Déclaration de M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, sur le rôle des écoles d'ingénieur en général et de l'Ecole polytechnique en particulier dans la société en pleine transformation économique, Paris le 15 décembre 2015.

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Circonstance : Conseil d'administration de l'Ecole polytechnique, Paris le 15 décembre 2015

Texte intégral

Messieurs les ministres,
Monsieur le délégué,
Monsieur le secrétaire général,
Monsieur le président de l'école,
Mesdames, Messieurs les administrateurs,
Cher Bernard ATTALI,
Tout a été dit par le ministre de la Défense et donc il nous revient d'apporter les compléments requis. A mon tour, je dois remercier Bernard ATTALI pour le travail qui a été fait parce qu'il donne une vision non seulement de ce que doit être une grande école mais, au-delà de cela, de ce qu'est la figure de l'ingénieur dans la modernité. Et je crois qu'au-delà de tous les sujets de chapelles, de toutes les sensibilités parfaitement légitimes qu'il peut y avoir, c'est ça la question qui est posée : comment la figure de l'ingénieur, qui a toujours contribué à la réussite de la France, peut et doit se transfigurer pour se donner tous les moyens de conduire notre pays plus avant ?
Alors même que nous ne sommes plus dans une économie de rattrapage mais de l'innovation de rupture, il nous faut repenser, dans une mondialisation qui va plus vite – ça été rappelé par le ministre de la Défense à l'instant –, qui est plus ouverte, plus transdisciplinaire, il nous faut repenser nos modes même de fonctionnement. Et dans ce cadre – c'est d'ailleurs la question qui m'est posée et l'objet principal de ma présence ici, au-delà du plaisir et de l'honneur qui sont les miens d'être à vos côtés aujourd'hui –, il s'agit de savoir comment l'ensemble des écoles d'ingénieurs – et en particulier celles qui sont sous mon autorité – peut mieux travailler avec, l'Ecole polytechnique d'une part, au sein de l'université Paris-Saclay d'autre part.
Parce que les enjeux d'hier ne sont pas ceux d'aujourd'hui. Nous sommes, je le disais, en pleine transformation économique : il y a cette révolution numérique qui est à l'oeuvre avec le développement des nanotechnologies, du big data, etc., et qui appelle à un renouvellement profond de nos manières d'innover. Il y a un marché de la formation d'ingénieurs qui est devenu mondial – cela a été très bien rappelé à l'instant par le ministre de la Défense –, où désormais vos concurrents sont non plus d'autres acteurs français, mais les formations d'ingénieurs de Stanford, de Cambridge, de Zurich ou de Delhi, quand ce n'est pas Shanghai. Et une conviction que nous partageons, et qui est celle du président de la République comme du Premier ministre, c'est que pour rester des acteurs du progrès, il ne faut pas forcément que les ingénieurs changent ou évoluent mais qu'ils parviennent à être, d'une part les héritiers d'une formation – j'y reviendrai –, d'autre part les promoteurs de l'innovation, et enfin des femmes et des hommes d'action au coeur, justement, de ce site d'excellence mondiale que nous voulons tous et toutes, qui est celui de l'université Paris-Saclay.
Parce que la clé de cette réussite, c'est que les écoles constituent un pôle d'excellence qui fonctionne avec l'université et que les ingénieurs, qui ont ce rôle fondamental que je viens d'évoquer, puissent travailler de mieux en mieux avec les docteurs et les chercheurs qui sont sur ce site. Et je crois qu'un univers ne doit pas exclure l'autre et, de plus en plus, nos entreprises auront besoin de l'ensemble de cette excellence de formation et de ce qu'elle présente de complémentarités.
Alors, les héritiers d'une formation, d'abord. Et je veux ici vraiment saluer le travail préparatif qui a été fait par Jacques BIOT et ses équipes, comme par l'Association des anciens l'école Polytechnique. La mission de nos écoles d'ingénieurs, c'est de fournir les compétences qui serviront demain l'intérêt général économique. Et je pourrais ici citer de nombreuses grandes figures de l'économie française passées par nos établissements, notamment les différentes écoles qui sont sous la tutelle de mon ministère. Cette formation, elle doit rester de haut niveau, c'est la priorité des priorités.
D'abord, avec une ambition qualitative pour les écoles d'ingénieurs, qui est de former les meilleurs encore et toujours et vous savez parfaitement le faire. Je viens de faire référence à de nombreux grands dirigeants économiques, mais l'excellence académique de nos écoles est aussi reconnue internationalement au travers des médailles Fields ou des prix Nobel reçus par la France, quelles qu'en soient les disciplines – deux polytechniciens sur trois Nobel d'économie reçus par la France suffisent à en témoigner.
Nous pouvons aller encore plus loin – et c'est ce que vient de démontrer Jean-Yves LE DRIAN – en portant une réforme ambitieuse notamment pour diversifier les enseignements à Polytechnique. Et je crois à cet égard à l'importance de proposer des cursus croisés. Permettre à un ingénieur Télécom de prendre des cours à l'Agro pour monter plus tard une start-up proposant des solutions numériques pour l'agroalimentaire : voilà ce qui doit être rendu possible. Permettre à un ingénieur de pouvoir bénéficier d'une formation de doctorant, de travaux de recherche fondamentale, c'est aussi une nécessité. La transformation économique que nous sommes en train de vivre elle abat les frontières disciplinaires, elle modifie profondément les modes d'organisation, et c'est ce défi que nous devons relever en bénéficiant de toutes les synergies qui sont ici à l'oeuvre.
Il est aussi important de renforcer les liens avec l'université en ouvrant des passerelles à des formations sélectives de 2ème cycle de l'université Paris-Saclay. Le projet, en effet, s'inscrit dans la dynamique du plateau de Saclay, c'est-à-dire avec l'université, qui en fait partie intégrante, et en aucun cas en opposition avec elle. Il doit y avoir des liens fluides et réciproquement bénéfiques entre les structures, et une dynamique émulatrice. L'objectif, c'est de tirer tout le monde vers le haut. Et à cet égard, au-delà de cette journée importante sur laquelle le ministre de la Défense est revenu, la responsabilité de celles et ceux qui auront à faire vivre ce projet sur le site est extrêmement importante.
Ensuite, il y a une ambition quantitative qui est d'atteindre une masse critique pour rivaliser avec vos vrais concurrents. Sous votre contrôle, nos écoles d'ingénieur forment moins de 3 000 ingénieurs par an au total – et encore, l'X présente parmi les plus gros effectifs de nos écoles d'ingénieurs françaises. Le nombre est capital. Le ministre de la Défense vient d'annoncer plusieurs mesures à ce sujet et je pense qu'il est important que pour l'ensemble de nos grandes écoles d'ingénieurs, nous puissions atteindre la masse critique qui nous permette, d'une part, de garder les talents sur le sol français et d'en former un maximum. Ouvrir les portes, ça ne correspond pas à un objectif de nivellement par le bas, je crois que ça a été bien rappelé et je viens ici le redire en insistant sur la qualité des formations. Elargir l'accès à l'excellence, ce n'est pas proposer des formations au rabais : nos écoles sont très sélectives, elles forment des promotions de quelques centaines d'étudiants, mais elles pourraient être ouvertes à d'autres sans perdre en excellence. En passant de 14 élèves en 1950 à 350 environ aujourd'hui, l'ENSAE a gagné en nombre et pourtant, elle n'a rien perdu de son excellence. Au final, malgré leur très haut niveau, les écoles d'ingénieurs françaises restent trop éclatées pour peser contre la concurrence mondialisée. C'est pourquoi il faut que nous puissions oeuvrer afin de constituer cette masse critique. D'autre part, atteindre la masse critique, c'est un élément clé pour accroître votre attractivité et vous internationaliser, pour attirer les jeunes talents étrangers, pour faire venir les professeurs du monde entier sur un mme site et également pour oeuvrer au rayonnement de, justement, ce pôle d'excellence.
Il y a pour cela un seul moyen qui est de s'unir derrière une même bannière. D'abord, une coopération d'excellence entre nos grandes écoles d'ingénieur autour de thématiques de formation et de recherche permettra concrètement de s'organiser pour atteindre la masse critique. Ensuite, il y aura un effet signal qu'il ne faut pas négliger. Le simple fait de labéliser le regroupement – avec un nom porteur qui reste à trouver – envoie un message positif, et c'est pourquoi j'ai souhaité que l'ensemble des écoles concernées qui sont sous ma tutelle puisse travailler à ce projet commun avec les autres écoles d'ingénieurs, dont l'école Polytechnique.
Ensuite, être ingénieur, c'est comme je le disais être promoteur de l'innovation. La mission historique de l'ingénieur, c'est – si vous m'autorisez cette comparaison, Monsieur le ministre de la Défense – d'être le soldat du progrès. Et l'objectif du projet de rapprochement de nos écoles, c'est précisément de permettre à l'ingénieur d'honorer cette mission et de faire du plateau de Saclay un haut lieu de l'innovation à la française. Dans les laboratoires, d'abord, parce que quand on pense innovation, on pense bien sûr recherche fondamentale et appliquée, partenariale principalement. Or, on sait de plus en plus que la recherche souffre de barrières, de silos entre les disciplines, même si plusieurs grands organismes de recherche présents à nos côtés dans la salle oeuvrent justement chaque jour à ce que ces barrières puissent être mises à mal. Et je crois que le rapprochement des laboratoires est un formidable vecteur d'innovation, il faut le favoriser au maximum.
Ensuite, l'objectif du projet c'est de réussir aussi cette bataille de l'innovation dans l'entreprise, parce que l'innovation, ce sont les chercheurs qui la pensent mais les entreprises qui la font. Et il est, à cet égard, impératif de rapprocher nos écoles du monde économique, avec deux axes principaux pour le futur projet Saclay : d'abord, multiplier les partenariats avec les entreprises, petites et grandes – particulièrement dans l'aéronautique, les matériaux, l'industrie pharmaceutique, qui recrutent largement parmi les ingénieurs de nos écoles et qui ont à gagner de tels partenariats ; je pense aussi aux entreprises qui sont implantées sur Saclay – il y en a plusieurs –, quels qu'en soient les domaines, qui sont variés, et qui pourraient permettre de former un véritable noyau dur géographique et stratégique. Et ensuite, le deuxième axe : favoriser l'entrepreneuriat. La création d'entreprise attire de plus en plus d'ingénieurs : depuis 2010, 175 start-up ont été créées par des élèves ou des anciens de l'école Polytechnique. Et pour accélérer, il faut développer l'accompagnement personnalisé et les incubateurs. Nos écoles ont commencé : l'incubateur de ParisTech comptait plus de 320 entreprises fin 2014, et l'école Polytechnique a lancé l'accélérateur X-Up cette année. Il faut aussi faciliter l'accès au financement et, là encore, unir les forces en présence, pourquoi pas mutualiser les moyens, pour être en mesure d'apporter les financements massifs requis par les jeunes pousses pour se projeter très vite à l'international.
Et le tout doit être fait au service de la transformation de notre paysage industriel et des solutions d'avenir, parce que c'est au croisement de la recherche fondamentale et du monde de l'entreprise qu'émergent les solutions industrielles de demain. C'est de vous que viendront les outils qui sont au coeur de la Nouvelle France industrielle et de l'Industrie du Futur qui structurent la stratégie de réindustrialisation que nous conduisons. Les solutions ne sont pas uniquement dans les grands groupes déjà constitués, elles ne sont pas uniquement dans les laboratoires, elles sont aussi dans la capacité que nous aurons à tisser des liens entre ces différents univers de recherche, précisément, au-delà de nos propres contingences. Qu'il s'agisse du big data, de la nanoélectronique, de la cybersécurité, des objets connectés, de la fabrication additive : ce sont autant de ruptures technologiques dont nos ingénieurs, mais avec eux également nos doctorants et nos docteurs, doivent enrichir nos usines et nos entreprises.
Aujourd'hui, chacun avance encore trop dans son coin, persuadé de porter le projet le plus avancé – toutes vos écoles ont leur propre cellule de recherche spécialisée dans nombre des domaines que je viens d'évoquer. Mais il est important de mutualiser encore davantage pour, là aussi, atteindre une taille critique. Et le projet de pôle d'excellence de formation et de recherche d'ingénieurs Paris-Saclay, en combinant les partenariats avec les entreprises et les laboratoires mutualisés, sera un terrain propice à l'émergence de ces solutions industrielles d'avenir.
Notre ambition, c'est de faire de la France le grand centre de l'innovation et des nouvelles industries en Europe d'ici 2020. Nous en avons les moyens parce que nos compétences sont reconnues. Nous en sommes capables à une condition, qui est de fédérer les énergies.
Enfin, c'est ma troisième conviction, les ingénieurs sont des femmes et des hommes d'action et il faut donc que les choses avancent concrètement, de manière pragmatique. La première étape, c'est d'avoir, pour ce pôle d'excellence que nous voulons constituer, un calendrier concret. À cet égard, je souhaite que nous puissions réfléchir et travailler en mode projet, avancer de manière pragmatique et concertée, sans s'arrêter à des objections de principe ou à la défense de prés carrés. C'est pourquoi je souhaite que d'ici le 15 mars 2016 – donc, dans un délai de trois mois –, chacune des écoles d'ingénieurs concernées puisse remettre à son ministre de tutelle respectif un schéma de pôle d'excellence, avec son projet d'implantation, une feuille de route précise et concrète autour de quatre grands thèmes stratégiques du projet – la formation, la recherche, l'international et l'entrepreneuriat –, avec des objectifs clairs sur une période de cinq ans, et avec un calendrier de mise en oeuvre. Cela s'inscrit pleinement, je crois, dans le calendrier qui a été rappelé pour l'école Polytechnique par le ministre de la Défense, et dans les ambitions que porte le ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche pour le projet Paris-Saclay.
La deuxième étape, c'est d'avoir une gouvernance adaptée au sein de l'université Paris-Saclay parce que, je le disais, il n'y a de réussite que si elle est collective sur ce site. Cette gouvernance doit être ouverte : la diversité est source de richesse, et les filières sélectives de l'université Paris-Saclay qui le souhaitent doivent y être associées. Cette gouvernance doit être équilibrée : le succès du grand projet de Saclay ne sera pas construit sur la prééminence de l'un sur l'autre, il sera fondé sur la collaboration confiante de tous et la combinaison des complémentarités et des particularités de chaque école. Car c'est bien d'une fédération d'écoles dont nous avons besoin- et je ne révèlerai rien en disant que le l'école Polytechnique a ici une responsabilité particulière.
La gouvernance doit toujours être un moteur et jamais un frein. Et laisser de côté le système de l'unanimité me paraît à cet égard souhaitable, car c'est une source de blocage quasi-systématique. Il faut privilégier une forme décisionnaire plus fédérale, pour pouvoir progresser sur le fond, c'est-à-dire sur les quatre domaines que j'évoquais il y a un instant – la formation, la recherche, l'international et l'entrepreneuriat.
Voilà, Mesdames, Messieurs, ce que je voulais partager avec vous ce matin et ce pour quoi j'ai tenu à être présent aux côtés de mes deux collègues, parce que l'ambition qui est la nôtre, c'est non seulement de réussir ce beau projet mais c'est de préparer ce qui sera le monde de demain, en étant conscient des réalités – parce que nous avons une compétition internationale qui fait rage –, en essayant d'être visionnaire – parce qu'il faut développer de nouvelles compétences et maximiser les efforts de recherche –, et en même temps, en étant pragmatique – c'est-à-dire en sachant parfois prendre les moins mauvaises décisions, en cherchant à chaque fois à prendre les meilleures, avec un calendrier clair et la ferme résolution que notre devoir à toutes et tous, c'est d'avancer. Merci pour votre attention et, comme vous l'avez compris, chacun d'entre nous compte sur vous.
Source http://www.headway-advisory.com, le 21 décembre 2015