Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : « Les incidences du crédit d'impôt recherche sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays », organisé à la demande du groupe communiste républicain et citoyen.
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M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de ce débat sur les incidences du crédit d'impôt recherche sur l'emploi et la recherche dans notre pays.
Vous connaissez la position du Gouvernement à l'égard du CIR : il entend le stabiliser, mais la stabilité n'interdit pas, bien au contraire, que l'on s'interroge, que l'on analyse, que l'on évalue l'impact d'un dispositif budgétaire aussi important. Stabiliser celui-ci ne revient pas à dire « Circulez, il n'y a rien à voir » ; c'est prendre le temps de mesurer les impacts microéconomiques et d'en débattre, notamment au Parlement, dont il est bien naturel et dans ses prérogatives qu'il s'intéresse à une dépense fiscale de cette importance.
Afin que nous partagions le diagnostic, je voudrais reprendre plusieurs des éléments qui ont été évoqués et, en m'appuyant sur les nombreux rapports parlementaires et études publiés récemment, identifier quelques-unes des problématiques de moyen terme relatives au CIR.
La plupart d'entre vous l'ont souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, la recherche repose sur deux piliers, la recherche publique et celle des entreprises.
Notre pays, vous l'avez dit, se singularise par une répartition des dépenses de recherche dans laquelle la recherche publique a une part plus importante que dans la moyenne des pays de l'OCDE et, corrélativement, la recherche privée une part moins importante. Alors que nos dépenses de recherche atteignaient au total 2,28 % du produit intérieur brut en 2014, les dépenses de recherche publique représentaient 0,8 % de la richesse nationale, celles de recherche privée 1,48 %, contre plus de 2 % du produit intérieur brut en Allemagne, alors que les dépenses publiques y sont sensiblement comparables aux nôtres.
C'est une préoccupation. Des éléments d'analyse nous ont d'ailleurs été fournis dans ce débat, notamment dans la très fine intervention de Michel Berson. Il y a là une problématique très importante pour la structure économique et de l'industrie de notre pays.
Ce problème n'est pas nouveau. Je rappelle ainsi que c'est le gouvernement de Pierre Mauroy qui a créé le crédit d'impôt recherche en 1983 afin que les entreprises s'engagent davantage dans des activités de recherche et développement. À cette époque, les entreprises françaises consacraient 0,83 % du produit intérieur brut à la recherche et développement quand les entreprises allemandes dépensaient 1,43 %, les entreprises américaines 1,24 %, les entreprises japonaises 1,62 %.
Aujourd'hui, donc plus de trente années plus tard, le niveau des dépenses de recherche privées a, heureusement, progressé en France, mais il a progressé partout ailleurs, de sorte que l'écart demeure entre la France et ses principaux partenaires, écart qui s'explique probablement, en effet, par une structure économique et de l'industrie différente de celles des pays que j'ai cités.
Le CIR est devenu le dispositif le plus important dont dispose l'État pour inciter les entreprises à accroître leur effort de recherche et développement. Il a subi plusieurs modifications importantes au cours de son histoire, la principale étant la réforme de 2008, qui a largement ouvert le dispositif, ce qui a conduit de nombreuses entreprises à déclarer des dépenses éligibles au CIR.
C'est, je l'ai dit, sur la base des nombreuses analyses et rapports parlementaires dont il a fait l'objet que je veux m'appuyer pour donner des éléments factuels qui nous permettent au moins de partager un diagnostic commun avant que, bien naturellement, les points de vue s'expriment.
Le montant de la créance était de 5,707 milliards d'euros en 2014, sur les dépenses 2013, en prenant en compte la nouveauté que fut le crédit d'impôt innovation, pour un montant de 74 millions d'euros. En déduisant ce nouveau dispositif, le CIR a atteint je crois que nous sommes d'accord sur les chiffres un montant de 5,567 milliards d'euros en 2014 contre 5,609 milliards d'euros en 2013.
Après avoir connu une croissance importante à partir de 2008, le dispositif semble donc être entré dans une phase de maturité et il ne progresse plus en montant.
Qui sont les bénéficiaires du CIR ? Son impact doit en effet aussi être analysé en fonction de la nature des entreprises bénéficiaires et de leur taille. On a dit trop souvent que seules les grandes entreprises étaient bénéficiaires du CIR. De fait, la réalité est bien plus nuancée.
On constate ainsi que des entreprises de toutes tailles, y compris les plus petites, bénéficient du CIR. Par exemple, plus de 6 000 entreprises de moins de dix salariés bénéficient du CIR, avec une créance moyenne de 50 000 euros.
Les entreprises de moins de 250 salariés représentent 31 % des dépenses fiscales au titre du CIR, alors qu'elles n'effectuent que 28,7 % des dépenses de recherche privée. De l'autre côté du spectre, les grandes entreprises de plus de 5 000 salariés réalisent 39,5 % des dépenses de recherche privée et reçoivent 34,5 % du CIR. Cette différence s'explique notamment par le taux réduit de CIR au-delà du seuil de 100 millions d'euros.
Le CIR concerne donc bien les plus grandes entreprises, mais il exerce aussi un effet redistributif en direction des plus petites entreprises, qui bénéficient d'une part du CIR plus importante que celle de leur contribution aux dépenses de recherche.
Parmi les secteurs d'activité, l'industrie collecte 61 % de la créance, soit presque les deux tiers, contre 36 % pour les services, dont la majorité profite aux services informatiques, d'architecture et d'ingénierie.
Il est frappant que les dépenses de recherche et développement aient continué à augmenter dans notre pays, alors même que le poids du secteur industriel, qui en concentre la majorité, a fortement baissé entre 2002 et 2012, passant de 16,8 % à 12,5 % du PIB. On peut y voir là l'effet très puissant du crédit d'impôt recherche, qui s'ajoute à d'autres facteurs, comme la montée en gamme de la production.
L'impact du crédit d'impôt recherche se mesure, enfin, au travers du nombre des investisseurs étrangers, qui ont implanté des centres de recherche et développement en France. Le nombre de ces centres a augmenté, passant de quarante-cinq en 2012 à soixante-douze en 2014. Vous avez tous à l'esprit, mesdames, messieurs les sénateurs, les noms d'investisseurs étrangers de renom qui ont choisi la France comme plateforme européenne de recherche et développement, notamment en raison de ce dispositif très attractif.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Notamment, mais pas exclusivement !
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. On entend dire parfois que l'augmentation du crédit d'impôt recherche serait incontrôlée. Cela ne correspond pas à la réalité observée.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ah bon ?
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. Le Président de la République a choisi de garantir la stabilité fiscale, afin de permettre aux entreprises d'avoir une prévisibilité de leur cadre fiscal. C'est d'autant plus important quand on parle de recherche et développement, car cette activité nécessite une planification dans la durée.
Dans un contexte de forte crise, les éléments dont nous disposons montrent que les dépenses en matière de recherche et développement privée ont légèrement augmenté depuis 2010. Pour le dire autrement, le crédit d'impôt recherche a, à l'évidence, produit un effet de stabilisation, y compris contracyclique, des dépenses de recherche dans notre pays. Et nous devons tous nous en réjouir ! Ce dispositif a ainsi contribué à soutenir l'embauche de docteurs dans le secteur privé, alors même que notre pays compte 33 000 chercheurs supplémentaires depuis 2008, ainsi que le rappelait Mme Laborde.
Il convient pourtant d'évaluer avec sérieux, et surtout avec transparence, l'impact du crédit d'impôt recherche.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Nous ne demandons pas autre chose !
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. Nous n'avons rien à craindre de la transparence. Nous souhaitons, au contraire, l'encourager.
La stabilité du dispositif nous permet de bénéficier du temps nécessaire pour établir une évaluation sérieuse.
Sous l'autorité de Geneviève Fioraso, le ministère a ainsi lancé des travaux très précis en ce sens, que je poursuis : il commande des études à des chercheurs extérieurs ; il lance des enquêtes précises auprès des entreprises ; il entreprend lui-même des analyses statistiques et il présente des synthèses des résultats obtenus.
Depuis plusieurs années, le ministère a également encouragé les travaux de recherche sur ce dispositif, en mettant à la disposition des chercheurs les données de la base relative au crédit d'impôt recherche. Plusieurs équipes de recherche travaillent actuellement sur ces données.
Cette démarche s'effectue dans le cadre de la procédure générale concernant les données d'enquêtes et les données fiscales, qui prévoit un accord de la commission du secret statistique et l'utilisation du centre d'accès sécurisé aux données, le CASD, par les chercheurs.
Plusieurs équipes ont déjà présenté, y compris récemment, des demandes dans ce cadre. Je tiens à m'en porter garant, je soutiens ces demandes, comme je l'ai déjà fait auprès d'associations qui réclamaient une plus grande transparence sur le crédit d'impôt recherche. Ces demandes, qui sont absolument légitimes, devront naturellement donner lieu à un traitement respectueux des protocoles de recherche scientifique.
Deux rapports d'évaluation ont été publiés au cours de ces deux dernières années. Le rapport intitulé Développement et impact du crédit d'impôt recherche : 1983-2011, publié en 2014, a fait le point sur l'ensemble des résultats des études menées depuis les années 2005-2006. Les études d'impact du crédit d'impôt recherche se sont d'abord concentrées sur son objet principal : l'augmentation des dépenses de recherche et développement des entreprises. Même si elles mettent en uvre différentes méthodes, elles convergent toutes pour attribuer à ce dispositif un effet d'addition sur les dépenses de recherche et développement des entreprises : 1 euro de crédit d'impôt recherche entraîne 1,1 euro de dépenses de recherche et développement supplémentaires, un chiffre sur lequel tout le monde s'accorde désormais.
Le dernier rapport confié à deux chercheurs qui vient d'être publié porte sur l'évaluation de l'impact spécifique du dispositif « jeunes docteurs ». Le crédit d'impôt recherche comporte en effet une disposition particulièrement favorable à l'embauche de ces derniers dans des fonctions de recherche et développement pour un premier contrat à durée indéterminée, le « dispositif jeunes docteurs ».
Cette mesure, qui n'est pas suffisamment connue, permet à une entreprise qui embauche un docteur pour son premier CDI dans une activité de recherche et développement peut bénéficier pendant vingt-quatre mois d'un crédit d'impôt égal à 60 % de son coût salarial. À cela s'ajoute un forfait de 60 % du coût salarial au titre des frais de fonctionnement. Dans ces deux dimensions, le montant du crédit d'impôt recherche est ainsi très supérieur à celui qui s'attache aux autres dépenses éligibles.
Cette étude relève l'effet positif de cette surbonification, qui reste pourtant insuffisant au regard des effectifs de docteurs formés dans notre pays. L'explication réside peut-être dans l'image que notre recherche privée se fait des jeunes docteurs, qui me semble datée et erronée.
Toutes les études en attestent, les jeunes docteurs apportent aux entreprises des ressources précieuses tant en matière de méthodologie que de connaissance de leur champ disciplinaire et des innovations dans ce secteur.
Nous avons ainsi affecté des moyens à l'organisation d'une mission qui, dans les semaines qui viennent, démarchera systématiquement les entreprises pour les convaincre de l'intérêt qu'elles trouveraient à faire porter l'effort sur l'embauche de docteurs, notamment, de jeunes docteurs.
Après s'être interrogé sur l'impact du crédit d'impôt recherche sur l'activité de recherche et développement des entreprises, il paraît nécessaire de mieux comprendre l'incidence, pour les établissements publics de recherche, des différents dispositifs mis en place pour développer la recherche privée.
Le crédit d'impôt recherche comporte une disposition elle est également insuffisamment connue favorable aux travaux de recherche et développement que les entreprises externalisent auprès des institutions publiques de recherche.
Tous les travaux de recherche et développement externalisés sont éligibles au crédit d'impôt recherche. Ceux qui s'adressent à des institutions publiques, comme les laboratoires universitaires, bénéficient d'un taux d'aide double 60 % contre 30 % et d'un plafond de dépenses supérieur.
En 2013, près de 3 000 entreprises ont déclaré 550 millions d'euros de recherche contractuelle avec des institutions publiques dans le cadre du crédit d'impôt recherche. La créance correspondante s'est élevée à 274 millions d'euros.
Au vu de la qualité de la production scientifique de nos universités, de nos organismes et de nos laboratoires de recherche publique comme des besoins d'innovation de nos entreprises, notamment des petites et moyennes entreprises, il est souhaitable que ces dernières fassent plus massivement appel à ce dispositif bonifié de recherche en partenariat avec les laboratoires universitaires qu'elles ne le font aujourd'hui.
En conclusion, voici les pistes que l'on peut dès maintenant explorer et qui sont compatibles avec l'orientation gouvernementale : transparence sur les données je m'y suis engagé, j'y veille, et c'est normal ! ; promotion du dispositif d'embauche des jeunes docteurs ; et promotion de la bonification pour ce qui concerne la recherche partenariale avec les universités, les laboratoires et les organismes publics.
Des améliorations du crédit d'impôt recherche sont à portée de main, à condition que nous nous mobilisions tous pour mieux faire connaître l'importance de cet outil et les conditions dans lesquelles il peut contribuer à développer l'emploi scientifique et à bonifier notre recherche. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Les incidences du crédit d'impôt recherche sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays. »
source http://www.senat.fr, le 15 janvier 2016