Texte intégral
Je tiens tout d'abord à remercier très vivement chacun d'entre vous, en mon nom et au nom du Premier ministre, d'avoir accepté de consacrer un peu et sans doute un peu plus qu'un peu, vu les délais contraints qui sont impartis - de votre temps à cette mission qu'a souhaitée mettre en place le Premier ministre.
Je remercie aussi vos institutions respectives d'avoir accepté que vous preniez ce temps.
La mission que vous allez mener pendant ces semaines est à mes yeux tout à fait essentielle.
Tout d'abord, parce qu'elle marque, en méthode, une innovation importante. Je crois bien que c'est la première fois qu'est menée une telle entreprise : réunir les personnes les plus incontestables dans le domaine du droit du travail et leur demander de réfléchir aux grands principes qui régissent ce droit.
Ensuite, et c'est encore plus important, bien sûr, parce qu'elle est d'une importance majeure sur le fond dans le cadre de la réforme du code du travail que le Premier ministre a annoncée.
Vous le savez, il y aura, à long terme (c'est-à-dire à horizon de deux ans), la réécriture intégrale du code du travail, qui sera menée par une commission spécifique qui sera mise en place en 2016.
Il y a aussi, immédiatement, dans le projet de loi que je présenterai en conseil des ministres en mars prochain, la réécriture de tout le chapitre consacré au temps de travail. Nous avons choisi à dessein ce thème, car il touche aux préoccupations concrètes des salariés et des employeurs au quotidien et que la place de la négociation d'entreprise y apparaît comme évidente. Cette réécriture sera un peu la démonstration grandeur nature, sur une partie du code du travail, de ce que la future commission sera chargée de faire sur l'ensemble de ce code.
Cette réécriture suivra deux fils rouges :
* une architecture nouvelle, fondée sur trois « niveaux» : l'ordre public avec toutes les normes auxquelles il n'est pas possible de déroger ; puis tout ce qui est renvoyé à la négociation ; enfin, les dispositions supplétives qui s'appliquent en l'absence d'accord.
* une philosophie claire, conforme aux préconisations du rapport de Jean-Denis Combrexelle, consistant à donner beaucoup plus de place à la négociation collective, de branche et d'entreprise.
La conviction du gouvernement et du président de la République, c'est que le dialogue social au plus près du terrain est le moyen le plus efficace pour permettre les adaptations souhaitées par les acteurs.
Alors vous me direz, que vient faire la définition des grands principes dans tout cela ? Je vous accorde qu'il peut y avoir une forme de paradoxe, au moment où le gouvernement affirme sa volonté de renvoyer davantage de choses à la négociation, à vouloir écrire de nouvelles règles, de nouveaux principes dans la loi.
En réalité, dans mon esprit et dans celui du Premier ministre- il s'agit de deux mouvements indissociables. Si l'on veut donner plus de place à la négociation, il faut être « solide sur ses bases » si vous me permettez cette expression. Il faut clairement affirmer qu'il y a des choses auxquelles l'accord ne pourra pas déroger.
Et, dans des temps où l'impression domine dans la société, parfois à juste titre, que l'environnement change très vite, que le droit du travail n'est plus assez protecteur (je pense notamment à l'irruption du numérique dans le monde du travail) qu'il appelle de nouvelles régulations, cela a du sens en soi de réaffirmer les valeurs qui sont en quelque sorte notre socle républicain en matière de droit du travail. Car la République, comme l'affirme l'article 1er de notre Constitution, est aussi sociale !
Il ne s'agira pas, pour définir ce socle, de recopier les principes conventionnels ou constitutionnels (et encore moins d'y toucher, car il est clair qu'il n'y aura pas de révision constitutionnelle sur ce sujet) même s'ils auront évidemment leur place dans vos travaux.
Il ne s'agira pas non plus, à l'inverse, de créer des principes ex nihilo. Non, il s'agira d'identifier dans le corpus existant, d'en extraire, les principes les plus importants de notre droit du travail, un peu à la façon du juge qui dégage un principe fondamental reconnu par les lois de la République, qu'il décèle et « reconnaît » parmi le corpus des normes existantes.
Pour mener à bien ce travail, vous aurez à mon sens à vous prémunir d'un écueil et à résoudre un paradoxe.
L'écueil, ce serait de penser ces principes comme des principes autosuffisants du droit du travail. Les principes que vous allez dégager, ce sont les principes les plus importants, les plus indiscutables du droit du travail. Ils ne constituent cependant pas tout ce qui sera « l'ordre public » car il faudra qu'ils soient immédiatement complétés par des dispositions législatives qui les déclineront, qui leur donneront de la chair, et auxquelles il ne sera pas non plus possible de déroger. Ce sera le travail du législateur et de l' « autre » commission, pas le vôtre. Mais je pense qu'il est important que vous le gardiez à l'esprit, à la fois pour la cohérence des travaux menés et pour que la démarche soit comprise à l'extérieur, pour éviter toute polémique sur le thème du « détricotage » du code du travail.
Ce que j'attends de vos travaux, c'est de nous aider à poser à travers ces principes le soubassement sur lequel nous écrirons ensuite l'ensemble de l'ordre public en matière de droit du travail.
Le paradoxe à résoudre, ou du moins l'équilibre à trouver, tient à une tension que j'entrevois déjà, qui ne va pas manquer d'apparaître entre, d'une part, la recherche de principes fondamentaux, forcément en nombre limité, consensuels et susceptibles de résister aux alternances politiques et, d'autre part, la nécessité que ces principes ne soient pas tellement généraux et éthérés qu'ils apparaissent comme purement déclaratoires. Nous manquerons le but recherché si, au lieu de réaffirmer les garanties essentielles et de rassurer sur leur préservation, le travail conduit créait des craintes plus fortes encore. Il y a là une voie étroite à tracer, un équilibre à trouver
Je ne doute pas que vous saurez le trouver. Mais dans ce travail, je voudrais vous assurer de l'appui de cabinet et des équipes de la direction générale du travail qui sont à votre disposition. Et bien sûr, vous êtes ici chez vous rue de Grenelle le temps que ces travaux dureront. Je vous propose si vous en êtes d'accord que nous travaillions en lien étroit, à la fois pour tenir les délais impartis la remise de vos travaux est prévue pour la mi-janvier- et pour éviter des contradictions entre les travaux que nous conduirons en parallèle sur le temps de travail, la place de l'accord collectif, et ceux que vous mènerez de votre côté lorsque vous aborderez ces sujets.
J'espère ne pas avoir été trop longue. Je vous redis ma gratitude de vous voir réunis pour mener ce travail, et vous souhaite de bonnes et fructueuses semaines de travail !
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 27 novembre 2015