Déclaration de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées et à la lutte contre l'exclusion, sur le développement du travail social et la formation continue dans ce secteur, Paris le 9 novembre 2015.

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Le message que je veux vous adresser aujourd'hui est un message de mobilisation.
Car le plan d'action que j'ai présenté en conseil des ministres aux côtés de Marisol Touraine est un plan ambitieux pour le travail social. Il est, j'en suis convaincue, à la hauteur de l'ambition collective qui s'est exprimée à travers les Etats généraux. Et il est véritablement interministériel. J‘ai souhaité en faire la première présentation publique dans un IRTS pour m'adresser à la jeune génération, à l'avenir du travail social, et à Nancy, pour le mettre sous l'égide du développement social. Car c'est dans cette logique de territoire que le travail social doit résolument s'inscrire.
Il est logique que je vienne vers vous aujourd'hui, vous qui adaptez les formations aux évolutions de la société et qui animez la réflexion en région sur les enjeux qui traversent le secteur social.
Pourquoi ce plan d'action ?
L'Etat, les collectivités locales et les employeurs privés devaient répondre aux alertes qui leur étaient lancées :
- alerte des travailleurs sociaux disant perdre le sens de leur mission d'accompagnement, enserrés dans des dispositifs et prisonniers d'injonctions paradoxales
- alerte des personnes se sentant « ballotées » entre divers dispositifs, et insuffisamment écoutés dans la globalité.
Vous le savez, le présent plan d'action a été élaboré avec les départements et les régions, et il traduit trois volontés fortes :
- faire participer les personnes et mieux les accompagner,
- simplifier et mieux coordonner les politiques publiques pour promouvoir les politiques de développement social,
- mieux reconnaître, mieux former et mieux valoriser les travailleurs sociaux.
Cette question de la formation des professionnels, qu'elle soit initiale ou tout au long de la vie, constitue le troisième axe du plan parce que c'est par la qualité de la formation, par son dynamisme, par son exigence, que nous parviendrons à faire bouger les lignes :
- pour conforter l'accompagnement, et ses métiers
- pour promouvoir le travail en réseau et donner toute sa place au travail social collectif, clés du développement social
- pour sécuriser et redynamiser le partage d'information, et pour systématiser l'analyse de pratiques
- pour faciliter les mobilités professionnelles.
Au final, ce que nous recherchons par cette globalité des approches, c'est conforter des professionnels du travail social en adaptation permanente aux trajectoires des personnes.
Nous impulsons une réforme ambitieuse, une réforme qui se donne 5 ans pour faire monter en qualité l'ensemble de l'appareil de formation, une qualité qui bénéficiera à tous, étudiants, formateurs, employeurs et surtout aux personnes accompagnées.
Je sais que la plupart de vos établissements n'ont pas attendu ce plan d'action pour innover, que ce soit dans les méthodes pédagogiques, dans les contenus des enseignements théoriques ou la diversité des stages, pour travailler avec les universités et promouvoir la Recherche.
Justement, vos expériences nous ont inspiré, nous ont montré que c'était possible. Il faut maintenant que ce soit la règle. Et je sais que je vais pouvoir compter sur l'Unaforis et sur vous. Comme sur les Régions qui sont des acteurs incontournables de cette évolution nécessaire.
La responsabilité qui va être la vôtre c'est d'entraîner vos étudiants et vos organisations dans cette réforme et mon rôle à moi aujourd'hui c'est de préciser la façon dont nous allons la mener.
Pour entraîner vos étudiants, vous allez devoir répondre aux questions qu'ils vont vous poser, à leurs inquiétudes ou à leur impatience.
En premier lieu, ils vont vouloir savoir comment vont évoluer les programmes et quel impact va avoir le processus annoncé de réingénierie des diplômes sur les métiers et les carrières.
Vous allez entendre par exemple :
- Est-ce que je vais perdre la spécificité du métier que j'ai choisi ?
- A quoi correspondent ces programmes qui complèteront les référentiels métiers ?
- Quand les premiers titulaires de licence seront – ils prêts ?
Pour accéder aux passerelles avec l'université, il convient d'élaborer des programmes nationaux validés par le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. La CPC et le ministère de l'enseignement supérieur vont s'y atteler très vite avec l'objectif que ces programmes soient mis en oeuvre en 2018. Dès lors, débutera la revalorisation des agents de la fonction publique aujourd'hui catégorie B, et les premières cohortes d'élèves de niveau licence arriveront à maturité en 2021.
Quid alors des générations intermédiaires ? Des mesures transitoires seront négociées rapidement pour que les élèves ne soient pas pénalisés.
S'agissant du respect de l'identité des métiers, on se choisit pas indifféremment d'être éducateur de jeunes enfants ou conseiller en économie sociale et familiale, par exemple. J'en suis convaincue. Il ne s'agit pas de renoncer à cette diversité, au contraire : les futurs professionnels doivent acquérir des outils et savoirs précis et spécialisés en fonction des domaines dans lesquels ils auront à intervenir : dans le domaine de la protection de l'enfance, ou du handicap, par exemple. Pour développer solidement ces spécificités et pour pouvoir travailler en commun, des bases communes sont nécessaires : en sociologie ou en matière de développement de l'enfant par exemple.
Et il faut également que ces modules de spécialité (approfondissement sur la connaissance de publics ou de problématiques) soient ouverts à la formation continue pour faciliter les mobilités professionnelles. Car il faut pouvoir évoluer tout au long d'une carrière, et tout en gardant un corpus commun propre aux métiers de l'intervention sociale. Pendant les concertations, certains nous ont recommandé à juste titre, d'ouvrir l'accès aux travailleurs sociaux aux modules de formation continue des métiers para-médicaux ou de l'animation. Nous étudierons cela car nous devons favoriser ces mobilités afin que chacun puisse progresser et garder tout au long de la vie professionnelle une motivation intacte.
Le deuxième type d'interrogation auquel vous allez certainement devoir apporter des réponses, ce sont les perspectives de carrière :
- Est-ce que nous diplômes vont devenir moins attractifs sur le marché de l'emploi, si je deviens catégorie A ?
- Et moi qui suis de catégorie IV, est-ce qu'on va me demander de réaliser des tâches que les autres ne feront plus ?
- Comment ca va se passer dans le privé ?
Il est vrai que pour que la réingénierie des diplômes soit cohérente, elle devra aller jusqu'au niveau I. Nous n'avons pas fait une réforme pour répondre uniquement à la revendication ancienne – et légitime – de l'accès à la catégorie A de la fonction publique d'une petite partie des travailleurs sociaux.
Toutefois, je forme le voeu qu'elle intervienne également dans le secteur privé. Les partenaires sociaux en décideront.
Le sens de cette réforme est que l'évolution des métiers accompagne l'évolution des politiques sociales adaptés à l'environnement et aux professionnels.
Le travail qui va être le nôtre à présent, c'est de déterminer avec les partenaires sociaux les fonctions qui par le niveau d'expertise requis, justifient le passage en catégorie A. Je pense notamment aux gestionnaires de cas complexes, demain les référents de parcours, aux éducateurs de jeunes enfants, aux métiers de la protection de l'enfance. Cette énumération n'est ni juste, ni exhaustive ; je souhaite uniquement montrer l'importance et l'ouverture de la négociation à venir.
Les perspectives de carrières sont larges puisque les titulaires du niveau licence pourront exercer jusqu'à la fonction de directeur dans les collectivités locales de moins de 150 000 habitants...
Enfin, il est possible aussi que l'on vous interroge sur la participation des personnes, que j'ai souhaité mettre en exergue du plan d'action.
Vous entendrez :
- Est-ce bien pertinent ? N'est-ce pas « gadget » ?
- Quelles implications cela aura sur nos métiers, sur notre formation ?
- Est-ce souhaitable qu'ils soient présents dans toutes les instances ? Comment nous, professionnels, on le prend en compte ?
Pour moi c'est une question centrale, une question démocratique car elle parle de pouvoir d'agir, de citoyenneté. Et pas seulement en théorie, mais en pratique.
Et pour que la parole des personnes, préparée et non médiatisée, soit au coeur de l'accompagnement, il faut qu'elle soit aussi au coeur de la formation. Il faut que les élèves soient à l'écoute de « l'expertise du vécu ».
Certains d'entre vous l'expérimentent déjà, à Lille par exemple, donc je compte sur vous pour convaincre vos collègues que c'est utile, et surtout, que c'est possible.
Si l'on veut qu'un conseil de vie sociale ne soit pas qu'un exercice imposé durant lequel on discute de la couleur des murs de la salle de télé, il faut aussi que les futurs professionnels soient convaincus de l'importance de la participation, qu'ils n'aient pas peur de là où cela peut les mener, mais ça veut dire aussi qu'il leur faut davantage d'outils de travail social collectif.
Voilà ce que vous pourrez répondre à vos étudiants pour qu'ils puissent sereinement et avec confiance poursuivre ou entamer leur formation. J'espère pouvoir compter sur vous.
A présent, c'est vous en tant que responsables que je voudrais rassurer.
Vous rassurer d'abord sur la réforme ambitieuse de l'appareil de formation que nous impulsons.
Certains m'ont interrogée : nous avons 5 ans pour nous adapter à un cahier des charges, d'accord. Mais tout ne dépend pas de nous : que se passera t-il si nous n'y arrivons pas ?
A cela, je veux répondre que c'est une évolution nécessaire et que collectivement nous ferons en sorte qu'elle soit possible. C'est une réforme nécessaire pour passer le cap de la catégorie A et des passerelles avec l'université que nous appelons de nos voeux pour rehausser l'ensemble du travail social et lui donner des perspectives. Avec les régions, nous avancerons sans brutalité, mais avec détermination.
L'élaboration d'un cahier des charges commun, synonyme de qualité et d'homogénéité des diplômes d'Etat est un prérequis pour que l'école puisse former à l'équivalence licence.
Ce cahier des charges seront au plus tard disponible en 2018. Le processus de labellisation pourra alors débuter pour s'étaler sur 3 ans.
Mais c'est aussi et surtout que l'on doit aux personnes : l'assurance d'avoir des professionnels bien formés pour mettre en oeuvre les politiques sociales.
La réforme sera donc collective, obligatoirement : tous les établissements devront se conformer au cahier des charges au terme des 5 ans, afin de pouvoir délivrer des diplômes d'Etat, avec l'équivalence universitaire correspondante. Ceux qui ne le pourront ou ne le voudront pas, délivreront alors des diplômes de leur école uniquement. Mais, avec le délai de 5 ans, nous vous donnons le temps nécessaire pour vous mettre en conformité.
J'ai bien conscience que, pour un certain nombre d'établissements, cela demandera un soutien particulier. N'en doutez pas, avec les Régions nous nous donnerons les moyens d'accompagner cette évolution déterminante.
Vous rassurer, ensuite, sur la recherche. Avec cette question qui peut être la vôtre : est-ce que la création prévue d'une « école supérieure en intervention sociale » va assécher la recherche dans nos établissements de formation ?
Notre intention est évidemment tout autre : il ne s'agit en aucun cas de brider ou de concurrencer ce qui existe déjà dans de nombreux IRTS, au contraire. Nous souhaitons favoriser la recherche, l'aider à se structurer, à se développer, en utilisant toutes les disciplines universitaires qui concourent à la réflexion sur l'intervention sociale.
C'est avec pragmatisme et ambition que nous voulons procéder, avec l'aide du ministère de l'enseignement supérieur.
L'idée est de sélectionner un chercheur reconnu, français ou étranger, et de lui confier la mission de composer une équipe de recherche pluridisciplinaire avec des moyens dédiés (bourses, thésards..) pour structurer en France le domaine de la recherche en intervention sociale. Le terme d' « Ecole supérieure » que nous avons choisi est délibérément ouvert pour matérialiser cette idée de réseau avec les différentes écoles (EHESS, EHESP, CNAM), universités et instituts. C'est donc un premier pas pour enclencher un processus qui permettra de donner ses lettres de noblesses universitaires à la recherche dans le domaine du travail social. Et avec elle un gage de crédibilité et d'attractivité.
Enfin, je voudrais vous dire un mot concernant la formation continue, car c'est un sujet déterminant. Formation initiale et formation continue doivent être pensées de façon complémentaire dans cette réforme que nous amorçons.
On a trop tendance à tout ramener à la formation initiale, alors que les jeunes qui sont diplômés aujourd'hui commencent une carrière de 40 ans dans le secteur qu'ils ont choisi. La société va évoluer en 40 ans, ainsi que nos politiques sociales. Les professionnels vont évoluer également, dans leurs envies, leur capacité physique, leur disponibilité, leurs ambitions professionnelles.
En France, vous le savez, la formation professionnelle continue est de la responsabilité des partenaires sociaux. C'est donc à eux de continuer à former les salariés pour suivre l'évolution des connaissances, et de la société.
Le rapport de Brigitte Bourguignon a tiré la sonnette d'alarme sur le sujet, et je l'en remercie. Je souhaite donc que désormais l'Etat s'engage aux côtés des partenaires sociaux, afin de définir, avec eux, des priorités nationales en matière de formation continue.
Voilà le défi qui s'offre à nous, mesdames et messieurs. Il est dicté par une ambition collective, qui est de donner aux politiques sociales les professionnels dont elles ont besoin.
Je ne mésestime pas les difficultés qu'il va falloir surmonter, mais je sais aussi qu'il y a les ressources nécessaires, au sein des établissements que vous présidez ou que vous dirigez, pour relever ce défi. Je sais aussi que je pourrais compter sur l'implication forte de l'UNAFORIS, qui a été à nos cotés tout au long de ces deux années d'états généraux, afin de faire entendre votre voix.
Votre rôle est immense, je le disais d'emblée, mais tout le travail social ne repose pas non plus sur vos épaules.
Il est de ma responsabilité de mobiliser les employeurs, les syndicats, les organisations professionnelles, les collectivités locales ainsi que tous les ministères pour qu'ensemble nous redonnions force et dynamisme au travail social.
Au niveau national, pour l'impulsion et le cadrage, mais aussi au niveau régional et départemental, pour que la formation soit bien un outil commun et partagé pour le développement social.
Je vous remercie.
Source http://www.etes.fr, le 3 décembre 2015