Texte intégral
Madame la Présidente, Chère Laurence,
Madame la Directrice générale,
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
Cela me fait plaisir de vous retrouver pour ce rendez-vous annuel de l'AFD. Les «journées du réseau» permettent de faire le point sur les avancées de l'année écoulée et de tracer des perspectives pour cette année. Je n'avais pas pu être des vôtres l'an dernier, retenu au dernier moment par des contraintes liées aux attentats. Je tenais d'autant plus à être présent cette année, en signe de mon attachement à votre maison et à la politique de développement dont vous êtes les artisans.
Je veux d'abord vous présenter mes meilleurs voeux pour 2016 -comme il y a des caméras, je pense que je dois aussi m'adresser à d'autres personnes qui ne sont pas dans cette salle. J'espère que sur le plan professionnel, sur le plan personnel, 2016 sera pour vous tous un très bon cru.
Nous nous souviendrons de 2015 comme d'une année-charnière, pour des raisons extrêmement opposées.
D'un côté - et c'est le côté sombre -, 2015 aura été marquée par une très forte instabilité internationale, par beaucoup de crises et de conflits avec une intensité et un degré de violence exceptionnels. Il suffit de citer le mouvement terroriste Daech qui est la manifestation la plus extrême et la plus spectaculaire, avec des effets bien au-delà de l'Irak et de la Syrie. Les drames du terrorisme et ceux liés à la crise migratoire - qu'il ne faut pas mélanger mais qui parfois se mélangent -, sont sans équivalent depuis la deuxième guerre mondiale. Tout cela montre qu'aucun pays, même en Europe, ne peut se sentir épargné. Donc, alors que c'était difficilement envisageable il y a quelques années, c'est une dimension majeure que vous êtes amenés à prendre en compte dans votre travail quotidien ; à la fois dans vos vies personnelles, pour ceux qui sont à l'étranger et même pour ceux qui sont en France, et puis dans les dossiers que vous avez à traiter.
D'un autre côté, 2015 aura permis de progresser de façon décisive vers un monde plus juste et plus durable. D'abord avec la conférence d'Addis Abeba sur le financement du développement en juillet, puis avec l'adoption des Objectifs universels de développement durable à New York en septembre, même si Ban Ki-moon faisait remarquer qu'il n'y avait pas eu le même enthousiasme que pour la COP, peut-être parce que c'était plus difficile à comprendre, les enjeux, etc. Et puis, nous avons eu, surtout, le succès de la COP21 en décembre. La communauté internationale, dans le contexte très difficile que je rappelais à l'instant, a apporté un démenti à ceux qui doutaient de la capacité du multilatéralisme à parvenir à des compromis universels. Je ne dis pas que ce soit facile et que l'on puisse arriver sur tous les points à des résultats, mais cela montre quand même que l'on peut arriver à des résultats.
Deux années de mobilisation intense de toute l'équipe France ont contribué à créer un climat de confiance entre tous les pays lors de la Conférence de Paris. Grâce à ce travail, nous sommes parvenus en décembre à un accord historique - un accord universel, ambitieux, équitable, et juridiquement contraignant. Vous y avez pris toute votre part, en remplissant le mandat que le gouvernement avait fixé à l'AFD de consacrer 50% de ses financements à des projets ayant un co-bénéfice pour le climat. D'autre part, je sais - et cela n'a pas été facile - que vous avez poussé vos pairs à adopter des principes communs pour la comptabilisation et la mobilisation de la finance climat. Cela n'a pas donné lieu à des manifestations de masse considérables mais je crois que cela a été important. Je me rappelle en particulier du travail que nous avons pu faire à Lima. Nous avons su éviter - et pas par des artifices - ce qui aurait été, à coup sûr, un bloc qui aurait empêché un succès de Paris. L'une des difficultés, c'est qu'il fallait éviter que Paris tourne tout entier autour de la question des 100 milliards. Même si les choses restent toujours difficiles, nous avons pu obtenir par un long travail, à la fois technique et politique, que cette question soit déminée. Finalement, même si cela a été à juste titre abordé profondément dans les semaines de discussions à Paris, nous avons pu éviter que ce ne soit pas un écueil qui nous fasse trébucher. Et puis, vous avez aidé, avec Expertise France, les pays en développement qui en avaient besoin à préparer leur contribution nationale. Je sais, parce qu'ils m'en ont parlé, que les gouvernants de ces pays vous ont été très reconnaissants.
Je veux saisir cette occasion pour dire que l'AFD, que ce soit dans son travail concret - co-bénéfice pour le climat -, dans son travail technique avec vos homologues pour les pousser à se mobiliser pour la finance climat, ou par le travail de la préparation des INDC, a été vraiment très utile pour le succès de la COP21.
Beaucoup de gens - mais pas vous parce que vous connaissez le sujet - pensent que maintenant notre travail est terminé en ce qui concerne le gouvernement français. C'est faux. Les règles sont ainsi faites que j'assure la présidence de la COP21 jusqu'au mois de novembre 2016, avant de passer la suite à nos amis marocains. Ça c'est l'aspect juridique mais au-delà de cet aspect, il y a un énorme travail à faire, que nous allons faire, notamment avec Laurence Tubiana.
J'emploie une formule qui n'est pas à prendre juste au pied de la lettre : Si la COP21, la conférence de Paris a écrit la loi, il faut maintenant écrire les textes d'application, dans tous les domaines. Je suppose que tous les matins vous lisez bien sûr le contenu de l'accord de Paris, comme moi : ce n'est pas du Flaubert mais c'est substantiel et, évidemment, il faut traduire tout cela en actes.
Il y a un travail qu'il va falloir faire avec les gouvernements. Et puis, il y a un travail à faire avec les acteurs non-gouvernementaux et c'est un des autres aspects du succès de Paris, qu'il s'agisse des communes, des régions, des entreprises, du secteur financier, des ONG, des particuliers.
Il y a eu une bascule à Paris. Il y a un «avant» Paris et un «après» Paris. Le pli est maintenant pris - cela ne changera plus - d'aller vers une économie et une société bas-carbone. Évidemment, ce travail de mise au point, les textes gouvernementaux et inter-gouvernementaux, et ce travail de mise en action, d'implémentation des acteurs non-gouvernementaux, il nous revient au cours de cette année de l'assurer pour qu'ensuite nous puissions passer le relais à nos amis marocains.
Très concrètement, cela veut dire d'abord qu'il va falloir signer solennellement l'accord de Paris. La signature est ouverte à partir du 22 avril 2016 à New York. Ensuite, il faudra le ratifier. L'accord de Paris entrera en vigueur lorsque 55 pays l'auront ratifié, représentant au moins 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cela viendra sans doute assez vite.
Et puis, parallèlement, nous devrons faire le travail de préparation de Marrakech, le travail post Paris et pré Marrakech pour qu'il ne soit pas dit que la France s'est contentée, même si c'était énorme, d'assurer le succès de la conférence de Paris. Il faut aussi que nous assurions le succès de sa mise en oeuvre.
S'agissant des financements, l'accord fixe aux pays développés une obligation de fournir et de mobiliser des financements, selon un principe de progression. Il prévoit aussi que les fonds publics doivent constituer une part «significative» des financements climat, et que ces fonds publics - notamment les dons - sont particulièrement importants pour ce qui relève de l'adaptation - vous vous rappelez que c'est un des thèmes de la conférence. L'accord prévoit également une solidarité en matière de développement, de diffusion des technologies propres et de renforcement des capacités. Tout cela, il va falloir le mettre en oeuvre.
Sans attendre l'entrée en vigueur de l'accord de Paris en 2020, le mouvement enclenché à Paris doit se traduire dans les politiques climatiques nationales et les stratégies d'investissement privé. Plus les efforts réalisés avant 2020 seront significatifs, plus la mise en oeuvre de l'accord sera facilitée. Nous nous sommes engagés à ce qu'un premier état des lieux sur les actions pré-2020 soit dressé en 2018, il permettra de faire le point sur les travaux entrepris et les progrès réalisés.
De ce point de vue, je voudrais vous faire part de mon analyse. Elle est peut-être contestable mais, pour avoir réfléchi aux conditions dans lesquelles nous avons obtenu ce succès et à ce qui se passe dans le vaste monde, je pense qu'il y a deux tendances opposées et que la deuxième va l'emporter. Nous avons obtenu que tous les pays du monde s'engagent dans cet accord de Paris, mais quand on regarde les dispositions de l'accord, ces dispositions sont vraiment le maximum de ce que l'on pouvait obtenir ; elles sont même au-delà de ce que beaucoup anticipaient. Et il peut y avoir - après tout c'est une réaction normale de la part d'un certain nombre de gouvernements - maintenant une attitude de rétraction ; il faut dire qu'il y avait une pression extrêmement forte. Dans le détail, au moment où on va discuter ce qu'est la transparence, qu'est-ce que ceci, qu'est-ce que cela, il peut y avoir une certaine rétraction. Ma conviction, c'est que la tendance qui l'emportera sera exactement inverse. Quand je vois par exemple ce qui se passe en Chine, à Pékin, avec une pollution, avec notamment des émissions de gaz à effet de serre qui sont au-delà de ce qui est supportable, au sens physique, quand je vois ce qui se passe à Delhi, quand je vois ce qui se passe - c'était cette nuit - avec l'affaire de l'émission de méthane en Californie qui oblige à déclarer l'état d'urgence, je pense qu'il est illusoire de considérer que l'on mettra dix ans avant d'appliquer ce que nous avons décidé à Paris. Théoriquement, quand vous lisez l'accord - et il n'était pas possible de faire autrement -, il y a des ambivalences, des ambiguïtés et si on tirait à la ligne comme l'on dit dans le domaine théâtral ou littéraire, on pourrait aboutir à ce que peu de choses soient faites en 2025. Je n'y crois pas un instant. Je crois que la pression, que ce soit la pression des populations elles-mêmes, la pression des entreprises qui ont compris maintenant qu'il fallait faire la bascule, la pression des collectivités locales, qui sont des opérateurs de premier rang, sera telle que les choses iront beaucoup plus vite que ce que l'on pense. Vous avez là deux mouvements, de sens probablement contraires, mais l'intérêt du monde et notre conviction, c'est que c'est la deuxième tendance qui prévaudra. Nous allons nous, la France, singulièrement l'AFD, travailler en ce sens.
Notre rôle - et le vôtre - doit donc être de continuer à encourager toutes les actions immédiates sur le terrain en faveur du développement durable et à favoriser l'implication de tous les acteurs, publics comme privés, locaux comme nationaux ou internationaux.
Le président de la République vous a fixé des objectifs ambitieux : d'une part, porter le montant annuel des financements internationaux de la France pour le climat de 3 à 5 milliards d'euros d'ici 2020 ; d'autre part, dans le cadre de cette enveloppe, consacrer 2 milliards d'euros entre 2015 et 2020 à l'électrification en Afrique. Donc, pour être clair, 2015 a été l'année d'un grand succès diplomatique, 2016 doit être celle du suivi et de la mise en oeuvre. Si 2015 a été l'année du succès diplomatique, 2016 doit être celle du suivi et de la mise en oeuvre afin de construire ensemble un monde assez nouveau, que parfois, les plus ambitieux d'entre nous caractérisent par cette formule : «zéro pauvreté, zéro carbone».
2016 sera une année-tournant pour l'AFD. Votre ancêtre était la caisse centrale de la France libre - peu d'entre nous ont connu cette période puisque c'était la loi du 30 avril 1946. Rendez-vous compte, c'était même avant ma naissance. La caisse centrale de la France libre a été transformée en banque de développement. Maintenant, l'Agence jouera un rôle central dans le renouvellement et le renforcement des outils de notre politique de développement et de solidarité internationale qu'a décidé le gouvernement. Ce mouvement, lancé par la loi du 7 juillet 2014, est plus que jamais rendu nécessaire par l'agenda tracé par les grandes conférences internationales. Ces rendez-vous ont confirmé la mission essentielle qui vous est confiée : la lutte contre la pauvreté et le développement durable. Je pense que l'on peut dire, sans être inexact, que cela a également incité à ce que vos actions prennent un tour nouveau, en estompant, d'une certaine façon, les catégories traditionnelles à partir desquelles nous pensions jusqu'ici le développement même si les choses avaient déjà évoluées : pays du Nord et pays du Sud, aide au développement et développement interne, croissance et résilience, acteurs souverains et acteurs non étatiques.
Les choses étaient déjà beaucoup plus complexes mais on voit bien que, même s'il y a des priorités que tout cela est en train d'évoluer. La somme des engagements pris cette année et ce nouveau cadre conceptuel nous obligent donc à repenser nos moyens d'intervention, afin d'accomplir davantage et plus efficacement, grâce à un outil de diplomatie globale au service de l'ensemble des acteurs du développement.
C'est dans cet esprit que j'ai proposé, il y a de cela quelques mois, au président de la République qui en a pris la décision - c'est sa responsabilité - de rapprocher l'AFD et la Caisse des dépôts. Je n'entrerai pas dans les détails parce que, comme vous le savez, la semaine prochaine le président de la République fera d'importantes déclarations à ce sujet mais je peux dire un certain nombre de choses concernant les principes. L'objectif est d'ouvrir de nouvelles perspectives, à la fois à l'AFD et à la Caisse des dépôts, et de réaliser l'objectif de porter d'ici 2020 à plus de 12 milliards d'euros la capacité d'engagement annuel de l'Agence, soit une augmentation de 4 milliards d'euros, dont 2 pour le climat.
Certes, je ne l'aurais pas proposée si je n'y croyais pas fermement. Elle permettra de constituer une agence de financement plus fortement dotée, équipée, bien connectée aux collectivités locales et aux entreprises - bref, elle sera plus efficace, et c'est l'objectif que nous poursuivons, que ne le sont aujourd'hui séparément l'AFD et la Caisse. L'Agence y gagnera un ancrage et des ressources supplémentaires. Elle sera dotée d'un nouveau projet, avec de nouveaux moyens, au service du développement de la transition énergétique et du rayonnement de la France.
Le président de la République annoncera dans les tout prochains jours les modalités précises de ce rapprochement, après avoir reçu les propositions du préfigurateur, notre ami Rémy Rioux. Je veux simplement vous dire aujourd'hui qu'il est déjà acquis - je ne révélerai pas un secret en disant cela - que cette réforme respectera un certain nombre de principe fondamentaux auxquels vous êtes légitimement attachés.
Le premier, c'est le respect de l'identité de l'Agence, forgée par beaucoup de décennies d'histoire. Il n'y aura pas de dilution de la culture commune qui est la vôtre : seront préservés les savoir-faire que vous avez acquis. Le maintien d'un mandat de l'Agence clairement centré sur le développement et l'ajout de cette mission à celui de la Caisse constituent de puissantes garanties.
Dans le même temps, et ce n'est pas contradictoire, ce rapprochement doit créer un mouvement, sinon ce n'est pas nécessaire de le faire, de façon à construire des synergies entre ces deux grandes maisons au service de l'intérêt général, ces deux maisons qui ne sont pas comme les autres et qui partagent les mêmes valeurs. Un rapprochement de façade n'aurait guère de sens. Nous créerons donc les conditions d'une véritable intégration du futur groupe CDC-AFD. Il ne s'agit évidemment pas de nier les cultures spécifiques de chacun mais de miser sur le potentiel de rapprochement : la mobilité professionnelle, qui est une perspective très intéressante, le croisement des expertises, la mise en commun des réseaux qui seront un facteur d'enrichissement pour chacune des deux institutions mais aussi, je pense pour chacun des collaborateurs. Le second principe au respect duquel nous veillerons, c'est le maintien du lien avec l'État et avec la politique extérieure de la France. Certes, l'Agence ne doit pas être seulement l'outil de l'État : elle doit se rapprocher des collectivités locales, des entreprises et des investisseurs, comme elle a su le faire au cours des dernières années vis-à-vis de la société civile et des ONG. C'est une évolution indispensable, qui est d'ailleurs inscrite dans les principes adoptés à Addis-Abeba et lors de la COP21. Mais nous devrons impérativement préserver le lien tissé avec l'État et la capacité de l'AFD d'inscrire son action dans une vision politique des relations internationales et des priorités de notre pays, ce n'est pas un électron libre.
Le troisième principe, c'est la fidélité à la mission de solidarité. Préserver la mission de l'Agence, c'est maintenir le développement durable et la lutte contre la pauvreté au coeur des enjeux. C'est pourquoi la réforme en cours se traduira par une augmentation des prêts, mais aussi des dons, afin d'intervenir dans les pays dont les capacités d'endettement sont limitées, et de réaffirmer le message de solidarité de la France avec les plus démunis. Nous avons donc engagé, dès 2016, une démarche de hausse des subventions, dont le niveau progressera dans les années qui viennent : nous avons donné les chiffres, l'objectif est de parvenir en 2020 à un montant supérieur de 370 millions d'euros à ce qu'il était en 2015.
Le quatrième principe, enfin, consiste à inscrire l'action de l'Agence dans une perspective de rayonnement, notamment économique, de notre pays. À cet égard, les premiers résultats sont encourageants. En 2014 - je n'ai pas encore les chiffres pour 2015 - les entreprises françaises demeurent les premiers adjudicataires des marchés internationaux financés par l'AFD. Mieux encore, en 2014 le taux de participation des entreprises françaises a progressé, passant de 77% à 83%, tandis que la part de marché des entreprises françaises s'est maintenue à 55% (sous-traitance incluse). Mais accompagner nos entreprises dans les pays en développement ne consiste pas uniquement à leur faire remporter des parts de marché. Elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir agir dans les pays en développement afin de mener à bien des projets à impact social et/ou environnemental. Nous devons être capables de les aider, en premier lieu les PME et les ETI, et d'accompagner des projets tels que ceux issus de l'entrepreneuriat social, qui participent à une économie plus inclusive.
Dans le cadre de la réforme - et toujours en vue de renforcer et d'enrichir l'action de l'AFD -, j'ai également décidé - c'est ma responsabilité - de transférer à l'AFD le secteur de la gouvernance, qui constitue un défi majeur et un enjeu de première importance. Je sais que vous saurez relever ce défi.
L'accroissement de votre niveau d'activité devra par ailleurs conduire à repenser le cadre stratégique des interventions de l'Agence. Cette réflexion, comme l'ensemble de la réforme, se traduira dans un nouveau contrat d'objectifs et de moyens qui devra être négocié en 2016. Cet exercice passera par une réflexion sur l'adaptation du champ et des priorités géographiques de l'Agence, en vue d'accroître encore ses interventions sur le climat, en particulier sur l'adaptation, de maintenir la priorité africaine et l'attention portée aux PMA, de favoriser le développement de nouveaux produits financiers, de renforcer la capacité de l'Agence à bâtir des coalitions d'acteurs donnant toute leur place aux collectivités locales, aux entreprises et à la société civile - le renfort de la Caisse des dépôts y contribuera.
J'ajoute que la réforme repose également sur des partenariats renforcés avec les autres acteurs de la coopération internationale de la France, en particulier nos collègues d'Expertise France qui a pris un très bon départ. La signature, fin 2015, d'un accord-cadre entre l'AFD et Expertise France, a permis de clarifier les rôles de chaque agence, de préciser les modalités de collaboration et de renforcer les synergies.
Ces nouveaux moyens - parce que sinon cela n'aurait pas d'objet - devront servir les priorités politiques que sont la paix et la prévention des crises. J'évoquerai brièvement, avant de conclure, trois secteurs prioritaires qui me paraissent illustrer le rôle que vous pouvez jouer.
Le premier secteur, dont j'ai souvent parlé avec Mme Pogam, est celui de l'éducation. Pour lutter contre l'obscurantisme, l'accès à une éducation de base et notamment pour les filles parce que cela a aussi une traduction en termes de démographie, est un des viviers les plus importants sur lequel nous pouvons compter. Nous savons combien l'éducation est un facteur garantissant l'intégration et la cohésion sociale. N'oublions pas l'enjeu central de la francophonie, qui ne survivra pas dans les États sahéliens si un système éducatif de qualité n'est pas là pour la faire perdurer. L'éducation est donc un thème qu'il faut avoir comme priorité à l'esprit.
Le second sujet, c'est celui de la jeunesse, en particulier dans le Sahel, région confrontée au redoutable défi de la croissance démographique et de l'accès à l'emploi des nouvelles générations. Je crois que c'est l'un des pays où le taux de croissance de la population est le plus fort, le Niger où il doit y avoir sept ou huit enfants par femme, et comme il y a plusieurs femmes dans un foyer, vous voyez ce que cela donne, cela veut dire que la croissance, même si elle peut être forte est immédiatement «mangée» par cette évolution. Et le fait de répondre que c'est «culturel» ne suffit pas à traiter le problème. C'est un sujet très difficile, bien évidemment, y compris pour les autorités politiques locales mais dont nous ne pouvons pas et dont nous ne devons pas nous désintéresser.
Troisième sujet, ce sont les interventions dans les États en crise. Il s'agit malheureusement d'une situation de plus en plus fréquente, et l'intervention des agences de développement revêt une importance particulière quand il s'agit de contribuer à la stabilisation économique et politique et de maintenir des perspectives de développement dans des États en situation de conflit ou d'extrême fragilité. Les outils classiques sont souvent mal adaptés, trop longs ou trop complexes. L'AFD a su montrer sa capacité à innover, à proposer des solutions plus rapides, plus simples et nous devrons, vous devrez confirmer tout cela.
Mesdames et Messieurs,
En conclusion de ce propos, je veux insister sur l'importance de la réforme que le président de la République annoncera la semaine prochaine. Celle-ci doit permettre à l'Agence de prendre une dimension encore plus importante et de renforcer ce qu'elle est, tout en confortant le coeur de sa mission et son identité - c'est-à-dire le financement du développement. Cette réforme combinera les savoir-faire de l'Agence et la Caisse des dépôts, afin d'innover et de se déployer plus encore. C'est donc une étape très positive de la vie de cette maison qui s'annonce. Je sais pouvoir compter sur votre engagement pour que la réussite soit au bout du chemin. C'est une raison supplémentaire pour laquelle je suis sûr de ne pas me tromper en vous souhaitant une très bonne année 2016 : une très bonne année personnelle pour chacune et chacun de vous et pour tous ceux qui nous écoutent, et une très bonne année pour l'Agence française de développement qui fait honneur à notre pays. Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 janvier 2016
Madame la Directrice générale,
Mesdames et Messieurs, Chers Amis,
Cela me fait plaisir de vous retrouver pour ce rendez-vous annuel de l'AFD. Les «journées du réseau» permettent de faire le point sur les avancées de l'année écoulée et de tracer des perspectives pour cette année. Je n'avais pas pu être des vôtres l'an dernier, retenu au dernier moment par des contraintes liées aux attentats. Je tenais d'autant plus à être présent cette année, en signe de mon attachement à votre maison et à la politique de développement dont vous êtes les artisans.
Je veux d'abord vous présenter mes meilleurs voeux pour 2016 -comme il y a des caméras, je pense que je dois aussi m'adresser à d'autres personnes qui ne sont pas dans cette salle. J'espère que sur le plan professionnel, sur le plan personnel, 2016 sera pour vous tous un très bon cru.
Nous nous souviendrons de 2015 comme d'une année-charnière, pour des raisons extrêmement opposées.
D'un côté - et c'est le côté sombre -, 2015 aura été marquée par une très forte instabilité internationale, par beaucoup de crises et de conflits avec une intensité et un degré de violence exceptionnels. Il suffit de citer le mouvement terroriste Daech qui est la manifestation la plus extrême et la plus spectaculaire, avec des effets bien au-delà de l'Irak et de la Syrie. Les drames du terrorisme et ceux liés à la crise migratoire - qu'il ne faut pas mélanger mais qui parfois se mélangent -, sont sans équivalent depuis la deuxième guerre mondiale. Tout cela montre qu'aucun pays, même en Europe, ne peut se sentir épargné. Donc, alors que c'était difficilement envisageable il y a quelques années, c'est une dimension majeure que vous êtes amenés à prendre en compte dans votre travail quotidien ; à la fois dans vos vies personnelles, pour ceux qui sont à l'étranger et même pour ceux qui sont en France, et puis dans les dossiers que vous avez à traiter.
D'un autre côté, 2015 aura permis de progresser de façon décisive vers un monde plus juste et plus durable. D'abord avec la conférence d'Addis Abeba sur le financement du développement en juillet, puis avec l'adoption des Objectifs universels de développement durable à New York en septembre, même si Ban Ki-moon faisait remarquer qu'il n'y avait pas eu le même enthousiasme que pour la COP, peut-être parce que c'était plus difficile à comprendre, les enjeux, etc. Et puis, nous avons eu, surtout, le succès de la COP21 en décembre. La communauté internationale, dans le contexte très difficile que je rappelais à l'instant, a apporté un démenti à ceux qui doutaient de la capacité du multilatéralisme à parvenir à des compromis universels. Je ne dis pas que ce soit facile et que l'on puisse arriver sur tous les points à des résultats, mais cela montre quand même que l'on peut arriver à des résultats.
Deux années de mobilisation intense de toute l'équipe France ont contribué à créer un climat de confiance entre tous les pays lors de la Conférence de Paris. Grâce à ce travail, nous sommes parvenus en décembre à un accord historique - un accord universel, ambitieux, équitable, et juridiquement contraignant. Vous y avez pris toute votre part, en remplissant le mandat que le gouvernement avait fixé à l'AFD de consacrer 50% de ses financements à des projets ayant un co-bénéfice pour le climat. D'autre part, je sais - et cela n'a pas été facile - que vous avez poussé vos pairs à adopter des principes communs pour la comptabilisation et la mobilisation de la finance climat. Cela n'a pas donné lieu à des manifestations de masse considérables mais je crois que cela a été important. Je me rappelle en particulier du travail que nous avons pu faire à Lima. Nous avons su éviter - et pas par des artifices - ce qui aurait été, à coup sûr, un bloc qui aurait empêché un succès de Paris. L'une des difficultés, c'est qu'il fallait éviter que Paris tourne tout entier autour de la question des 100 milliards. Même si les choses restent toujours difficiles, nous avons pu obtenir par un long travail, à la fois technique et politique, que cette question soit déminée. Finalement, même si cela a été à juste titre abordé profondément dans les semaines de discussions à Paris, nous avons pu éviter que ce ne soit pas un écueil qui nous fasse trébucher. Et puis, vous avez aidé, avec Expertise France, les pays en développement qui en avaient besoin à préparer leur contribution nationale. Je sais, parce qu'ils m'en ont parlé, que les gouvernants de ces pays vous ont été très reconnaissants.
Je veux saisir cette occasion pour dire que l'AFD, que ce soit dans son travail concret - co-bénéfice pour le climat -, dans son travail technique avec vos homologues pour les pousser à se mobiliser pour la finance climat, ou par le travail de la préparation des INDC, a été vraiment très utile pour le succès de la COP21.
Beaucoup de gens - mais pas vous parce que vous connaissez le sujet - pensent que maintenant notre travail est terminé en ce qui concerne le gouvernement français. C'est faux. Les règles sont ainsi faites que j'assure la présidence de la COP21 jusqu'au mois de novembre 2016, avant de passer la suite à nos amis marocains. Ça c'est l'aspect juridique mais au-delà de cet aspect, il y a un énorme travail à faire, que nous allons faire, notamment avec Laurence Tubiana.
J'emploie une formule qui n'est pas à prendre juste au pied de la lettre : Si la COP21, la conférence de Paris a écrit la loi, il faut maintenant écrire les textes d'application, dans tous les domaines. Je suppose que tous les matins vous lisez bien sûr le contenu de l'accord de Paris, comme moi : ce n'est pas du Flaubert mais c'est substantiel et, évidemment, il faut traduire tout cela en actes.
Il y a un travail qu'il va falloir faire avec les gouvernements. Et puis, il y a un travail à faire avec les acteurs non-gouvernementaux et c'est un des autres aspects du succès de Paris, qu'il s'agisse des communes, des régions, des entreprises, du secteur financier, des ONG, des particuliers.
Il y a eu une bascule à Paris. Il y a un «avant» Paris et un «après» Paris. Le pli est maintenant pris - cela ne changera plus - d'aller vers une économie et une société bas-carbone. Évidemment, ce travail de mise au point, les textes gouvernementaux et inter-gouvernementaux, et ce travail de mise en action, d'implémentation des acteurs non-gouvernementaux, il nous revient au cours de cette année de l'assurer pour qu'ensuite nous puissions passer le relais à nos amis marocains.
Très concrètement, cela veut dire d'abord qu'il va falloir signer solennellement l'accord de Paris. La signature est ouverte à partir du 22 avril 2016 à New York. Ensuite, il faudra le ratifier. L'accord de Paris entrera en vigueur lorsque 55 pays l'auront ratifié, représentant au moins 55% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cela viendra sans doute assez vite.
Et puis, parallèlement, nous devrons faire le travail de préparation de Marrakech, le travail post Paris et pré Marrakech pour qu'il ne soit pas dit que la France s'est contentée, même si c'était énorme, d'assurer le succès de la conférence de Paris. Il faut aussi que nous assurions le succès de sa mise en oeuvre.
S'agissant des financements, l'accord fixe aux pays développés une obligation de fournir et de mobiliser des financements, selon un principe de progression. Il prévoit aussi que les fonds publics doivent constituer une part «significative» des financements climat, et que ces fonds publics - notamment les dons - sont particulièrement importants pour ce qui relève de l'adaptation - vous vous rappelez que c'est un des thèmes de la conférence. L'accord prévoit également une solidarité en matière de développement, de diffusion des technologies propres et de renforcement des capacités. Tout cela, il va falloir le mettre en oeuvre.
Sans attendre l'entrée en vigueur de l'accord de Paris en 2020, le mouvement enclenché à Paris doit se traduire dans les politiques climatiques nationales et les stratégies d'investissement privé. Plus les efforts réalisés avant 2020 seront significatifs, plus la mise en oeuvre de l'accord sera facilitée. Nous nous sommes engagés à ce qu'un premier état des lieux sur les actions pré-2020 soit dressé en 2018, il permettra de faire le point sur les travaux entrepris et les progrès réalisés.
De ce point de vue, je voudrais vous faire part de mon analyse. Elle est peut-être contestable mais, pour avoir réfléchi aux conditions dans lesquelles nous avons obtenu ce succès et à ce qui se passe dans le vaste monde, je pense qu'il y a deux tendances opposées et que la deuxième va l'emporter. Nous avons obtenu que tous les pays du monde s'engagent dans cet accord de Paris, mais quand on regarde les dispositions de l'accord, ces dispositions sont vraiment le maximum de ce que l'on pouvait obtenir ; elles sont même au-delà de ce que beaucoup anticipaient. Et il peut y avoir - après tout c'est une réaction normale de la part d'un certain nombre de gouvernements - maintenant une attitude de rétraction ; il faut dire qu'il y avait une pression extrêmement forte. Dans le détail, au moment où on va discuter ce qu'est la transparence, qu'est-ce que ceci, qu'est-ce que cela, il peut y avoir une certaine rétraction. Ma conviction, c'est que la tendance qui l'emportera sera exactement inverse. Quand je vois par exemple ce qui se passe en Chine, à Pékin, avec une pollution, avec notamment des émissions de gaz à effet de serre qui sont au-delà de ce qui est supportable, au sens physique, quand je vois ce qui se passe à Delhi, quand je vois ce qui se passe - c'était cette nuit - avec l'affaire de l'émission de méthane en Californie qui oblige à déclarer l'état d'urgence, je pense qu'il est illusoire de considérer que l'on mettra dix ans avant d'appliquer ce que nous avons décidé à Paris. Théoriquement, quand vous lisez l'accord - et il n'était pas possible de faire autrement -, il y a des ambivalences, des ambiguïtés et si on tirait à la ligne comme l'on dit dans le domaine théâtral ou littéraire, on pourrait aboutir à ce que peu de choses soient faites en 2025. Je n'y crois pas un instant. Je crois que la pression, que ce soit la pression des populations elles-mêmes, la pression des entreprises qui ont compris maintenant qu'il fallait faire la bascule, la pression des collectivités locales, qui sont des opérateurs de premier rang, sera telle que les choses iront beaucoup plus vite que ce que l'on pense. Vous avez là deux mouvements, de sens probablement contraires, mais l'intérêt du monde et notre conviction, c'est que c'est la deuxième tendance qui prévaudra. Nous allons nous, la France, singulièrement l'AFD, travailler en ce sens.
Notre rôle - et le vôtre - doit donc être de continuer à encourager toutes les actions immédiates sur le terrain en faveur du développement durable et à favoriser l'implication de tous les acteurs, publics comme privés, locaux comme nationaux ou internationaux.
Le président de la République vous a fixé des objectifs ambitieux : d'une part, porter le montant annuel des financements internationaux de la France pour le climat de 3 à 5 milliards d'euros d'ici 2020 ; d'autre part, dans le cadre de cette enveloppe, consacrer 2 milliards d'euros entre 2015 et 2020 à l'électrification en Afrique. Donc, pour être clair, 2015 a été l'année d'un grand succès diplomatique, 2016 doit être celle du suivi et de la mise en oeuvre. Si 2015 a été l'année du succès diplomatique, 2016 doit être celle du suivi et de la mise en oeuvre afin de construire ensemble un monde assez nouveau, que parfois, les plus ambitieux d'entre nous caractérisent par cette formule : «zéro pauvreté, zéro carbone».
2016 sera une année-tournant pour l'AFD. Votre ancêtre était la caisse centrale de la France libre - peu d'entre nous ont connu cette période puisque c'était la loi du 30 avril 1946. Rendez-vous compte, c'était même avant ma naissance. La caisse centrale de la France libre a été transformée en banque de développement. Maintenant, l'Agence jouera un rôle central dans le renouvellement et le renforcement des outils de notre politique de développement et de solidarité internationale qu'a décidé le gouvernement. Ce mouvement, lancé par la loi du 7 juillet 2014, est plus que jamais rendu nécessaire par l'agenda tracé par les grandes conférences internationales. Ces rendez-vous ont confirmé la mission essentielle qui vous est confiée : la lutte contre la pauvreté et le développement durable. Je pense que l'on peut dire, sans être inexact, que cela a également incité à ce que vos actions prennent un tour nouveau, en estompant, d'une certaine façon, les catégories traditionnelles à partir desquelles nous pensions jusqu'ici le développement même si les choses avaient déjà évoluées : pays du Nord et pays du Sud, aide au développement et développement interne, croissance et résilience, acteurs souverains et acteurs non étatiques.
Les choses étaient déjà beaucoup plus complexes mais on voit bien que, même s'il y a des priorités que tout cela est en train d'évoluer. La somme des engagements pris cette année et ce nouveau cadre conceptuel nous obligent donc à repenser nos moyens d'intervention, afin d'accomplir davantage et plus efficacement, grâce à un outil de diplomatie globale au service de l'ensemble des acteurs du développement.
C'est dans cet esprit que j'ai proposé, il y a de cela quelques mois, au président de la République qui en a pris la décision - c'est sa responsabilité - de rapprocher l'AFD et la Caisse des dépôts. Je n'entrerai pas dans les détails parce que, comme vous le savez, la semaine prochaine le président de la République fera d'importantes déclarations à ce sujet mais je peux dire un certain nombre de choses concernant les principes. L'objectif est d'ouvrir de nouvelles perspectives, à la fois à l'AFD et à la Caisse des dépôts, et de réaliser l'objectif de porter d'ici 2020 à plus de 12 milliards d'euros la capacité d'engagement annuel de l'Agence, soit une augmentation de 4 milliards d'euros, dont 2 pour le climat.
Certes, je ne l'aurais pas proposée si je n'y croyais pas fermement. Elle permettra de constituer une agence de financement plus fortement dotée, équipée, bien connectée aux collectivités locales et aux entreprises - bref, elle sera plus efficace, et c'est l'objectif que nous poursuivons, que ne le sont aujourd'hui séparément l'AFD et la Caisse. L'Agence y gagnera un ancrage et des ressources supplémentaires. Elle sera dotée d'un nouveau projet, avec de nouveaux moyens, au service du développement de la transition énergétique et du rayonnement de la France.
Le président de la République annoncera dans les tout prochains jours les modalités précises de ce rapprochement, après avoir reçu les propositions du préfigurateur, notre ami Rémy Rioux. Je veux simplement vous dire aujourd'hui qu'il est déjà acquis - je ne révélerai pas un secret en disant cela - que cette réforme respectera un certain nombre de principe fondamentaux auxquels vous êtes légitimement attachés.
Le premier, c'est le respect de l'identité de l'Agence, forgée par beaucoup de décennies d'histoire. Il n'y aura pas de dilution de la culture commune qui est la vôtre : seront préservés les savoir-faire que vous avez acquis. Le maintien d'un mandat de l'Agence clairement centré sur le développement et l'ajout de cette mission à celui de la Caisse constituent de puissantes garanties.
Dans le même temps, et ce n'est pas contradictoire, ce rapprochement doit créer un mouvement, sinon ce n'est pas nécessaire de le faire, de façon à construire des synergies entre ces deux grandes maisons au service de l'intérêt général, ces deux maisons qui ne sont pas comme les autres et qui partagent les mêmes valeurs. Un rapprochement de façade n'aurait guère de sens. Nous créerons donc les conditions d'une véritable intégration du futur groupe CDC-AFD. Il ne s'agit évidemment pas de nier les cultures spécifiques de chacun mais de miser sur le potentiel de rapprochement : la mobilité professionnelle, qui est une perspective très intéressante, le croisement des expertises, la mise en commun des réseaux qui seront un facteur d'enrichissement pour chacune des deux institutions mais aussi, je pense pour chacun des collaborateurs. Le second principe au respect duquel nous veillerons, c'est le maintien du lien avec l'État et avec la politique extérieure de la France. Certes, l'Agence ne doit pas être seulement l'outil de l'État : elle doit se rapprocher des collectivités locales, des entreprises et des investisseurs, comme elle a su le faire au cours des dernières années vis-à-vis de la société civile et des ONG. C'est une évolution indispensable, qui est d'ailleurs inscrite dans les principes adoptés à Addis-Abeba et lors de la COP21. Mais nous devrons impérativement préserver le lien tissé avec l'État et la capacité de l'AFD d'inscrire son action dans une vision politique des relations internationales et des priorités de notre pays, ce n'est pas un électron libre.
Le troisième principe, c'est la fidélité à la mission de solidarité. Préserver la mission de l'Agence, c'est maintenir le développement durable et la lutte contre la pauvreté au coeur des enjeux. C'est pourquoi la réforme en cours se traduira par une augmentation des prêts, mais aussi des dons, afin d'intervenir dans les pays dont les capacités d'endettement sont limitées, et de réaffirmer le message de solidarité de la France avec les plus démunis. Nous avons donc engagé, dès 2016, une démarche de hausse des subventions, dont le niveau progressera dans les années qui viennent : nous avons donné les chiffres, l'objectif est de parvenir en 2020 à un montant supérieur de 370 millions d'euros à ce qu'il était en 2015.
Le quatrième principe, enfin, consiste à inscrire l'action de l'Agence dans une perspective de rayonnement, notamment économique, de notre pays. À cet égard, les premiers résultats sont encourageants. En 2014 - je n'ai pas encore les chiffres pour 2015 - les entreprises françaises demeurent les premiers adjudicataires des marchés internationaux financés par l'AFD. Mieux encore, en 2014 le taux de participation des entreprises françaises a progressé, passant de 77% à 83%, tandis que la part de marché des entreprises françaises s'est maintenue à 55% (sous-traitance incluse). Mais accompagner nos entreprises dans les pays en développement ne consiste pas uniquement à leur faire remporter des parts de marché. Elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir agir dans les pays en développement afin de mener à bien des projets à impact social et/ou environnemental. Nous devons être capables de les aider, en premier lieu les PME et les ETI, et d'accompagner des projets tels que ceux issus de l'entrepreneuriat social, qui participent à une économie plus inclusive.
Dans le cadre de la réforme - et toujours en vue de renforcer et d'enrichir l'action de l'AFD -, j'ai également décidé - c'est ma responsabilité - de transférer à l'AFD le secteur de la gouvernance, qui constitue un défi majeur et un enjeu de première importance. Je sais que vous saurez relever ce défi.
L'accroissement de votre niveau d'activité devra par ailleurs conduire à repenser le cadre stratégique des interventions de l'Agence. Cette réflexion, comme l'ensemble de la réforme, se traduira dans un nouveau contrat d'objectifs et de moyens qui devra être négocié en 2016. Cet exercice passera par une réflexion sur l'adaptation du champ et des priorités géographiques de l'Agence, en vue d'accroître encore ses interventions sur le climat, en particulier sur l'adaptation, de maintenir la priorité africaine et l'attention portée aux PMA, de favoriser le développement de nouveaux produits financiers, de renforcer la capacité de l'Agence à bâtir des coalitions d'acteurs donnant toute leur place aux collectivités locales, aux entreprises et à la société civile - le renfort de la Caisse des dépôts y contribuera.
J'ajoute que la réforme repose également sur des partenariats renforcés avec les autres acteurs de la coopération internationale de la France, en particulier nos collègues d'Expertise France qui a pris un très bon départ. La signature, fin 2015, d'un accord-cadre entre l'AFD et Expertise France, a permis de clarifier les rôles de chaque agence, de préciser les modalités de collaboration et de renforcer les synergies.
Ces nouveaux moyens - parce que sinon cela n'aurait pas d'objet - devront servir les priorités politiques que sont la paix et la prévention des crises. J'évoquerai brièvement, avant de conclure, trois secteurs prioritaires qui me paraissent illustrer le rôle que vous pouvez jouer.
Le premier secteur, dont j'ai souvent parlé avec Mme Pogam, est celui de l'éducation. Pour lutter contre l'obscurantisme, l'accès à une éducation de base et notamment pour les filles parce que cela a aussi une traduction en termes de démographie, est un des viviers les plus importants sur lequel nous pouvons compter. Nous savons combien l'éducation est un facteur garantissant l'intégration et la cohésion sociale. N'oublions pas l'enjeu central de la francophonie, qui ne survivra pas dans les États sahéliens si un système éducatif de qualité n'est pas là pour la faire perdurer. L'éducation est donc un thème qu'il faut avoir comme priorité à l'esprit.
Le second sujet, c'est celui de la jeunesse, en particulier dans le Sahel, région confrontée au redoutable défi de la croissance démographique et de l'accès à l'emploi des nouvelles générations. Je crois que c'est l'un des pays où le taux de croissance de la population est le plus fort, le Niger où il doit y avoir sept ou huit enfants par femme, et comme il y a plusieurs femmes dans un foyer, vous voyez ce que cela donne, cela veut dire que la croissance, même si elle peut être forte est immédiatement «mangée» par cette évolution. Et le fait de répondre que c'est «culturel» ne suffit pas à traiter le problème. C'est un sujet très difficile, bien évidemment, y compris pour les autorités politiques locales mais dont nous ne pouvons pas et dont nous ne devons pas nous désintéresser.
Troisième sujet, ce sont les interventions dans les États en crise. Il s'agit malheureusement d'une situation de plus en plus fréquente, et l'intervention des agences de développement revêt une importance particulière quand il s'agit de contribuer à la stabilisation économique et politique et de maintenir des perspectives de développement dans des États en situation de conflit ou d'extrême fragilité. Les outils classiques sont souvent mal adaptés, trop longs ou trop complexes. L'AFD a su montrer sa capacité à innover, à proposer des solutions plus rapides, plus simples et nous devrons, vous devrez confirmer tout cela.
Mesdames et Messieurs,
En conclusion de ce propos, je veux insister sur l'importance de la réforme que le président de la République annoncera la semaine prochaine. Celle-ci doit permettre à l'Agence de prendre une dimension encore plus importante et de renforcer ce qu'elle est, tout en confortant le coeur de sa mission et son identité - c'est-à-dire le financement du développement. Cette réforme combinera les savoir-faire de l'Agence et la Caisse des dépôts, afin d'innover et de se déployer plus encore. C'est donc une étape très positive de la vie de cette maison qui s'annonce. Je sais pouvoir compter sur votre engagement pour que la réussite soit au bout du chemin. C'est une raison supplémentaire pour laquelle je suis sûr de ne pas me tromper en vous souhaitant une très bonne année 2016 : une très bonne année personnelle pour chacune et chacun de vous et pour tous ceux qui nous écoutent, et une très bonne année pour l'Agence française de développement qui fait honneur à notre pays. Merci.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 janvier 2016