Interview de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec RTL le 27 novembre 2015, sur la situation en Syrie.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


YVES CALVI
Olivier MAZEROLLE, vous recevez ce matin le ministre des Affaires étrangères, Laurent FABIUS.
OLIVIER MAZEROLLE
Bonjour Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Bonjour.
OLIVIER MAZEROLLE
La guerre en Syrie, c'est un des moteurs du terrorisme. Vous avez rencontré cette semaine Barack OBAMA et Vladimir POUTINE hier soir, en compagnie de François HOLLANDE. Pouvez-vous nous dire ce matin qu'il y a un petit espoir d'entrevoir la fin de la guerre en Syrie ?
LAURENT FABIUS
Oui, je pense que vous définissez bien les choses. Il y a d'abord une nécessité absolue, parce que la guerre en Syrie c'est un massacre terrible, déjà 300 000 morts, des millions de réfugiés, et il faut à la fois neutraliser Daesh, le mouvement terroriste, et en même temps construire une solution politique. Pour construire la solution politique, vous savez qu'on s'est réuni déjà deux fois à Vienne, on a établi un calendrier, mais maintenant il faut le mettre en application, et c'est difficile parce qu'il y a des points sur lesquels on est d'accord, des points sur lesquels on n'est pas d'accord.
OLIVIER MAZEROLLE
Mais, est-ce qu'il y a une lueur ?
LAURENT FABIUS
Il faut qu'il y ait une lueur, oui bien sûr, bien sûr. On ne peut pas avoir comme seule perspective le fait qu'un peuple tout entier soit massacré.
OLIVIER MAZEROLLE
Mais il y a encore beaucoup de divergences entre Barack OBAMA, entre… et POUTINE, même entre nous et POUTINE sur l'avenir de Bachar EL-ASSAD, on peut surmonter ça ?
LAURENT FABIUS
Il le faut. Alors, prenons les choses concrètement. Il y a un point sur lequel, maintenant, je pense que tout le monde est d'accord, c'est l'objectif de neutraliser, d'éradiquer Daesh. Là, je pense que ça a progressé, notamment dans la conversation d'hier avec monsieur POUTINE.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors, justement, sur ce point, est-ce que vous avez obtenu la garantie que les avions russes cessent de bombarder les forces modérées qui combattent Bachar EL-ASSAD ?
LAURENT FABIUS
Oui, c'est ce que nous a dit le président POUTINE, il nous a même demandé d'établir une carte des forces qui ne sont pas terroristes et qui combattent Daesh, et il s'est engagé…
OLIVIER MAZEROLLE
Et là il s'engage à ne plus bombarder.
LAURENT FABIUS
… dès lors que nous lui fournissons cette carte, ce que nous allons faire, à ne pas bombarder cela. Ça c'est très important, et le président OBAMA, lui, est engagé aussi dans la lutte contre Daesh, on a vu que pour la première fois, il y a quelques jours, ils ont commencé, les Américains, à bombarder les camions qui portent le pétrole, ces espèces de pipelines mobiles.
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, et les Russes aussi.
LAURENT FABIUS
Et nous aussi.
OLIVIER MAZEROLLE
Et nous aussi. Alors, justement…
LAURENT FABIUS
Donc là, il y a un problème…
OLIVIER MAZEROLLE
Pardon, est-ce qu'il y a un objectif militaire, et en même temps politique, d'ailleurs, qui consiste à essayer de faire tomber Raqqa ?
LAURENT FABIUS
Oui, oui bien sûr, c'est pour nous un des premiers objectifs militaires, peut-être le premier, parce que c'est là le centre névralgique de Daesh et d'où les attentats, en particulier contre la France, sont partis.
OLIVIER MAZEROLLE
Et là, donc, on peut imaginer qu'entre Russes et Américains, même s'il n'y a pas d'accord réel, il y a cet objectif concret.
LAURENT FABIUS
Oui, alors, qui passe par deux séries de mesures, d'abord les bombardements, bon, ça, que l'on pratique tous, et puis il faut aussi qu'il y ait des forces au sol. Les forces au sol ne peuvent pas être les nôtres, parce que ça serait complètement contre-productif, mais des forces au sol doivent être à la fois des forces syriennes de l'armée libre, des forces arabes sunnites, et pourquoi pas des forces du régime.
OLIVIER MAZEROLLE
Et des Kurdes également.
LAURENT FABIUS
Bien sûr.
OLIVIER MAZEROLLE
Et des Kurdes sur lesquels François HOLLANDE… dont François HOLLANDE a beaucoup parlé hier soir.
LAURENT FABIUS
Oui, aussi, bien sûr.
OLIVIER MAZEROLLE
Et alors, justement, François HOLLANDE, l'autre jour, lorsqu'il était interrogé à Washington, sur des forces spéciales françaises, il a dit : « Eh bien la France fera son devoir », ça voulait dire oui ?
LAURENT FABIUS
Il y a une règle en ce qui concerne les forces spéciales que l'on engage, c'est qu'en général, on ne le dit pas.
OLIVIER MAZEROLLE
Oui. Mais on peut le faire, sans le dire.
LAURENT FABIUS
On ne le dit pas.
OLIVIER MAZEROLLE
D'accord. Alors, est-ce que vous êtes également…
LAURENT FABIUS
De toutes les manières, si on les engage, par définition, elles ne peuvent être qu'en nombre restreint. Mais, s'agissant des troupes au sol, ce qu'on appelle en général les troupes au sol, nous ne les engagerons pas, parce que la grande leçon de toute une série de conflits, notamment au Proche et au Moyen-Orient, c'est que s'il y a des forces étrangères, elles sont considérées très vite comme des forces d'occupation, et c'est totalement contre-productif.
OLIVIER MAZEROLLE
Pour appauvrir Daesh, il faut effectivement faire cesser le trafic...
LAURENT FABIUS
Oui.
OLIVIER MAZEROLLE
… qui lui permet de vendre son pétrole, Vladimir POUTINE attaque nommément les Turcs, en disant : « Vous participez à ce trafic ». Vous êtes d'accord ?
LAURENT FABIUS
Ecoutez, il y a des camions qui partent, et j'ai dit, cette espèce de pipeline mobile, depuis toute une série de territoires contrôlés par Daesh, et qui, c'est notre constatation, vont vers différentes directions, et on anticipe que certains vont vers la Turquie. Le gouvernement turc dit : « Moi je ne suis pas au courant, je ne le sais pas ».
OLIVIER MAZEROLLE
Et la Presse russe dit même que c'est le fils d'ERDOGAN…
LAURENT FABIUS
Voilà, alors la Presse russe a porté…
OLIVIER MAZEROLLE
… qui… ça…
LAURENT FABIUS
Et il est dit aussi qu'une partie de ce pétrole est revendue à monsieur Bachar EL-ASSAD.
OLIVIER MAZEROLLE
Et on ne sait pas ?
LAURENT FABIUS
Nous avons des soupçons.
OLIVIER MAZEROLLE
Forts ?
LAURENT FABIUS
Oui.
OLIVIER MAZEROLLE
Y compris sur le fils de monsieur ERDOGAN ?
LAURENT FABIUS
Non, ça nous n'avons pas d'élément.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors, vous le disiez, c'est bien, hein…
LAURENT FABIUS
Mais il n'y a pas eu que se bouger, de la part des Russes, qui est positif, il y a eu aussi la décision prise par madame MERKEL, la chancelière allemande, que pour la première fois, des avions allemands, si le Bundestag l'accepte, vont nous aider, à la fois pour la surveillance et pour le ravitaillement au-dessus de la Syrie. Donc c'est très important, c'est un mouvement important et positif.
OLIVIER MAZEROLLE
Donc l'action militaire c'est important, bien sûr, mais il faut aussi accompagner ça par des discussions politiques pour trouver une solution.
LAURENT FABIUS
Bien sûr, c'est ce que l'on appelle le processus de Vienne.
OLIVIER MAZEROLLE
Comment on surmonte cet obstacle Bachar EL-ASSAD ? Nous on n'en veut pas, les Russes nous disent : « c'est le principal allié ».
LAURENT FABIUS
C'est plus compliqué. On s'est mis d'accord autour de la table, non seulement avec les Russes, mais aussi avec les Américains, avec les Iraniens, avec les Arabes, avec les Turcs, pour une procédure qui est, d'une part, il faut rassembler l'opposition, ensuite il faut qu'il y ait un gouvernement d'union, entre des éléments du régime et l'opposition, ensuite il faut qu'il y ait une nouvelle constitution, et ensuite une élection, et l'élection dans 18 mois. Voilà. Bon, alors, on est d'accord sur ce processus, il faut le mettre en application, mais il y a un point qui concerne monsieur Bachar EL-ASSAD, monsieur POUTINE, hier, nous dit : « C'est aux Syriens à décider, le moment venu », ce qui est juste, et pourquoi pas Bachar EL-ASSAD. Nous, c'est pas simplement une question de morale, parce que monsieur Bachar EL-ASSAD est un criminel contre l'humanité, mais c'est une question d'efficacité. Si on veut aller vers une Syrie libre, unie, intègre, intégrée dans son territoire, on voit bien que c'est pas celui qui est à l'origine aujourd'hui de 300 000 morts et de millions de réfugiés, qui va pouvoir conduire cela. Alors, nous ne disons pas que ça doit intervenir dès le début, aujourd'hui, mais nous disons que, à la fin, c'est la formule que nous avons repris à chaque fois, monsieur Bachar ne veut pas être l'avenir de son peuple, et il faut arriver à sortir de cette difficulté.
OLIVIER MAZEROLLE
Laurent FABIUS, rêvons un peu, vous arrivez à un accord politique avec les Russes, les Américains, les Iraniens, les Saoudiens, etc., et finalement il apparait que Bachar EL-ASSAD, eh bien il peut jouer un rôle là-dedans.
LAURENT FABIUS
Il est élu, il est élu par son peuple, régulièrement…
OLIVIER MAZEROLLE
Qu'est-ce qu'on fait ?
LAURENT FABIUS
… y compris par la diaspora.
OLIVIER MAZEROLLE
Je ne sais pas, je vous pose la question, qu'est-ce qu'on fait ?
LAURENT FABIUS
Oui, mais vous comprenez bien que la situation telle qu'on l'a, vous dites « rêvons un peu ».
OLIVIER MAZEROLLE
Oui.
LAURENT FABIUS
Enfin, il faut aussi revenir sur terre. Monsieur Bachar EL-ASSAD, pour le peuple syrien, est considéré comme le responsable de tout ce malheur, et donc il n'y a aucune chance, si l'élection est régulière, que ce soit lui qui soit désigné, voilà.
OLIVIER MAZEROLLE
Pour avancer avec la Russie, il y a l'Ukraine. Les sanctions, on va les lever ?
LAURENT FABIUS
Ce sont deux problèmes différents.
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, mais enfin…
LAURENT FABIUS
Les sanctions seront levées, on en a parlé aussi un petit peu hier, et le président POUTINE a dit : « Moi je ne nie pas les choses », nous ne les nions pas non plus, les sanctions seront levées dès lors que le processus de Minsk sera appliqué. Voilà. Et nous faisons des réunions Allemands, Français, Ukraine…
OLIVIER MAZEROLLE
Décision en janvier prochain ?
LAURENT FABIUS
… et les Russes. L'objectif c'est qu'il y ait des élections en mars.
OLIVIER MAZEROLLE
En mars. Bien. Dernière question, la COP21 va démarrer à Paris.
LAURENT FABIUS
Oui.
OLIVIER MAZEROLLE
On va parler climat ou coalition contre le terrorisme ?
LAURENT FABIUS
Non, non. On va parler climat, bien sûr. Nous ne sommes pas loin d'un succès qui serait historique, mais nous n'y sommes pas encore, et tout le travail de ces 11 jours, c'est une conférence que je vais présider, sera d'arriver à mettre d'accord, sur un texte précis, 195 pays.
OLIVIER MAZEROLLE
Avec combien de chefs d'Etat ?
LAURENT FABIUS
Le premier jour ils seront 150, que nous accueillerons, François HOLLANDE, le secrétaire général des Nations Unies et moi-même, lundi.
OLIVIER MAZEROLLE
Merci Laurent FABIUS.
LAURENT FABIUS
Merci à vous.
YVES CALVI
Et en ce jour d'hommage aux familles, Laurent FABIUS, une dernière question : peut-on leur dire, ce matin, sur RTL : « Oui, nous détruirons Daesh » ?
LAURENT FABIUS
Oui. La détermination de la France est absolue, et si nous arrivons, ce qui est en train de se faire, à ce que la plupart des pays, quelque soit les formes juridiques, se concentrent pour détruire ces assassins, nous y arriverons. C'est une question de détermination et de volonté.
YVES CALVI
La détermination de la France est absolue. Entretien à réécouter et à retrouver sur le site RTL.fr. Merci à tous les deux.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er décembre 2015