Texte intégral
Q - (Inaudible)
R - M. Bachar al-Assad agit de telle façon qu'aujourd'hui il y a 260.000 morts et des millions de réfugiés. Certains sont partis pour l'Europe ou partent pour l'Europe, mais beaucoup n'ont d'autre ressource que d'être réfugiés en Syrie-même, ou dans les pays voisins, donc il faut s'occuper d'eux. Cela demande des moyens financiers : c'est l'objet de la réunion d'aujourd'hui. La France, comme les autres pays, fait son devoir et pour les années qui viennent nous avons prévu plus d'un milliard d'euros, ce qui est une somme considérable. Mais - c'est ce que je dis avec force à la conférence - il faut s'occuper de la conséquence, mais il faut aussi s'occuper de la cause, sinon l'on se retrouvera l'année prochaine ou dans deux ans, soit à Londres, soit dans une autre ville, et l'on n'aura pas un certain nombre de millions de réfugiés mais nous en aurons deux fois plus.
Q - Est-ce que vous sentez aujourd'hui un sentiment d'urgence dans cette conférence?
R - Moi, en tout cas, ce sentiment d'urgence absolue, je l'ai. Et dans mon intervention j'ai dit ce que la France faisait en ce qui concerne les moyens financiers, mais j'ai insisté sur la question que très légitimement vous me posez : il faut s'occuper aussi et d'abord de la cause, c'est-à-dire de ce qu'il se passe en Syrie, et donc il faut exiger du gouvernement de M. Bachar al-Assad et de ceux qui le soutiennent, à savoir essentiellement la Russie et l'Iran, qu'ils respectent le droit et les résolutions du conseil de sécurité. C'est-à-dire qu'il faut exiger l'arrêt des bombardements qui tuent des civils, l'arrêt des sièges qui affament des centaines de milliers de personnes.
On dit qu'il faut discuter : oui ; nous avons été les premiers, nous les Français, à demander qu'il y ait une négociation à Genève. Si l'on veut qu'il y ait une solution politique, il faut qu'il y ait une négociation. Comment voulez-vous qu'il y ait une négociation qui soit efficace si l'opposition modérée, qu'on est parvenu tout de même à faire venir, est en même temps assassinée par ceux avec lesquels elle doit négocier ?
Donc il faut, et c'est l'urgence absolue et première, que les bombardements du régime cessent, que les sièges où l'on affame la révolution syrienne cessent, et que l'on se mette autour d'une table pour discuter du sujet de fond, qui est la situation en Syrie, et comment opérer la transition politique qui permettra, selon les résolutions du conseil de sécurité des Nations unies et des décisions onusiennes d'aller vers une Syrie nouvelle.
Q - En avez-vous discuté avec le secrétaire d'État américain, que l'on dit aussi remonté que vous ?
R - Moi, je suis très remonté, oui, très remonté, sur le fond.
Q - Contre les Russes ?
R - Je suis remonté, enfin, le mot «remonté» est peut-être inexact, mais je demande simplement ... La France est une puissance de paix, une puissance indépendante. Nous n'avons pas d'agenda caché. Ce que nous voulons, c'est que la Syrie puisse vivre libre et qu'on arrête d'assassiner tout un peuple. Alors c'est d'abord M. Bachar al-Assad, le président à l'origine de 260.000 morts - excusez du peu - et de millions de réfugiés, mais c'est aussi ceux qui le soutiennent.
Il faut une solution politique, il faut se mettre autour d'une table, mais l'on ne peut pas - c'est une évidence qu'un enfant de quinze ans ou de dix ans comprendrait - se mettre autour d'une table pour négocier pendant qu'une des parties est assassinée par l'autre. Donc c'est cela notre rôle, de rappeler quel doit être le droit : nous en avons parlé effectivement avec M. Kerry notamment ce matin. Je lui ai dit la fermeté de la position de la France.
Q : Selon vous, pourquoi les bombardements ne cessent-ils pas ? Cela dure depuis cinq ans.
R - Il y a eu plusieurs phases. Il faut avoir à l'esprit qu'au début tout cela a commencé par une petite révolte d'une poignée de jeunes gens. Vous vous rappelez ? Cela, on l'a oublié, c'était dans un coin de la Syrie ; vous, vous ne l'avez pas oublié, et vous avez raison. Je crois qu'ils étaient huit jeunes gens, au moment du printemps arabe, comme on dit, ils ont fait une manifestation. Elle a été réprimée de telle manière par M. Bachar al-Assad qu'aujourd'hui, nous sommes quatre ans et demi après, et que tout cela a fait 260.000 morts et des millions de réfugiés, et un pays qui est absolument dévasté, et un terrain qui est favorable pour les terroristes de daech. Belle performance de cet homme, qui est un criminel contre l'humanité. Il y a eu d'abord ce que l'on a appelé Genève I, j'étais à cette conférence, à l'époque il y avait eu un accord, et M. Bachar al-Assad était dans une situation très fragile. Mais les résolutions de Genève n'ont pas été appliquées, et, petit à petit, il s'est renforcé. Il y a une autre date qu'il faut rappeler : il a utilisé des armes chimiques contre sa population. On avait dit que, s'il utilisait des armes chimiques, cela serait une ligne rouge, et que l'on réagirait. La France était prête. Et puis finalement on n'a pas réagi, et du coup il s'est renforcé. Et après il y a eu le soutien des Russes et des Iraniens, alors qu'au départ il n'y en avait pas, ou en tout cas pas du tout dans cette mesure. Et puis daech est intervenu, et le pays a été de plus en plus déchiré parce qu'on n'a pas pris les résolutions avec suffisamment de force au moment où c'était encore possible. Maintenant, cela ne sert à rien de refaire l'histoire, mais il faut arrêter ce carnage, et pour arrêter ce carnage, il faut discuter, et pour discuter, il faut que M. Bachar al-Assad et ceux qui le soutiennent arrêtent d'assassiner ceux avec lesquels ils doivent discuter.
Q - Est-ce une erreur de la part de la France d'avoir envoyé des armes aux rebelles ?
R - Certainement pas. Les armes essentielles ont été envoyées par ceux qui soutiennent M. Bachar al-Assad et donc nous nous avons soutenu non pas tous ceux qui luttent contre M. Bachar al-Assad mais tous ceux qui luttent mais en ayant un idéal démocratique. C'est ça que nous leur demandons : qu'est-ce que vous voulez comme Syrie ? Non pas une Syrie qui soit dominée par des terroristes, mais où chacun, quelle que soit sa religion, quelle que soit son origine ethnique, puisse vivre en paix et voir respecter son droit, et c'est pour cela que nous agissons. Mais cela devient de plus en plus difficile car c'est un pays qui est de plus en plus dévasté.
Q - Après l'expérience de Kadhafi, était-ce une erreur de laisser Bachar al-Assad au pouvoir ?
R - Je pense que l'Histoire jugera sévèrement toute cette période.
Q - What is the impact of the situation in Syria on the conference ?
R - In fact, this is a call for pledges, and France, like other countries, has given the money which is necessary to take care of refugees. But obviously it is not enough to take into account not only the consequences, but the cause as well: the cause is Mr Bachar al-Assad'regime and those who support him. Therefore there must be a discussion, if we want a political outcome we have to hold a conference in Geneva, but it is obvious that it is not possible to talk if at the same time one party - that is Mr Bachar al-Assad and those who support him, namely Russians -, are bombing and killing the other party. Therefore: first, we need to stop the killing and the bombing, this is an obligation of human law. Then it will be possible to speak about everything and particularly about the political...
Q - Is John Kerry as angry as you are?
R - Anger is neither political nor diplomatic, but determination is.
Q - Est-ce que l'expansion de daech fait le jeu du président syrien ?
R - Bien sûr. Daech et Bachar al-Assad sont l'avers et le revers d'une même médaille. L'origine des gens qui dirigent daech viennent, pour une part, des geôles de Bachar al-Assad, qui les a libérés, et d'autre part le calcul des uns et des autres est simple : M. Bachar al-Assad voudrait qu'il n'y ait plus d'opposition modérée, qu'il n'y ait plus que daech en face de lui, et à ce moment-là il dirait : «je ne suis pas parfait - pour ça, il aurait raison -, mais je suis moins pire que Daech, donc si vous voulez vous battre contre les terroristes, venez avec moi». Ça serait son argument. Et daech dirait, s'il n'avait que Bachar en face de lui : «M. Bachar al-Assad nous a assassinés, donc même si vous nous considérez comme terroristes, venez avec nous». C'est la raison pour laquelle la solution est dans la reconnaissance et le soutien de l'opposition modérée qui doit constituer un gouvernement avec certains des membres du régime, soyons concrets, pour que l'État syrien ne s'effondre pas. C'est la solution que la France a soutenue depuis le début, mais la France ne peut pas tout faire toute seule.
Q - La Libye est-elle aussi inquiétante que la Syrie ?
R - Nous voulons que la Libye ne soit pas la Syrie de demain.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 février 2016