Texte intégral
PATRICK COHEN
Nos deux invités ce matin, la ministre du Travail, bonjour Myriam EL KHOMRI.
MYRIAM EL KHOMRI
Bonjour.
PATRICK COHEN
Et à vos côtés celui qui vous a remis ses propositions de réforme du Code du travail, bonjour Robert BADINTER.
ROBERT BADINTER
Bonjour.
PATRICK COHEN
Vous avez défini 61 principes essentiels, égalité professionnelle, liberté de se syndiquer, congé maternité, salaire minimum, repos hebdomadaire, temps de travail, etc., etc., tout cela existe déjà dans le Code du travail actuel, à quoi cela sert ?
ROBERT BADINTER
A droit constant, ça existe. Nous avons travaillé sur l'état du droit actuel, ça sert à une prise de conscience. La caractéristique, on le sait, du Code du travail c'est la complexité, le trop grand nombre d'articles, les strates successives qui s'ajoutent selon les événements et selon les exigences, ça donne un Code excessivement compliqué et surtout, surtout, ça fait perdre de vue l'essentiel. Alors ici, au moment où on a recomposé le Code du travail, l'objectif était quels sont les principes structurels sur lesquels tout le monde est d'accord ? Vous savez, c'est une caractéristique, souvent perdue en France, du droit contemporain. Vous savez les principes et vous avez ensuite les règles, « principles and rules » disent les grands juristes anglo-saxons, et c'est vrai. Ce n'est pas la même chose de dire le droit au respect de la dignité et puis ensuite de décliner les règles qui permettent, dans l'entreprise, de respecter cette dignité. Donc, tout l'effort qu'on nous a demandé, et en très peu de temps, ça a été : dégager les principes essentiels du droit du travail. Pourquoi ? Parce que c'est le socle, la base, le fondement du reste.
PATRICK COHEN
Ces 61 articles pour réformer une sorte de préambule solennel au futur Code du travail, c'est cela Robert BADINTER ?
ROBERT BADINTER
Solennel, je n'utiliserai pas l'adjectif
PATRICK COHEN
Un préambule en tout cas.
ROBERT BADINTER
Le préambule, certainement, de façon à ce que, je dirais les principes posés là irriguent l'ensemble, et parmi ces principes, vous l'avez vu, nous mettons la lumière sur la dignité, qui est une exigence très forte, très contemporaine, et que l'on doit à tout prix respecter, à tous les niveaux, dans la relation de travail.
PATRICK COHEN
Myriam EL KHOMRI, je m'arrête sur le point, l'un des points sensibles, enfin vous voyez la presse et les commentaires depuis quelques jours, l'un des points les plus sensibles, l'article 33, principe 33 : « la durée normale du travail est fixée par la loi, celle-ci détermine les conditions dans lesquelles les conventions et accords collectifs peuvent retenir une durée différente. » Les accords collectifs, la règle des accords collectifs pourrait changer, ça, ça pourrait changer ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ce que rappelle ce rapport c'est que la durée normale est fixée par la loi, c'est-à-dire la durée légale, et aujourd'hui, et c'est un des impératifs de la loi que je porte, la durée légale du travail c'est 35 heures. Mais la réalité c'est que les Français travaillent 39 heures. Finalement, la durée légale c'est le seuil de déclenchement des heures supplémentaires. Donc, nous l'avons dit dès l'automne dernier, la réforme profonde du droit du travail que je mène, et qui sera présentée en Conseil des ministres le 9 mars prochain, vise justement, il y avait trois préalables, c'est que nous ne touchions pas ni aux 35 heures, ni au SMIC, ni au CDI après, par accord, de branche et d'entreprise, il peut y avoir des modulations dans leur cadre de l'organisation du temps de travail.
PATRICK COHEN
Alors, modulation sur quel point précisément ? Est-ce qu'on peut moduler le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, est-ce qu'on pourrait déclencher les heures supplémentaires à 36, ou à 37 heures, ou à 40 ?
MYRIAM EL KHOMRI
Aujourd'hui, puisque nous maintenons la durée légale des 35 heures, le seuil de déclenchement des heures supplémentaires restera 35 heures.
PATRICK COHEN
Alors ensuite, la majoration des heures supplémentaires. Aujourd'hui la loi prévoit 25 %, mais un accord peut descendre à 10 %, est-ce que ce plancher pourrait être plus bas que les 10 % ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ecoutez, il y a actuellement des concertations avec les partenaires sociaux, moi je l'ai dit la semaine dernière, je ne préconise pas justement d'aller au-dessous du seuil de 10 %. Après, dans le fonctionnement aujourd'hui, entre
PATRICK COHEN
Contrairement à votre collègue Emmanuel MACRON.
MYRIAM EL KHOMRI
Entre les différents niveaux que pouvait avoir à la fois ce qui est préconisé dans la loi, ce qu'il y a également dans les accords de branche, parfois aujourd'hui on peut aller sur un accord d'entreprise à 10 %, mais beaucoup sont verrouillés par des accords de branche qui interdisent quelque part à l'entreprise d'aller en deçà de 25 %, donc c'est ceci qui a été mis en discussion. Mais moi, en effet, je ne préconise pas d'aller au-dessous du seuil de 10 %.
PATRICK COHEN
C'est votre position personnelle, l'arbitrage n'est pas rendu ?
MYRIAM EL KHOMRI
C'est ma position personnelle et je crois que la question du taux de majoration est une question bien sûr importante, parce qu'elle relève du pouvoir d'achat des salariés et c'est en cela, bien sûr, que c'est une question sensible. Néanmoins, ce que nous souhaitons faire, et c'est pour ça que le travail qui est porté par Robert BADINTER et toute son équipe est important, à un moment où nous allons réécrire le Code du travail pour le rendre plus lisible, plus accessible, et aussi pour qu'il réponde mieux aux mutations du travail, il est important de réaffirmer nos grands principes, réaffirmer une sorte de déclaration des droits des travailleurs, et qui permette aussi, après, à travers l'ordre public social, de laisser des marges à la négociation, au plus près de l'entreprise, et des marges à la négociation au plus près de la branche également.
PATRICK COHEN
Autre question, dans quelles conditions peut-on nouer un accord collectif ? Aujourd'hui, enfin, vous prévoyez plutôt qu'une règle majoritaire s'applique, c'est-à-dire un accord avec des syndicats représentant plus de 50 % des salariés, aujourd'hui c'est 30 %, d'où la crainte d'un blocage, il faudra trouver une autre voie, avez-vous dit. Quelle voie ?
MYRIAM EL KHOMRI
Pourquoi cette question se pose. Nous souhaitons que ces accords soient légitimes, et nous souhaitons donner plus de poids à la négociation au plus près de l'entreprise. Ça veut dire que pour qu'un accord soit valide il faut qu'il y ait un fait majoritaire, le principe majoritaire est important dans notre société. Et donc, le principe majoritaire peut être défini de deux manières, soit c'est signé par des organisations syndicales qui représentent 50 % des salariés, soit une autre voie qui nous permet de changer les règles du jeu, mais justement de renforcer le poids des acteurs, c'est-à-dire que ce soit 30 % des représentants des organisations syndicales, plus la possibilité que ces organisations syndicales déclenchent un référendum d'entreprise, et s'il y a 50 % des salariés qui valident l'accord, donc l'accord s'imposera.
PATRICK COHEN
Donc un vote des salariés qui ne serait plus seulement indicatif, comme c'est le cas aujourd'hui, mais qui serait impératif et qui déclencherait
MYRIAM EL KHOMRI
A la demande, à la demande, des organisations syndicales qui représentent déjà 30 %, qui ont signé l'accord.
PATRICK COHEN
Et s'il y a contradiction entre le résultat du référendum salariés et le vote des syndicats, c'est-à-dire s'il y a un front d'opposition syndicale qui représente plus de 50 % des salariés, qui l'emporte entre les salariés et les syndicats ?
MYRIAM EL KHOMRI
C'est actuellement le débat sur le changement des règles du jeu. Nous, ce que nous souhaitons, c'est que quand on a 30 % des organisations qu'on a des organisations syndicales qui représentent 30 % des salariés et qui valident l'accord, qu'elles puissent déclencher un référendum d'entreprise, et si la consultation donne plus de 50 % des salariés qui sont pour, cet accord s'applique. Voilà la règle qui serait une nouvelle règle. L'enjeu c'est de valoriser les acteurs de terrain, c'est-à-dire qu'à partir du moment où on élargit l'objet des négociations au plus près du terrain, c'est-à-dire avec les représentants légitimes des salariés, qui sont les syndicats, il faut pouvoir donner cette capacité aussi d'entendre les salariés dans ce cadre-là. Ce n'est pas un référendum qui est à la main des entreprises, c'est un référendum qui est à la main des organisations syndicales qui représentent près de 30 % des salariés.
PATRICK COHEN
Donc ça ce sera dans la future loi, dans le projet de loi.
MYRIAM EL KHOMRI
Tout à fait.
PATRICK COHEN
Robert BADINTER, vous n'avez pas l'impression de participer à une entreprise de détricotage du droit social, du droit des salariés ? On vous en fait le reproche, vous l'entendez depuis quelque
ROBERT BADINTER
Ah bon ?
PATRICK COHEN
Oui, oui
ROBERT BADINTER
Depuis ?
PATRICK COHEN
Depuis hier.
ROBERT BADINTER
J'ai cru que c'était le contraire hier, mais enfin ! Alors, soyons sérieux, ce n'est pas mon rapport, c'est un rapport qui est rédigé, entièrement d'accord, entre tous les membres du comité, et vous avez remarqué, j'en ai une aujourd'hui qui a bien voulu m'accompagner, vous avez remarqué leur haute compétence. Vous avez les deux présidents successifs de la Chambre sociale de la cour de cassation, vous avez des présidents de section au Conseil d'Etat, vous avez des conseillers d'Etat, vous avez l'Inspectrice générale des services, bref, nous sommes peu nombreux, tous qualifiés, et ce qu'il y a de plus remarquable, alors que nos sensibilités sont différentes, nous sommes arrivés à un consensus. Ceci représente, de la part de tous ceux qui ont travaillé, l'expression d'un accord sur les principes fondamentaux, et on ne peut pas, on ne peut pas, faire vivre une société dans une démocratie s'il n'y a pas, au départ, un accord sur les principes fondamentaux. C'est à quoi nous sommes parvenus. Alors, maintenant, chacun est libre de l'apprécier, et surtout il appartient au pouvoir politique, et le temps passera, sur la base de ce socle, de construire ce qui mais pour nous l'essentiel c'était précision, exigence juridique, que ce soit aussi clair que possible, et unanimité, nous y sommes parvenus en très peu de temps. Ça représente un certain nombre de nuits, je ne suis pas sûr que ça respecte la durée légale du travail, je vous le dis franchement.
PATRICK COHEN
Robert BADINTER, Myriam EL KHOMRI, vous aurez des questions et des commentaires tout à l'heure, dans quelques minutes, des auditeurs de France Inter qui nous appellent au 01.45.24.7000 ou qui interviennent sur les réseaux sociaux avec le mot clé « interactiv. »
source : Service d'information du Gouvernement, le 27 janvier 2016