Déclaration à la presse de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la Conférence de Paris pour le climat, au Bourget le 4 décembre 2015.

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Circonstance : Conférence de Paris pour le climat, au Bourget (Seine-Saint-Denis) du 30 novembre au 11 décembre 2015

Texte intégral


Mesdames et Messieurs,
Heureux de vous retrouver pour ce point presse conjoint avec Christiana Figueres. Je remercie Mme Angel Hsu pour les éléments et les chiffres qu'elle vient de nous présenter et qui montrent le succès de la plateforme NAZCA mise en place par la CCNUCC.
D'abord quelques mots sur les négociations. Nous sommes à moins de 24 heures de la clôture prévue de l'ADP. Mercredi, j'avais constaté que les progrès des premiers jours étaient trop lents. Lors de la réunion du Contact Group mercredi soir, j'ai donc demandé aux négociateurs d'accélérer le processus. Il était de ma responsabilité de Président de la Conférence d'adresser ce message clair.
Afin de faciliter le travail des négociateurs et d'identifier les méthodes les plus efficaces, je me tiens en permanence à l'écoute de tous. J'ai commencé à largement consulter ces derniers jours. Je me suis entretenu notamment avec les ministres ou négociateurs. Je continuerai cet après-midi.
Parallèlement, j'ai chargé mercredi soir les ambassadeurs François Delattre, représentant permanent de la France auprès des Nations unies, et Philippe Lacoste, ambassadeur adjoint en charge des négociations climatiques, appuyés par Michael Zammit Cutajar, ancien Secrétaire exécutif de la CCNUCC, de consulter tous les groupes de pays sur la méthode des négociations. C'est utile pour l'arbitrage politique qui va venir. L'objectif est de progresser sur plusieurs points : les formats de négociation, la transparence du processus, le calendrier. Et les choses se passent dans un esprit constructif qui permettra de faire une proposition qui ne rencontrera pas de difficultés demain. J'ai en outre demandé au président de la COP20 Manuel Pulgar-Vidal d'être mon représentant spécial auprès des Organisations non gouvernementales. Il a bien voulu l'accepter.
Les co-présidents du groupe ADP et leurs facilitateurs ont publié ce matin à 10 heures deux nouveaux textes. Il y a une compilation des articles, et il y a un texte reprenant les initiatives de rédactions de compromis venant des facilitateurs - «bridging proposals» en anglais. Le premier texte fait 48 pages, et le second 38 en incluant le projet d'accord et de décision. Ces documents ont été présentés ce matin en groupe de contact. Les parties ont demandé un peu de temps pour l'examiner et se concerter. Le groupe de contact s'est réuni brièvement à 12h et se réunira de nouveau à 15h pour discuter du fond et dessiner les prochaines étapes.
À ce stade, quelles conclusions pouvons-nous tirer ? La première, c'est que le compte n'y est pas encore. La deuxième conclusion, c'est que nous espérons que l'esprit de compromis permettra d'avancer. Le texte doit enregistrer de nouveaux pas vers le compromis. Et donc quelle que soit la méthode choisie, je serai saisi demain d'un texte.
Je souhaite qu'il soit le plus abouti possible, car plus il sera abouti, plus nous aurons d'atouts pour parvenir, avec les ministres et les chefs de délégation, à l'accord final, dont je vous rappelle qu'il est indispensable avant la fin de la semaine prochaine. Notre boussole doit être l'esprit de consensus.
Au-delà des négociations sur l'accord proprement dit, la dynamique des initiatives concrètes se poursuit.
Je participais ce matin au «focus» consacré à la mobilisation des acteurs financiers - l'un des 12 focus thématiques organisés pendant la Conférence dans le cadre du Plan d'action Lima-Paris. Cet événement montre la mobilisation des banques, des sociétés d'assurance, des investisseurs institutionnels dans la lutte contre le réchauffement climatique. Plusieurs engagements importants ont été annoncés à cette occasion. Un exemple : la Caisse des dépôts et ABP - le principal fonds de retraite néerlandais - ont annoncé leur adhésion à la «Coalition pour la décarbonation des portefeuilles» (Portfolio Decarbonization Coalition), dans le cadre de laquelle 230 milliards de dollars d'actifs seront réorientés vers des secteurs bas carbone.
Autres acteurs particulièrement engagés en faveur du climat : les collectivités territoriales, qui détiennent une part importante des solutions (transports, aménagement urbain, valorisation des déchets, etc.). Je participerai cet après-midi, avec Ban Ki-moon, à la clôture du Sommet mondial des élus locaux pour le climat, organisé à l'Hôtel de Ville de Paris par Anne Hidalgo et Michael Bloomberg. La mobilisation des villes, des régions, des gouvernements locaux du monde entier est très utile et massive. En témoigne par exemple l'annonce importante faite mercredi : une vingtaine de villes se sont engagées à consacrer 10% de leur budget à des mesures de résilience aux risques climatiques, ce qui représente un engagement total de plus de 5 milliards de dollars.
Cette mobilisation des acteurs non gouvernementaux fera l'objet demain d'une journée spéciale très importante, point d'orgue du Plan d'action Lima-Paris : la Journée de l'action, l'Action Day, que j'introduirai et que concluront F. Hollande et Ban Ki-moon.
Cette journée comportera deux objectifs : mettre en valeur les initiatives et les engagements les plus emblématiques pris dans le cadre du Plan d'action Lima-Paris par les États et par les acteurs non étatiques (collectivités locales, secteur privé, société civile dans sa diversité) ; d'autre part, montrer, à travers les actions déjà menées, à quoi pourrait ressembler un monde sobre en carbone et résilient aux impacts du changement climatique. Nous avons voulu mettre en valeur des personnalités qui s'engagent et les solutions concrètes qui se développent pour le climat.
Cet événement s'inscrit dans la ligne du «Sommet climat» organisé par Ban Ki-moon en septembre 2014, qui avait lancé la mobilisation de la société civile sur de nombreux sujets : les forêts, les énergies renouvelables, les investissements, l'action des collectivités locales - avec, toujours, des objectifs concrets et mesurables.
La dynamique s'était poursuivie à Lima, lors de la COP20 en décembre 2014. Avec l'appui notamment de Janos Pasztor, de Christiana Figueres et de leurs équipes, le Pérou avait organisé une première «Journée de l'action», en présence notamment d'Al Gore et de Felipe Calderon. Cette journée avait constitué un succès, en plaçant les solutions concrètes au coeur des négociations climatiques. À l'issue de la COP20, l'ensemble des pays avaient appelé la future présidence française à renouveler l'expérience à Paris.
C'est ce que nous ferons demain. J'ouvrirai à partir de 9h30 la Journée de l'action, en compagnie de Christiana Figueres, Janos Pasztor et Manuel Pulgar-Vidal. Nous avons souhaité que la journée se déroule selon un format dynamique, qui alternera les tables rondes et les prises de paroles individuelles, autour de trois thèmes-clés : protéger la planète ; habiter le territoire de demain ; transformer nos systèmes de production.
Nous accueillons des intervenants de grande qualité, venant de toutes les régions du monde : des personnalités engagées comme Sean Penn, très actif dans la reforestation en Haïti ; des entrepreneurs comme Jack Ma, le PDG d'Alibaba ; des dirigeants locaux comme Tau Parks, le maire de Johannesburg ; des dirigeants d'ONG comme Winnie Byanyima, directrice d'Oxfam International ; ainsi que de nombreux ministres.
L'événement sera ouvert à tous, notamment aux observateurs et aux médias. L'ensemble de la journée sera diffusée en direct sur le site de la CCNUCC, sur celui du Plan d'action Lima-Paris, et par toutes les chaînes de télévision qui le souhaitent.
Cette journée apportera une visibilité forte à la mobilisation positive pour le climat qui s'étend de plus en plus à l'ensemble de la société civile. Elle permettra aussi de confirmer, je l'espère, l'impulsion aux négociations en cours. Car, et je conclus là-dessus : d'une part, le succès de la COP21 ne se résumera pas à l'obtention d'un accord intergouvernemental universel, mais sans cet accord il n'y aura pas de succès. D'autre part, les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux doivent agir ensemble, fortement, et dans la même direction. C'est cela le tournant de Paris.
Q - Hier le représentant spécial chinois a conclu certaines propositions de la Chine sur les enjeux majeurs des négociations de la COP21 lors d'une conférence de presse. Par exemple, il a proposé un système d'encouragement sur les CBDR (common but differentiated responsabilities) au lieu d'une sanction avec un agenda précis du financement.
D'après vous, les propositions de la Chine ont-elles, d'une certaine manière fait progresser le processus des négociations ?
R - La Chine, je crois que cela est reconnu par tous, a joué jusqu'ici un rôle extrêmement positif et important dans la recherche d'un succès pour la COP21. La Chine est le premier émetteur de gaz à effet de serre au monde, le président chinois et le gouvernement chinois sont extrêmement engagés dans la lutte contre le dérèglement climatique. À plusieurs occasions au cours de cette année, nous avons pu mesurer cet engagement en particulier, mais c'est un élément parmi d'autres, lorsque nous avons préparé la déclaration franco-chinoise du début du mois de novembre sur la COP21 justement.
Maintenant nous entrons et nous sommes entrés dans la phase des négociations, la Chine fait ses propositions, elles vont être discutées dans le cadre de la négociation d'ensemble mais je suis convaincu que la Chine continuera à jouer un rôle extrêmement utile et positif pour le succès de notre conférence.
Q - (En anglais) Sur les points d'achoppement, à ce jour, dans l'accord.
R - Je pense que nous n'allons pas négocier devant et avec vous, cela vous mettrait d'ailleurs dans une situation difficile. Mais, je vous ai dit qu'il y avait deux textes qui avaient été remis, ce qui est tout à fait conforme à ce qui a été convenu.
D'une part, un texte qui est une compilation et, d'autre part, un texte qui prend en compte des propositions de compromis («bridging proposals» sur les différents points, pas sur tous mais sur certains, de la part des facilitateurs. Le groupe de contact va prendre ses orientations de méthodes. Mon souhait est que d'ici à demain, le maximum de solutions de compromis ait pu être pris en compte et accepté dans le texte qui me sera remis. Je ne vais pas faire la liste article par article parce que ce serait trop long et ce n'est pas l'objet de la conférence de presse mais je souhaite que l'on puisse avancer avec l'esprit de consensus.
Q - (En anglais) La différence entre la référence des 1,5°C ou 2°C est-elle essentielle ?
R - J'ai reçu plusieurs représentants des îles qui sont particulièrement concernés par ce problème et pour ma part, je suis très sensible à leur plaidoyer. Pourquoi ? Parce que le dérèglement climatique, le réchauffement climatique est un problème mondial mais il y a certains territoires pour lesquels ce n'est pas simplement un problème, c'est une question d'existence, ce que nos amis appelle «survival». Ils soulignent et ils ont raison qu'à 2°C, même si c'est évidemment beaucoup moins grave que 3, 4 ou 5°C, ils risquent déjà énormément de choses pour leur propre existence en tant que territoire. Il y a donc une demande qui est faite par eux, à la fois d'avoir référence à 1,5°C et que des dispositions soient prises pour la considération de leur situation spécifique. J'espère que nous parviendrons à cela.
Q - Monsieur Fabius, j'aimerais voir deux choses avec vous. Vous ne voulez pas commenter les négociations en cours mais pouvez-vous au moins nous parler des progrès qui ont été faits depuis lundi ?
Deuxièmement, êtes-vous ouvert à la possibilité de prolonger le délai que vous aviez donné ? Votre échéance de demain midi peut-elle être flottante, le texte pourrait peut-être vous être remis plus tard, voire dimanche ?
R - Non, sur le second point, je crois que ce ne serait pas raisonnable.
Pourquoi ? Parce qu'il faut prendre le calendrier à l'envers si je puis dire. Cette conférence doit se terminer vendredi 11 décembre au soir et il faut que nous ayons du même coup un accord avant, parce que Mme Figueres le souligne souvent et elle a tout à fait raison, il y a toute une série de procédures qui doivent être suivies avant de pouvoir adopter le texte. Il y a des questions de vérifications légales, des questions de traduction etc, qui ne sont pas des petites questions, qui sont de vraies questions. Quand on dit vendredi soir, en fait cela veut dire avant.
Ensuite, il y a beaucoup de points qui ne sont pas tranchés, c'est le moins que l'on puisse dire, et donc il faut laisser du temps aux ministres et aux négociateurs d'examiner dans le calme et dans la concertation les compromis souhaitables. En réfléchissant avec l'ensemble des groupes, nous nous étions dits que le samedi midi, c'était le point qui permettait de passer de l'ADP à la COP selon nos formules, même s'il y a une forme de continuité puisque ce sont les pays qui désignent leurs représentants mais en fait pour une large part ce sont les mêmes.
Je crois donc que tout le monde accepte l'idée qu'il est raisonnable que ce délai-là soit tenu parce qu'il détermine les délais qui sont derrière, c'est le second point de votre question.
Concernant le premier point, je pense que ce ne serait pas convenable de discuter tel ou tel aspect de la négociation précise à ce stade.
Il y a maintenant deux textes qui se complètent, bien sûr mon souhait est que, pour reprendre toujours le butoir de demain midi, le texte qui me sera remis intègre le maximum de solutions de compromis pour qu'un certain nombre de parenthèses aient pu être évacuées. Alors, il y a des points où cela semble plus facile que d'autres mais de toutes les manières, il y aura encore derrière beaucoup de travail.
Q - Monsieur le Ministre, vous et le président de la République vous avez fait allusion aux aspects religieux dans vos discours. Il y a eu trois déclarations des bouddhistes, musulmans et hindous qui ont été émises et signées par cinquante ou soixante dirigeants. Je crois savoir que les textes vous ont été transmis avec une suggestion pour qu'il y ait un petit événement d'une remise officielle. Je sais que vous êtes très occupé mais pensez-vous qu'un tel événement serait possible ?
R - Merci, et merci pour votre français qui est parfait. Les autorités religieuses de diverses religions ont pris des positions extrêmement fortes et positives qui, je l'espère, ont suscité un très grand écho dans les populations. Je ne suis pas informé mais vous savez, il y a tellement de choses à faire - comme vous l'avez souligné - qu'ils aient souhaité me remettre en main propre tel ou tel déclaration ou demande. Mais si c'était le cas, bien sûr, on trouverait l'occasion de le faire.
Q - (En anglais) que dites-vous sur la surveillance par la police d'écologistes étrangers et français et sur l'annulation de la marche qui précédait la COP ?
R - La question a été souvent posée. Il y avait une demande de manifestation pour le samedi 29 novembre et d'autres demandes de manifestations ainsi que pour le 12 décembre. Le gouvernement, notamment pour des raisons de sécurité, - après rapport du ministre de l'intérieur - a estimé que la manifestation du 29 novembre pouvait prêter à un certain nombre de risques. Elle n'a donc pas été autorisée et les organisations l'ont très bien compris et ont été extrêmement responsables. Je crois d'ailleurs que l'on a bien vu le bien-fondé de cette décision lorsqu'à telle ou telle autre occasion, il y avait des gens qui n'avaient absolument rien à voir avec l'environnement qui avaient recours à la violence.
Concernant le 12 décembre, c'est après la conférence de Paris, je crois que le ministre de l'intérieur est en train de voir ce qui est possible et ce qui ne l'est pas. Encore une fois, les ONG sont parfaitement responsables et elles ont bien compris l'exigence de sécurité, il est tout à fait normal d'assurer la sécurité. Pour autant, le rôle des ONG est tout à fait fondamental et nous en discutions en particulier avec mon prédécesseur le président de la COP20, le péruvien Manuel Pulgar-Vidal. Je crois, mais Christiana qui a plus d'expérience que moi le confirmera sans doute, que jamais la place des ONG n'a été aussi importante dans tout ce qui se déroule. Nous avons des milliers et des milliers de responsables des différentes organisations qui sont là, les ONG sont associées à tout ce qui se passe dans les «espace-génération».
De plus, toutes les séances des «contact groups» et d'autres séances sont télévisées, ce qui je crois est une novation possible grâce à la technologie. Nous avons des discussions particulières avec elles, j'ai demandé à mon prédécesseur d'être mon représentant spécial s'il y avait tel ou tel problème, ce qui peut toujours advenir, avec elles et je vous confirme que dans notre esprit à tous, elles jouent un rôle tout à fait fondamental.
Voilà où nous en sommes. S'il y a tel ou tel problème qui se pose, il doit bien sûr être évoqué et résolu.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 décembre 2015