Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur les relations franco-saoudiennes, le nucléaire et le programme balistique iranien et sur la situation en Syrie, à Riyad le 19 janvier 2016.

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Circonstance : Déplacement aux Emirats arabes unis et en Arabie Saoudite, les 18 et 19 janvier 2016

Texte intégral


* Arabie saoudite - Relations bilatérales - Questions régionales
Merci beaucoup. Merci Chers Collègues et Amis de votre accueil, et je salue la presse ici présente.
Je suis venu ici dans le cadre des relations permanentes que nous avons avec le royaume. Vous vous rappelez les visites alternées qui ont eu lieu entre nos plus hautes autorités. J'ai eu l'honneur d'être reçu à mon arrivée par sa Majesté le roi. Nous avons déjeuné ensemble - un déjeuner de travail. Je verrai plusieurs ministres cet après-midi et j'aurai l'occasion de discuter avec le vice-prince héritier à la fin de l'après-midi.
Comme l'a dit Adel al-Joubeir, nous avons abordé toute une série de questions politiques régionales et nous avons aussi parlé, bien sûr, de nos relations politiques et économiques. Nous avons eu plusieurs réunions économiques dans le passé, qui ont lancé un certain nombre de chantiers communs. Nous aurons une réunion élargie, probablement au mois de mars prochain, et c'est une occasion, à travers ma venue, de préparer cette réunion puisqu'il y a toute une série de dossiers que nous devons faire avancer ensemble.
Nous avons aussi bien sûr, outre ces aspects économiques, abordé la situation politique régionale parce que nous sommes dans une période d'instabilité. Comme vous le savez, la France est une puissance de paix et de sécurité, qui est très attachée à la stabilité de la région. Et nous devons faire le maximum pour qu'il y ait une certaine désescalade dans les relations entre les différents pays au sein de la région.
Nous avons bien sûr parlé de la Syrie. Nous avons l'occasion, avec nos amis saoudiens et beaucoup d'autres, de traiter la question dans le cadre du comité de Vienne et, en ce qui nous concerne, de la traiter dans le cadre du conseil de sécurité puisque nous sommes un membre permanent de ce conseil. Nous avons échangé nos vues qui sont d'ailleurs convergentes sur cette importante question.
(...)
Nous avons parlé aussi du Yémen et de l'attachement qui est le nôtre de pouvoir mettre en oeuvre la résolution 2216.
Nous avons abordé d'une façon générale la lutte contre le terrorisme puisque c'est un mal qui malheureusement sévit quasiment dans toutes les régions du monde.
Et puis, nous avons parlé de l'Iran, à la fois parce qu'il y a eu dimanche dernier le début de la mise en application de l'accord du mois de juillet 2015 et parce que le président iranien, comme vous le savez sans doute, vient en France la semaine prochaine. Nous sommes évidemment, je le redis, extrêmement attachés à la non-prolifération nucléaire et attachés au fait que chaque pays de la région respecte les autres et fasse le maximum, non pas pour alimenter les conflits, mais au contraire, pour arriver à ce qui devrait exister dans cette région, comme dans toutes les régions du monde c'est-à-dire la paix, la sécurité et la stabilité. Vous savez que la France ne ménagera pas ses efforts en ce sens.
J'ai constaté - ce n'est pas une surprise pour vous - que nos relations sont extrêmement confiantes. J'ai porté au roi un message d'amitié de la part du président français et l'attachement à nos relations. Et le roi a bien voulu faire part du même message à l'endroit du président et du peuple français.
Maintenant nous avons l'occasion avec le ministre des affaires étrangères du royaume de nous rencontrer souvent. Nos relations sont très cordiales. Nous travaillons ensemble et une fois de plus j'ai pu noter à quel point le royaume en général, le ministre des affaires étrangères en particulier, est mobilisé sur toutes ces questions.
Nous avons également abordé la question israélo-palestinienne puisque c'est une préoccupation constante, à la fois du royaume et de la France, et nous avons réfléchi ensemble aux moyens d'essayer de trouver une solution durable à ce conflit dont on parle peut être moins en ce moment qu'à d'autres moments, mais qui est potentiellement toujours, je tiens à le dire, un conflit extrêmement profond, grave. Vous savez la position de la France : il n'y a pas de paix durable sans justice et il faut donc que nous aidions à trouver une solution qui à la fois fasse justice aux Palestiniens et assure bien sûr la sécurité d'Israël. (...).
* Iran - Programme balistique
(...)
Q - Vous avez fait des déclarations à Abou Dhabi selon lesquelles l'Union européenne envisagerait d'imposer des sanctions contre le gouvernement iranien. Qu'est-ce qui inciterait l'UE à renoncer à l'imposition de telles sanctions ?
R - En ce qui concerne l'Iran, vous savez qu'un accord a été conclu le 14 juillet 2015. Lors de la négociation qui a précédé, la France a adopté une position, que le président de la République et moi-même avons appelé une « fermeté constructive ».
Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire que, bien évidemment, comme chacun, quand on est raisonnable, souhaite qu'il y ait un accord, mieux vaut un accord plutôt qu'un affrontement, qui peut être très grave. Mais cet accord doit être fondé sur des bases fermes, c'est-à-dire très sérieuses, puisqu'il s'agit d'empêcher la prolifération nucléaire, et non pas de la favoriser ! Si l'accord n'avait pas été sérieux, les pays de la région auraient dit : «il n'est pas sérieux donc nous-mêmes nous risquons d'aller vers l'arme nucléaire», ce qui serait une catastrophe. Donc, nous avons travaillé en ce sens et il y avait un délai prévu pour arriver à ce qu'on appelait l'«implementation day». Et c'est l'Agence internationale de l'énergie atomique qui devait contrôler tout cela et l'AIEA, il y a quelques jours, a dit : voilà les conditions sont respectées.
La question que vous posez porte sur un autre aspect, qui n'est pas couvert par l'accord nucléaire et qui concerne les missiles. Et évidemment, cet esprit de vigilance que nous devons avoir pour que soit respecté l'accord nucléaire, il faut aussi l'appliquer à telle ou telle action de l'Iran. Et donc, nous avons récemment condamné la poursuite, par l'Iran, d'un programme balistique, qui est interdit par les résolutions du Conseil de sécurité. Et il ne faut pas qu'il y ait de confusion. Les sanctions qui sont liées à ce régime ne sont pas mises en cause par l'accord qui a été passé. Alors, les Américains ont annoncé de nouvelles mesures. En ce qui concerne l'Europe, nous pensons nécessaire d'examiner l'adéquation des sanctions européennes actuelles, au regard des deux derniers essais balistiques réalisé par l'Iran : quelles sont les sanctions actuelles ? Comment peut-on les comparer avec les sanctions américaines ? Est-ce qu'elles visent les mêmes personnes ? Est-ce qu'elles ne visent pas les mêmes personnes ? Et je ne connais pas encore l'issue de ce réexamen technique mais évidemment s'il y a des choses qui sont interdites par les résolutions des Nations unies, il est normal qu'il y ait des sanctions qui soient appliquées
* Libye
(...)
Nous avons évoqué la question de la Libye et je veux saluer l'annonce de la composition d'un gouvernement d'union autour du Premier ministre, parce que la situation en Libye demande à être stabilisée et qu'il était absolument indispensable qu'un gouvernement d'union soutenu par chacun puisse être constitué, qui rétablisse bien sûr les fonctions essentielles de l'État libyen, qui puisse assurer en particulier pleinement sa sécurité et enrayer la progression de Daech. (...).
* Syrie - Négociations de Genève - Situation humanitaire - Russie
(...)
Q - Il semble que la question des délégués pour les pourparlers syriens ne soit pas encore finalisée. Êtes-vous d'accord sur le fait que le groupe de l'opposition syrienne, qui s'est rencontré ici à Riyad, puisse être modifié ou élargie ?
R - Nous avons reçu, il y a quelques jours à Paris, le président de la République et moi-même, M. Hijab qui est le porte-parole de ce qu'on appelle le «groupe de Riyad» parce qu'il y a eu une conférence à Riyad, qui a été d'ailleurs très difficile à organiser - et j'en félicite les organisateurs saoudiens - qui était une réunion extrêmement large, à la fois de l'opposition civile et de l'opposition armée - mais des gens d'orientation modérée, qui veulent une Syrie libre, respectée dans son intégrité où chacun, quelle que soit son opinion, quelle que soit sa religion, puisse vivre en paix. C'est M. Hijab qui a été désigné comme le coordinateur de ce groupe.
Il est prévu qu'il y ait des négociations. Il est souhaitable, bien sûr, que ces négociations aient lieu mais dès lors qu'elles peuvent donner des résultats. Nous nous sommes réunis à Vienne à deux reprises. Nous nous sommes réunis également à New York. Il y a une résolution, vous le savez, du conseil de sécurité. Maintenant, il faut travailler pour appliquer cela. Il y a encore un certain nombre de questions qui se posent, et l'envoyé spécial des Nations unies, M. Mistura, a saisi le conseil de sécurité de cela.
Hier et avant-hier, j'étais dans les Emirats où j'ai rencontré M. Ban Ki-moon. Nous avons discuté de cela. Il y a encore quelques questions qui sont à régler. Une première question, c'est qui seront les représentants qui seront autour de la table ? Nous pensons nous que la conférence de Riyad a rassemblé l'essentiel des forces politiques et militaires de l'opposition non djihadiste et que le succès de cette conférence de Riyad doit être respecté. Donc, il convient que l'Envoyé spécial des Nations unies, M. Mistura, s'entende avec le haut comité politique qui en est issu, sur la façon d'organiser les négociations. Ça, c'est un aspect.
Un autre aspect, c'est évidemment que s'il y a des négociations, c'est pour parler du fond et le fond a été bien défini par les communiqués de Genève et de Vienne, et la résolution 2254. Il faut que ces questions soient abordées dans la négociation parce que s'il doit y avoir une négociation formelle et qu'au bout de trois jours elle s'interrompt, comme cela avait été le cas au bout de quelques jours à Genève2, on n'ira pas vers (inaudible) la solution que nous souhaitons. Voilà où nous en sommes et donc nous souhaitons que ces éléments soient en pris en compte.
J'y ajouterais un dernier élément, c'est qu'évidemment il faut qu'on arrête les bombardements et que toute une série d'actions, qui ne sont pas des conditions mais qui sont - les Nations unies le disent - une obligation, soient respectées. Il y a des villes où les populations sont affamées. Il y a des bombardements de la société civile, des civils. Et ceci évidemment ne favorise absolument pas la réussite des négociations. Donc oui, il convient que ces négociations puissent avoir lieu et il faut qu'elles aient lieu, d'une manière telle qu'elles puissent déboucher.
Q - Les Syriens et la résistance syrienne entre les mains de M. Hijab, ont indiqué que le maintien d'Assad est le point de départ des négociations. Dans des déclarations précédentes à la presse française, vous avez indiqué que vous n'y étiez pas attaché et il y a des doutes sur l'avis des Français sur le maintien d'Assad durant la période de transition. Par ailleurs, la partie russe est entrée en jeu et bombarde certaines villes syriennes. Les accords de Genève 1 et 2 prévoient l'arrêt des bombardements. Avec qui négocierez-vous à ce sujet, avec les Russes ou avec les Syriens.
R - Sur la Syrie, la position de la France est une position constante. Comme je l'ai dit, nous souhaitons - il faut toujours fixer un objectif - une Syrie qui soit libre, qui soit respectée dans son intégrité et où chacun, quel que soit sa religion, sa confession, puisse vivre en coexistence. Vous savez ce qui est arrivé en Syrie où à partir d'une révolte qui était tout à fait mineure, de quelques jeunes, les choses ont été traitées de telle manière par M. Bachar al-Assad - c'est une réalité historique - qu'aujourd'hui il y a plus de 250.000 morts ; 250.000 morts, des millions de Syriens qui maintenant ont été obligés de fuir, soit dans d'autres localités, soit à l'étranger. Donc, c'est une situation absolument dramatique. Et si on veut arriver à l'objectif, il faut trouver une solution politique, d'où l'importance des réunions de Vienne et de la négociation si elle peut s'engager et aboutir. Alors, il faut bien sûr qu'on arrive à ce que les bombardements s'arrêtent.
Qui bombarde des civils ? Parfois, c'est Daech et nous nous ciblons Daech. Nous avons des avions au sein de la coalition qui, soit en Irak ou en Syrie, ciblent Daech.
Les Russes sont intervenus dans les conditions que vous savez mais nous disons aux Russes, et nous l'avons dit dès le début, que leurs interventions devraient être concentrées contre Daech, et non pas contre ce que l'on appelle l'opposition modérée. Or, quand on fait la comptabilité de tous les bombardements, je pense que ce n'est pas sérieusement contesté puisqu'il y a des traces de tout cela, il y a bien sûr quelques bombardements de la part des Russes contre Daech, qui varient selon les périodes, mais il y a beaucoup de bombardements contre la population modérée, des civils. Et ceci, évidemment, est tout à fait contraire à ce qui est nécessaire. Ça c'est un aspect.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 janvier 2016