Interview de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, avec RMC ET BFM TV le 14 janvier 2016, sur la lutte contre le groupe terroriste Daech, la vente d'avions Rafale et sur l'élection présidentielle de 2017.

Prononcé le

Média : BFM TV - Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invité ce matin est Jean-Yves LE DRIAN. Bonjour.
JEAN-YVES LE DRIAN
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ministre de la Défense, président de la région Bretagne, première intervention de cette année 2016 en radio ou en télévision. Jean-Yves LE DRIAN, où est-ce qu'on en est des frappes aériennes sur la Syrie et l'Irak ? 500 frappes aériennes en 2015, 270 après le 13 novembre. Et en 2016 ?
JEAN-YVES LE DRIAN
En 2016 on continue. Nous avons frappé cette nuit aux environs de Mossoul, sur un centre de télécommunications de Daesh, un centre de propagande. Nous avons frappé sept fois depuis lundi, donc l'action de la France se poursuit au sein de la coalition.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mossoul c'est en Irak, je le rappelle.
JEAN-YVES LE DRIAN
On poursuit en Irak et en Syrie. Ce que l'on peut dire aujourd'hui, c'est que Daesh recule. Daesh recule en Irak. Il faut être très précautionneux, il faut être très prudent mais quand même. La prise de Sinjar, ce n'est pas rien.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les avions français ont contribué à la chute de Ramadi ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Par exemple la chute des Ramadi. L'aviation française y a beaucoup contribué, d'autant plus que le porte-avions était sur zone et donc nous avons à la fois les avions de l'armée de l'air basés en Jordanie et aux Emirats Arabes Unis et puis les avions Super-Etendard et Rafale du porte-avions qui continuent à mener leurs actions de frappes au sein de la coalition, mais ce sont les forces irakiennes et les forces kurdes qui interviennent au sol. Nous les formons grâce à des équipes qui sont sur place, mais ce sont eux qui interviennent au sol et nous, nous appuyons par des frappes aériennes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous allez engager la bataille de Mossoul ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il faudra bien l'engager un jour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est la bataille la plus rude à conduire et la plus dangereuse pour les populations civiles.
JEAN-YVES LE DRIAN
Sinjar et Ramadi, c'étaient déjà des batailles symboliques et exemplaires.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça n'a rien à voir. Un million trois cent mille habitants à Mossoul.
JEAN-YVES LE DRIAN
Mossoul, c'est une affaire beaucoup plus compliquée. Il faut faire en sorte que les forces irakiennes et les forces kurdes puissent être suffisamment aguerries pour être en situation de mener cette bataille. Il faudra la mener au moment où ce sera opportun. Ashton CARTER, le Secrétaire d'Etat américain, va venir à Paris la semaine prochaine et nous allons nous réunir, avec les pays les plus actifs de la coalition.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc réunion ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui. La Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne.
JEAN-JACQUES BOURDIN
De la coalition.
JEAN-YVES LE DRIAN
Des ministres de la Défense. C'est pour repérer tactiquement sur les engagements diplomatiques qui ont été pris au plus haut niveau. Nous allons voir comment accentuer notre effort.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour accentuer les frappes aériennes.
JEAN-YVES LE DRIAN
Pour accentuer l'effort et en Irak et en Syrie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et le soutien aux forces qui sont sur le terrain.
JEAN-YVES LE DRIAN
Et le soutien aux forces. Ce soutien-là, il est très opératoire parce que j'ai pu rencontrer il y a peu de temps, au moment des fêtes, je suis allé au Moyen-Orient voir nos soldats. J'ai vu les militaires français qui assurent la formation des forces irakiennes. Ils sont d'abord très allants et très formateurs, très professionnels. Et puis j'ai pu constater que les résultats étaient à la hauteur.
JEAN-JACQUES BOURDIN
En Irak, la situation est très complexe aujourd'hui.
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, mais il faut encourager le Premier ministre al-ABADI à faire, si j'ose dire, la synthèse et à intégrer autour de lui l'ensemble de la décomposante irakienne pour que ce pays retrouve à la fois une identité et un périmètre respecté.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous étiez en Russie fin décembre, les 20 et 21 décembre je crois. Est-il vrai que Vladimir POUTINE pour l'instant ne veut pas accorder d'asile politique à ASSAD ? Non, vous n'avez pas parlé de ça ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Le président de la République a rencontré le président POUTINE après les événements et après la tragédie du 13 novembre pour parler avec la Russie. Il faut parler avec la Russie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien sûr.
JEAN-YVES LE DRIAN
Il faut parler avec la Russie sur l'ensemble du théâtre du Levant et les discussions que j'ai eues avec mon collègue monsieur CHOÏGOU, le ministre russe de la Défense, a permis de commencer à échanger ensemble.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ils sont prêts à donner asile ?
JEAN-YVES LE DRIAN
On n'a pas évoqué cette question. Ce n'est pas une question directement militaire même si il faut qu'on clarifie bien avec les Russes l'objectif principal. Si l'objectif principal c'est d'éliminer Daesh – c'est notre objectif : notre ennemi, c'est Daesh – si notre objectif principal est celui-là, il faut alors que les Russes considèrent qu'il faut d'abord frapper Daesh. Ce n'est pas tout à fait le cas parce qu'ils ont une tendance très forte à frapper d'abord les insurgés, l'opposition modérée qui combat contre Bachar El-ASSAD et contre…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Modérée ? Pas toujours modérée.
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, modérée.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Al-Nosra, ce n'est pas tellement modéré.
JEAN-YVES LE DRIAN
Je ne parle pas d'Al-Nosra. Je parle des groupes qui se sont réunis à Riyad, les groupes dits de l'opposition modérée, dits des insurgés, qui vont dans le cas du processus de Vienne et dans le cas de l'application de la résolution des Nations Unies qui a été prise en décembre, la résolution 2254, qui se sont organisés pour discuter avec le régime de la solution politique transitoire. C'est ça l'espoir, parce qu'il n'y aura pas de victoire militaire définitive s'il n'y a pas une transition politique qui soit effectuée en Syrie, et pour nous ça passe par une transition politique sans Bachar El-ASSAD qui ne permet pas de légitimer un nouveau pouvoir politique. C'est ce que j'ai dit aussi aux Russes. Donc pour que les Russes affirment leur position anti-Daesh, il faut frapper Daesh au coeur et, en ce qui concerne la Syrie, c'est Raqqa, c'est Deir Ezzor, ce sont des sites comme ceux-là qu'ils frappent, mais à mon avis pas suffisamment encore.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les Russes seront là la semaine prochaine avec vous ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je parle de la coalition, les Russes ne sont pas dans la coalition. Ceux qui vont être réunis, ce sont les ministres de la Défense des pays les plus actifs dans la coalition à la fois en Irak et en Syrie. Je vous rappelle que les Russes ne sont pas dans la coalition et qu'ils ne frappent pas en Irak.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je sais, je sais. Et ils feraient bien de frapper Daesh aussi.
JEAN-YVES LE DRIAN
Ils feraient bien de frapper Daesh en Syrie. Ils le font mais, à mon avis, pas suffisamment.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pas suffisamment. Le 26 janvier, François HOLLANDE sera en Inde.
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'il va signer définitivement le contrat des trente-six Rafale ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Vous savez, je n'anticipe jamais ce type de chose et c'est ce qui me permet d'avoir des résultats. J'espère que ça pourra se faire mais pour l'instant, n'anticipons pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il paraît qu'il sera finalisé à cette occasion. C'est ce que dit la presse indienne.
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, la presse indienne a dit beaucoup de choses depuis plusieurs mois donc ce n'est pas exclu, mais ce n'est pas acté.
JEAN-JACQUES BOURDIN
A propos de nos ventes d'armes, l'année 2015 a été une très belle année pour la France.
JEAN-YVES LE DRIAN
Seize milliards de ventes. C'est un record.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est un record ?
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est un record, oui. C'est le double de l'année précédente et l'année précédente, c'était déjà le double de l'année antérieure, ce qui fait qu'on bat un record, oui. Je suis très fier des industries françaises.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous êtes fier lorsqu'on vend des armes à l'Arabie Saoudite ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Mais vous savez qu'on n'en vend pas énormément à l'Arabie Saoudite. C'est un thème récurrent. L'Arabie Saoudite est un partenaire de la France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui bafoue les droits de l'Homme. Qui décapite comme Daesh d'ailleurs.
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est malheureusement… Nous sommes tout à fait opposés à la peine de mort. Ça ne nous empêche pas de parler avec des pays dont il faut s'assurer la stabilité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui bombarde au Yémen des populations civiles.
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui. Il y a un conflit au Yémen mais qui est un conflit où on voit à la fois des bombardements d'un côté et de l'autre. Ce qui nous importe, c'est que l'Arabie Saoudite se stabilise et dans cette hypothèse, il faut parler avec eux. C'est un pays qui n'a pas la même conception des droits de l'Homme que nous-mêmes. Nous le savons, nous protestons contre les exécutions et la peine de mort mais il n'y a pas que ce pays qui n'a pas aboli la peine de mort. Les Etats-Unis aussi et nous parlons aussi avec les Etats-Unis, heureusement. Donc il importe de parler avec l'Arabie Saoudite, il importe aussi de parler avec l'Iran. Le président ROHANI viendra à Paris dans quelques jours. La France défend ses intérêts et défend ses intérêts de sécurité. Pour défendre ses intérêts de sécurité, elle a des partenaires. L'Arabie Saoudite en fait partie mais ce n'est pas le seul.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que l'Arabie Saoudite va payer les Mistral que l'Egypte achète ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je lis des choses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, je vous pose la question parce que je lis moi aussi ça partout. C'est faux ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Mais je n'ai aucune information particulière là-dessus.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Elle n'a pas payé encore ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Mais c'est réglé rubis sur l'ongle.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça y est ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Mais oui.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est payé ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Et en plus, les accords que nous avons passés avec l'Egypte sur les ventes de Rafale puisque nous parlons des ventes d'armement, les ventes de Rafale, les ventes de bateaux, l'Egypte est au rendez-vous financier. Donc je ne vois pas pourquoi sans arrêt on dit : « C'est l'Arabie Saoudite qui paye tout. » Non, elle a d'ailleurs des difficultés financières. Donc tant qu'on ne m'a pas fait des démonstrations, j'avoue que je suis dans l'interrogation. L'essentiel c'est que les industriels français soient payés ; c'est le cas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Aujourd'hui, voeux aux forces armées à Coëtquidan avec le président de la République, Jean-Yves LE DRIAN. Vous partez d'ailleurs après cette interview. L'opération Sentinelle, onze mille militaires…
JEAN-YVES LE DRIAN
Dix mille.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dix mille, qui sont mobilisés et qui parfois sont fatigués.
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est normal qu'ils soient fatigués.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Lassés.
JEAN-YVES LE DRIAN
Non, non. Je crois qu'ils sont motivés.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Motivés mais fatigués. Il y a une lassitude physique.
JEAN-YVES LE DRIAN
Lassitude physique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, ou nerveuse.
JEAN-YVES LE DRIAN
Mais je suis allé les voir à plusieurs reprises dans la région parisienne mais pas uniquement. C'est vrai que depuis le 13 novembre, il y a une mobilisation extrêmement importante. Trois mille militaires supplémentaires ont été mobilisés depuis cette date pour être en complément des forces de gendarmerie et de police pour assurer la sécurité des Français. Ce n'est pas facile tous les jours parce que ça suppose beaucoup moins de permission ; ça suppose parfois des conditions d'accueil précaires parce que ce n'était pas prévu comme ça, ce qui était tout à fait normal. Moi, j'ai confiance dans leur détermination, j'ai confiance dans leur vigilance, j'ai surtout confiance dans leur sang-froid. Parce que vous avez vu ce qui s'est passé l'autre jour à Valence où un forcené a voulu foncer avec sa voiture sur les militaires. Ils ont su respecter les sommations ; ils ont su tirer parce qu'ils étaient en danger et en légitime défense mais ne pas tuer ; faire en sorte que l'individu puisse être arrêté et qu'il puisse être mis hors de danger de nuire pour ces militaires. En même temps, ils ont fait preuve d'un grand professionnalisme. La force de ces militaires, c'est que ce sont les mêmes qui aujourd'hui assurent la sécurité des Français, surtout à Paris mais aussi en province, et qui seront demain au Mali ou en Centrafrique. Ce sont les mêmes militaires, il n'y a pas deux armées. Il n'y a pas une armée de territoire et puis une armée d'opérations extérieures. Ce sont les mêmes. C'est ce qui fait leur force et c'est ce qui fait aussi leur sang-froid, leur vigilance et leur capacité d'intervention. Même si, je le reconnais aujourd'hui, les conditions sont dures parce qu'il faut durer, garder la persévérance.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et ça va durer.
JEAN-YVES LE DRIAN
Non. Mais le président de la République a décidé au cours de l'année 2015, après la première partie des attentats, de renforcer les effectifs de la Défense. Nous recrutons 11 000 militaires dans l'armée de terre simplement supplémentaires et il faut le temps de les recruter, de les former. Donc je pense que la situation sera plus sereine et plus flexible au cours de la deuxième partie de l'année.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Hier j'avais Xavier BERTRAND qui re-proposait un service militaire national obligatoire, au minimum trois mois pour les filles et garçons. Vous êtes opposé à cela.
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est-à-dire que je considère qu'il faut que ce débat ait lieu. Il est opportun parce que la fracture citoyenne, elle existe et c'est une grande préoccupation. Sans doute Xavier BERTRAND pense-t-il que le retour du service national pourrait permettre de combler ces difficultés. Moi, je ne pense pas parce que nous avons fait le choix, la France à fait le choix il y a vingt ans – c'était le président CHIRAC – de surseoir au service national et il a fait le choix de l'armée professionnelle. Pourquoi ? Parce que dans le type de conflit que nous connaissons aujourd'hui, il faut une armée à la fois technicienne et professionnelle. C'est ce qui se passe au Mali, ce qui se passe en Centrafrique et nous ne pourrions pas, avec une armée de conscription, mener ce type d'action. Il faut donc une armée formée. Ce choix qui a été fait par la France est, je crois, un choix opportun. Alors qu'il faille trouver des formes pour irriguer la citoyenneté par différents moyens, oui. Je ne pense pas que ce soit le rétablissement du service national qui le permettrait, mais par contre, les initiatives qui ont été prises par le président de la République de renforcer le service civique, les initiatives que prend Patrick KANNER pour développer la citoyenneté sont de bonnes initiatives. La Défense y contribue parce que la journée Défense et citoyenneté qui mobilise l'ensemble d'une classe d'âge, c'est vrai pour une journée, pour initier à l'esprit de citoyenneté, fait partie des outils de renforcement de la citoyenneté. Je ne crois pas que ce soit le rétablissement du service national qui permettra cela.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je lis François HOLLANDE sur la déchéance de nationalité. Est-ce que ça va améliorer en quoi que ce soit la protection et la sécurité de nos citoyens ? C'est ça finalement la première question. Est-ce que, en faisant une déchéance de nationalité, pour tel ou tel individu, en nombre limité, on va permettre à ceux qui sont exposés aux agressions tous les jours d'être davantage protégés ? « Non », c'est ce que disait François HOLLANDE.
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, mais écoutez, sur cette affaire, moi je ne comprends pas bien toute cette agitation.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ah bon ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il y a eu un discours majeur du président de la République devant le Congrès le 16 novembre, où il a annoncé un paquet de mesures, lourdes, que ce soit des mesures juridiques, des mesures symboliques, des mesures opérationnelles, pour lutter contre le terrorisme, et ces mesures doivent être appliquées, c'est ce que je pense. Et la déchéance de nationalité, pour moi…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Doit être appliquée ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Pour moi c'est un principe qui fait partie de l'ensemble du paquet qui a été proposé…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous voyez la polémique.
JEAN-YVES LE DRIAN
Je vois la polémique, et j'avoue que, de quoi s'agit-il ? Il s'agit d'enlever la nationalité française à ceux qui commettraient des crimes contre notre propre pays, à ces terroristes qui attaquent…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais à tous les Français ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Non, aux binationaux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Uniquement ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Mais au nom de quoi on préserverait la nationalité française à des assassins de ce type, qui auront été condamnés, et qui aujourd'hui remettent en cause la sécurité des Français ? Ce principe-là moi je…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc le binational, né en France, pourrait se voir retirer la nationalité, mais pas le Français.
JEAN-YVES LE DRIAN
Je pense qu'il faut mettre ce sujet-là dans l'ensemble du paquet qui a été présenté par le Congrès, d'ailleurs le président de la République a été applaudi debout par l'ensemble du congrès, donc moi je suis…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc il ne faut pas toucher ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je suis pour la mise en oeuvre du paquet global que le président de la République a présenté devant le Congrès, y compris la réforme de la Constitution. C'est ça mon point de vue. Je suis très serein sur ce sujet.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il paraît que vous avez convaincu, d'ailleurs, le président de la République, c'est vrai ça, un soir, un mardi soir. Non, ce n'est pas vrai ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Non, j'avais évoqué avec le président de la République une autre chose.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Lui il voulait modifier… non ? Ce n'est pas ce qui a incité Christiane TAUBIRA, d'ailleurs, à faire la déclaration qu'elle a faite ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Non, je n'ai pas ce rôle-là.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes influent Jean-Yves LE DRIAN.
JEAN-YVES LE DRIAN
J'ai convaincu le président de la République, et j'en suis heureux, de mettre en avant, dans le paquet qui a été proposé au Congrès, la référence à l'article 42-7 du traité de Lisbonne, qui n'avait jamais été mis en oeuvre, et qui dit « lorsqu'un des pays membres, un Etat membre, est agressé, la solidarité doit s'exercer. » Et ça c'était une nouveauté, et ça a eu lieu, et je m'en réjouis, parce que c'est grâce à cela, ça aussi c'est le paquet de devant le Congrès, et c'est grâce à cela qu'aujourd'hui le porte-avions français est entouré d'une frégate belge, d'une frégate allemande et d'une frégate britannique. C'est ça aussi les conséquences du discours du Congrès, c'est aussi cela. Donc moi je considère que c'est un paquet, ça m'épate un peu, voilà. Je pense qu'il faut…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Même venant de la gauche ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, je pense qu'il faut appliquer l'ensemble du dispositif…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous pensez qu'il faut appliquer le texte du président de la République présenté le 16 ?
JEAN-YVES LE DRIAN
L'ensemble. Il y a cela, mais il y a aussi beaucoup d'autres choses. Il y a l'état d'urgence, il y a la réforme de la Constitution…
JEAN-JACQUES BOURDIN
L'ensemble…
JEAN-YVES LE DRIAN
C'est l'ensemble qui est un outil pour lutter contre le terrorisme, c'est un arsenal d'actions, il faut mettre l'arsenal d'actions en oeuvre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous allez quitter le gouvernement ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il faut le demander au président de la République.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais parce que vous cumulez deux mandats, vous cumulez le mandat et la fonction de ministre de la Défense, ça vous est reproché…
JEAN-YVES LE DRIAN
J'ai toujours été très clair, alors, je vais vous le dire, lorsque j'ai quitté la présidence de la région Bretagne, en 2012, je me suis engagé devant les Bretons à revenir.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, très bien…
JEAN-YVES LE DRIAN
J'ai tenu parole.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et vous êtes revenu avec un très beau score lors des régionales…
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, mais ce score, c'est en toute clarté, parce que j'ai dit aux Bretonnes et aux Bretons, après le 13 novembre, attention, il est possible que le président de la République me demande de rester le temps nécessaire comme ministre de la Défense, sachez-le !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le président de la République a dit le contraire ! Pardon…
JEAN-YVES LE DRIAN
Et le président de la République…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais il a dit le contraire avant !
JEAN-YVES LE DRIAN
Non, non, non, nous sommes dans une situation assez exceptionnelle, et il a estimé qu'il fallait que je reste à ces fonctions le temps nécessaire, j'assume, et les Bretons ont été très clairs sur le sujet, me semble-t-il…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pour l'instant…
JEAN-YVES LE DRIAN
Puisque j'ai annoncé la couleur, pour l'instant…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pas d'état d'âme…
JEAN-YVES LE DRIAN
Je n'ai pas d'état d'âme, j'ai la chance d'avoir une très bonne équipe autour de moi, j'ai confié à mon premier vice-président beaucoup de responsabilités, il a beaucoup de talents, c'est Loïc CHESNAIS-GIRARD, et il assume bien cette fonction. Et j'ai dit aux Bretonnes et aux Bretons que je resterai président dans ces conditions-là, en sachant que nous sommes dans une période tout à fait exceptionnelle.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, puisqu'on parle de contradictions, encore une !
JEAN-YVES LE DRIAN
Mais ce n'est pas une contradiction…
JEAN-JACQUES BOURDIN
François… pas vous…
JEAN-YVES LE DRIAN
Ce n'est pas une contradiction, moi, je respecte mes engagements…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je parlais de contradictions avec la déclaration de François HOLLANDE tout à l'heure sur la déchéance de nationalité. Pardon. Encore une contradiction, François HOLLANDE encore, candidat à l'élection de 2012, il disait : la primaire devra avoir lieu à gauche tous les cinq ans, même en cas de président sortant, il y aura une primaire pour 2017, c'est un principe désormais inscrit dans le temps et l'espace politique. Et c'est inscrit dans les statuts du Parti socialiste. Faut-il une primaire à gauche ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Moi, j'ai un point de vue là-dessus…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, quel est votre point de vue ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Mon point de vue, c'est que le président de la République exerce sa fonction dans un contexte extrêmement difficile, à la fois en termes budgétaires, en termes de relance nécessaire de l'économie, et en termes sécuritaires, et qu'il est, du même coup, pour ma part, le candidat naturel de la gauche. Ça sera à lui…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc vous dites non aux primaires ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Moi, je n'y suis pas favorable, en ce qui me concerne personnellement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous dites non aux primaires ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Oui, je suis très clair. J'ai l'habitude d'être clair. Donc je dis les choses clairement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, vous êtes clair, mais François HOLLANDE n'est pas très clair, lui, il disait – j'ajoute – Nicolas SARKOZY devrait se l'appliquer ce principe, mais il ne serait pas sûr d'être désigné, je comprends sa prudence. Dites-moi, ça nous fait sourire, non ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je n'ai pas à répondre à la place du président de la République, ce que je dis simplement aujourd'hui, c'est que dans la situation que nous connaissons, dans la situation du pays, dans les conditions extrêmement difficiles de gestion de notre pays en ce moment, avec la volonté de rassemblement qu'a François HOLLANDE face aux grands défis qui sont posés à la nation, je pense qu'il est le candidat naturel, à partir du moment où il s'exprimera, pour l'instant, il n'a pas annoncé qu'il était candidat, à ma connaissance.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien, ça ne vous fait pas sourire, non ? Mais il sera candidat, vous le savez bien, Jean-Yves LE DRIAN…
JEAN-YVES LE DRIAN
Je n'en sais rien. Il faut lui poser la question.
JEAN-JACQUES BOURDIN
On lui posera la question…
JEAN-YVES LE DRIAN
Je ne suis pas le porte-parole…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si on peut, oui. Dernière question, bon, qui est moins importante, évidemment, une petite discussion, débat, Manuel VALLS qui va participer à « On n'est pas couché », vous iriez ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Il est libre des choix de communication qu'il a, moi…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, vous, vous iriez ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Moi, je viens chez BOURDIN, ça me va.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais vous iriez ?
JEAN-YVES LE DRIAN
Je n'ai pas été sollicité, je ne suis pas sûr que ça soit ma place, mais je préfère venir chez vous.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci beaucoup. Merci Jean-Yves LE DRIAN d'être venu dans tous les cas ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 janvier 2016