Tribune de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, dans le quotidien israélien "Haaretz" du 9 novembre 2015, sur le conflit israélo-palestinien, intitulée "Osez faire les premiers pas vers des négociations de fond".

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Média : Haaretz

Texte intégral


À l'heure où j'écris ces lignes, mes pensées vont aux parents des victimes et à tous ceux qui ont été blessés des deux côtés au cours de la dernière flambée de violence. La France condamne tous les actes de terrorisme et de violence. Nous appelons toutes les parties à faire preuve de retenue dans leurs actions et à s'abstenir de tout discours d'incitation à la violence et à la haine. La priorité devrait être d'assurer le retour au calme plutôt que de se lancer mutuellement des accusations.
Depuis des mois, la France et d'autres pays mettent en garde face au risque de recrudescence de la violence. J'aurais espéré me tromper, mais c'est ainsi.
Les causes profondes de la situation actuelle sont multiples, mais l'absence de tout espoir de paix est certainement la plus importante. Les jeunes Palestiniens tout comme les jeunes Israéliens méritent que leur soit offerte la perspective d'un meilleur avenir, c'est-à-dire de pouvoir vivre dans la sécurité, la dignité et la prospérité aux côtés de leurs voisins.
Ceux qui se persuadent eux-mêmes - et tentent de persuader les autres - que le statu quo diplomatique était gérable n'en ont pas perçu les tendances négatives pour Israël. La récente recrudescence de violence illustre tragiquement cette tendance, mais je suis aussi préoccupé par la consolidation de la réalité d'un État unique menaçant la nature même d'Israël.
Nous restons convaincus que la seule voie viable vers la paix était et reste celle de négociations menant à un règlement viable prévoyant deux États, sur la base des paramètres que nous connaissons tous. Non par idéologie, mais parce que c'est la seule manière d'apporter la paix durable que cette région et le peuple israélien méritent.
Nous savons tous qu'un accord sur un statut permanent exige des compromis douloureux. Nous savons tous que, des deux côtés, nombreux sont ceux qui, au vu de la situation sur le terrain, considèrent que la solution des deux États est devenue irréaliste. Nous savons tous que la reprise des négociations exige un minimum de confiance mutuelle qui, pour l'instant, n'existe pas. Mais le peuple palestinien ne va pas disparaître, non plus que le peuple israélien. Tous deux sont appelés à trouver une solution pour vivre côte à côte. En conséquence, la pire solution serait de baisser les bras et de laisser la situation continuer à se détériorer jusqu'à ce que l'implantation de colonies et la violence nous conduisent à un point de non-retour.
Chaque jour que nous passons les bras croisés ne fait qu'affaiblir les partenaires de paix potentiels et ouvre à Daech et aux autres extrémistes la voie d'une prise en otage de la question palestinienne. C'est précisément la raison pour laquelle la France prend l'initiative. En septembre dernier, lors de l'Assemblée générale des Nations unies à New York, nous avons organisé une réunion sans précédent du Quartet avec les parties prenantes concernées en Europe et dans le monde arabe. Nous sommes déterminés à tirer parti de cette nouvelle dynamique. Ensemble, nous pouvons promouvoir des mesures de confiance et montrer les possibles dividendes de la paix, en nous appuyant sur l'influence particulière de l'Amérique, l'initiative arabe de paix et l'offre européenne de partenariat spécial privilégié. L'objectif n'est évidemment pas de remplacer les parties mais de les aider à reprendre le dialogue et, espérons-le, à parvenir à un accord adossé à des garanties internationales.
Je connais les difficultés que traverse le «camp de la paix», en particulier en ces temps de violence qui séparent davantage encore les deux sociétés. Mais personne ne peut davantage vouloir la paix que les Israéliens et les Palestiniens eux-mêmes. Le message qu'adresse la France aux deux parties n'a pas varié : osez faire le premier pas vers une reprise de négociations de fond aboutissant à un accord sur un statut permanent. La communauté internationale est prête à vous soutenir. C'est nécessaire, c'est encore possible, il n'est pas trop tard.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 novembre 2015