Texte intégral
Monsieur le Maire,
Monsieur le Premier ministre, cher Tony Blair,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Résidence préférée de Charlemagne, capitale de son empire, théâtre de traités de paix qui façonnèrent notre continent, trésor architectural où s'enchâsse la Chapelle Palatine, cité meurtrie par deux guerres mondiales qui furent avant tout des désastres européens, Aix-la-Chapelle est une des villes où souffle l'esprit de l'Europe.
En 1949, puisant à l'inspiration de ce passé, fiers de la vocation de leur ville à "servir de médiateur au-delà des frontières", des citoyens d'Aix-la-Chapelle ont créé un prix afin de distinguer celles et ceux qui oeuvreraient au renouveau et à l'union de l'Europe. C'est tout naturellement que cette distinction emprunta son nom à l'empereur Charlemagne, que les poètes du Moyen-Age saluaient, comme le pater Europae - cet empereur, dont vous pensez qu'il est allemand et dont nos écoliers apprennent qu'il est français -. Certes, cette "première Europe" n'avait pas résisté à la mort de l'Empereur, unie par la violence de cinquante-trois campagnes militaires. Mais de cet épisode subsistait l'idéal d'un continent réconcilié.
C'est pourquoi la "Proclamation" établissant le Prix Charlemagne mettait l'accent sur "le problème de l'union européenne". Un demi-siècle plus tard, la "résolution" de ce "problème" est en bonne voie. Et s'il y a lieu de penser qu'il nous faudra pour accomplir notre projet encore bien plus de sommets européens que Charlemagne ne disputa de batailles, chacun sent que l'oeuvre pacifiquement entreprise s'inscrira dans l'Histoire pour une durée sans équivalent.
Mesdames et Messieurs,
Vous l'avez compris : je suis très heureux - et fier - d 'être avec vous afin de participer à la remise d'un prix qui accompagne la marche de notre continent vers une union sans cesse plus étroite des peuples européens. Je tiens à remercier le maire d'Aix-la-Chapelle, Jürgen Linden, les membres du Jury et leur président, Walter Eversheim, de leur accueil si chaleureux.
Alcide de Gasperi, Jean Monnet, Konrad Adenauer, Paul Henri Spaak, George Marshall, François Mitterrand ou Helmut Kohl et Mme Simone Veil qui est ici : prestigieuse - et trop longue pour que je prenne le risque, en la citant in extenso, de prolonger à l'excès mon discours - est la liste des personnes honorées, année après année, par le Prix Charlemagne.
Je me réjouis que votre jury ait décidé cette année de désigner au nombre de ces personnes le Premier ministre britannique, Tony Blair, qui rejoint ainsi trois de ses illustres compatriotes : Winston Churchill, Edward Heath et Roy Jenkins.
La tradition veut que le récipiendaire choisisse un "parrain" pour l'accompagner lors de la remise de son prix. Je suis très honoré d'avoir pour "filleul" - pour une journée au moins - Tony Blair, même si notre différence d'âge autoriserait que cela dure plus longtemps. Avant, comme le veut l'usage, de le féliciter pour la distinction qui lui est décernée, je tiens à le remercier chaleureusement de m'avoir choisi.
Mesdames et Messieurs,
Que le Prix Charlemagne soit aujourd'hui décerné à Tony Blair me fait grand plaisir.
Tout d'abord, en raison de la relation amicale et confiante que nous entretenons. Des commentaires se sont essayés, un temps, à nous opposer en tous points, avant - sans craindre la contradiction - de souligner désormais à loisir nos convergences. La vérité est simple. Nous sommes tous deux social-démocrates. Nous sommes tous deux engagés dans la recherche de la modernité, dans une fidélité à nos valeurs que chacun fait vivre à sa façon Nous sommes tous deux profondément attachés à nos nations, mais aussi à la construction d'une Europe forte et unie. Nous sommes enfin, cher Tony Blair, je peux le dire, des amis. Nous avons noué des relations de qualité lors des rencontres officielles et, de façon plus informelle, lors des visites de l'un à Sedgefield et de l'autre de Cintegabelle. Nous échangeons ici une pinte de bière, là un verre de vin. Le citoyen français s'exprime en anglais, le sujet britannique répond en français - et nous rions l'un comme l'autre de nos maladresses linguistiques. Nous perpétuons ainsi, à notre manière, "l'Entente cordiale".
J'éprouve aussi le plaisir de voir rassemblés ce matin, sous le signe de l'union, un Allemand, un Anglais et un Français. Si l'Europe a longtemps mis aux prises des "ennemis héréditaires", ces prétendues "lois" de l'hérédité ont été depuis vaincues par une force supérieure encore : celle de la volonté politique qui a permis d'organiser une union entre Nations, librement consentie ; celle de la vision d'un continent réconcilié, apaisé, où la guerre entre ces nations qui se sont tant combattues est devenue inconcevable. Depuis le Traité de l'Elysée, signé en 1963 par le chancelier Adenauer et le général de Gaulle, l'Allemagne et la France forment un couple aussi uni que possible, forgé par une volonté politique jamais démentie, nourri d'échanges économiques croissants et renforcé par des relations culturelles toujours plus étroites Nous le ressentons toujours aussi profondément aujourd'hui avec le chancelier Gerhard Schröder.
Pour forte qu'elle soit, cette alliance n'est pas exclusive. La France entretient avec la Grande-Bretagne, outre le souvenir d'une rivalité ancienne mêlée d'admiration réciproque, l'attachement à une amitié traditionnelle et la conscience d'une vraie communauté de destin. C'est pourquoi j'ai apporté tout mon soutien aux initiatives franco-britanniques qui ont été prises dans des domaines aussi essentiels que la Défense à Saint-Malo ou les Affaires étrangères à Rambouillet. Et c'est conscient de la proximité de nos deux pays, de l'attachement réciproque de nos deux peuples que je tiens, cher Tony Blair, à vous témoigner de ma sympathie, au moment où un terrorisme abject vient de frapper si durement 1a ville de Londres.
Par-delà le plaisir que je ressens à "parrainer" Tony Blair, il y a la satisfaction de savoir ce prix pleinement mérité.
Parmi les hautes personnalités réunies aujourd'hui dans l'assistance, nombreuses sont celles qui savent comme moi combien, durant ce demi-siècle, fut délicate - voire difficile,- la relation entre les Etats continentaux à la recherche de l'union et la Grande-Bretagne, qu'une insulaire fierté amenait parfois à considérer - selon un sens des proportions qui n'appartient qu'à elle - les milliers de kilomètres de l'Océan atlantique comme un "pont", et les modestes 32 kilomètres de la Manche, au Pas-de-Calais, comme un infranchissable fossé...
"Wait and see" : ce précepte tout britannique traduit bien, en effet, l'attitude du Royaume-Uni à l'égard de l'Europe. Seize années séparent la création de la Communauté économique européenne de l'adhésion de la Grande-Bretagne ; onze années se sont écoulées ayant que celle-ci ne rejoigne le Système monétaire européen ; six années - seulement - séparent la rédaction de la Charte sociale de sa signature par le Royaume-Uni. Les délais se réduisent mais c'est grâce à vous, cher Tony Blair...
De ce bref rappel historique, un trait se dessine : quels que soient les détours empruntés, quel que soit le rythme suivi, la Grande-Bretagne finit toujours par rejoindre la route de l'Europe. Revenu parmi nous, Winston Churchill résumerait sans doute cette vision en adaptant sa formule célèbre : "l'Europe est le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres".
Pourtant, depuis deux ans, ce qui a frappé chacun de nous, c'est que les détours sont devenus plus rares, et que le rythme s'est accéléré. Tony Blair a su emporter l'adhésion de son peuple en expliquant que son pays ne pouvait pas rester "à la marge" de l'Union européenne. Le 24 mars 1998, de passage à Paris, il soulignait encore que l'avenir de la Grande-Bretagne est d'être "un partenaire à part entière de l'Europe".
Ce sont là des paroles dont tous les Européens de coeur se réjouissent. Le gouvernement travailliste actuel n'oublie peut-être pas le mot de Palmerston qui, s'exprimant en 1848 devant les Communes, déclarait : "Nous n'avons ni amis éternels, ni ennemis perpétuels. Seuls nos intérêts sont éternels et perpétuels". Mais le mérite - l'un des nombreux mérites - de Tony Blair est de savoir accompagner une majorité de ses compatriotes vers la prise de conscience que bien des intérêts britanniques exigent désormais un rapprochement avec l'Union européenne. Cette union européenne où vous n'avez que des amis.
Lorsque Tony Blair, le 2 mai 1997, a franchi le seuil du 10 Downing Street, c'est la Grande-Bretagne qui s'est engagée sur la route de l'Europe. Honorant l'engagement pris devant son peuple durant la campagne électorale du printemps 1997, il mettait un terme, dès le mois de juin, lors du Sommet d'Amsterdam, au refus obstiné du précédent gouvernement britannique de signer la charte sociale.
Nous avons tous apprécié la maîtrise avec laquelle ont été conduits les travaux communautaires lors de la présidence britannique de l'Union, au premier semestre 1998. Aujourd'hui, en particulier, les partenaires de Tony Blair mesurent le travail accompli auprès de ses compatriotes en faveur d'une étape essentielle de la construction européenne : la monnaie unique.
Observant avec attention le sort des onze Etats européens qui, depuis le 1er janvier 1999, ont fait de l'euro leur future monnaie unique, le Royaume-Uni s'interroge, débat, doute. Mais lequel de nos onze Etats, au seuil d'une décision si importante, ne s'est pas interrogé, n'a pas débattu, n'a pas - un temps au moins - douté ?
Chacun s'est réjoui d'entendre le Premier ministre britannique confirmer, lors du Sommet de Cardiff en juin 1998, que l'union monétaire était "le premier pas" vers la création des conditions assurant une longue période d'expansion économique en Europe.
Savez-vous, cher Tony Blair, que votre inspiration renoue avec celle d'un de vos compatriotes qui, comme vous aujourd'hui, a fait le voyage d'Aix-la-Chapelle ? Brillant représentant de la culture des Angles, Alcuin - de son nom latin Albinus Flaccus - fut appelé en 782 par Charlemagne afin de présider l'Ecole du Palais. Son biographe a dit de lui : docuit multos in Britannia - "il enseigna à beaucoup en Grande-Bretagne". Tel un moderne Alcuin, avec la conscience du Bénédictin qu'il était, semble t-il, encore que le point d'histoire soit discuté, vous enseignez à vos compatriotes le sens de l'Europe. Comme lui, vous parcourez notre continent, non d'abbayes en évêchés, mais de capitale en capitale, afin de contribuer au renouveau d'une communauté d'histoire et de culture.
Avec vous, cher Tony Blair, je forme le voeu que la Grande-Bretagne occupe au sein de l'Union européenne toute la place qui lui revient. Pas seulement parce que c'est là l'intérêt de votre pays, pas seulement parce que c'est là l'intérêt de l'Europe, mais aussi parce que l'Europe a besoin du génie national des Britanniques.
Nous voulons que l'Europe soit un espace de croissance, où des entreprises en expansion offrent du travail à tous, afin que le chômage et la misère reculent :
J'appelle à des alliances industrielles qui rassemblent nos entreprises notamment britanniques, allemandes et françaises pour unir leurs forces, concevoir de nouveaux produits et affronter la concurrence d'un monde en pleine globalisation.
Nous voulons que l'Union européenne soit plus démocratique. Le rôle du Parlement doit y être considérablement renforcé : la tradition parlementaire de votre pays poussera en ce sens.
Nous voulons que l'Europe ait les moyens d'assumer ses responsabilités sur la scène internationale : la Grande-Bretagne - dont la capacité militaire, la présence dans le monde et l'expérience diplomatique sont des atouts reconnus - peut avec nous y contribuer.
Nous voulons que l'Europe préserve et développe la civilisation dont elle est l'écrin. Cette civilisation, qui attache le plus grand prix aux oeuvres de l'esprit, et qui est elle-même une oeuvre de l'esprit, fait de la diversité une richesse : une diversité dont la culture, les cultures, du Royaume-Uni sont des facettes précieuses. Cette civilisation se fonde aussi sur la paix : je veux rendre hommage à l'oeuvre de paix que vous accomplissez en Irlande du Nord, appuyant les efforts de votre secrétaire d'Etat, Mo Mowlan, pour préparer la réconciliation de communautés déchirées par l'Histoire.
La paix au sein de notre Union ne suffit pas si elle coexiste avec la violence au-delà des frontières de l'Union. Tony Blair s'est rendu à Skopje le 3 mai. J'y étais la veille. Comme moi, il a été profondément frappé par la détresse des femmes et des hommes kosovars déportés par le régime de Belgrade. Il a pris toute la mesure, à travers les témoignages déchirants qui lui ont été rapportés, des atrocités, de l'infamie, de la barbarie dont se rend coupable le régime de Belgrade. N'ayons pas peur de mots : des crimes contre l'humanité sont perpétrés au coeur de l'Europe.
C'est donc un combat pour la civilisation, pour notre civilisation européenne, que nous menons. Un combat qui emploiera la force jusqu'à ce que puissent reprendre les négociations qui, seules, sont de nature à dessiner une solution politique de long terme.
Alors viendra la tâche la plus difficile : construire la paix. Une paix durable pour tous les Balkans, non un cessez-le-feu localisé, Une paix qui soit la liberté retrouvée des peuples. Une paix qui ne soit pas un répit accordé aux tyrans. Une paix qui porte la réconciliation des nations, non l'absolution des puissants.
Mesdames et Messieurs,
Ici, à Aix-la-Chapelle, perpétuant le voeu énoncé en 1949 par les citoyens de la ville, nous honorons un homme d'Etat qui montre, si besoin était, que l'on peut être profondément attaché à sa patrie et vouloir une Europe unie.
Cher Tony Blair, permettez-moi, au moment ou le Prix Charlemagne va vous être remis, de former un voeu : que vous voyiez dans cette prestigieuse distinction la juste récompense de votre action, mais aussi une invitation à continuer de servir notre idéal commun. Celui d'une Europe forte, solidaire, unie et tournée vers l'avenir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr le 18 mai 1999)
Monsieur le Premier ministre, cher Tony Blair,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
Résidence préférée de Charlemagne, capitale de son empire, théâtre de traités de paix qui façonnèrent notre continent, trésor architectural où s'enchâsse la Chapelle Palatine, cité meurtrie par deux guerres mondiales qui furent avant tout des désastres européens, Aix-la-Chapelle est une des villes où souffle l'esprit de l'Europe.
En 1949, puisant à l'inspiration de ce passé, fiers de la vocation de leur ville à "servir de médiateur au-delà des frontières", des citoyens d'Aix-la-Chapelle ont créé un prix afin de distinguer celles et ceux qui oeuvreraient au renouveau et à l'union de l'Europe. C'est tout naturellement que cette distinction emprunta son nom à l'empereur Charlemagne, que les poètes du Moyen-Age saluaient, comme le pater Europae - cet empereur, dont vous pensez qu'il est allemand et dont nos écoliers apprennent qu'il est français -. Certes, cette "première Europe" n'avait pas résisté à la mort de l'Empereur, unie par la violence de cinquante-trois campagnes militaires. Mais de cet épisode subsistait l'idéal d'un continent réconcilié.
C'est pourquoi la "Proclamation" établissant le Prix Charlemagne mettait l'accent sur "le problème de l'union européenne". Un demi-siècle plus tard, la "résolution" de ce "problème" est en bonne voie. Et s'il y a lieu de penser qu'il nous faudra pour accomplir notre projet encore bien plus de sommets européens que Charlemagne ne disputa de batailles, chacun sent que l'oeuvre pacifiquement entreprise s'inscrira dans l'Histoire pour une durée sans équivalent.
Mesdames et Messieurs,
Vous l'avez compris : je suis très heureux - et fier - d 'être avec vous afin de participer à la remise d'un prix qui accompagne la marche de notre continent vers une union sans cesse plus étroite des peuples européens. Je tiens à remercier le maire d'Aix-la-Chapelle, Jürgen Linden, les membres du Jury et leur président, Walter Eversheim, de leur accueil si chaleureux.
Alcide de Gasperi, Jean Monnet, Konrad Adenauer, Paul Henri Spaak, George Marshall, François Mitterrand ou Helmut Kohl et Mme Simone Veil qui est ici : prestigieuse - et trop longue pour que je prenne le risque, en la citant in extenso, de prolonger à l'excès mon discours - est la liste des personnes honorées, année après année, par le Prix Charlemagne.
Je me réjouis que votre jury ait décidé cette année de désigner au nombre de ces personnes le Premier ministre britannique, Tony Blair, qui rejoint ainsi trois de ses illustres compatriotes : Winston Churchill, Edward Heath et Roy Jenkins.
La tradition veut que le récipiendaire choisisse un "parrain" pour l'accompagner lors de la remise de son prix. Je suis très honoré d'avoir pour "filleul" - pour une journée au moins - Tony Blair, même si notre différence d'âge autoriserait que cela dure plus longtemps. Avant, comme le veut l'usage, de le féliciter pour la distinction qui lui est décernée, je tiens à le remercier chaleureusement de m'avoir choisi.
Mesdames et Messieurs,
Que le Prix Charlemagne soit aujourd'hui décerné à Tony Blair me fait grand plaisir.
Tout d'abord, en raison de la relation amicale et confiante que nous entretenons. Des commentaires se sont essayés, un temps, à nous opposer en tous points, avant - sans craindre la contradiction - de souligner désormais à loisir nos convergences. La vérité est simple. Nous sommes tous deux social-démocrates. Nous sommes tous deux engagés dans la recherche de la modernité, dans une fidélité à nos valeurs que chacun fait vivre à sa façon Nous sommes tous deux profondément attachés à nos nations, mais aussi à la construction d'une Europe forte et unie. Nous sommes enfin, cher Tony Blair, je peux le dire, des amis. Nous avons noué des relations de qualité lors des rencontres officielles et, de façon plus informelle, lors des visites de l'un à Sedgefield et de l'autre de Cintegabelle. Nous échangeons ici une pinte de bière, là un verre de vin. Le citoyen français s'exprime en anglais, le sujet britannique répond en français - et nous rions l'un comme l'autre de nos maladresses linguistiques. Nous perpétuons ainsi, à notre manière, "l'Entente cordiale".
J'éprouve aussi le plaisir de voir rassemblés ce matin, sous le signe de l'union, un Allemand, un Anglais et un Français. Si l'Europe a longtemps mis aux prises des "ennemis héréditaires", ces prétendues "lois" de l'hérédité ont été depuis vaincues par une force supérieure encore : celle de la volonté politique qui a permis d'organiser une union entre Nations, librement consentie ; celle de la vision d'un continent réconcilié, apaisé, où la guerre entre ces nations qui se sont tant combattues est devenue inconcevable. Depuis le Traité de l'Elysée, signé en 1963 par le chancelier Adenauer et le général de Gaulle, l'Allemagne et la France forment un couple aussi uni que possible, forgé par une volonté politique jamais démentie, nourri d'échanges économiques croissants et renforcé par des relations culturelles toujours plus étroites Nous le ressentons toujours aussi profondément aujourd'hui avec le chancelier Gerhard Schröder.
Pour forte qu'elle soit, cette alliance n'est pas exclusive. La France entretient avec la Grande-Bretagne, outre le souvenir d'une rivalité ancienne mêlée d'admiration réciproque, l'attachement à une amitié traditionnelle et la conscience d'une vraie communauté de destin. C'est pourquoi j'ai apporté tout mon soutien aux initiatives franco-britanniques qui ont été prises dans des domaines aussi essentiels que la Défense à Saint-Malo ou les Affaires étrangères à Rambouillet. Et c'est conscient de la proximité de nos deux pays, de l'attachement réciproque de nos deux peuples que je tiens, cher Tony Blair, à vous témoigner de ma sympathie, au moment où un terrorisme abject vient de frapper si durement 1a ville de Londres.
Par-delà le plaisir que je ressens à "parrainer" Tony Blair, il y a la satisfaction de savoir ce prix pleinement mérité.
Parmi les hautes personnalités réunies aujourd'hui dans l'assistance, nombreuses sont celles qui savent comme moi combien, durant ce demi-siècle, fut délicate - voire difficile,- la relation entre les Etats continentaux à la recherche de l'union et la Grande-Bretagne, qu'une insulaire fierté amenait parfois à considérer - selon un sens des proportions qui n'appartient qu'à elle - les milliers de kilomètres de l'Océan atlantique comme un "pont", et les modestes 32 kilomètres de la Manche, au Pas-de-Calais, comme un infranchissable fossé...
"Wait and see" : ce précepte tout britannique traduit bien, en effet, l'attitude du Royaume-Uni à l'égard de l'Europe. Seize années séparent la création de la Communauté économique européenne de l'adhésion de la Grande-Bretagne ; onze années se sont écoulées ayant que celle-ci ne rejoigne le Système monétaire européen ; six années - seulement - séparent la rédaction de la Charte sociale de sa signature par le Royaume-Uni. Les délais se réduisent mais c'est grâce à vous, cher Tony Blair...
De ce bref rappel historique, un trait se dessine : quels que soient les détours empruntés, quel que soit le rythme suivi, la Grande-Bretagne finit toujours par rejoindre la route de l'Europe. Revenu parmi nous, Winston Churchill résumerait sans doute cette vision en adaptant sa formule célèbre : "l'Europe est le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres".
Pourtant, depuis deux ans, ce qui a frappé chacun de nous, c'est que les détours sont devenus plus rares, et que le rythme s'est accéléré. Tony Blair a su emporter l'adhésion de son peuple en expliquant que son pays ne pouvait pas rester "à la marge" de l'Union européenne. Le 24 mars 1998, de passage à Paris, il soulignait encore que l'avenir de la Grande-Bretagne est d'être "un partenaire à part entière de l'Europe".
Ce sont là des paroles dont tous les Européens de coeur se réjouissent. Le gouvernement travailliste actuel n'oublie peut-être pas le mot de Palmerston qui, s'exprimant en 1848 devant les Communes, déclarait : "Nous n'avons ni amis éternels, ni ennemis perpétuels. Seuls nos intérêts sont éternels et perpétuels". Mais le mérite - l'un des nombreux mérites - de Tony Blair est de savoir accompagner une majorité de ses compatriotes vers la prise de conscience que bien des intérêts britanniques exigent désormais un rapprochement avec l'Union européenne. Cette union européenne où vous n'avez que des amis.
Lorsque Tony Blair, le 2 mai 1997, a franchi le seuil du 10 Downing Street, c'est la Grande-Bretagne qui s'est engagée sur la route de l'Europe. Honorant l'engagement pris devant son peuple durant la campagne électorale du printemps 1997, il mettait un terme, dès le mois de juin, lors du Sommet d'Amsterdam, au refus obstiné du précédent gouvernement britannique de signer la charte sociale.
Nous avons tous apprécié la maîtrise avec laquelle ont été conduits les travaux communautaires lors de la présidence britannique de l'Union, au premier semestre 1998. Aujourd'hui, en particulier, les partenaires de Tony Blair mesurent le travail accompli auprès de ses compatriotes en faveur d'une étape essentielle de la construction européenne : la monnaie unique.
Observant avec attention le sort des onze Etats européens qui, depuis le 1er janvier 1999, ont fait de l'euro leur future monnaie unique, le Royaume-Uni s'interroge, débat, doute. Mais lequel de nos onze Etats, au seuil d'une décision si importante, ne s'est pas interrogé, n'a pas débattu, n'a pas - un temps au moins - douté ?
Chacun s'est réjoui d'entendre le Premier ministre britannique confirmer, lors du Sommet de Cardiff en juin 1998, que l'union monétaire était "le premier pas" vers la création des conditions assurant une longue période d'expansion économique en Europe.
Savez-vous, cher Tony Blair, que votre inspiration renoue avec celle d'un de vos compatriotes qui, comme vous aujourd'hui, a fait le voyage d'Aix-la-Chapelle ? Brillant représentant de la culture des Angles, Alcuin - de son nom latin Albinus Flaccus - fut appelé en 782 par Charlemagne afin de présider l'Ecole du Palais. Son biographe a dit de lui : docuit multos in Britannia - "il enseigna à beaucoup en Grande-Bretagne". Tel un moderne Alcuin, avec la conscience du Bénédictin qu'il était, semble t-il, encore que le point d'histoire soit discuté, vous enseignez à vos compatriotes le sens de l'Europe. Comme lui, vous parcourez notre continent, non d'abbayes en évêchés, mais de capitale en capitale, afin de contribuer au renouveau d'une communauté d'histoire et de culture.
Avec vous, cher Tony Blair, je forme le voeu que la Grande-Bretagne occupe au sein de l'Union européenne toute la place qui lui revient. Pas seulement parce que c'est là l'intérêt de votre pays, pas seulement parce que c'est là l'intérêt de l'Europe, mais aussi parce que l'Europe a besoin du génie national des Britanniques.
Nous voulons que l'Europe soit un espace de croissance, où des entreprises en expansion offrent du travail à tous, afin que le chômage et la misère reculent :
J'appelle à des alliances industrielles qui rassemblent nos entreprises notamment britanniques, allemandes et françaises pour unir leurs forces, concevoir de nouveaux produits et affronter la concurrence d'un monde en pleine globalisation.
Nous voulons que l'Union européenne soit plus démocratique. Le rôle du Parlement doit y être considérablement renforcé : la tradition parlementaire de votre pays poussera en ce sens.
Nous voulons que l'Europe ait les moyens d'assumer ses responsabilités sur la scène internationale : la Grande-Bretagne - dont la capacité militaire, la présence dans le monde et l'expérience diplomatique sont des atouts reconnus - peut avec nous y contribuer.
Nous voulons que l'Europe préserve et développe la civilisation dont elle est l'écrin. Cette civilisation, qui attache le plus grand prix aux oeuvres de l'esprit, et qui est elle-même une oeuvre de l'esprit, fait de la diversité une richesse : une diversité dont la culture, les cultures, du Royaume-Uni sont des facettes précieuses. Cette civilisation se fonde aussi sur la paix : je veux rendre hommage à l'oeuvre de paix que vous accomplissez en Irlande du Nord, appuyant les efforts de votre secrétaire d'Etat, Mo Mowlan, pour préparer la réconciliation de communautés déchirées par l'Histoire.
La paix au sein de notre Union ne suffit pas si elle coexiste avec la violence au-delà des frontières de l'Union. Tony Blair s'est rendu à Skopje le 3 mai. J'y étais la veille. Comme moi, il a été profondément frappé par la détresse des femmes et des hommes kosovars déportés par le régime de Belgrade. Il a pris toute la mesure, à travers les témoignages déchirants qui lui ont été rapportés, des atrocités, de l'infamie, de la barbarie dont se rend coupable le régime de Belgrade. N'ayons pas peur de mots : des crimes contre l'humanité sont perpétrés au coeur de l'Europe.
C'est donc un combat pour la civilisation, pour notre civilisation européenne, que nous menons. Un combat qui emploiera la force jusqu'à ce que puissent reprendre les négociations qui, seules, sont de nature à dessiner une solution politique de long terme.
Alors viendra la tâche la plus difficile : construire la paix. Une paix durable pour tous les Balkans, non un cessez-le-feu localisé, Une paix qui soit la liberté retrouvée des peuples. Une paix qui ne soit pas un répit accordé aux tyrans. Une paix qui porte la réconciliation des nations, non l'absolution des puissants.
Mesdames et Messieurs,
Ici, à Aix-la-Chapelle, perpétuant le voeu énoncé en 1949 par les citoyens de la ville, nous honorons un homme d'Etat qui montre, si besoin était, que l'on peut être profondément attaché à sa patrie et vouloir une Europe unie.
Cher Tony Blair, permettez-moi, au moment ou le Prix Charlemagne va vous être remis, de former un voeu : que vous voyiez dans cette prestigieuse distinction la juste récompense de votre action, mais aussi une invitation à continuer de servir notre idéal commun. Celui d'une Europe forte, solidaire, unie et tournée vers l'avenir.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr le 18 mai 1999)