Déclaration de Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées et à la lutte contre l'exclusion, sur les enjeux sociaux liés au réchauffement climatique, Paris le 9 décembre 2015.

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Alors que les négociations engagées dans le cadre de la COP21 se terminent et qu'un accord se profile au Bourget, nous sommes ici pour évoquer les enjeux sociaux du réchauffement climatique.
* Le social est au cœur du développement durable
Dois-je rappeler que le social est le troisième pilier du développement durable ? C'est même je dirai le premier des piliers, car si c'est bien sûr l'avenir de notre planète qui est en jeu, ce sont aussi et surtout des vies humaines dont nous parlons. Celles-ci sont impactées par la façon dont nous gérons nos ressources : c'est vous, moi, vos enfants et nos futurs petits-enfants qui sommes en réalité les premiers concernés.
En 1987, Mme Gro Harlem Brundtland, Première Ministre de la Norvège, définissait déjà le développement durable comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ».
Aujourd'hui, la menace est devenue plus que réelle, et le constat est partagé par tout le monde : ainsi plusieurs centaines de millions de personnes vivent aujourd'hui dans des zones situées à moins de 1mètre au-dessus du niveau de la mer, qui pourraient être totalement immergées d'ici 2 100.
Alors nous espérons tous que l'accord qui sera signé sera ambitieux, universel, contraignant… Mais au-delà des engagements des chefs d'Etat, nous devons également nous engager individuellement et collectivement dès à présent, pour faire évoluer notre modèle de société, et nos comportements. Mais comment faire, par où commencer ?
Ma conviction, c'est que nous devons nous donner des objectifs concrets, à moyen et long terme bien sûr, mais également à court terme, afin que l'on puisse se rendre compte de l'impact de nos propres actions : cela donne du cœur à l'ouvrage !
*Rendre notre modèle de société plus efficace et plus équitable
Mais si l'objectif est clair, les chemins sont multiples pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Que faire ? Produire moins ? Consommer moins ? Eviter de nous déplacer ? Je ne crois pas : je ne suis pas une adepte de la décroissance, car mes valeurs sont celles du progrès social et de l'équité, mais certainement pas du nivellement par le bas, car cela retentit toujours sur les plus pauvres.
Ma conviction est en réalité que la lutte contre les inégalités est au contraire un moteur de progrès social et économique. Le FMI et l'OCDE l'ont récemment démontré : les sociétés moins inégalitaires sont également plus dynamiques sur le plan économique. Mais comment peut-on réduire efficacement ces inégalités ? En mettant en œuvre des mécanismes de redistribution qui permettent de mieux répartir nos richesses ? C'est une réponse évidemment, mais qui n'est pas suffisante à mon sens, car elle ne s'attaque pas réellement aux causes des inégalités.
Je vais vous le dire sans détour, car le sujet est important : il faut traiter le mal à la racine ! Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut faire évoluer nos comportements et agir de façon structurelle, et donc durable, sur notre modèle de société, afin de le rendre plus efficace et plus équitable.
De quoi s'agit-il ? Je veux vous donner des exemples précis, pour illustrer mon propos.
* Lutter contre le gaspillage alimentaire
Je veux évoquer en premier lieu la lutte contre le gaspillage alimentaire, qui conduit à des situations absurdes : alors que près de 4 millions de personnes sont bénéficiaires de l'aide alimentaire, plus de 7 millions de tonnes d'aliments sont jetés chaque année en France. À l'échelle mondiale, on estime que près de 50% de la production alimentaire est gaspillée, perdue ou jetée entre le champ et l'assiette. Ce n'est pas raisonnable !
Pour inverser cette tendance, un pacte « Anti gaspi » a été lancé en juin 2013 par le ministère de l'Agriculture. Son objectif est de réduire de moitié le gaspillage alimentaire en France d'ici à 2025. Concrètement, nous avons mis en place, avec Stéphane Le Foll, des mécanismes de défiscalisation pour encourager les producteurs à donner leurs invendus à des associations, qui les redistribuent par la suite aux personnes en difficultés : les œufs et le lait sont d'ores et déjà défiscalisés, c'est en cours pour les fruits et légumes.
Cet exemple montre que nos comportements peuvent évoluer : chacun d'entre nous peut agir en ce sens, mais c'est également le rôle des pouvoirs publics (Etat et collectivités) de créer les conditions pour que ces évolutions soient systématiquement encouragées, facilitées, et accélérées. Nous y travaillons !
* Lutter contre la précarité énergétique
Je veux également évoquer la lutte contre le gaspillage énergétique lié au logement. Nous le savons, le secteur résidentiel est responsable d'environ 15% des émissions nationales de gaz à effet de serre (GES), dont 60 % sont liés au chauffage. Mais le coût environnemental a également un coût social pour les ménages modestes qui habitent des logements en mauvais état, qui sont de ce fait plus couteux à chauffer.
La rénovation de l'habitat est donc un levier essentiel pour diminuer les émissions et faire baisser dans le même temps les factures énergétiques des ménages. La loi pour la transition énergétique et la croissance verte a ainsi fixé comme objectif de rénover 500 000 logements par an à compter de 2017. Les rénovations seront notamment financées via les éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) [destiné aux propriétaires dans une limite de 30 000 euros maximum. En 2014, environ 31 000 éco-PTZ ont été distribués aux particuliers], dont l'accès sera prochainement simplifié, en particulier pour les ménages modestes qui sont accompagnés par l'Agence nationale de l'habitat (Anah).
Mais la rénovation des bâtiments doit aller de pair avec une évolution des comportements et de tous les gestes du quotidien qui permettent de réduire sa consommation de fioul, de gaz, d'électricité… Pour cela, il faut informer et sensibiliser largement les personnes. Le programme Facile@vivre, soutenu par la fondation Face, est de ce point de vue intéressant : des appartements pédagogiques, réels ou virtuels, visent ainsi à sensibiliser aux écogestes, et à leur impact direct et immédiat sur les factures. Nous pouvons également nous appuyer sur les outils numériques et domotiques, qui permettent de réguler automatiquement notre consommation, tels les compteurs électriques intelligents, qui seront déployés progressivement.
On le voit à nouveau à travers cet exemple : agir en faveur de l'environnement, c'est également agir sur la situation sociale des ménages.
* Progrès social, développement social et investissement social
Mais nous devons aller plus loin. Car le rôle du politique, c'est de donner un cap et une ambition collective : ce cap, celui qui anime la gauche : c'est le progrès social et la lutte contre les inégalités.
Une récente étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), réalisée pour le compte de l'Observatoire Nationale de la Pauvreté et de l'Exclusion Sociale (l'ONPES), visait ainsi à évaluer le coût économique et social du mal-logement. Elle conclut à un impact significatif des conditions de logement tant sur la réussite scolaire des élèves que sur la probabilité de retrouver un emploi ou sur la perception de son état de santé. A titre d'exemple, entre 8% et 10% du retard scolaire serait en partie expliqué par des conditions de logement dégradées.
Ce constat renforce ma conviction qu'il faut compléter nos politiques de protection sociale par des politiques d'investissement social et de développement social. Le développement social, qui est le pendant du développement économique, consiste à agir sur l'environnement des personnes afin de favoriser leur autonomie. Elle suppose que le social ne soit plus cantonné aux seules « affaires sociales » mais qu'il soit relié à l'ensemble des politiques publiques qui y concourent : emploi, formation, logement, transports…
Ces politiques de développement social ne sont pas uniquement un coût. Elles rapportent : il s'agit en réalité de politiques d' « investissement social », utiles aux individus et à la société, car ces politiques évitent des dépenses sociales. En agissant sur l'environnement social des personnes, elles contribuent à la prévention des difficultés sociales (qui font que certaines personnes se retrouvent à la rue, perdent leur emploi…) et améliorent l'accompagnement lorsque ces ruptures n'ont pas pu être évitées.
Pour que cette conviction et cette orientation soit partagée et soutenue par le plus grand nombre, il nous faut cependant faire la démonstration que les dépenses sociales ne sont pas seulement une charge, mais bien un investissement pour l'avenir : faire la preuve de leur efficacité, et même de leur « rentabilité ». C'est le sens de la fondation pour l'investissement public-privé en faveur du développement social que j'ai souhaité lancer, en partenariat avec la fondation FACE. Cette fondation a pour objectif de favoriser l'investissement social, et d'en mesurer l'impact et le niveau de « retour sur investissement », au plan social mais aussi économique.
C'est également l'esprit de la loi du 13 avril 2015 visant à la prise en compte des « nouveaux indicateurs de richesse » dans la définition des politiques publiques. Cette loi oblige désormais le Gouvernement à remettre chaque année au Parlement un rapport présentant l'impact des principales réformes engagées ou envisagées sur les inégalités, la qualité de vie et le « développement durable ».
Les impacts qui seront mesurés dans ce cadre seront de nature, j'en suis convaincue, à inciter davantage d'acteurs publics et privés à se mobiliser de façon collective, pour mettre en œuvre des politiques partenariales de développement social.
Le cap est fixé, il faut désormais tous nous mobiliser pour être les ambassadeurs du développement social et de l'investissement social, afin que la France soit un pays moteur en la matière.
Je vous remercie.
source http://www.social-sante.gouv.fr, le 14 décembre 2015