Interview de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche à Europe 1 le 5 novembre 2015, sur le harcélement dans les écoles.

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Média : Europe 1

Texte intégral

JULIE
07h45, « L'interview vérité d'Europe 1 ». Thomas SOTTO vous recevez ce matin la ministre de l'Education nationale, Najat VALLAUD-BELKACEM.
THOMAS SOTTO
Jusqu'à 10 % des élèves seraient aujourd'hui victimes de harcèlement dans les écoles, parce qu'ils sont trop bons, trop petits, trop grands, trop roux, trop gros. Ce jeudi 5 novembre est la première journée nationale « Non au harcèlement », avec notamment la diffusion d'un clip assez controversé à la télé. Bonjour Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonjour.
THOMAS SOTTO
On va commencer avec ce clip, que j'ai vu, qui montre donc un élève, un petit roux harcelé par ses camarades. Franchement, je l'ai trouvé bien fait, mais des syndicats de profs, eux, sont choqués, ils parlent d'un acte de mépris pour les enseignants. Sincèrement, Najat VALLAUD-BELKACEM, quand vous entendez ça, vous les comprenez, ou ça vous exaspère, ça vous désespère ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ecoutez, j'allais dire, l'avantage de toute polémique, même si on s'en passerait bien, c'est qu'elle fait parler du sujet, et donc si cette polémique a servi à faire connaitre le 30 20, donc je rappelle que c'est le numéro vert, pour tous les parents que ça concerne, qu'il faut appeler en cas de harcèlement, le 30 20, donc si cette polémique a contribué à le faire connaitre, tant mieux, maintenant, si je réponds à votre question, ce clip, il avait une vocation simple, c'est ce qui a été demandé à Mélissa THEURIAU - qui l'a réalisé gracieusement, et que je remercie - une vocation simple, s'adresser aux enfants, c'est-à-dire leur tendre un miroir de ce qu'ils vivent lorsqu'ils sont harcelés, qu'ils se reconnaissent dans ce clip. Or, que vivent-ils quand ils sont harcelés, ces enfants ? Eh bien le sentiment de solitude, de ne pas être compris, d'injustice. Si on avait présenté dans ce clip, un monde idéal dans lequel tous les adultes qui les entourent auraient entendu leur souffrance, ça n'aurait servi à rien.
THOMAS SOTTO
Mélissa THEURIAU, qui elle-même a été victime de harcèlement, comme quoi ça peut vraiment toucher tout le monde. Ils ont hors sujet, là, les profs, honnêtement ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Moi je trouve que dans leur réaction, parce que j'aime toujours voir le côté positif des choses, il y a quelque chose de sain, c'est que, en fait, le comportement de cette enseignante qui a le dos tourné, qui n'entend pas ce qui se passe derrière elle, même s'il faut comprendre que ce qui se passe derrière elle, on est dans une espèce de cauchemar d'un enfant qui amplifie les sons, ce n'est pas la vérité de ce qui se passe dans sa classe.
THOMAS SOTTO
On voit ce qui se passe dans sa tête, en fait, voilà.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
On est dans sa tête, quand on voit ce clip. Mais bon, bref, que les enseignants se disent en voyant cette professeure, dos tourné à sa classe, « ah, tiens, il aurait fallu qu'elle réagisse autrement et mieux », c'est sain, parce que ça veut dire que eux-mêmes, finalement, ce clip les aura suffisamment interpelés, pour que demain ils interrogent leur professionnalité. Et puis nous sommes là, nous, le ministère, pour mettre à leur disposition des formations, des outils pédagogiques pour les aider à mieux réagir.
THOMAS SOTTO
Mais avec quels moyens ? Parce qu'il y a ce numéro, effectivement, qui simplifie mais qui est en fait une simplification de ce qui existait déjà, il y a ce clip, mais au-delà de ça, quels moyens ? Il n'y a pas de moyens supplémentaires pour lutter contre le harcèlement, financiers.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, mais attendez, d'abord, vraiment, cette Journée nationale de lutte contre le harcèlement, vous voyez bien qu'elle mobilise quand même beaucoup de gens, toute la journée, aujourd'hui. Nous avons veillé au ministère à ce qu'elle ne nous coûte rien, en nous appuyant sur des partenaires privés, et à nouveau je les remercie, des gens qui ont fait du travail gracieusement...
THOMAS SOTTO
Oui, mais c'est pas l'affaire d'un jour, le harcèlement.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Walt Disney qui diffuse ça au cinéma, SFR NUMERICABLE qui nous finance le numéro vert à quatre chiffres.
THOMAS SOTTO
Je comprends que vous citiez les partenaires, c'est important, mais...
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non mais c'est très important, pardon, parce que c'est une façon de dire que toute la société est mobilisée, ce qui permet à l'Etat, les pouvoirs publics, le ministère, de garder son argent public, pour financer des associations de lutte contre le harcèlement, qui, elles, interviennent dans les salles de classe. Mais maintenant, je voudrais vous dire une chose. La façon de lutter contre le harcèlement, ce n'est pas de déverser de l'argent, déverser de l'argent, c'est de mettre à disposition des enseignants, de vraies formations. Nous allons former 300 000 enseignants d'ici un an, nous allons... nous mettons d'ores et déjà, vous pouvez les consulter...
THOMAS SOTTO
Ils sont d'accord pour être formés ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bien sûr.
THOMAS SOTTO
Parce que sur la réforme des collèges ils ne veulent pas être formés, semble-t-il.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, non non, je vous en prie, non, ne caricaturons pas non plus les enseignants.
THOMAS SOTTO
Ce n'est pas moi, c'est le SNALC, un syndicat d'enseignants qui dit ça.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, les enseignants, je peux vous dire, sont demandeurs de savoir réagir, d'avoir des outils que nous avons construits pour eux, qui sont disponibles sur le site « nonauharcelement.fr », des outils qui sont quoi, des outils de repérage, des grilles indicatives de signaux faibles, pour savoir faire la différence entre la chamaillerie et puis le vrai harcèlement. Des protocoles d'actions, c'est-à-dire comment je dois réagir quand je suis chef d'établissement, par exemple est-ce que c'est une bonne idée, une fois que j'ai été alerté par un élève, de convoquer le harceleur et le harcelé, ensemble, dans un bureau ? Eh bien non.
THOMAS SOTTO
Et ça c'est intéressant.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
On leur explique ça dans ces protocoles, on leur dit « surtout ne faites pas ça ».
THOMAS SOTTO
C'est très intéressant, Najat VALLAUD-BELKACEM, je vous interromps, parce qu'il y a une semaine, c'est une prof qui était assise à votre place, Angèle MARTIN, très impliquée, qui aime son métier, qui est aussi une maman, dont le fils a été harcelé et qui reconnaissait qu'en tant que prof, eh bien non, on ne détectait pas forcément les cas de harcèlement, en revanche elle vous a adressé un message. On l'écoute.
ANGELE MARTIN
A l'heure actuelle, les chefs d'établissement sont notés, plus ils déclarent de violences, plus ils sont référencés au niveau du rectorat, et le rectorat est lui-même référencé au niveau du ministère.
THOMAS SOTTO
Ça veut dire quoi, c'est un peu comme les chiffres de la délinquance pour la police ? On déclare moins de violences, donc on est mieux noté ?
ANGELE MARTIN
Absolument.
THOMAS SOTTO
Et donc ça tronque tout.
ANGELE MARTIN
Mais bien sûr ça tronque tout. Alors, madame BELKACEM, je vous en prie, cessez de noter ces gens-là !
THOMAS SOTTO
Qu'est-ce que vous lui répondez, Najat VALLAUD-BELKACEM ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ah, je lui réponds qu'il s'agisse du harcèlement, qu'il s'agisse par exemple des atteintes à la laïcité dont on a beaucoup parlé ces derniers temps, qu'il s'agisse de n'importe quel incident qui se déroule dans un établissement scolaire, depuis que je suis ministre de l'Education nationale, mon message a été de la plus grande fermeté, je veux que les choses remonte. Je ne veux pas qu'on cache les choses sous le tapis.
THOMAS SOTTO
Mais il y a de la triche, aujourd'hui, il y a des choses sous le tapis aujourd'hui ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non mais, peut-être que par le passé, par crainte de donner une mauvaise réputation à un établissement, on pouvait avoir des équipes pédagogiques qui ne faisaient pas suffisamment remonter au rectorat, puis donc au ministère...
THOMAS SOTTO
C'est plus vrai.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ça a pu exister par le passé, mais aujourd'hui ne peux vous dire que mon message et le message du ministère est extrêmement clair, nous avons d'ailleurs revu tous nos dispositifs de remontées d'informations, pour que rien ne nous échappe, et c'est important, il ne s'agit pas de contrôler, il s'agit de faire en sorte que les situations soient réglées, de ne pas les laisser pourrir. Et en matière de harcèlement, par exemple, comprenez bien qu'on ne règle pas la situation en se contentant par exemple d'exclure le harceleur une fois qu'il a été identifié, il faut un travail pédagogique, donc il faut que chaque établissement, c'est ce qu'on leur demande, adopte ce qu'on appelle un plan de prévention du harcèlement, dans lequel il détaille quelles sont les suites qu'il apporte, une fois que le harceleur a été identifié, c'est-à-dire un travail pédagogique en classe, pour que chaque élève comprenne la gravité du phénomène, pour que les élèves témoins comprennent qu'il faut résister.
THOMAS SOTTO
Donc vous appelez en tout cas à la transparence totale, il n'y aura pas... que les proviseurs n'aient pas peur.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ah oui, bien sûr, évidemment.
THOMAS SOTTO
Dernier point que je voudrais aborder avec vous, est-ce qu'il ne faudrait pas interdire, une fois pour toutes, les portables dans les écoles ? Sans téléphone portable, là on se parle, on joue dans les cours, on échange, et il n'y a pas ces phénomènes nouveaux, que l'on appelle le Happy slapping, vous savez, tous les élèves tombent sur un seul, la vidéo est mise sur les réseaux sociaux, et souvent les conséquences psychologiques pour les victimes sont pires que l'agression en tant que telle. Pourquoi ne pas interdire les portables dans les établissements scolaires ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais, en fait, d'abord...
THOMAS SOTTO
Est-ce que c'est une piste ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Enfin, les portables sont interdits, en cours, évidemment, vous ne pouvez pas sortir votre téléphone portable, vous êtes tous...
THOMAS SOTTO
Mais dans les faits, les téléphones portables sont souvent sur les tables.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ensuite, les règlements intérieurs... Ah non, généralement c'est interdit, mais les règlements intérieurs précisent, en effet, à quel point c'est interdit. Il y a des établissements dans lesquels on ne les accepte même pas dans les cours de récré.
THOMAS SOTTO
En tout cas, dans la cour, ils sont à la main.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il y a des établissements dans lesquels on ne les accepte même pas dans cour de récré. Il faut sans doute aller en effet vers une plus grande fermeté à cet égard, même si je redis ici que le plus important pour l'Education nationale, ce doit être aussi d'apprendre aux élèves à se servir de ces outils, parce que l'école ne peut pas vivre en mode avion, déconnectée de cette réalité numérique qui est celle, de toute façon, des élèves, et il vaut mieux leur apprendre à se servir de cela, à protéger leurs données personnelles, à ne pas l'utiliser pour du cyber-harcèlement etc., plutôt que de se dire « on vit dans un monde sans portable ».
THOMAS SOTTO
Merci Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Merci.
THOMAS SOTTO
On ne répètera jamais assez, l'importance de la parole pour lutter contre le harcèlement. Pour reprendre le slogan de votre campagne : « Le harcèlement, si on n'en parle pas, ça ne s'arrête pas ». On rappelle donc ce numéro simple, le 32 20... le 30 20.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non le 30 20.
THOMAS SOTTO
Le 30 20, pardon, pour signaler les cas de harcèlement, qui fonctionne de 09h00 à 18h00, du lundi au vendredi. Vous souriez, parce que la dernière fois que vous êtes venue, c'est vous qui vous ne vous en souveniez plus, et là c'est moi.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, c'est vrai, je m'en souviens.
THOMAS SOTTO
Donc c'est le 30 20. Sinon, il y a le site « nonauharcelement.education.gouv.fr ». Merci, bonne journée.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 novembre 2015