Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la "Nuit des idées", une rencontre organisée au Quai d'Orsay entre intellectuels, artistes et architectes pour réfléchir sur le monde de demain, à Paris le 27 janvier 2016.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Nuit des idées, à Paris le 27 janvier 2016

Texte intégral


Vous êtes parmi les rares qui ont pu disposer d'un siège. J'entrais à l'instant au Quai d'Orsay et nous sommes très agréablement encerclés par toute une série de personnes qui veulent rentrer, qui vont rentrer mais on sait déjà que cette «Nuit des idées» sera un succès.
Beaucoup d'entre vous connaissent le Quai d'Orsay, peut-être pas tous. Mais ce sont des murs qui ont été construits sous Napoléon III, qui ont donc depuis vécu beaucoup de choses. Mais ce que nous vivons ce soir est sans précédent. Et cela pose au moins trois séries de questions.
- Pourquoi un débat d'idées ?
- Pourquoi la nuit ?
- Et pourquoi au Quai d'Orsay ?
Alors pourquoi un débat d'idées ?
Je pense que la réponse va de soi et c'est le sens de votre présence. Nous sommes dans un monde qui est pressé, qui est troublé et, plus que jamais, il faut dialoguer, il faut réfléchir, il faut à la fois prendre son temps, se projeter dans l'avenir et échanger avec l'autre. Et c'est cela, au fond, le sens de cette nuit.
Pourquoi la nuit ?
C'est une question d'ailleurs. Parce qu'elle prolonge utilement le jour et qu'elle permet donc d'étendre le plaisir du dialogue. Mais aussi parce que la nuit qui tombe crée une atmosphère particulière. C'est une alchimie, une connivence, et si ce que je dis est vrai, cela servira de base à une initiative beaucoup plus large que je veux lancer cette année. C'est-à-dire que des débats comme celui-ci, je voudrais que la France et l'Institut français en organisent dans tous les pays du monde. Nous voudrions des «Nuits des idées» à l'initiative de la France tournées vers les autres dans tous les pays où cela est possible.
Et enfin pourquoi le Quai d'Orsay ?
Le Quai d'Orsay, c'est le lieu où l'on bâtit normalement la diplomatie de la France. La diplomatie c'est à la fois de la grande stratégie, de la recherche à la solution de nombreuses crises. C'est aussi - on en parle beaucoup depuis maintenant quelques années - la diplomatie économique mais je ne veux pas que l'on oublie que la place de notre diplomatie, c'est la culture. À la fois parce que nous avons des atouts culturels extraordinaires et locatifs remarquables. Et puis parce que dans notre raison d'être en tant que diplomatie française, la culture est un élément central. Et c'est à partir de tout cela qu'avec l'Institut français, que je remercie, nous avons conçu cette nuit. Elle n'aurait pas été possible sans les intervenants prestigieux qui sont là toute la soirée. Et sans vous, c'est-à-dire les nombreux qui sont là ou qui vont venir, je crois que l'inscription se faisait sur Internet - je crois qu'il y a eu 15.000 demandes d'inscription mais cette maison ne peut pas accueillir 15.000 personnes.
Nous avons pris des dispositions pour que ce que vous allez dire ce soir soit retransmis sur Internet et sur toute une série de média pour que ce soit le succès que tout le monde peut espérer.
Alors nous avons voulu que ces débats, puisqu'il va y avoir des débats, soient à la fois internationaux parce que l'on ne peut réfléchir que d'une façon ouverte, transversale, et qu'ils soient interdisciplinaires. C'est vrai que, quand je consulte la liste de ce que vous avez préparée, qui va de l'urbanisme à la santé, en passant par l'économie, la justice, etc... c'est l'interdisciplinaire. Et, en même temps, c'est intergénérationnel. Il y a vraiment des juniors mais je pense que c'est une bonne chose d'avoir ce brassage.
Voilà, tout est dit ou à peu près. J'ajouterai un tout dernier mot. Un mot pour remercier à nouveau vraiment les participants venus souvent de très loin et puis, ce que j'appellerai d'un terme facile le public parce que c'est vous tous qui bâtissez cette «Nuit des idées».
Un dernier mot : je lisais récemment un livre magnifique que je vous conseille (Palmyre, de Paul Veyne). C'était magnifique. Déchiré par la barbarie de Daech, Paul Veyne écrit quelque chose comme ceci : «si l'on ne s'intéresse qu'à sa propre culture, on se condamne à vivre sous l'été noir.»
Cette nuit, nous ne voulons pas d'été noir. Nous voulons allumer et conserver très vif un débat d'idées. C'est celui qui va être entamé brillamment, j'en suis sûr, par Jacques Koolhaas et Bruno Latour.
Très bonne nuit.
Mesdames et Messieurs,
Juste quelques mots avant un débat qui est extrêmement attendu. D'abord, pour souhaiter à toutes celles et tous ceux qui sont là et qui sont extrêmement nombreux un bon accueil dans cette maison. Elle a été construite sous Napoléon III qui n'imaginait pas totalement le débat qui aurait lieu ce soir, ce qui fait que ce n'est pas très fonctionnel pour ce type de débat.
Mais je pense que cette nuit des idées qui a un formidable succès correspond vraiment à ce que nous souhaitions, c'est-à-dire un débat sur des grandes questions actuelles et du futur sans polémique.
Je veux avant de me retirer, remercier beaucoup ces deux personnalités qui vont dialoguer, Robert Badinter, que chacun ici connaît et que j'ai appelé il y a quelques semaines pour lui demander s'il nous ferait l'honneur de participer à cette «Nuit des idées». Je dis cela pour nos amis étrangers, c'est difficile d'imaginer qu'il y ait une «Nuit des idées» en France sans demander à Robert Badinter de s'exprimer et il m'a très gentiment répondu oui. Je lui ai indiqué que c'était sous forme de dialogue : «Alors, avec qui envisages-tu de dialoguer ?». L'hésitation a duré environ un millième de seconde et il a dit : «Avec M. Breyer», avec vous, Monsieur Breyer, qui êtes juge à la Cour suprême des États-Unis.
Il y a, dans toute cette soirée, des hommes et des femmes qui vont dialoguer et qui ne se connaissent pas nécessairement. Ces deux responsables, ces deux personnalités se connaissent et sont amis, je pense que ce sera visible dans leur dialogue.
Nos deux personnalités ont en commun plusieurs éléments et notamment trois d'entre eux : d'abord, ils ont tous les deux exercé ou ils exercent de très hautes fonctions juridictionnelles. Ils connaissent donc la justice de l'intérieur, pour l'avoir exercée ou pour l'exercer. Ensuite, ils lient l'institution judiciaire et la notion-même de justice, et cela transparaît à la fois dans le fond de leurs convictions, de leurs positions, et aussi dans les livres qu'ils publient ou dans les enseignements qu'ils dispensent. Enfin, j'espère ne pas vous compromettre en vous disant cela, mais ce sont deux très hautes personnalités qui n'ont pas seulement un regard intellectuel sur la justice, mais qui sont, au bon sens du terme, des militants, des militants de la justice et des militants d'un monde meilleur.
Je suis sûr que leur dialogue sera passionnant, en tout cas je veux les remercier très chaleureusement. Robert Badinter, ancien ministre, ancien président du Conseil constitutionnel et avocat ; Stephen Breyer qui est juge à la Cour suprême des États-Unis depuis 1994 maintenant. Je veux les remercier d'être là.
Vous allez, Madame, avoir la lourde charge de modérer ce débat. Je pense qu'il n'y aura pas grand-chose à modérer mais il y aura à orienter et vous allez certainement le faire d'une façon remarquable.
Merci à tous les trois et merci à vous toutes et à vous tous d'être là ce soir pour cette «Nuit des idées».
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 février 2016