Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à l'adaptation de la société au vieillissement (projet n° 694 [2014-2015], texte de la commission n° 102, rapport n° 101).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, de l'enfance, des personnes âgées et de l'autonomie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture revêt une importance majeure pour notre société. Il nous rassemble autour d'une ambition commune : répondre aux attentes, existantes et grandissantes, des âgés et des familles d'aujourd'hui et de demain.
Nous avons pris en compte les difficultés et les inquiétudes exprimées par les personnes âgées et leurs proches. Nous sommes tous animés par l'espoir de faire de notre vieillesse ou de celle de nos proches un parcours serein, une étape de la vie qui puisse se construire dans le respect des envies, de l'histoire et des besoins propres à chacun.
Bien entendu, l'accompagnement des plus fragiles appelle la mobilisation de la solidarité nationale. Celle-ci s'exerce déjà pleinement : chaque année, 21 milliards d'euros sont consacrés à la compensation et à l'accompagnement de la perte d'autonomie de nos aînés.
Cet engagement est aujourd'hui renouvelé et renforcé par le Gouvernement. Grâce au projet de loi, nous apporterons une aide supplémentaire, utile et concrète aux personnes âgées et aux familles qui en ont besoin.
J'ai parlé d'un texte d'une importance majeure. En effet, le vieillissement de la population interroge notre société sur la manière dont elle prend soin de nos aînés et les accompagne.
Ce projet de loi n'a pas seulement pour objet d'offrir dès à présent de nouveaux droits à nos concitoyens ; il pose également un cadre de réflexion et d'action pour l'avenir. Il installe les modalités de fonctionnement nécessaires pour coordonner au mieux les acteurs sur le territoire et permettre que les enjeux liés au vieillissement irriguent progressivement l'ensemble des politiques publiques. Pensons par exemple aux plans locaux d'habitat, aux conférences des financeurs ou aux schémas de transports.
Issu d'une large concertation, le projet de loi relatif à l'adaptation de la société au vieillissement est une réponse forte, porteuse de sens, de droits nouveaux, d'avancées et d'innovations pour notre société.
Vous connaissez bien ce texte pour avoir activement contribué à son élaboration. Je ne vous le présenterai donc pas de nouveau en détail, mais permettez-moi de vous rappeler en quelques mots l'ambition des dispositions qu'il contient.
Au travers de ce projet de loi, nous donnons les moyens à chacun non seulement d'accompagner, mais également d'anticiper la perte d'autonomie, dans une logique de bien vieillir et de justice sociale. L'acte II de l'allocation personnalisée d'autonomie, l'APA, permettra aux personnes accompagnées de bénéficier d'heures d'aide à domicile supplémentaires, mieux adaptées à l'ensemble de leurs besoins, avec un reste à charge qui sera réduit substantiellement.
Par exemple, une personne âgée relevant du groupe iso-ressources 1, le GIR 1, soit du niveau maximal de perte d'autonomie, disposant d'un revenu mensuel de 1 500 euros et d'un plan d'aide actuellement limité en raison du plafond bénéficiera d'une heure supplémentaire par jour d'aide à domicile, ainsi que d'une réduction du reste à charge de 400 euros à 250 euros par mois. Il s'agit donc là d'une avancée sociale majeure.
De manière complémentaire, le plan de prévention de la perte d'autonomie, qui m'a été remis le mois dernier par le docteur Aquino, constituera un outil de référence pour les usagers et les acteurs du secteur, tout particulièrement pour les conférences des financeurs, qui seront chargées de coordonner la mise en place d'actions de prévention dans les départements.
Repérer les fragilités, intervenir en amont auprès de toutes les personnes âgées : c'est là un changement de paradigme fort, qui devra permettre de retarder le plus possible la perte d'autonomie.
Avec ce projet de loi, nous soutenons les proches qui apportent une aide indispensable aux personnes âgées à domicile. Le code de l'action sociale et des familles leur offrira désormais un statut, celui du proche aidant, alors qu'encore peu d'entre eux se reconnaissent ou s'autodésignent aujourd'hui comme tels. Pourtant, leur engagement est indispensable. Mais il s'effectue trop souvent au détriment de leur propre santé et de leur équilibre personnel.
Pour eux, nous créons le droit au répit. Cette aide permettra de financer, en complément de l'APA à domicile, un hébergement temporaire, un accueil de jour ou encore un renforcement de l'aide à domicile.
Nous réaffirmons les droits et les libertés des personnes âgées. Avec l'ambition de construire une société de la bientraitance, nous veillons à ce que les personnes âgées soient accompagnées, et parfois représentées, dans le respect de leur dignité, de leurs droits et de leurs libertés.
Pour atteindre cet objectif, nous donnons la possibilité de rédiger une annexe au contrat de séjour en établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou EHPAD, et nous encadrons les dons et legs accordés aux intervenants auprès des personnes âgées à domicile. À l'occasion du débat parlementaire, je proposerai un assouplissement sur ce sujet.
Ce projet de loi offre également aux personnes âgées et à leurs proches une information renforcée. Le portail officiel www.pour-les-personnes-agees.gouv.fr, que j'ai lancé au mois de juin dernier avec Marisol Touraine, a déjà enregistré plus de 120 000 visites. Il recense d'ores et déjà l'ensemble des établissements sur le territoire et permet de connaître les aides auxquelles les résidants peuvent prétendre. L'entrée en vigueur de la loi permettra d'enrichir l'information de ce portail avec le prix du socle de prestations de l'ensemble des EHPAD publics, associatifs et commerciaux. Cela permettra à chacun de comparer des prestations identiques.
Nous voulons également garantir la place des âgés au sein de notre société et les encourager à être des citoyens actifs, comme c'est déjà d'ailleurs le cas de nombre d'entre eux.
La création des conseils départementaux de la citoyenneté et de l'autonomie, les CDCA, offrira aux membres des actuels comités départementaux des retraités et personnes âgées, ou CODERPA, une surface d'action élargie au-delà du seul champ médico-social. Ils seront consultés sur les politiques publiques qui participent ou pas, selon la manière dont elles sont conçues à l'autonomie : logement, transport, intégration sociale et professionnelle, vie associative, culture Leur contribution permettra d'intégrer dans ces politiques la préoccupation du bien vieillir dans la cité.
Enfin, avec ce projet de loi, nous mobilisons l'énergie novatrice de l'ensemble de la société autour du défi du vieillissement.
Les acteurs du secteur sont évidemment les premiers concernés. Les services polyvalents d'aide et de soins à domicile, les SPASAD, constituent un nouveau mode de fonctionnement particulièrement vertueux. L'accompagnement qu'ils assurent est de meilleure qualité, car mieux coordonné et plus lisible pour les usagers ; il rompt l'isolement des intervenants à domicile et permet aux gestionnaires de bénéficier d'une organisation plus efficiente. J'encourage pleinement le développement de ces structures.
C'est pourquoi j'ai annoncé, lors du dernier comité de pilotage de refondation des services à domicile, un apport de 8,5 millions d'euros, qui seront délégués par la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, la CNSA, aux agences régionales de santé avant la fin de l'année. Cette somme permettra d'accompagner des projets de création de SPASAD, mais aussi de consolider les SPASAD existants qui mettent d'ores et déjà en uvre des projets d'intégration, sans attendre l'expérimentation de 2016-2017.
Les acteurs de la silver economy sont également pleinement appelés à se mobiliser. En faisant évoluer les usages, le vieillissement de la population stimule l'innovation. Le Gouvernement est actif pour développer ce secteur, gisement d'emplois et d'améliorations de la qualité de vie des seniors. Ainsi, avec Emmanuel Macron, nous avons réuni le comité de la filière le mois dernier.
Toutes les générations sont également concernées par le défi du vieillissement et incitées à agir sous de nouvelles formes. L'isolement est identifié comme un facteur déterminant dans le processus de la perte d'autonomie. C'est pourquoi ce projet de loi soutient le déploiement de la mobilisation nationale contre l'isolement des âgés, ou MONALISA. Au-delà de la dimension préventive, la mobilisation intergénérationnelle est primordiale pour que chacun se sente responsable de l'autre.
L'examen du projet de loi par votre assemblée marque une nouvelle étape parlementaire, qui nous rapproche de sa mise en uvre. Ce sera bien évidemment l'occasion pour nous d'échanger et d'améliorer encore le texte.
Je tiens à saluer l'engagement remarquable et la détermination des rapporteurs, MM. Roche et Labazée. Depuis la première lecture, ils mènent un travail transpartisan, à l'image de ce projet de loi, dont je sais qu'il recueille aujourd'hui, dans ses grandes lignes, l'assentiment d'un grand nombre d'entre vous.
Il y a des convictions, des ambitions et des constats que nous partageons, à commencer par celui de la nécessité d'agir pour mieux accompagner nos aînés et leurs familles.
Votre assemblée s'était réunie en mars dernier afin d'examiner ce projet de loi en première lecture. Sept mois se sont écoulés depuis. Des chantiers importants et mobilisateurs ont été ouverts en ce qui concerne l'accompagnement des personnes âgées. Concertation, préparation des décrets, poursuite du parcours parlementaire, expérimentations : nous avons mis à profit le temps qui nous était imparti !
Cependant, ces mois paraissent parfois trop longs aux acteurs du secteur et aux usagers, qui ont pendant de nombreuses années attendu une loi, et qui attendent désormais cette loi et les droits nouveaux qu'elle apportera.
C'est au regard de cette responsabilité que je souhaite que nous puissions continuer à travailler de façon constructive lors de cette deuxième lecture. Je sais que nous pourrons échanger avec pertinence et efficacité pour que ce texte entre en vigueur au 1er janvier 2016.
Le temps laissé aux parlementaires pour examiner un texte est parfois court, mais, honnêtement, ce reproche ne peut être adressé en ce qui concerne ce projet de loi, bien au contraire ! Le parcours parlementaire engagé en juillet 2014 nous a donné le temps nécessaire pour produire un texte de qualité.
Je travaille activement, avec mes services, à ce que les principaux décrets d'application soient prêts dès le début du mois de janvier 2016. Vous partagerez très certainement cet objectif, qui vise à rendre rapidement effectifs les nouveaux droits prévus par ce texte.
À l'occasion de cette deuxième lecture, je souhaiterais revenir sur quatre évolutions majeures qui ont été apportées au projet de loi par vos collègues députés et par la commission des affaires sociales du Sénat.
Lors de la première lecture du texte au Sénat, vous aviez souhaité, sur l'initiative des rapporteurs et des parlementaires spécialistes du sujet, soulever la question de la dualité des régimes juridiques encadrant les services d'aide et d'accompagnement à domicile, les SAAD.
J'avais eu l'occasion de vous le dire : bien qu'il soit effectivement nécessaire d'agir sur ce point je salue votre engagement en ce sens , la proposition votée par le Sénat comportait un certain nombre de difficultés, qui avaient également inquiété les acteurs du secteur.
D'une part, la tarification systématique des structures et l'obligation de conclure un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens, un CPOM, emportaient des risques inflationnistes pour les dépenses locales.
D'autre part, la mise en place d'une expérimentation, avec un horizon de mise en uvre en 2021, nous privait d'un système lisible et structurant pour le secteur à court terme, alors que les difficultés financières et organisationnelles persistent dans de nombreux territoires.
Comme je l'avais annoncé devant votre assemblée, j'ai mené un travail de concertation approfondi avec les rapporteurs du texte et avec les fédérations du secteur, ainsi qu'avec les parlementaires spécialistes du sujet. À cet égard, je tiens à saluer ici la qualité du travail produit par Jean-Marie Vanlerenberghe et Dominique Watrin, qui, dès 2014, préconisaient dans leur rapport la mise en place d'un « dispositif unique et rénové d'autorisation ».
C'est une préconisation pertinente, mais la manuvre est loin d'être évidente. La dualité des régimes est un dossier complexe, sur lequel le statu quo eût certainement été plus confortable. Étant donné la technicité du sujet, on ne pourra pas me reprocher de m'être emparée de ce dossier pour courir les plateaux de télévision ou attirer la lumière sur moi !
Ma motivation, mon engagement reposent avant tout sur deux objectifs qui, à la lecture du compte rendu des travaux de la commission, me semblent partagés par une majorité d'entre vous.
Le premier objectif est de donner aux départements les moyens de structurer l'offre sur leur territoire. Il n'est en effet ni concevable ni admissible que certaines personnes âgées résidant dans des zones éloignées ne puissent avoir accès à aucun service pour les accompagner ou n'aient aucune liberté de choix, alors que d'autres ne savent même plus comment choisir tant les services d'aide et d'accompagnement à domicile sont nombreux et concentrés sur une même zone.
Mon second objectif est de donner un cadre juridique clair, sécurisant et identique pour l'ensemble des acteurs. Nous devons affirmer que l'intervention auprès des publics fragiles constitue un service médico-social, et offrir en conséquence un cadre commun et harmonisé à l'ensemble des acteurs. Cette réglementation unique permettra de répondre largement au contentieux européen en cours sur le sujet.
La concertation menée depuis six mois et accélérée cet été nous a permis de faire voter à l'Assemblée nationale, le mois dernier, un article 32 bis équilibré et amélioré par rapport aux résultats des travaux accomplis en commission en juillet.
Le dispositif concilie nos exigences en termes d'emploi, de qualité de service, d'accessibilité financière et de structuration territoriale de l'offre, mais aussi de maîtrise des dépenses des collectivités départementales.
Cette réforme repose sur la mise en place d'un régime unique d'autorisation rénovée pour les SAAD intervenant, en mode prestataire, auprès des publics fragiles, sans tarification automatique de la part du département.
Nous avons prévu des dispositions sécurisantes et progressives, avec notamment le basculement automatique des structures agréées dans l'autorisation pour une durée de quinze ans, le maintien de la liberté tarifaire ou encore l'absence d'appel à projets pour créer un SAAD jusqu'en 2022.
Nous avons également apporté des garanties en termes de transparence et d'égalité de traitement, grâce au rapport qui sera remis par le président du conseil départemental au conseil départemental de la citoyenneté et de l'autonomie, le CDCA, à l'encadrement du délai de réponse par le président du conseil départemental et à l'obligation pour celui-ci de motiver ses décisions de refus, explicites ou implicites.
Les observations des différentes fédérations ont été prises en compte. Ces dernières ont toutes été entendues pendant l'été, et elles continuent de l'être puisque nous travaillons avec elles à la définition du contenu du cahier des charges national, qui fera l'objet d'un décret. J'ai d'ailleurs moi-même présidé, le 6 octobre dernier, le comité de pilotage de refondation des services à domicile. Pendant deux heures, j'ai vu autour de la table, d'une part, des représentants de l'ensemble des fédérations, qu'elles soient publiques, associatives ou privées commerciales, et, d'autre part, des acteurs engagés pour accompagner leurs réseaux respectifs dans la réforme.
Avant d'entamer l'examen du texte en séance publique, je me félicite d'ores et déjà de l'absence d'amendements de suppression de l'article 32 bis, et partant de notre volonté commune de réformer ce double régime d'autorisation et d'agrément.
J'attire particulièrement votre attention sur la nécessité que ce système soit mis en uvre dès l'entrée en vigueur de la loi. Cette réforme mérite mieux qu'une expérimentation qui serait décevante et insécurisante pour l'ensemble des acteurs : nous voulons dépasser le double régime d'agrément et d'autorisation, or l'expérimentation ne ferait que créer un troisième régime, au rebours de notre objectif.
De même, le report de sa mise en uvre aurait des effets contre-productifs. De nouveaux acteurs demanderaient massivement à être agréés sans forcément avoir l'activité suffisante pour atteindre le seuil critique, à seule fin de bénéficier ensuite du basculement automatique dans le régime de l'autorisation. Les départements se trouveraient alors face à une offre encore plus atomisée qu'actuellement, avec le basculement non pas de 6 000 services, mais peut-être de 8 000, voire davantage.
J'ai toutefois d'ores et déjà pris acte de la nécessité d'accompagner les SAAD actuellement agréés dans le changement de culture qui leur est demandé. Loin d'être des acteurs d'un marché de services banalisé, ils doivent aujourd'hui se spécialiser en tant qu'acteurs du secteur médico-social insérés dans une filière gérontologique.
Dans cette perspective, le nouveau cahier des charges national, bien que très proche de celui de l'agrément, a fait l'objet d'apports très intéressants, qui font consensus auprès de l'ensemble des fédérations. Je pense, par exemple, à la promotion de la culture de bientraitance à domicile. Sur le terrain, pour laisser le temps aux SAAD de s'approprier ce nouveau cadre, la mise en uvre de celui-ci interviendra in fine au 1er juillet 2016, et non au 1er janvier.
Pour résumer, au 1er janvier 2016, un basculement automatique s'effectuera sans charge de travail et sans charge financière supplémentaires pour les départements, avec une continuité d'activité pour l'ensemble des gestionnaires.
M. Jean Desessard. Bravo !
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Puis, six mois plus tard, le cahier des charges national sera rendu opposable, sans risque de vide juridique pendant ce délai, puisque le socle commun du code de l'action sociale et des familles s'appliquera. Là encore, je défends une proposition équilibrée, prenant en compte les apports de la concertation.
Le deuxième sujet que je souhaiterais aborder devant vous a trait au Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge.
M. Gilbert Barbier. Aïe aïe aïe
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Vous connaissez mon attachement à ce qu'une seule et même instance couvre l'ensemble des âges de la vie. Les problématiques auxquelles je suis confrontée dans le cadre de mes fonctions me montrent chaque jour la pertinence d'une réponse transversale, spécifique et intergénérationnelle.
Avec près de 4 millions de proches aidant les personnes âgées, comment pourrait-on concevoir les politiques publiques en faveur de ces dernières en dehors de la sphère familiale dans laquelle elles s'inscrivent ? Comment pourrait-on engager l'adaptation de notre société au vieillissement en ne faisant reposer la réflexion que sur une partie seulement de la population ? Comment pourrait-on développer une vision novatrice pour notre société sans intégrer les dynamiques intergénérationnelles qui la traversent et sans les soutenir ?
Il ne s'agit pas de remettre en cause la spécificité de l'âge, ni même l'intérêt d'une instance de réflexion sur ce sujet. Il s'agit avant tout de considérer les personnes âgées dans leur environnement. Il est impératif d'ancrer le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge dans la réalité du terrain, si nous voulons faire en sorte qu'il puisse animer utilement le débat public et apporter une expertise pertinente aux pouvoirs publics.
Cette dimension intergénérationnelle ouvre une formidable perspective sans pour autant remettre en cause les avancées que vous souhaitez apporter avec le Haut Conseil de l'âge. Au contraire, le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge les prendra pleinement en compte, puisqu'il donne d'ores et déjà à ses membres des compétences identiques.
Les personnes âgées seront évidemment parties prenantes de ce haut conseil et leurs besoins spécifiques entendus. La formation spécialisée du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge qui sera dédiée aux personnes âgées n'est pas un Haut Conseil de l'âge dégradé. Je tiens à insister sur ce point, car j'ai cru comprendre que certains d'entre vous éprouvaient des craintes à cet égard. Ce haut conseil préservera les missions de l'actuel Comité national des retraités et personnes âgées, le CNRPA, tout en lui donnant une nouvelle envergure. Sa composition sera ouverte à l'ensemble du secteur des personnes âgées, établissements et services à domicile. Il comptera également des experts, dont la contribution apportera un éclairage qui n'est à ce jour donné aux pouvoirs publics que lorsque ces derniers le demandent. Les aidants y auront aussi toute leur place, compte tenu de leur rôle dans l'accompagnement de nos aînés, mais aussi parce qu'il s'agit d'un sujet qui traverse toutes les générations. Les associations qui luttent contre l'isolement des personnes âgées seront aussi représentées.
Placé au sein du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge, qui comprendra notamment l'actuel Haut Conseil de la famille, l'ex-CNRPA sera en mesure de faire entendre à l'ensemble des générations les spécificités de ceux qu'il représente.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement présentera un amendement de rétablissement du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge.
Le troisième sujet que je souhaite aborder concerne les établissements.
Les députés ont voté le mois dernier la réforme de la tarification des EHPAD que je leur ai proposée. Les relations des EHPAD avec les autorités de tarification devaient être modernisées, et l'autonomie des gestionnaires accrue, dans la logique de simplification que suit le Gouvernement.
La mise en place dès 2017, de manière progressive, des contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens pluri-EHPAD pouvant intégrer d'autres établissements pour personnes âgées ou handicapées en est le symbole.
Cette modernisation s'assortit d'une réforme de la tarification des soins en EHPAD. Elle a également été pensée sous l'angle de la visibilité et de la simplicité. Cette réforme de la tarification traduit aussi un engagement du Gouvernement de dimensionner les crédits accordés aux besoins de chaque EHPAD, en prenant en compte la dépendance et l'état de santé des personnes accueillies. C'est un engagement fort, qui permettra de renforcer les moyens humains de près de 85 % des EHPAD.
Enfin, en première lecture au Sénat, nous avions eu à débattre longuement des résidences services en copropriété, mais aussi du modèle global. Votre assemblée avait marqué le souhait de pouvoir disposer d'un cadre juridique, en proposant une première définition des résidences seniors.
Lors de la deuxième lecture à l'Assemblée nationale, le Gouvernement a proposé de compléter cette définition par un cadre normatif pour les résidences services, notamment pour les personnes âgées. Ce nouveau cadre sécurisera les pratiques contractuelles entre les gestionnaires et les résidants, s'agissant en particulier des contrats de bail et de services associés. Il donnera de la visibilité à cette offre nouvelle, dont le développement est croissant, car elle répond aux besoins d'une partie des personnes âgées.
Le Gouvernement est pleinement mobilisé en faveur des personnes âgées et des familles. Ce sont plus de 650 millions d'euros qui viendront financer les mesures nouvelles du projet de loi, grâce à la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie, la CASA. C'est un choix politique fort.
Nous pourrions, bien sûr, toujours nous concentrer sur ce qui manque dans ce texte vous y trouverez certainement des lacunes , sur les financements supplémentaires qui pourraient venir abonder de nouvelles mesures. Toutefois, je souhaite vous rappeler que ce projet de loi constitue une étape remarquable dans la prise en charge et la prévention de la perte d'autonomie, une étape qui a le mérite d'avoir été annoncée, concertée et mise en uvre, et qui aura l'intérêt d'améliorer concrètement le quotidien de nos concitoyens.
S'agissant du financement, la commission des affaires sociales du Sénat a souhaité, de nouveau, affecter les recettes de la CASA aux différentes mesures de ce projet de loi, avec un fléchage très précis.
Si je comprends votre intention, j'appelle cependant votre vigilance sur le fait que cette répartition pourrait se révéler contre-productive et qu'elle soulève, d'ores et déjà, des difficultés opérationnelles.
L'article 38 prévoyait initialement l'affectation d'un pourcentage du produit de la CASA au financement de la réforme de l'APA à domicile, mais le dispositif réintroduit par votre commission va beaucoup plus loin, en figeant dans la loi des pourcentages sur des dispositifs nouveaux, qu'il s'agisse de la conférence des financeurs ou du droit au répit, qu'il est difficile, à ce stade, de quantifier davantage que nous ne l'avons fait au travers du projet de loi et dont l'évolution est encore inconnue.
La fixation de tels pourcentages n'est, à mon sens, pas opportune, car elle est source de fortes rigidités. Cette répartition en « tuyaux d'orgue », si vous me passez cette expression, empêche d'ajuster les affectations en fonction de la sous-consommation ou de la surconsommation de certaines dépenses, de l'augmentation des besoins ou encore du dynamisme de la recette. Cela pose un véritable problème au moment où nous partageons tous le souci d'engager les dépenses publiques à bon escient et de la manière la plus efficiente.
Plutôt que de sécuriser les départements, cette répartition pourrait, au contraire, alourdir considérablement la gestion des concours versés par l'État au titre de l'APA. Les fractions du produit de la CASA affectées aux trois volets de la réforme de l'APA et au soutien du secteur de l'aide à domicile viendraient complexifier une compensation qui fera l'objet d'un unique concours aux départements.
En tout état de cause, devant les besoins existants, j'ai souhaité mettre en uvre dès 2015 des mesures d'anticipation de la mise en uvre du projet de loi et du financement de la prise en charge de la perte d'autonomie.
Nous allouons ainsi, cette année, 25 millions d'euros de concours APA supplémentaires aux départements pour compenser le coût de la revalorisation salariale de la branche de l'aide à domicile, 100 millions d'euros pour alimenter le plan pluriannuel d'aide à l'investissement pour 2015-2017, dont les deux tiers seront consacrés aux personnes âgées, 20 millions d'euros au profit de l'ANAH, l'Agence nationale de l'habitat, pour adapter 15 000 nouveaux logements à la perte d'autonomie, 5 millions d'euros pour abonder les fonds départementaux de compensation du handicap, notamment au profit des personnes handicapées vieillissantes, 4 millions d'euros pour financer le soutien aux aidants et la préfiguration de la conférence des financeurs et, enfin, 2,9 millions d'euros pour la poursuite de la réhabilitation des logements-foyers.
Vous le voyez, le Gouvernement et moi-même sommes pleinement mobilisés afin de relever le défi du vieillissement de la population, sans doute l'un des plus beaux que notre société ait à affronter. À l'occasion de cette deuxième lecture, je suis certaine que le Sénat apportera une contribution importante et constructive en ce sens, et que nous aurons de nouveau un débat à la fois exigeant et utile à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. Mme Hermeline Malherbe et M. Jean-Marie Vanlerenberghe applaudissent également.)
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M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Je tiens à remercier l'ensemble des sénateurs qui se sont exprimés au cours de la discussion générale.
S'agissant, tout d'abord, de la philosophie de ce texte, je constate les convergences. Avec l'accompagnement du vieillissement, ce texte va bien au-delà de l'approche médico-sociale qui a longtemps prévalu : hier, on prenait en charge la dépendance ; aujourd'hui, nous sommes conduits à prévenir la perte d'autonomie et à l'accompagner.
S'agissant maintenant du texte lui-même, un certain nombre d'entre vous ont confirmé qu'ils le soutenaient parce que plusieurs amendements adoptés en première lecture au Sénat ont prospéré en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, où j'ai continué de les défendre.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, la discussion que nous avons aujourd'hui est bien le résultat de la coconstruction d'un texte par le Parlement et le Gouvernement.
Toutefois, sur le fond, j'ai noté qu'une préoccupation, parfois une critique, revenait dans les propos de certains : ce texte manquerait de souffle, d'ambition, de moyens Telle n'est pas mon analyse. J'en veux d'ailleurs pour preuve le rapport annexé, qu'il faut lire, car il permet d'appréhender la véritable ambition du texte.
Les moyens, mesdames, messieurs les sénateurs, sont bien ceux de la CASA. Nous avons construit ce texte dans l'enveloppe de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie, ce qui contraint effectivement les dépenses. Bien évidemment, je ne peux que partager le point de vue de ceux qui évoquent d'autres dépenses possibles, souhaitables ou nécessaires. Toutefois, nous le savons, nous sommes dans une période de redressement des comptes publics et de baisse de la pression fiscale.
J'ai entendu vos propositions, tantôt convergentes tantôt antagonistes, concernant le financement de la dépendance, de la perte d'autonomie et de l'accompagnement du vieillissement. Mesdames, messieurs les sénateurs, mon sentiment, c'est que nous n'avons pas de mandat des Français pour agir aujourd'hui. Ce sera sans aucun doute l'un des sujets qui feront, dans les années à venir, le débat démocratique avec les Français. La question devra alors être posée de savoir s'il faut s'orienter vers un cinquième risque des assurances sociales ou au contraire privilégier le recours à l'assurance privée, ce qui n'est pas mon choix.
Nous ne trancherons pas ce débat aujourd'hui, car c'est aux Français de décider quel type de protection collective ils veulent pour l'avenir en matière d'accompagnement de la perte d'autonomie.
Je ne reprendrai pas l'ensemble de vos propos, mesdames, messieurs les sénateurs, dans la mesure où beaucoup portent sur des sujets dont nous discuterons au fur et à mesure de l'examen des articles. Je vous remercie de la qualité de la discussion générale et du travail parlementaire mené bien en amont. C'est parce que vous aviez déjà travaillé sur les sujets dont traite ce texte que nous avons pu, au cours de la navette, continuer d'avancer ensemble pour arriver, demain, à mieux accompagner le vieillissement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La discussion générale est close.
Http://www.senat.fr, le 4 novembre 2015