Déclaration de M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'Etat aux anciens combattants et à la mémoire, sur le Centenaire de la Première Guerre mondiale, à Paris le 18 janvier 2016.

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Circonstance : Vœux de la mission du Centenaire, à Paris le 18 janvier 2016

Texte intégral


Monsieur le ministre, cher Stuart Robert avec qui je me trouvais aujourd'hui sur le champ de bataille de la Somme pour lancer les travaux du futur grand centre d'interprétation australien de la Grande Guerre à Villers-Bretonneux,
Mesdames, messieurs, cher(e) ami(e)s qui nous avez fait le plaisir de répondre présent à notre invitation,
Depuis ma nomination comme Secrétaire d'Etat en charge des Anciens combattants et de la Mémoire en novembre 2014, je vis au rythme des cérémonies et des hommages rendus aux quatre coins de France et au rythme d'une histoire qui a dessiné les contours de notre Nation.
Mais en prenant mes fonctions, je ne mesurais pas à quel point elle avait façonné ma propre histoire personnelle.
Aujourd'hui, et puisqu'une cérémonie de vœux appelle à regarder vers le passé autant que vers l'avenir, je voudrais en profiter pour revenir brièvement sur quelques moments forts de ce Centenaire durant lesquels ma propre histoire a croisé la mémoire de la France.
Dès le mois de décembre 2014, je me suis rendu à Verdun, conscient que cette ville et son champ de bataille allait bientôt mobiliser l'attention de notre pays. Depuis, je m'y suis rendu à maintes reprises et toujours avec la même émotion.
Verdun, je l'ai visité à chacune des grandes étapes de ma vie.
D'abord enfant, guidé ma main glissée dans celle de mon père, tentant, lui l'immigré italien, de me transmettre l'histoire d'une terre qui l'avait adopté quelques années auparavant.
Instituteur ensuite, me faisant un devoir à mon tour de transmettre à mes jeunes élèves une histoire constitutive de leur identité.
Puis comme chef de cabinet aux côtés du ministre des anciens combattants du gouvernement de Lionel Jospin, mesurant déjà les attentes des populations, des élus et des associations sur la mise en valeur de Verdun et de ses champs de bataille.
Enfin aujourd'hui comme ministre avec, au-delà de l'émotion de revenir sur les traces de mon enfance, un grand sentiment de responsabilité.
Le Centenaire de la Grande Guerre m'a embarqué, aux côtés de la Mission dès 2015, pour un véritable voyage dans le temps à travers tout le territoire.
Tout d'abord le 6 avril aux Eparges à l'occasion d'un hommage à Maurice Genevoix au cours duquel l'absence de Bernard Maris, camarade de toujours de la Mission du Centenaire et assassiné quelques semaines auparavant dans les locaux de Charlie Hebdo, pesait lourdement sur la cérémonie.
Au-delà de ces deux figures liées par le destin d'une femme, c'était un hommage à tous ces hommes que la guerre a poussé à écrire, un hommage à l'écriture combattante, ultime refuge du soldat, sans laquelle nous ne pourrions pas commémorer aujourd'hui la Grande Guerre avec autant de force et de profondeur et souvent même de poésie.
Je me suis rendu au mois de juin en Argonne pour rendre hommage aux Garibaldiens parmi lesquels Lazare Ponticelli, dernier visage des poilus français disparu en 2008, que j'ai eu l'immense honneur de rencontrer il y a 15 ans.
Je me tenais alors devant le monument de Lachalade, au cœur de l'Argonne, ce terreau où a fleuri l'amitié franco-italienne née avant la guerre et que je ressens au plus profond de moi tant elle fait partie de mon histoire familiale.
En décembre dernier, je me rendais au Hartmannswillerkopf en Alsace pour commémorer une bataille terrible, mais peu connue et dont la mémoire se raconte à deux voix : celle de la France et celle de l'Allemagne.
Deux voix qui communieront une nouvelle fois le 29 mai prochain dans le souvenir de Verdun et qui résonnent si fort dans toute notre région du Grand Est.
Ces terres sont riches de cette histoire partagée qui a façonné l'identité des femmes et des hommes de ma région, comme elle a nourri leurs engagements pour l'Europe et la paix.
En 2015, je me suis rendu aussi sur le front d'Orient, pour rendre hommage à des poilus dont le sacrifice s'est joué hors de nos frontières, où vit encore leur mémoire, trop souvent oubliée. Je me suis rendu à Reims ; à Souchez ; à Thiepval ; à Navarin ; à Londres ; à Dublin.
Autant de lieux qui nous racontent une histoire singulière de la Grande Guerre.
Aujourd'hui, cent ans ont passé. A l'aube de cette année 2016, le centenaire des batailles de Verdun et de la Somme nous invite à parler de ces terres en rappelant le destin de ces hommes.
Quel fut-il ?
Celui d'hommes jetés dans l'horreur des tranchées, avec les idéaux et les espoirs que tout garçon de vingt ans a en la vie et en son pays.
Le destin d'hommes sacrifiés sur ces terres de la Meuse et de la Somme où leurs corps reposent, où leur âme survivra toujours.
Le destin d'hommes rentrés dans leurs foyers, frappés dans leur âme et dans leur chair, parce qu'ils avaient connu une expérience intime avec la mort et qu'ils en étaient revenus, chargés d'une douleur que beaucoup d'entre eux n'ont jamais pu partager et qu'ils ont emportée dans le silence de leur tombe.
Le destin d'hommes disparus dans l'histoire de la Grande Guerre dont les corps jamais retrouvés obligèrent tant de familles à un deuil impossible. Et c'est la force du Centenaire d'offrir à la France et à la postérité des milliers d'histoires individuelles parmi lesquelles celles d'un corps identifié, d'un parcours rendu, d'un destin retrouvé.
Le destin d'hommes venus de loin, bien souvent volontaires pour venir combattre sur la terre de France, celle de la Révolution, de la liberté, celle de la République : d'Australie, de Nouvelle-Zélande, du Canada, des Etats-Unis, d'Irlande, du Royaume-Uni et d'ailleurs. Ce sacrifice de leur jeunesse, parfois même de leur vie, ils y ont consenti pour beaucoup au nom de valeurs qui les transcendaient et qui doivent aujourd'hui encore nous transcender.
Le destin aussi de ces hommes venus de l'empire colonial de la France et qu'elle a plongés dans l'enfer de la guerre.
Le destin enfin de ces familles endeuillées parcourant les champs de bataille telles des pèlerins. Cent ans après, sur les cicatrices laissées par ces champs de bataille de Verdun et de la Somme, nous suivrons leurs pas, rendant hommage à leurs proches disparus.
Mesdames et messieurs, les films, les romans et les paysages irriguent tant notre imaginaire national qu'il nous semble parfois avoir connu cette guerre.
Mais seuls ces hommes dont nous saluerons la mémoire l'ont vécue.
Seuls ces hommes ont entendu, jusqu'à devenir sourds, le bruits des obus.
Seuls ces hommes ont connu la boue des tranchées et la mort de leurs camarades emportés devant eux.
Seuls ces hommes ont connu le froid sur leurs doigts gelés tentant de coucher sur le papier quelques mots d'espoir adressés à leurs familles.
Seuls ces hommes ont connu et vécu la Grande Guerre.
Bien sûr depuis cent ans, et je pense tout particulièrement aux événements qui ont frappé notre pays en 2015, la France a traversé bien des épreuves qui ont bousculé son destin. Mais pour autant nous ne pouvons oublier les leçons à tirer de la Grande Guerre.
Car tous ces hommes aujourd'hui disparus exigent de nous d'avoir de l'ambition.
L'ambition de leur rendre un hommage à la hauteur des sacrifices consentis durant ce conflit que Français, Allemands et Britanniques ont lu et relu sous la plume de Georges Duhamel, d'Ernest Jünger ou dans les vers de Wilfred Owen.
Un conflit dont la mémoire sera ravivée le 1er juillet à Thiepval dans le cadre d'une cérémonie franco-britannique unique ; le 29 mai à Verdun avec le concours de deux grands artistes reconnus, le cinéaste allemand Volker Schlöndorff et le chef d'orchestre Daniel Barenboim, héritiers d'aujourd'hui des artistes d'hier qui n'ont cessé de rendre par l'émotion de l'art la puissance de l'expérience de guerre, hritiers d'Abel Gance, de Maurice Ravel et de tant d'autres.
Le 29 mai 1966, à l'occasion du cinquantenaire de la bataille, le général de Gaulle déclara : « Un demi-siècle a passé depuis que se déroula la grande bataille de Verdun. Combien, pourtant, demeure profond le mouvement des âmes que soulève son souvenir ! »,
C'est une pensée qui résonne fort à la veille de ce Centenaire. Nous assisterons ensemble dans quelques mois à ce « mouvement des âmes ».
Cette ambition, c'est aussi l'investissement de l'équipe de la mission du centenaire et de ses nombreux partenaires, élus, artistes, journalistes, mécènes qui nous la permet. Je veux profiter de cet instant pour la remercier, son président et son directeur bien évidemment, mais toutes celles et ceux qui chaque jour œuvrent au 109 boulevard Malesherbes, ce laboratoire toujours effervescent du Centenaire.
Cette ambition, c'est aussi l'enthousiasme suscité par les commémorations depuis 2012 qui nous l'impose. Et notamment auprès des plus jeunes.
Je me suis exprimé récemment dans une tribune sur la place des jeunes dans les commémorations. Je crois que le Centenaire a magnifiquement bouleversé les habitudes et moderniser les pratiques mémorielles et la Mission du Centenaire y est pour beaucoup. Il nous faut désormais relever un défi : celui d'inscrire cette dynamique et ce souffle dans la durée.
Je sais que les commémorations de Verdun et de la Somme sauront relever ce défi. En tout cas, j'en ai l'ambition.
Cette ambition c'est celle que Maurice Genevoix ordonna à mon lointain prédécesseur, lorsqu'il lui confia lors de son inauguration, le 17 septembre 1967, le destin du Mémorial de Verdun :
« Nous vous le remettons, monsieur le Ministre des Anciens Combattants ; et, par vous, à notre pays ; et, par lui, aux centaines de milliers d'hommes et de femmes, nos semblables, qui viendront s'y recueillir. Jeunes et vieux, amis, ennemis réconciliés, puissent-ils emporter de ces lieux, au fond d'eux-mêmes, une notion de l'homme qui les soutienne et les assiste !
Quel vivant n'en aurait besoin, en ces temps toujours incertains ? Puisse la lumière qui va veiller ici les guider enfin, vers la Paix ! »
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 28 janvier 2016