Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, dans "Le Parisien" du 29 novembre 2015, sur la Conférence de Paris pour le climat.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Conférence de Paris pour le climat, au Bourget (Seine-Saint-Denis) du 30 novembre au 11 décembre 2015

Média : Le Parisien

Texte intégral

Q - Cent cinquante chefs d'État sont attendus lundi à l'ouverture de la COP21. Pourquoi les avoir réunis le premier jour ?
R - Cette décision fait suite à l'échec de la conférence de Copenhague en 2009 - on parle parfois du «fantôme de Copenhague»... Les chefs d'État s'étaient alors réunis à la fin du sommet, à huis clos, dans une pièce pendant deux nuits et ils n'étaient pas parvenus à un accord. Avec François Hollande, nous avons donc décidé de les faire venir au début. Ils auront trois minutes de temps de parole chacun pour donner l'impulsion politique nécessaire à un succès de la conférence de Paris.
Q - Ne craignez-vous pas que les attentats ne fassent passer l'urgence climatique au second plan ?
R - Je ne crois pas. Malgré la tourmente, non seulement les chefs d'État ne se sont pas désistés mais beaucoup ont eu à coeur de venir à Paris, en signe de solidarité. Bien sûr, les attentats ont suscité une émotion très forte qui perdure, mais l'urgence climatique demeure. Il ne s'agit pas seulement d'une question environnementale. Ce qui est en cause, c'est aussi la nourriture et la santé de l'humanité, la question des migrations massives, de la pauvreté, de la guerre ou de la paix. Nous ne pouvons pas, face à un enjeu aussi majeur, nous laisser gagner par la terreur. Dans ce contexte sombre, obtenir un accord international serait une vraie lueur d'espoir.
Q - Sur quels pays comptez-vous pour arracher un accord et quels sont aujourd'hui les mauvais élèves ?
R - Je n'ai pas vocation à établir un classement. Il est évident que la situation des îles Maldives, qui risquent d'être submergées par les eaux, n'est pas la même que celles de l'Inde, du Canada ou du Congo. Ma tâche de président de cette conférence est d'écouter chacun, de veiller à ce que soit préservé un haut niveau d'ambition et de faire prévaloir l'esprit de compromis. L'objectif est d'arriver à un texte commun qui permette de ne pas dépasser un réchauffement mondial de 2oC ou 1,5oC d'ici la fin du siècle.
Q - Y a-t-il des raisons d'espérer ?
R - Oui. À Copenhague, le texte initial faisait 200 pages ; actuellement, nous en sommes à 50 pages. Les négociateurs ont pour mandat la semaine prochaine de réduire encore ce volume et de supprimer un maximum de formulations aujourd'hui entre crochets, synonymes de désaccords. Ils me livreront samedi 5 décembre un texte. S'il reste des sujets non résolus, j'interviendrai avec des facilitateurs pour rapprocher les points de vue.
Q - À quoi mesurera-t-on le succès de la COP21 ?
R - Cette COP est déjà en partie un succès dans la mesure où elle se tient effectivement et est la plus vaste jamais organisée. En outre, plus de 8.000 communes, régions, entreprises à travers le monde se sont déjà engagées à diminuer leur empreinte carbone. Même certaines banques ont promis de ne plus financer de projets fonctionnant au charbon. Mais cette COP21 ne sera véritablement un succès que si les 195 pays réunis à Paris parviennent à un accord universel et juridiquement contraignant de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. C'est la partie la plus compliquée.
Q - Mettre d'accord 195 pays lors d'une conférence de l'ONU, n'est-ce pas mission impossible ?
R - Le processus onusien a ses lourdeurs mais il n'existe pas aujourd'hui de procédure alternative. Si nous voulons obtenir un accord international sur le climat, nous ne pouvons pas exclure tel ou tel pays, car les gaz à effet de serre n'ont pas de frontières. Mais je crois qu'il y a des raisons d'espérer, car la prise de conscience du problème s'est beaucoup accélérée. Il y a quelques années, on se demandait encore si l'activité humaine était responsable des dérèglements climatiques et si ceux-ci existaient vraiment. Aujourd'hui, presque plus personne ne remet cela en cause.
Q - Mais il reste encore des climato-sceptiques, notamment aux États-Unis...
R - Peut-être pour des raisons idéologiques, mais les faits sont têtus. L'année 2014 a été la plus chaude jamais enregistrée, et 2015 va battre ce triste record. Les scientifiques ont accompli un remarquable travail d'explication. Et les gens voient bien que les phénomènes de sécheresse, de pluies, d'inondations, sont de plus en plus extrêmes. Je n'oublierai jamais cette vieille dame rencontrée au Bangladesh, où un tiers du pays est régulièrement inondé. Elle a dû changer de logement neuf fois de suite et m'a demandé ce que la COP changerait pour elle. J'étais il y a peu dans le Sud-Ouest, où les viticulteurs craignent de ne plus pouvoir produire le même vin que dans le passé. Et en Camargue, on s'inquiète des risques d'inondation. En même temps, cette nouvelle donne peut être la base d'une nouvelle croissance verte.
Q - Il reste à convaincre les États de s'engager...
R - Sur 195 pays, 180 nous ont rendu leurs engagements de réduction de gaz à effet de serre, ce qui couvre plus de 94% des émissions mondiales. C'est du jamais-vu. Certains pays, autrefois réticents à bouger, se sont par ailleurs clairement engagés, comme la Chine ou les États-Unis. Et cela, les conférences précédentes n'y étaient pas parvenues. Rien n'est acquis, mais je crois possible le succès. J'espère profondément que ce sera le cas quand j'aurai frappé avec mon petit marteau le 11 pour clore la conférence.
Q - Et si ce n'est pas le cas ?
R - Alors tout le processus mondial de lutte contre le changement climatique sera remis en cause. Jamais le calendrier n'a été aussi favorable, jamais autant de chefs d'État et de gouvernement n'ont affirmé leur volonté de parvenir à un accord. Si, en dépit de tout cela, nous n'y arrivons pas, ce sera très grave.
Q - Nous sommes le 12 décembre. Racontez-nous votre journée idéale.
R - Je me réveille et, dans le monde, chacun s'accorde à dire que la COP de Paris a été un tournant. Les États ont approuvé l'accord, fait des promesses ambitieuses de réduction de leurs émissions polluantes. Et ils se sont engagés si nécessaire à une clause de révision à la hausse de leurs engagements tous les cinq ans. Une mesure en faveur de laquelle je milite. J'aurai en tête la phrase de Ban Ki-moon : «Il n'y a pas de plan B, car il n'y a pas de planète B».
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 décembre 2015