Entretien de M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger, dans "L'Humanité" du 29 janvier 2016, sur les relations franco-cubaines.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Visite officielle en France du président cubain, les 1er et 2 février 2016

Média : L'Humanité

Texte intégral

Q - Le président cubain, Raul Castro, effectuera une visite officielle en France les 1er et 2 février. Il sera reçu lundi par son homologue François Hollande qui s'est rendu sur la grande île en mai 2015. Les deux pays qualifient leurs relations d'excellentes. Pourquoi cela n'était-il pas perceptible auparavant ?
R - Je ne vois pas les choses comme cela. Il y a une relation de longue date entre nos deux pays. Victor Hugo a pris position en faveur de l'indépendance de Cuba en écrivant des lettres magnifiques à des mères et à des compagnes d'indépendantistes. Plus récemment, dans les années 1990, au moment où Cuba a été confronté à la disparition de ses partenaires commerciaux avec la fin de l'URSS et de la guerre froide ainsi qu'au maintien de l'embargo, la France a été l'un des rares pays à être aux côtés de Cuba. Nous avons fait des déclarations fortes mais également agi avec l'ouverture d'une ligne COFACE qui garantit les exportations françaises. Cela a permis de maintenir les relations économiques entre nos deux pays. Et cela ne s'est jamais démenti. Nous avons des relations sur les plans économiques mais également culturels. Il y a des intellectuels et des artistes qui incarnent aujourd'hui ces liens culturels très forts entre nos deux pays, comme pour ne citer qu'eux Wendy Guerra, Raul Paz, Leonardo Padura...
(...)
Q - L'approfondissement des relations entre Paris et La Havane n'est-il pas également lié au rétablissement des relations diplomatiques entre Cuba et les États-Unis en décembre 2014 et à l'ouverture de l'économie cubaine qui a besoin d'investissements étrangers, ce qui n'est pas sans soulever des interrogations au sein de la société cubaine ?
(...)
R - Cuba est aujourd'hui engagé dans un mouvement de modernisation de son économie que l'on appelle «l'actualisation» de son modèle économique, avec plusieurs aspects importants comme la loi sur les investissements étrangers, les projets d'unification monétaire et des projets emblématiques tels que la zone de développement spécial du Port de Mariel. Il a vocation à devenir un hub très important pour la région et une partie du continent, y compris l'Amérique du nord. Des entreprises françaises sont présentes dans ce projet. L'autre point est la diversification des partenaires économiques pour ne pas retomber dans la dépendance d'un voisin ou d'un seul pays. À la fin du XIXème siècle, José Marti (le leader de l'indépendance de Cuba- NDLR) déclarait dans une revue américaine : «Il faut équilibrer le commerce afin de garantir la liberté.». Avec mon homologue cubain Rodrigo Malmierca, et avec l'accord du président, nous avons organisé lors de sa visite en mai 2015 un forum économique avec l'idée d'apporter à Cuba ce qui dans le modèle français peut l'intéresser. Ce pays souhaite donner plus de marges à l'initiative individuelle. Cela existe déjà dans la restauration, notamment, et dans le même temps, maintenir des objectifs d'intérêt général dans l'économie. La délégation française à Cuba représentait les secteurs de l'économie sociale et solidaire, le secteur mutualiste, et des coopératives. Le modèle d'économie sociale et solidaire est un modèle qui peut apporter beaucoup à Cuba dans sa phase actuelle.
(...)
Q - Quel est le poids des échanges entre les deux pays et dans quels secteurs ?
R - Nos échanges commerciaux ne sont pas encore à la hauteur de nos ambitions : 180 millions d'euros en 2014, dont 157 millions d'euros d'exportations - principalement du blé et de l'agroalimentaire et l'ordre de grandeur devrait être similaire en 2015 mais la France est très présente à Cuba et nos deux pays ont des relations dans de nombreux domaines. Dans le tourisme, nous sommes présents dans la construction des infrastructures hôtelières mais aussi dans leur exploitation avec Bouygues et Accor, dans les secteurs de l'énergie avec Total, et de l'agriculture avec, par exemple, Malongo. Il y a des coopérations dans le domaine des biotechnologies. Il y a évidemment Pernod- Ricard qui est l'une des réussites les plus emblématiques. Les relations culturelles entre nos deux pays sont très amples avec le festival film français qui est un grand rendez-vous de la culture. Le président a d'ailleurs émis le souhait de créer un printemps de la France à Cuba. À partir de cette année, il y aura des grands événements autour du cinéma, de la musique, de la mode... Il existe aussi une relation linguistique forte. Les autorités cubaines ont mis à disposition de la France le magnifique palais Gomez au coeur de la vieille Havane, qui est le siège de l'Alliance française. Elle accueille chaque année 12.000 personnes qui y apprennent le français. Tout cela montre l'étroitesse de nos liens. Lors des différentes visites en particulier celle du président de la République, de nombreuses délégations d'entreprises ont présenté leur expertise et le savoir-faire français à même de répondre aux besoins cubains dans le cadre de la modernisation de l'économie engagée dans le pays.
(...)
Q - À Cuba, le président Hollande a évoqué l'épineuse question de la dette. Qu'en est-il ?
(...)
R - Les négociations étaient au point mort depuis plus de vingt ans. Lors de mon déplacement à Cuba en mars 2015, j'étais accompagné du directeur général du Trésor français, Bruno Bézard, qui travaille sur les questions multilatérales et bilatérales de la dette. Cette question de la dette est très importante car elle conditionne la réussite de la modernisation en cours à Cuba et ses besoins d'accès au financement. En quelques semaines, nous sommes parvenus à un accord sur les montants. Cette dette est composée de 2,6 milliards de dollars d'arriérés qui seront intégralement remboursés, et de 8,5 milliards de dollars d' intérêts de retard qui ont été annulés. Cet accord, pour lequel nous avons beaucoup oeuvré, va permettre le retour de l'Agence française de développement à Cuba.
(...)
Q - Lors de sa visite à Cuba, le président Hollande a affirmé que son voyage avait également pour but de faire évoluer la «position commune» de l'Union européenne vis-à-vis de Cuba. Où en est-on ?
R - Dans le cadre de l'UE, il y a un dialogue avec Cuba sur tous les sujets. La position commune appartient au passé et disparaitra formellement lorsque nous serons en mesure d'annoncer la conclusion de l'accord UE-Cuba. Sur les libertés et les droits de l'homme, nos appréciations diffèrent, et nous entretenons un dialogue exigeant.
(...)
Q - La France et Cuba se parlent-ils sur un pied d'égalité ?
(...)
R - Bien sûr. Nous avons des coopérations entre deux États souverains, dans leurs choix. D'ailleurs, Victor Hugo disait : «Cuba est majeure, Cuba n'appartient qu'à Cuba».
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2016