on fasse payer le carbone - alors qu'aujourd'hui il a des conséquences négatives mais il est gratuit - et, d'autre part, qu'on rende moins chères les énergies renouvelables, c'est ce double mouvement qu'il faut faire.
Q - Et que le diesel soit peut-être plus taxé que l'essence ?
R - Ca c'est encore autre chose. Mais on va dans ce sens-là. Par exemple la Chine, on parlait de la Chine au début de notre entretien, vient de décider qu'en 2017 - 2017 c'est très près -, il y aurait un marché du carbone en Chine, donc il va falloir que l'Europe se reprenne et elle aussi qu'elle développe son marché du carbone.
Q - Alors beaucoup d'espoir bien sûr de l'ensemble des populations de la planète, mais ce qui fonde un peu le scepticisme c'est que l'échéance des politiques c'est généralement au terme de leur mandat et qu'on voit que sur des problèmes comme le chômage, qui est à court terme, à moyen terme, on n'arrive pas à le résoudre, est-ce qu'on peut avoir confiance que cette préoccupation soit encore là dans 50 ans, soit pour les 50 prochaines années...
R - Mais ce n'est pas dans 50 ans. Parce que, ce que vous dites est juste bien sûr, mais ce n'est pas dans 50 ans, c'est aujourd'hui, autour de nous qu'il y a des catastrophes de plus en plus nombreuses, climatiques, de plus en plus graves et cela impacte la vie de nos concitoyens et donc aussi la vie des gouvernements. Donc ce n'est pas dans 50 ans, c'est déjà aujourd'hui. Et puis, il y a aussi un autre élément qui sera présent à la conférence de Paris. Ce n'est pas simplement les gouvernements qui doivent agir, l'une des novations de la conférence de Paris c'est qu'on a demandé aux entreprises de s'engager et un certain nombre de grandes entreprises, vont dire : «voilà ce que je vais faire et voilà la traduction concrète».
Q - Oui ! EIles sont plus là comme observatrices quand même.
R - Non. Mais il y a une plateforme, vous pouvez la regardez sur votre iPad, qui s'appelle Nazca - N.A.Z.C.A. - où déjà 2 000 entreprises qui disent : «Voilà ce qu'on fait, voilà ce qu'on va faire», c'est la même chose pour les collectivités locales. Parce que qu'est-ce qui émet des gaz à effet de serre ? Ce n?est pas directement le gouvernement. C'est ce qu'on décide en matière de transports publics, en matière de recyclage des déchets, en matière de construction des logements et chacun d'entre nous doit...
Q - Et la question des ruminants, et on ne va pas supprimer les vaches.
R - Non, mais il y a des travaux là-dessus pour savoir comment on pourrait diminuer aussi les émissions de CO2. Mais c'est à chacun d'entre nous dans la société civile d'agir. Lorsque j'achète un appartement comment vais-je faire pour qu'il soit économe en énergie, lorsque je regarde la télévision est-ce que je dois laisser en veille - ce qui émet 10% d'électricité en plus - ou est-ce que je l'éteins? etc.
Q - On parlait de ce qui va se passer après la COP21 et est-ce que la planète va se rendormir, et vous disiez que vous espériez que non et que justement les engagements seront renouvelés...
R - Il y aura des mesures à prendre, y compris des mesures législatives. Dans tous les parlements du monde, il va falloir modifier sans doute les règles afin de se mettre en accord avec ce qu'on aura décidé à Paris.
(...)
Q - Oui ! Ils savent qu'ils ne votent pas pour la COP21. Laurent Fabius merci beaucoup, bonne chance...
R - Non ! Merci à vous.
Q - Bonne chance pour les trois semaines qui viennent...
R - Good luck !
Q - Et puis good luck...
R -Oui ! Surtout bon travail, surtout bon travail.
Q - Good luck mister Fabius.
R - C'est beaucoup de travail.
Q - Je voudrais juste signaler un livre qui est très intéressant et qui est passionnant, qui est de Pascal Canfin - qui a été ministre du développement....
R - Ah oui ! Il était ministre à mes côtés, qui est un garçon excellent, très, très...
Q - Et qui a écrit avec Peter Stairne un livre qui s'appelle «Climat, 30 questions pour comprendre la conférence de Paris», on a trois semaines pour le regarder, c'est publié aux éditions Les petits matins. Merci beaucoup Laurent Fabius.
R - Merci à vous.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2015