Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs du jury,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Merci de ce portrait flatteur,
J'ai déjà reçu un prix du trombinoscope, il y a quelques années - je le dis à nos amis députés -, c'était le prix du député de l'année. À l'époque, j'avais fait remarquer respectueusement que le jury - à peu près le même - m'avait décerné le titre de député de l'année pour la seule année où je ne m'étais pas exprimé au parlement. Je réfléchis toujours, lorsque je prends l'avion, aux raisons pour lesquelles vous m'aviez décerné ce prix ; peut-être le saurai-je ce soir, c'est un mystère. Je suis donc venu ici avec une certaine crainte car j'ai pensé que cela allait recommencer. Mais non, vous venez de m'expliquer ce que je pressentais tout de même, que c'est à cause de la COP21.
Cette année 2015 - une année tragique, on l'a dit - a été pour moi sur le plan professionnel extrêmement heureuse. D'abord, parce que je l'ai commencé en étant l'homme de l'année pour la revue française du vin ; ensuite, pour la revue française du tourisme ; puis j'ai été intronisé dans la guilde des fromagers. Dans quelques jours, à la Wehrkunde, le grand forum international sur les problèmes de sécurité à Munich, je recevrai une distinction analogue à celle-là mais, aujourd'hui, c'est quand même le summum.
Il est vrai que j'ai eu beaucoup de chance car j'ai été associé à deux événements très heureux de nature différente qui vont rester dans l'histoire et qui seront enseignés pendant des années dans les écoles de diplomatie. D'abord, même si évidemment c'est d'une autre nature que la COP21, l'accord sur le nucléaire iranien. Croyez-moi, lorsque l'on a négocié avec les Iraniens pendant trois ans et demi, on peut tout faire. La France a eu une position que j'ai appelée de «fermeté constructive». Nous avons été beaucoup critiqué à l'époque, y compris peut-être, - je n'ai pas la mémoire, je suis comme Tristan Bernard, «j'ai une excellente mémoire, j'oublie tout» - parce que, paraît-il, on a été trop ferme.
Je veux profiter de cette audience remarquable pour expliquer en un mot pourquoi.
On aurait pu signer au rabais, un certain nombre de nos partenaires le souhaitaient, mais quelles auraient été les conséquences ? Il n'est pas besoin d'être un génie diplomatique pour le comprendre : si nous avions signé un accord qui ne garantissait pas le fait que les Iraniens n'aient pas la bombe, immédiatement, les pays de la région se seraient empressés de l'acquérir. J'ai quand même mis un certain temps à faire comprendre cela à mes partenaires, y compris d'ailleurs aux Iraniens. La fermeté constructive de la France a conduit à un accord indispensable et à un bon accord. On nous avait expliqué à l'époque que cela nous fâcherait définitivement avec les Iraniens, vous avez vu ce qui s'est passé la semaine dernière, je n'ai pas le sentiment que cette fâcherie soit aussi définitive.
Et puis, il y a eu cette fameuse COP21. J'ai beaucoup réfléchi aux raisons pour lesquelles il y a eu un accord, je ne suis pas parvenu au bout de ma réflexion mais j'en tire une leçon assez sage. Il vaut mieux ne pas comprendre pourquoi il y a eu un grand succès plutôt que de déployer, comme c'est souvent le cas, des trésors d'intelligence pour expliquer un échec. C'est qu'il y a eu un grand succès et la diplomatie française, que l'on a beaucoup célébrée à cette occasion - et j'en suis heureux pour elle -, a rencontré une sorte de configuration particulière des planètes.
Il y a eu, d'abord, notre pauvre planète terre qui a été si abîmée, le dérèglement climatique était si fort que par un paradoxe qui n'est qu'apparent, cela a poussé évidemment à l'accord.
Ensuite, il y a eu la planète scientifique et je veux vraiment rendre hommage aux scientifiques qui ont fait un travail magnifique. Il y a de cela quatre ou cinq ans, lorsqu'on parlait des problèmes du climat, la moitié de la réunion était consacrée à la question de savoir si oui ou non il y avait un dérèglement climatique ; la deuxième partie était de savoir si c'était dû à l'Homme. Aujourd'hui, sauf dans un certain camp aux États-Unis, ce problème est derrière nous et c'est parce que les scientifiques ont fait un travail remarquable.
Et puis, il y a eu la configuration de la planète que j'appellerais sociétale. Des entreprises ont compris qu'il fallait bouger, la société civile, les populations, les communes, les départements, les régions. Tout cela a mis quelque chose en mouvement.
Il y a eu également la planète politique et diplomatique. La Chine a changé parce que c'est une question de vie, au sens profond pour elle. Le président Obama a eu un rôle considérable. L'Europe, que l'on critique souvent, a été une force d'entraînement et nous avons fait notre travail pour convaincre l'Inde et les autres pays.
Ensuite, la COP21, pendant quinze jours où quand on dormait deux heures la nuit, on nous accusait de faire la grasse matinée et, au bout, cet accord improbable : 195 pays qui disent oui à un accord qui n'est pas un accord au rabais, mais au contraire extrêmement ambitieux. Il restera à appliquer tout cela, à surveiller l'application de tout cela mais, vous l'avez senti, vous l'avez dit avec talent et humour, j'ai participé à beaucoup de conférences internationales, a beaucoup de conférences qui n'étaient pas internationales aussi, mais là on a senti une émotion, pas seulement pour celui qui la présidait mais pour l'ensemble des participants. Voir ces participants qui depuis trente ans étaient là sans pouvoir conclure et qui s'étaient associés à une négociation dont l'objet est quoi ? Tout simplement faire en sorte que notre planète continue d'être habitable et que nos enfants puissent respirer, c'est de cela qu'il s'agit. C'est évidemment une émotion qui, chacun le comprend, même si on a le cuir tanné, communicative. C'est cela, tout simplement, que j'ai voulu communiquer.
Un dernier mot. Je ne suis pas comme d'autres qui ont nécessairement le souvenir des citations, j'ai donc pris ma petite carte. Nous l'avons dit, les uns et les autres, et vous l'avez dit avec juste raison, les politiques sont très critiqués. Moi qui ai exercé quasiment toutes les fonctions législatives et exécutives et qui aurai pu faire d'autres choses dans la vie, je veux porter témoignage que les politiques sont des femmes et des hommes qui, dans l'immense majorité, se dévouent pour les autres. On a beaucoup parlé pendant cette COP21 de Mandela ; nous l'avons cité à beaucoup d'occasions. J'ai retrouvé une jolie citation de Nelson Mandela : «Ce qui importe le plus, ce n'est pas le fait que nous ayons vécu. Ce qui détermine le sens de la vie que nous avons menée, c'est la différence que nous avons faite dans la vie des autres». Je pense que tous ceux qui sont honorés ce soir grâce à vous partagent cette phrase de Mandela.
Je vous remercie.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2016