Texte intégral
JEFF WITTENBERG
Bonjour à tous, bonjour à vous Laurence ROSSIGNOL.
LAURENCE ROSSIGNOL
Bonjour.
JEFF WITTENBERG
Avant d'évoquer les dossiers dont vous avez la charge, une question d'actualité bien entendu. Vous êtes membre du gouvernement, comprenez-vous l'émotion suscitée notamment à gauche, dans les associations, par finalement le maintien de cette déchéance de nationalité par le gouvernement à la surprise générale hier et qui a provoqué notamment une question autour de madame TAUBIRA ? Comprenez-vous l'émotion ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Bien sûr je la comprends, d'autant plus que cette mesure a une dimension symbolique forte, bien davantage qu'une dimension pratique, concrète. Donc c'est le symbolique qui fait le débat aujourd'hui. Peut-être c'est l'occasion de préciser pour ceux qui nous écoutent que les milliers de binationaux qui vivent tranquillement en France, ou même qui sont contrevenants à la loi, qui seraient même un peu délinquants, ne seront pas concernés par cette mesure puisqu'elle ne visera que ceux qui ont été définitivement condamnés pour un crime contre la vie de la nation.
JEFF WITTENBERG
Mais la gauche n'avait jamais défendu une telle mesure.
LAURENCE ROSSIGNOL
La gauche n'avait jamais défendu une telle mesure, mais la gauche n'avait pas non plus prévu qu'elle aurait affaire à la situation que nous connaissons aujourd'hui : des actes terroristes extrêmement violents et une menace terroriste qui perdure aujourd'hui et qui met le gouvernement dans une obligation aujourd'hui à la fois de faire face, de lutter contre le terrorisme, mais aussi de dire aux Français que le gouvernement fait tout pour que ça ne se reproduise pas.
JEFF WITTENBERG
Manuel VALLS dans son intervention hier a aussi évoqué un chiffre, celui de mille personnes, mille Français, qui seraient partis faire le jihad en Syrie et en Irak. Vous qui avez en charge les familles, on le disait, est-ce que vous constatez ce phénomène aujourd'hui, cette accélération du nombre de jeunes qui partent faire le jihad ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui. Ce qu'on constate, c'est une accélération de la radicalisation qui d'ailleurs va très vite dans un processus individuel. Au moment où les jeunes, ou les femmes, ou les hommes même plus âgés se convertissent ou se radicalisent, les processus sont extrêmement rapides et laissent les familles très désemparées.
JEFF WITTENBERG
Alors que fait le gouvernement très concrètement ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Aujourd'hui ce que nous faisons, c'est que nous accompagnons les familles qui ont été victimes elles aussi du djihadisme parce que leurs enfants sont partis, se sont radicalisés, souvent d'ailleurs nombreux sont morts là-bas. Ces familles-là, nous les aidons aujourd'hui à se constituer en collectifs, en associations. C'est bon pour elles, ça leur permet de réparer une partie de leurs souffrances mais surtout, c'est bon pour nous tous parce que ces familles ont acquis un savoir expérientiel extrêmement important et elles vont être utiles à d'autres familles. Elles savent repérer les petits signes de radicalisation. Quand une jeune fille cesse de prendre soin de son apparence physique, quand les habitudes alimentaires se mettent à changer très vite, elles sont en situation de dire aux parents, aux autres : « Attention, là il faut réagir ».
JEFF WITTENBERG
Madame ROSSIGNOL, on a vu récemment, les téléspectateurs ont vu notamment des petits films où des mères de famille ou des familles parlaient de leur enfant, racontaient leur expérience dans un grand bouleversement, mais est-ce que cela a eu une quelconque conséquence ? Est-ce que finalement cela a fait réfléchir d'autres familles et empêché d'autres départs pour le jihad ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ça a alerté les familles et ça leur a permis en plus de savoir qu'elles n'étaient pas seules, qu'elles n'étaient pas isolées dans leurs interrogations et dans leur besoin d'intervenir, d'agir pour ramener leurs enfants dans la famille. Ça a déjà cette vertu-là. Ça leur permet aussi d'identifier ce que je disais à l'instant : les signes de radicalisation. Parce que souvent, ce dont on s'aperçoit quand on discute avec les familles qui ont connu cette souffrance, c'est qu'elles sont passées à côté de signes. Elles ont mis ça sur le compte d'une crise d'adolescence.
JEFF WITTENBERG
Est-ce que les familles sont assez informées du problème justement ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Il y a l'information qui vient par les canaux gouvernementaux, par la parole publique et puis il y a l'information que diffusent les autres familles. Il y a tout ce savoir que l'on partage et qui permet aujourd'hui de créer un grand réseau qui va justement être utile pour toutes ces familles, pour qu'elles sachent à quel moment elles doivent appeler le numéro vert, faire intervenir les préfectures, la police mais aussi l'accompagnement auprès de ces familles. Qu'est-ce qu'il faut faire, comment je maintiens le lien avec mes enfants. Parce qu'en fait, quand ce sont des adolescents, ce que l'on sait d'un adolescent en crise ou en dérive, qu'il faut toujours maintenir le lien, jamais perdre le contact, ça marche pour un jeune toxicomane, ça marche pour un jeune qui est dans l'embrigadement sectaire et ça marche aussi pour un jeune qui se radicalise.
JEFF WITTENBERG
Un tout autre sujet, beaucoup plus joyeux évidemment. Nous sommes la veille de Noël, ce soir c'est la fête des enfants qui, on l'espère pour la plupart d'entre eux, vont recevoir des cadeaux. Il y a un débat qui monte d'année en année, c'est finalement la différenciation selon le sexe des jouets que l'on doit offrir. Vous n'avez sans doute pas échappé à une campagne de publicité que fait un grand distributeur sur le fait qu'il ne fait plus de distinction entre les jouets pour les filles, les jouets pour les garçons au grand dam d'associations comme La Manif pour Tous qui y voit encore une progression de la théorie du genre. Quelle est, vous, votre position en tant que secrétaire d'Etat à la famille ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je ne vois pas pourquoi ça heurte des associations. On peut être attaché à la famille et à ses valeurs et constater pour autant que dans la famille la répartition des rôles n'est toujours pas égalitaire. Donc que l'on montre qu'un bon marketing, un marketing qui est plein de bonnes intentions montre un petit garçon en train de faire la dînette ou une petite fille en train de conduire un train, c'est parfait parce qu'un jour, quand ils seront grands, ce sera bien que le petit garçon fasse la cuisine à la maison, et la petite fille pourra accéder à des métiers qui ont été traditionnellement des métiers de garçon. Donc il n'y a pas de quoi relancer une polémique. On est tous pour l'égalité entre les filles et les garçons et ça se construit dès l'enfance.
JEFF WITTENBERG
Mais l'égalité n'induit pas tout de même des différences aussi ? N'est-il pas normal après tout que les garçons préfèrent jouer comme vous le disiez, mais aussi peut-être à des jeux qui ressemblent plus à la guerre ? Que les filles jouent plus à la poupée ? Si on mélange tout, vous ne pensez pas que ça peut éventuellement aussi tout mélanger dans la tête des parents ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais la différence n'induit pas non plus les inégalités, parce que ces petits jeux d'enfant, ces petits conditionnements des filles ou des garçons, quand ils seront grands, ça amènera des grosses inégalités : les inégalités de salaires, les inégalités professionnelles, les inégalités
JEFF WITTENBERG
Ça se décide dès la petite enfance ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ça se construit et beaucoup de parents d'ailleurs élèvent leurs enfants, filles et garçons, dans l'égalité des rôles. Je connais peu de familles qui aujourd'hui disent à leurs enfants : « Débarrasser la table c'est pour les filles, et pendant ce temps-là les garçons peuvent aller jouer ». Tous les parents disent : « Débarrasser la table, contribuer aux tâches ménagères à la maison, c'est pour les filles et également pour les garçons », parce que les parents veulent pour leurs enfants, pour leurs filles comme pour leurs garçons, la meilleure vie quand ils seront grands, donc l'égalité professionnelle et l'égalité dans la famille du partage des tâches parce que c'est très lourd pour les femmes de devoir travailler et continuer de porter toute seule à la maison le quotidien de la matérialité domestique.
JEFF WITTENBERG
Très bien, on a entendu votre discours. Merci beaucoup, Laurence ROSSIGNOL.
LAURENCE ROSSIGNOL
Et bon Noël et bonnes fêtes à tous.
JEFF WITTENBERG
Bonne journée à vous.
Source Service d'information du Gouvernement, le 24 décembre 2015