Extraits d'un entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, dans "Le Monde" du 24 novembre 2015, sur la lutte contre le groupe terroriste Daech.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

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Q - La guerre générale contre le terrorisme est-elle la troisième guerre mondiale ?
R - Il faut garder le sens des proportions, et remettre un peu tout cela en perspective. C'est la première fois que nous sommes confrontés à un ennemi hybride, à deux têtes, parce que l'État islamique (EI), c'est un ennemi à deux têtes. Il y a d'une part cet État en constitution, État terroriste, État apocalyptique, État un peu messianique qui veut reconstituer le territoire du califat et qui s'organise avec une armée, avec des ressources propres, avec une administration qui perçoit l'impôt, et qui veut étendre son territoire.
Et, de l'autre côté, ce mouvement terroriste international, émanation aussi de l'EI et qui a pour objectif de frapper en particulier le monde occidental, de mettre en péril les démocraties. Ce sont deux dimensions d'un même État terroriste, et donc deux guerres différentes dans une seule guerre. Il y a la guerre de l'ombre : traquer les terroristes qui essaient de frapper la démocratie comme on a pu le vivre de manière tragique les jours derniers et, souvent lorsque ces terroristes apparaissent, c'est déjà presque trop tard. Et il faut en même temps frapper au coeur, dans le champ de bataille, au Levant, pour tuer, anéantir l'État islamique. C'est une guerre hybride mondiale.
Q - Le «Charles-de-Gaulle» arrive au large de la Syrie. Quand ses Rafale vont-ils bombarder ?
R - Le groupe aéronaval, c'est à la fois le porte-avions et plusieurs bâtiments d'accompagnement, sera opérationnel dès lundi, et il sera en mesure, avec les avions de chasse qui sont à bord, d'agir à partir de demain.
Q - Le but est-il de neutraliser, d'assassiner al-Baghdadi, le chef de l'EI, comme on a tué Ben Laden ?
R - Non, l'objectif c'est d'anéantir l'État islamique globalement.
Q - L'affaiblir ou l'anéantir ?
R - Ce n'est pas l'affaiblir, c'est l'anéantir. Il faut aboutir à la reconstitution d'une solution politique en Irak et en Syrie, ça passe par l'éradication de l'État islamique. Tout le monde a besoin de tout le monde. Donc il faut trouver les formes de coordination, c'est ce qui va être le sujet de la semaine, avec des déplacements du président à Washington et à Moscou.
Q - Que les Américains font-ils de nouveau ?
R - La nouveauté par rapport aux États-Unis, c'est qu'il y a eu une accélération de la transparence dans le renseignement militaire, qui fait qu'aujourd'hui on peut considérer que l'action commune est extrêmement performante. J'ai reçu lundi 16 novembre le coordinateur du renseignement américain, nous nous sommes mis d'accord sur la bonne manière d'agir et aujourd'hui il y a une vraie efficacité.
Q - Cela veut dire que, pendant longtemps, ils ont joué les cachottiers ? On n'avait pas toutes les informations ?
R - Chacun avait son autonomie. Le renseignement, c'est aussi un outil de souveraineté. Mais là, dans la situation dramatique et exceptionnelle dans laquelle nous sommes, nous sommes à livre ouvert sur l'Irak et la Syrie.
Q - Les Russes servent-ils d'intermédiaires pour savoir ce qu'il se passe ?
R - La position des Russes a bougé. À mon avis, pour trois raisons. La première, c'est qu'ils ont été victimes de l'action de Daech - acronyme arabe de l'EI -, parce que l'attentat de l'avion russe est maintenant très clairement identifié d'origine de l'EI, plus de 200 morts, plus de morts qu'à Paris, mais on ne fait pas une comptabilité macabre des victimes d'attentat.
Deuxième point, les Russes s'aperçoivent que dans les combattants étrangers, il y a beaucoup de russophones, dont les objectifs sont vraisemblablement d'agir en Russie.
Et, troisièmement, ils voulaient préserver leurs propres intérêts grâce à leur proximité avec Bachar al-Assad, mais ils se sont rendu compte que l'armée syrienne de Bachar al-Assad était devenue très faible. Désormais la Russie frappe les zones de Daech de manière très significative. Jusqu'où va-t-elle ? Il faudra le vérifier avec M. Poutine.
Q - Il faudra aller jusqu'à l'envoi de troupes au sol. Par exemple, celles de pays arabes ?
R - Une victoire, une destruction de Daech passera, à un moment donné, par une présence au sol.
Q - Vous excluez celle des Français ?
R - Cette hypothèse n'est pas envisagée aujourd'hui. En revanche, qu'il y ait au sol des acteurs qui reconquièrent les territoires perdus, oui.
(...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 novembre 2015