Interview de M. Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à l'enseignement supérieur et à la recherche à Radio Classique le 21 janvier 2016, sur la situation politique et économique début 2016.

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Média : Radio Classique

Texte intégral


GUILLAUME DURAND
L'invité politique est Thierry MANDON, bonjour, vous êtes secrétaire d'Etat chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche auprès de la ministre de l'Education nationale. Nous allons évidemment parler de ce dossier à la fin de cet entretien, mais beaucoup de la situation politique, pardonnez-moi. En fait, en même temps, je vous demande de me pardonner, mais je le vais faire quand même, pas de problème, vous vous en doutez.
THIERRY MANDON
J'imagine.
GUILLAUME DURAND
Est-ce que vous faites partie des gens qui considèrent qu'Emmanuel MACRON est agaçant ?
THIERRY MANDON
C'est quelqu'un qui essaye de… il a cité BOUCHERON dans ses voeux hier, l'historien, Patrick BOUCHERON qui vient de rentrer au Collège de France, et Patrick BOUCHERON dit une chose toute simple, il dit « il y a toujours quelque chose à tenter. » Eh bien il se revendique de l'école Patrick BOUCHERON. Il pense qu'il y a toujours des frontières à pousser… alors, parfois ça dérange, ça agace, voire on dit, « non, là, il est un peu allé loin », et parfois ça fait du bien d'ouvrir des voies. Moi je trouve que la vie politique a besoin d'innovation et on ne peut pas avoir une innovation sans risque, lui il en prend des risques, pour le meilleur, ou parfois pour le pire.
GUILLAUME DURAND
Mais alors, est-ce que par exemple la phrase qui a été prononcée hier et qui fait les commentaires de la presse ce matin, sur la vie plus difficile des entrepreneurs par rapport aux salariés, vous considérez quoi, que c'est quelque chose qu'il faut mettre sur la table pour sortir justement des idées toutes faites, ou est-ce que c'est le jeune type brillant qui finalement se permet toutes les saillies ?
THIERRY MANDON
Là il s'est un peu, probablement, laissé emporter, dans une phrase qui était vraiment trop générale pour être vraie et pour être acceptable. On connaît la difficulté économique, c'est quand même les salariés qui en sont les premières victimes, mais lui je pense qu'il pensait au petit patron d'une petite PME qui risque son pavillon qu'il hypothèque pour pouvoir lancer une entreprise, c'est vrai que celui-là il n'a pas la vie rose des patrons qui se réunissent aujourd'hui à Davos.
GUILLAUME DURAND
Et si on imaginait qu'on remette cette phrase dans un contexte disons du Parti socialiste d'il y a 5, 6, 7 ans, c'est un truc qui ferait hurler tout le monde. Imaginons que quelqu'un dise ça à un des grands congrès du PS de ces dernières années. Donc, il y a quand même quelque chose qui est en train de se passer qui est bizarre, c'est qu'à la fois votre gouvernement est pris dans une situation qui est quand même assez catastrophique sur le plan de l'emploi et en même temps vous avez des gens qui ont, semble-t-il, un point de vue idéologique totalement différent sur ce qui se passe aujourd'hui dans le monde.
THIERRY MANDON
Oui, en tout cas…
GUILLAUME DURAND
Entre MACRON et TAUBIRA…
THIERRY MANDON
Oui, enfin TAUBIRA parle très peu d'économie, mais c'est vrai. De toute façon les gouvernements c'est forcément des rassemblements et quand la société française est tiraillée par les doutes, est complètement éclatée avec des spectres de position très larges, il n'est pas étonnant que, quels que soient les gouvernements, on retrouve dans les gouvernements des éventails de position assez importants. Il y a aussi autre chose qui se passe, c'est que le monde en noir et blanc dans lequel la gauche a vécu en France, et en Europe, d'un côté les bons salariés, de l'autre les méchants patrons, tout ça c'est en train de s'effondrer. Et là ce n'est pas de l'idéologie, c'est la réalité. Tout le monde voit bien, tout le monde découvre, et nous aussi, que la réalité est parfois un peu plus complexe.
GUILLAUME DURAND
Mais l'emmerdement c'est que vous le découvrez au pouvoir.
THIERRY MANDON
De toute façon c'est toujours comme ça. C'est confronté au réel, c'est ça l'histoire de la vie politique, c'est confronté au réel que vous amodiez, vous faites bouger ce que vous avez dans les têtes avant d'arriver au pouvoir, ce n'est pas vrai seulement en France, c'est vrai partout.
GUILLAUME DURAND
Est-ce que vous considérez que le président de la République n'a aucune chance de pouvoir se présenter ?
THIERRY MANDON
Non, non non, je pense qu'il le peut, d'abord s'il le veut, mais imaginons qu'il le veuille, il le peut encore et ça dépend vraiment du cours de l'année 2016, résultats économiques et sociaux d'abord et avant tout.
GUILLAUME DURAND
Justement, sur cette affaire de résultats économiques et sociaux, je sens, enfin il me semble, que vous mésestimez ce qui s'est passé avec le quinquennat. Finalement, Nicolas SARKOZY, il a fait un début de quinquennat qui a été jugé décevant, et après il a bossé, bossé, bossé, il a été président de l'Europe, réglé deux crises financières, etc., et puis finalement ça a abouti à une défaite, et les sondages n'ont jamais été en sa faveur. A priori François HOLLANDE a fait un petit peu le même chemin, c'est-à-dire que le début a été une erreur, maintenant il essaye de se rattraper. Mais, est-ce qu'il n'y a pas, dans le quinquennat - et j'en arrive à ma question, pardon qu'elle soit longue - une mort symbolique qui vient de l'échec du début, c'est-à-dire que le quinquennat on ne peut pas se refaire, contrairement au septennat qui a été un peu l'espace mental de toute cette génération ?
THIERRY MANDON
Vous avez vraiment raison sur un point, je pense qu'on n'a pas suffisamment réfléchi à ce que change le quinquennat dans la vie politique française, la durée de 5 ans, on vit encore sur le septennat. Je m'explique. Il y a deux écoles. Soit on se dit ça se joue dans les 100 premiers jours, et alors il faut avoir en amont des 100 premiers jours, avant même d'avoir le pouvoir, travaillé extrêmement sérieusement, pas seulement sur des principes, des propositions vagues, mais sur la mise en oeuvre très précise et très concrète des réformes qu'on veut.
GUILLAUME DURAND
Ce que la gauche n'a pas fait.
THIERRY MANDON
Ce que aucun, que ce soit la gauche ou la droite, ce niveau-là de préparation, en amont des présidentielles, est insuffisant depuis que le quinquennat existe.
GUILLAUME DURAND
Et vous voyez les propositions de la droite, par exemple COPE dans son livre lui il dit il faut absolument passer aux décrets ou aux ordonnances parce que, autrement, si on va au Parlement avec des propositions de campagne électorale, on n'en sortira jamais.
THIERRY MANDON
Oui, mais le problème ce n'est pas le support juridique, le problème c'est le travail précis, la déclinaison précise et technique des mesures. Je prends un exemple tout bête. Vous voulez faire des évolutions de la fiscalité, il ne faut pas se contenter de principes, il faut avoir les modèles économiques, les modèles de simulation fiscale, pour bien vérifier que ce que vous voulez faire est conforme à l'idée que vous avancez. Donc il y a tout un travail d'ingénierie, de mise en oeuvre à faire, avant la présidentielle. Donc ça c'est l'hypothèse où vous dites ça se joue au tout début, c'est un peu ce que vous disiez tout à l'heure, il ne faut se rater au début. Il y a une deuxième hypothèse…
GUILLAUME DURAND
Justement, est-ce que HOLLANDE n'est pas, finalement, dans la même situation que Nicolas SARKOZY, c'est-à-dire qu'il travaille, il travaille, mais c'est trop tard, il y a une sorte de mort symbolique.
THIERRY MANDON
Non, non, ce n'est pas le problème de travail, c'est le problème de, on travaille trop macro, trop principes, pas assez conditions de mise en oeuvre…
GUILLAUME DURAND
Oui, mais j'en reviens à la question…
THIERRY MANDON
Et puis il y a un deuxième sujet que moi je vous dis… c'est que je pense que le quinquennat oblige à faire comme aux Etats-Unis le « spoils system », je pense que quand vous arrivez vous mettez des cadres supérieurs avec qui vous avez travaillé, avant la présidentielle, sur votre programme. Vous changez, vous changez… ce n'est pas du tout… le statut de la fonction publique protège de toute façon les cadres supérieurs de l'Administration, d'une certaine manière, d'ailleurs, les surprotège, mais c'est un autre débat, mais, mais, vous arrivez avec vos équipes, parce que tout se passe dans la mise en oeuvre.
GUILLAUME DURAND
Alors le Parti socialiste n'a plus lieu d'être, ça ne sert plus à rien je veux dire. Il faut faire des écoles… enfin c'est démocrates contre républicains…
THIERRY MANDON
Eh bien il évolue, il a évolué, oui.
GUILLAUME DURAND
D'accord, mais vous me parlez des Etats-Unis, donc ça va être démocrates contre républicains, il y a des primaires, et maintenant c'est foutu… le grand – pardonnez-moi, mais je vais prendre une expression vulgaire – mais le grand baratin idéologique, même s'il faut un socle de réflexion - ce n'est pas à vous de dire le contraire, puisque vous dirigez l'enseignement supérieur – mais le grand baratin idéologique il faut le mettre à la poubelle, ça n'a plus aucun sens.
THIERRY MANDON
D'abord ce n'est pas du baratin, il y a des cadres idéologiques. Je pense qu'en Europe, pas seulement en France d'ailleurs, les citoyens européens, dans chacun des pays, ont besoin de perspectives de long terme, c'est toute la différence avec la politique américaine. La politique américaine, finalement, c'est de la géographie transposée au plan politique, c'est l'idée qu'il y a toujours des nouvelles frontières à conquérir, et donc on n'a pas besoin de cadres idéologiques. En Europe on a besoin de cadres idéologiques, donc ce n'est pas du baratin, c'est des cadres. Mais, en revanche, les partis doivent évoluer, ça doit devenir des vraies usines, des vraies fabriques de propositions précises, de simulations des conséquences des propositions qu'on fait et de formation de cadres supérieurs qui aideront les élus à mettre en place ces propositions.
GUILLAUME DURAND
Il y aura les primaires à gauche ou pas ?
THIERRY MANDON
C'est au président et au parti d'en décider, moi j'observe que personne…
GUILLAUME DURAND
Et vous ?
THIERRY MANDON
Moi je me suis déjà exprimé… je vous renvoie à des déclarations que j'ai faites en 2014, voilà, sur ces sujets-là.
GUILLAUME DURAND
Est-ce que vous considérez qu'un remaniement est imminent ?
THIERRY MANDON
A lire la presse j'ai l'impression qu'il l'est, donc il semblerait qu'il y en aura un, oui.
GUILLAUME DURAND
Vous dites ça avec une sorte de… presque timidité.
THIERRY MANDON
Non, pas ça, mais moi je pense que, c'est pareil, quand on réfléchit au quinquennat, vous ne pouvez pas, ce n'est pas vrai, vous ne pouvez pas remanier trois fois, quatre fois dans un quinquennat. Ce n'est pas vrai.
GUILLAUME DURAND
Donc VALLS ira jusqu'au bout.
THIERRY MANDON
C'est le président qui… mais enfin, ça me semble plutôt, oui, la logique des choses. Pourquoi ? Parce que plus ça tourne, moins vous réformez, c'est une évidence. Plus vous changez les gens, plus vous avez du mal à réformer les structures. Vous pouvez faire des réformes, mais là encore, un quinquennat ça a besoin du plus de stabilité gouvernementale possible. Il faut être prêt avant, très prêt avant, et une fois qu'on est aux manettes il faut être concentré dans la durée pour faire les réformes structurelles qui s'imposent.
GUILLAUME DURAND
Dernière question, puisque c'est quand même votre sujet l'enseignement supérieur. Il y a beaucoup de classements qui sortent dans le monde entier et qui pointent la France comme étant, disons en difficulté pour l'enseignement supérieur. Est-ce que dans ce domaine il y a vraiment quelque chose qui va être amorcé, de sérieux ?
THIERRY MANDON
Je le crois. Alors, d'abord on est en difficulté pourquoi ? Parce qu'on a deux problèmes spécifiquement français. Un, on a un système qui est très atomisé, il y a un peu plus de 70 universités en France, donc on est en train de les compacter, sur des bases volontaires, en 25, ce qu'on appelle les COMUE, c'est-à-dire regroupement d'universités et de grandes écoles. Deuxième raison des difficultés, c'est qu'on a un système qui est séparé en deux, d'un côté il y a les grandes écoles, de l'autre les universités, aujourd'hui on est en train de regrouper tout ça, donc on a désormais 25 regroupements au niveau français. Et la deuxième difficulté c'est que les classements internationaux, en gros, s'appuient beaucoup sur les sciences dures, ne prennent pas en compte les travaux en matière de sciences humaines et sociales, qui est pourtant une grande tradition scientifique française, et donc on est un peu pénalisés. Le projet de Paris Saclay, dont on parle beaucoup, doit justement nous permettre de montrer que la France peut gagner de nombreux rangs si elle organise ce regroupement et si elle valorise mieux sa recherche en général.
GUILLAUME DURAND
Merci Thierry MANDON d'être venu ce matin en direct sur l'antenne de Radio Classique.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 janvier 2016