Texte intégral
Q - C'est une victoire pour David Cameron?
R - Non, je crois que cela a été une victoire pour l'Europe de réussir à trouver un accord, celui que souhaitait David Cameron, mais avec des conditions qui avaient été posées par le président de la République et par beaucoup d'États membres. Dès lors que David Cameron a décidé d'organiser un référendum sur le maintien ou non du Royaume-Uni dans l'Union européenne, il fallait à la fois qu'il puisse faire valoir qu'il avait obtenu des clarifications sur la prise en compte d'une situation particulière du Royaume-Uni qui déjà ne participe pas à un certain nombre de politiques communes - le Royaume-Uni n'est pas dans l'euro, n'est pas dans Schengen, ne s'applique pas la charte des droits fondamentaux par exemple...
Q - Cela pose problème...
R - Cela poserait problème s'il n'y avait pas eu des limites et les limites, ce sont celles que le président de la République avait fixées. D'abord le Royaume-Uni ne peut pas avoir de droit de veto sur la zone euro, sur son évolution, sur son intégration future. Deuxièmement, les règles de régulation financière s'appliquent à l'ensemble de l'Union européenne, y compris au Royaume-Uni et à la City parce que nous avons pris des dispositions pour lutter contre les crises financières et il y aurait une distorsion de concurrence si ces règles ne s'appliquaient que dans la zone euro et pas en dehors de la zone euro. Troisièmement, il n'y a pas de révision des traités, on ne s'engage pas dans un grand meccano institutionnel qui ne répondrait en rien aux urgences du moment, la crise des réfugiés, la lutte contre le terrorisme, la croissance et l'emploi. Enfin, quatrièmement, les dérogations que le Royaume-Uni a demandées concernant les prestations sociales pour les travailleurs européens qui vivent et travaillent au Royaume-Uni, qui viennent pour beaucoup des pays d'Europe de l'Est, en particulier de la Pologne, sont très encadrées et ne remettent pas en cause la liberté de circulation. C'est ce que François Hollande a demandé et c'est la raison pour laquelle la négociation a été longue, parce qu'il a fallu que le Royaume-Uni comprenne que nous acceptions de prendre en compte un certain nombre de ses préoccupations, mais que nous ne voulions pas affaiblir l'Union européenne.
Q - Alors cela pose de nombreuses questions et on va y revenir point par point. Pas de droit de veto du Royaume-Uni sur la zone euro mais la capacité d'imposer un débat.
R - La possibilité pour le Royaume-Uni, s'il a des questions sur les décisions que s'apprête à prendre la zone euro, d'en être informé, nous avons toujours accepté cela, travailler en transparence...
Q - D'en être informé et d'imposer le débat...
R - D'imposer rien du tout ! De pouvoir en discuter ! Mais il n'y a absolument aucun moyen pour le Royaume-Uni d'imposer un blocage, d'empêcher la zone euro d'aller de l'avant. Si l'idée avait pu traverser l'esprit de certains, cela a été clarifié. Pourquoi est-ce important ? Parce que l'Europe est différenciée. Au fond, c'est cela qu'a entériné l'accord qui a été négocié jeudi et vendredi à Bruxelles. L'Europe différenciée, cela veut dire reconnaître qu'un certain nombre de pays ne veulent pas forcément aller vers une intégration, une coopération plus poussée dans de nombreux domaines.
Q - Cela veut dire qu'aujourd'hui il y a deux Europe ?
R - Cela veut dire en tout cas qu'il y a une grande Europe qui gère ensemble un certain nombre de politiques communes, notamment un marché intérieur mais aussi des politiques importantes que ce soit par exemple dans le domaine de l'environnement, de l'énergie, et, quand même, des libertés. Mais il y a aussi des pays qui eux, veulent aller plus loin et qui déjà l'ont fait au cours de l'histoire. Il se trouve que pour l'essentiel, ce sont les pays fondateurs, ce sont les pays qui ont eu l'idée de lancer le projet européen. D'autres les ont rejoints. Cela a été le cas évidemment d'un certain nombre de pays d'Europe du Sud quand ils ont pu rejoindre l'Europe après s'être débarrassés des dictatures, l'Espagne, le Portugal, la Grèce. Cela a été le cas aussi d'un certain nombre de pays parmi les nouveaux adhérents en Europe du Nord, par exemple les Pays baltes qui ont aussi rejoint l'euro. Il y a donc des pays qui veulent aller plus loin ensemble et nous, nous pensons qu'il faut aller plus loin. Et puis nous nous voulons respecter...
Q - Et il y a des pays qui veulent aller moins loin...
R - Voilà... nous voulons respecter le choix de ceux qui veulent rester dans l'Union, et nous pensons qu'il faut que l'Europe reste dans toute la mesure du possible unie. C'est pourquoi nous pensons que c'est l'intérêt de l'Europe que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne et nous pensons que c'est l'intérêt du Royaume-Uni de rester dans l'Union européenne.
Nous sommes dans un moment où il y a des forces centrifuges, il y a des forces qui prônent l'éclatement, il y a des courants nationalistes, des courants eurosceptiques. Nous préférerions que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne. Il fallait donc donner à David Cameron des éléments qui lui permettent de faire sa campagne pour le maintien du Royaume-Uni. Mais ce que je voudrais vous dire de plus important, c'est que quel que soit le résultat du référendum britannique, la France prendra avec ses partenaires les plus proches, l'initiative d'une relance européenne et celle-ci concernera donc une avant-garde...
Q - C'est quoi une relance européenne ?
R - Cela veut dire qu'avec les pays qui pensent comme nous que, face aux grands défis auxquels nous sommes confrontés, il faut aller plus loin dans un certain nombre de domaines, nous préparons des avancées nouvelles. Nous pensons que cela concerne en particulier la nécessité d'avoir un gouvernement économique de la zone euro, d'avoir plus d'intégration, plus de capacités pour investir dans les industries de l'avenir, dans les domaines comme l'énergie, le numérique, la transition environnementale, qu'il faut avoir la capacité de créer un véritable pacte de sécurité européen, d'avoir une politique extérieure, de renforcer nos capacités en matière de politique de défense, qu'il faut aussi, pour défendre notre modèle social, que nous ayons davantage d'harmonisation fiscale, de convergence sociale. Sur tous ces plans, avec l'Allemagne, avec nos partenaires les plus proches, nous pensons que quel que soit le résultat du référendum britannique, il faudra préparer une initiative, une initiative de relance de la construction européenne...
Q - Elle sera présentée quand, cette initiative ?
R - Ce sera évidemment, comme je vous l'ai dit, au lendemain du référendum britannique. Si le Royaume-Uni reste dans l'Union, ce que nous souhaitons, il sera dans l'Union à 28 et il y aura donc un premier cercle qui lui ira plus loin. Si les citoyens britanniques en décident différemment, il faudra en prendre acte et proposer à ceux qui restent, à ceux qui le souhaiteront, d'aller plus loin...
Q - Donc pendant l'été...
R - Donc nous préparons dès maintenant, dans le dialogue avec un certain nombre de pays qui partagent avec nous cette vision - l'Allemagne, l'Italie, les pays du Benelux, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, les pays fondateurs - mais nous voulons pouvoir y associer tous ceux qui sont convaincus comme nous que face aux grands défis aujourd'hui, il faut une avancée européenne.
Q - Je n'aime pas Bruxelles : ce sont les mots durs et les mots forts de David Cameron. On peut rester dans l'Union européenne lorsqu'on dit : je n'aime pas Bruxelles ?
R - Écoutez, il fait une campagne aujourd'hui pour prôner le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. Je crois que quand on veut défendre l'idée de rester dans l'Europe, il vaut mieux dire qu'on aime quand même l'Europe, même si l'Europe peut avoir des défauts, des lacunes, nous en sommes tous d'accord. Il faut quand même se souvenir que c'est la construction européenne qui a permis à ce continent, depuis maintenant plus de 70 ans, de ne plus connaître la guerre, qui a fait qu'à chaque fois que des pays - je le rappelais pour ceux d'Europe du Sud - ont pu finalement s'émanciper de régimes autoritaires, c'est vers l'Europe qu'ils se sont tournés. Souvenons-nous des pays de l'Europe de l'Est, quand ils ont pu sortir du joug soviétique, de la mainmise communiste, vers où se sont-ils tournés ? Ils se sont tournés vers l'Europe. Il 'est vrai que beaucoup des constructions permises par l'Europe sont inachevées. Elle est donc souvent insatisfaisante parce que nous avons fait par exemple une union monétaire sans avoir un vrai gouvernement économique, nous avons fait un marché intérieur...
Q - C'était incohérent ?
R - C'était insuffisant. Nous avons fait un marché intérieur sans harmonisation fiscale et sociale, donc il y a des problèmes de dumping social par exemple au sein de l'Union européenne et il faut les combattre. Nous avons fait un espace de libre circulation, Schengen, sans un vrai contrôle aux frontières extérieures communes. Donc maintenant, il faut avoir de vrais garde-frontières européens. Nous voyons bien que c'est la question centrale. Il faut donc continuer à construire l'Union européenne, mais certainement pas la défaire.
Q - Vous revenez du sommet européen à Bruxelles. Chacun va pouvoir faire son chantage permanent maintenant que la Grande-Bretagne a montré l'exemple ?
R - Vous avez raison, c'est un risque et c'est pourquoi il faut mettre des bornes dans ce type de discussion. L'un des points sur lesquels la France par la voix du président de la République a insisté, c'est qu'il ne pouvait pas y avoir une Europe à la carte. On peut prendre en compte le fait que certains pays n'aient pas voulu et ne souhaitent pas à l'avenir participer à des politiques plus intégrées mais on ne peut pas à la fois dire «je suis dans l'Europe, je profite du marché intérieur, je profite des fonds de cohésion, je profite de la force commerciale que représente l'Europe dans les négociations commerciales internationales, par exemple, mais je ne veux pas participer à l'effort commun quand il s'agit d'être solidaire pour accueillir des réfugiés, mais je ne veux pas que s'appliquent les règles de lutte contre la spéculation financière parce que je voudrais garder un avantage pour ma place financière, mais je ne veux pas coopérer dans un certain nombre de domaines de politique extérieure». Non, cela n'est pas possible. Il fallait donc qu'il y ait cette clarification : reconnaissance de particularités, très bien, mais pas un statut spécial, contrairement à ce qui a été dit, parce qu'il n'y a qu'une Union européenne. Au sein de cette Union européenne, il y a des cercles différents, il y a des différenciations mais l'Union à 28 impose quand même un minimum de respect de règles communes. Et les traités n'ont pas été changés.
Q - L'Union européenne avait été construite dans une perspective d'intégration progressive ; et là finalement c'est la remise en cause de cette stratégie.
R - Oui, il y a même une formule dans les traités que David Cameron demandait d'interpréter d'une façon différente pour le Royaume-Uni, c'est l'idée d'une union sans cesse plus étroite entre les peuples. Cette formule, vous avez raison, elle veut dire que dès le début, l'intention et l'objectif des pays qui ont fondé l'Union européenne, c'était certes que nous commencions à coopérer dans des domaines spécifiques, d'abord le charbon et l'acier, puis avec le marché commun, on était déjà au-delà, il y avait la politique agricole, il y avait la politique commerciale. Mais au-delà de ces aspects spécifiques qui sont tout à fait essentiels, à la fois pour le fonctionnement de l'économie européenne mais aussi pour créer des solidarités de fait, pour créer un certain état d'esprit, pour prendre l'habitude de partager des décisions, il y avait vraiment l'objectif de rapprocher de plus en plus nos pays. Et je crois que le temps qui est passé ne fait que renforcer cette conviction. Dans le monde d'aujourd'hui, est-ce qu'on croit qu'il pourrait y avoir 28 réponses différentes à la crise des réfugiés ? À la guerre en Syrie ? 28 réponses différentes à la façon de faire face au changement climatique ? Est-ce qu'on aurait pu avoir ce succès à la COP21 à Paris si l'Europe n'avait pas été unie et n'avait pas été exemplaire dès le début pour montrer la voie aux autres pays ? Est-ce qu'on croit qu'il pourrait y avoir 28 réponses différentes à la question du développement de l'Afrique ? Parce que derrière ces mouvements de réfugiés qui fuient la guerre, il y a aussi les migrants économiques qui fuient la misère en Afrique. On les a vus arriver à Lampedusa, en Italie, venant de Libye. Est-ce qu'on croit qu'il est possible d'avoir 28 politiques de coopération différentes ou d'aides différentes à la stabilité du Mali, de la République centrafricaine, du Sénégal...
Q - On va en parler dans un instant...
R - Nous pensons qu'il faut continuer à renforcer l'unité et la coopération européenne. Si certains ne le veulent pas, ils resteront simplement dans les politiques du marché commun, mais même ce marché commun, ce marché unique repose sur des règles qu'il faut respecter. Mais ceux qui voudront aller de l'avant avec nous parce qu'ils pensent que si l'Europe veut peser dans le monde, si l'Europe veut défendre son modèle de valeurs, si l'Europe veut y compris préserver son modèle économique et social qui est exceptionnel parce que c'est quand même la seule région du monde où il y a à la fois le marché et le droit à la protection sociale pour tous, le droit à l'école pour tous, eh bien il faut que nous soyons plus unis. C'est cela que la France va proposer.
Q - Harlem Désir, on va y revenir dans un instant. Pour terminer sur le référendum du Royaume-Uni, le 23 juin, c'est la date du référendum, David Cameron peut-il parvenir d'ici-là à rassurer son opinion publique ?
R - C'est en tout cas ce qu'il pense...
Q - Les sondages sont très négatifs par rapport à ce référendum...
R - Oui, mais c'est pour cette raison qu'il avait demandé qu'un Conseil européen soit consacré à adopter un texte qui dit en quoi les préoccupations du Royaume-Uni ont pu être entendues. Il y a notamment un thème - je l'ai évoqué tout à l'heure rapidement - c'est celui des prestations sociales pour les travailleurs européens qui vivent au Royaume-Uni. David Cameron a obtenu un mécanisme qu'on appelle un frein d'urgence, c'est-à-dire que quand un pays constate qu'il est confronté de façon exceptionnelle à une arrivée importante, massive, durable de citoyens européens, de travailleurs étrangers venant d'un autre pays européen, il peut, dans la mesure où il craint une sorte d'abus social de certains pour toucher des prestations sociales, prévoir que pendant une durée limitée de 4 ans, un certain nombre de ces prestations ne seront pas accordés. Il faudra que le travailleur soit installé depuis un certain temps pour qu'il puisse en bénéficier.
Q - Là, il y a une réduction des allocations qui a été attribuée pour sept ans.
R - En fait, pendant une durée de sept ans, ce pays, en l'occurrence le Royaume-Uni, peut appliquer cette mesure, mais elle ne s'applique pas plus de 4 ans aux travailleurs concernés et de façon progressive. Au fur et à mesure que sa durée d'installation s'allonge, il finira progressivement par toucher les mêmes allocations que les travailleurs britanniques. Il n'y a pas de remise en cause la liberté de circulation.
Le Premier ministre britannique a considéré que c'était de nature à lui permettre de pouvoir faire sa campagne, de pouvoir plaider que le Royaume-Uni n'a rien à perdre à rester dans l'Union européenne, que sa place est de rester avec ses alliés dans l'Union européenne. Nous souhaitons, nous, que ce soit le choix qui soit fait, mais ce sont les citoyens britanniques qui auront le dernier mot. Nous le respecterons quoi qu'il en soit et nous devons être respectueux de la liberté de choix des citoyens britanniques. Je ne crois que ce soit aux autres pays de faire la campagne à la place de David Cameron.
Q - Cette réduction des allocations accordées à la Grande-Bretagne, d'autres pays la demandent... Le Danemark notamment. Faut-il l'accorder à tous les pays qui la demandent ?
R - Le dispositif qui a fait l'objet d'un accord lors du Conseil européen, vous avez raison, est un dispositif qui n'est pas uniquement pour un pays, le Royaume-Uni. C'est une règle générale. Mais son activation est conditionnée à une situation exceptionnelle, où on constate qu'il y a une arrivée importante de travailleurs européens d'un autre pays. Il se trouve que par exemple en Grande-Bretagne, il y a aujourd'hui environ un million de travailleurs polonais, arrivés dans les dix dernières années. Je crois d'ailleurs que cela a été tout à fait profitable à l'économie britannique. Vous savez qu'au Royaume-Uni, la croissance est plutôt bonne, il n'y a pas de problème de chômage massif. C'est une économie qui a une certaine souplesse, avec les risques que cela comporte parfois. Il y a beaucoup de précarité, il y a des gens qui sont en-dessous du salaire minimum tel que nous le concevons, mais il y a aussi beaucoup de créations d'emplois. Donc on ne peut pas dire que l'économie ait été affectée négativement, mais il se trouve qu'il y a un débat et donc le Royaume-Uni a fait valoir le fait qu'il était dans cette situation exceptionnelle et qu'il voulait déclencher ce frein d'urgence. Est-ce que le Danemark pourra le faire ? Toute cette procédure est quand même soumise à l'examen par la Commission européenne et à un accord par la Commission européenne et par le Conseil. Donc il ne suffira pas qu'un pays dise «moi aussi je veux supprimer des prestations sociales», sans argument, sans pouvoir démontrer que cela répond à une situation d'urgence.
Q - Harlem Désir, très rapidement, que se passera-t-il si les Anglais votent non pour le référendum et votent la sortie de l'Union européenne ?
R - Moi je ne veux pas me placer dans cette hypothèse. Je vous ai dit tout à l'heure : pour nous, quel que soit le résultat...
Q - Mais il faut l'envisager...
R - Bien sûr mais c'est pour cela que je vous ai dit : je ne veux pas me placer dans une hypothèse plus qu'une autre. Quel que soit le résultat, je pense que cette discussion et l'accord auquel nous sommes parvenus cette nuit, actent l'existence d'une Europe différenciée. Elle existait déjà en réalité mais c'est acté, c'est quelque chose que finalement nous avons tous reconnu, de façon plus claire, plus explicite. Je crois qu'il faut en tirer les conclusions. Il y a ceux qui veulent aller plus loin, c'est très bien, et les autres qui ne veulent pas aller plus loin. Mais nous qui pensons qu'il faut aller plus loin, n'ayons plus la retenue que nous avons pu avoir jusqu'à présent, prenons cette initiative parce que sinon ce sont que les forces anti-européennes qui semblent donner le «la». Il faut redonner une force et une perspective au projet européen.
Q - La question des migrants a été au coeur également de ce sommet européen ; Athènes a annoncé l'ouverture de quatre hotspots, ces centres d'accueil et de tri des migrants. Est-ce que ça peut suffire ?
R - Alors c'était un engagement et c'est une nécessité. Ces centres sont des centres d'enregistrement qui doivent permettre de vérifier l'identité des réfugiés ou des migrants qui ont été jusqu'aux îles grecques, de pouvoir examiner la situation de ceux qui relèvent de l'asile et d'une protection internationale pour qu'ils puissent être accueillis, pas simplement en Grèce mais en Europe parce qu'ils ne cherchent pas à venir en Grèce, ils cherchent à venir en Europe. En même temps, il faut que puisse être organisé le retour de ceux qui ne relèvent pas de l'asile, de façon digne, dans leur pays d'origine ou dans le pays de transit d'où ils proviennent, dans le cadre d'accords de réadmission et d'accords de coopération. Ces centres sont indispensables parce qu'il faut - et c'est ça le fond de l'affaire - que collectivement l'Europe soit capable de maîtriser cette crise des réfugiés. Au-delà des hotspots, il y a un ensemble de décisions qui ont été prises pour prendre en considération la présence de 2,5 millions de réfugiés syriens aujourd'hui en Turquie, plus d'un million au Liban et également en Jordanie. Dans les camps du Haut-commissariat aux réfugiés dans ces pays, la situation s'est dégradée et ils se sont mis en route l'année dernière vers l'Europe. Des réseaux de passeurs se sont organisés. Ce sont des réseaux criminels qui mettent les migrants sur des bateaux de fortune en mer Égée et en Méditerranée. Il y a eu l'an dernier près de 5.000 morts dans la mer Méditerranée et ces trafiquants font cela parce que cela rapporte beaucoup d'argent...
Q - Et parce que les risques ne sont pas si grands...
R - Les risques sont énormes ! Évidemment si vous prenez un pourcentage, vous pouvez dire que chacun a une chance de passer de l'autre côté de la mer, mais quand vous avez des milliers de femmes, d'enfants...
Q - ... les risques pour les passeurs ne sont pas si grands, les risques judiciaires... évidemment les risques sont énormes pour les migrants !
R - Effectivement parce que la lutte contre ces trafiquants n'a pas été suffisamment intensément menée, qu'elle doit être menée en mer Méditerranée. Souvent ils mettent les gens sur les bateaux et eux-mêmes ne sont pas forcément sur ces bateaux. Ils déclenchent une alerte. Nous respectons le droit de la mer et le droit humanitaire, donc nous allons au secours de ces embarcations, nous sauvons les passagers et ensuite ils sont ramenés dans des ports européens et d'une certaine façon les passeurs ont eu gain de cause. Il s'agit donc de lutter contre ces filières, et de permettre aux réfugiés de rester dans des conditions dignes au plus proche de leur pays. Il faut donc aider le Liban, la Jordanie, la Turquie à accueillir ces réfugiés. Il y a eu un accord avec la Turquie sur un fonds de 3 milliards d'euros...
Q - 3 milliards d'euros en échange...
R - Non pas en échange...
Q - En échange d'un contrôle renforcé de ses frontières de la part de la Turquie...
R - ...dans le cadre d'un plan et d'un accord général. La Turquie dit avoir énormément de mal à accueillir, à scolariser les enfants, à loger ces réfugiés. Donc à juste titre, elle a demandé une solidarité. Mais de l'autre côté, cela suppose que la Turquie fasse tous les efforts possibles pour lutter contre les trafiquants, contre ceux qui partent de ports turcs ou qui lancent des embarcations depuis les plages ou les côtes turques, vers les îles grecques...
Q - Et certains doutent que la Turquie fasse tout ce qui est possible pour protéger ses frontières.
R - Il y a toute une série d'accords qui ont été passés, notamment un qui est que puisque la Turquie est membre de l'OTAN, que la Grèce l'est également, comme la quasi-totalité des pays de l'Union européenne, les navires de l'OTAN qui font des missions d'observation de façon régulière dans cette partie de la Méditerranée et de la mer Égée, vont participer à l'identification des bateaux qui traversent la mer Égée et à chaque fois qu'ils pourront identifier qu'un bateau n'est pas un bateau qui a le droit de circuler et que donc cela risque d'être un bateau de trafiquants, de passeurs, ils le signaleront aux garde-côtes turcs et grecs, de telle sorte que ces bateaux soient interceptés, que les passagers puissent être sauvés et que s'il le faut, ils soient ramenés en Turquie. Ce que nous pensons, c'est qu'il vaut mieux qu'il y ait un système où l'on organise l'accueil des réfugiés, ceux qui pourraient avoir vocation à venir en Europe, une partie des réfugiés parce qu'il y a une répartition internationale aussi qui doit se faire, pas simplement en Europe d'ailleurs...
Q - La France doit-elle en accueillir davantage ?
R - La France a accepté d'accueillir une partie des 160.000 réfugiés qu'au niveau européen, nous avons tous décidé d'accueillir...
Q - Elle a accepté d'en accueillir 30.000...
R - Elle a accepté d'en accueillir 30.000, nous sommes en train de le faire, ça a commencé. Cela vient en plus du fait que tous les ans, en France, il y a environ 62-63.000 personnes qui déposent une demande d'asile, 73.000 même l'an dernier en 2015. Il ne faut donc pas dire que la France ne fait pas sa part, qu'elle n'accueille pas des réfugiés. Par ailleurs, la France, vous le savez, a toujours été un pays qui a accueilli de l'immigration, elle accueille des étudiants étrangers, elle permet le regroupement familial, il y a des gens qui viennent pour travailler, mais là on fait face à une crise spécifique.
Q - Harlem Désir, selon «Le Monde», pour l'heure, la France n'en a accueilli que 62, des réfugiés, sur les 30.000 qu'elle s'était engagée à accueillir...
R - Il y en a eu davantage mais il est vrai que ce dispositif a pris beaucoup de retard, notamment parce qu'il suppose que les hotspots soient mis en place, puisque ce sont des relocalisations - le terme n'est pas très heureux mais c'est le terme qui a été utilisé - à partir des hotspots en Grèce et en Italie. C'est comme cela que fonctionne la répartition de ces 160.000...
Q - Pour l'heure, la France en a accueilli combien ?
R - Pour l'heure, la France en a accueilli, je crois, plus de 150. La France est le deuxième pays avec la Finlande, en termes d'accueil, donc nous sommes plutôt parmi ceux qui ont fait le plus d'accueil. Le problème est qu'à l'échelle européenne, il y a eu à peine 500 réfugiés qui ont été accueillis dans le cadre de ce contingent de 160.000. Nous sommes donc très loin du compte. Il faut d'une façon générale que toutes les décisions qui ont été prises pour répondre à cette crise des réfugiés, qu'il s'agisse des hotspots, des gardes-frontières européens, de la relocalisation, de l'aide aux pays tiers comme la Turquie ou le Liban et la Jordanie, de la lutte contre les passeurs, que toutes ces réponses soient mises en oeuvre, que ces décisions soient mises en oeuvre d'une façon beaucoup plus rapide. C'est cela l'urgence aujourd'hui.
Q - Et elles n'ont pas été assez évoquées au cours de ce sommet européen...
R - Elles ont été évoquées plus longuement d'ailleurs que le référendum britannique parce que pour ce qui est de la négociation sur le Royaume-Uni, elle s'est surtout tenue en marge du Conseil européen, dans toute une série de rencontres bilatérales entre David Cameron et le président de la République François Hollande ou la chancelière Merkel. La réunion du Conseil européen lui-même a surtout été consacrée à cette crise des réfugiés parce que vous le savez, l'an dernier il y a eu près d'un million de réfugiés qui sont arrivés en Allemagne, ils ont traversé les Balkans. Cela pose énormément de problèmes, d'abord en Allemagne où d'une façon générale, les gens pensent qu'ils ne seront pas en capacité d'accueillir autant de réfugiés l'an prochain...
Q - Et il y a des réactions hostiles en Allemagne de la part des habitants...
R - Oui, parce que c'est difficile, même dans un pays où il y a beaucoup de croissance, où il n'y a pas de chômage, il y a des problèmes de capacité d'accueil et d'intégration. Deuxièmement, parce qu'il y a d'autres pays comme l'Autriche, la Suède, qui sont aussi très largement affectés et que même les pays, vous avez raison de le dire, les plus ouverts, les plus généreux traditionnellement, voient monter des réactions hostiles, des populismes. Donc il faut évidemment qu'on change de logique. Encore une fois, cela ne peut pas être la logique des passeurs qui l'emporte, ce doit être une logique de solidarité, une logique de secours aux réfugiés, qu'ils soient en Europe ou dans des pays tiers, une logique qui sauve le droit d'asile, en évitant qu'il y ait cette confusion qui s'est installée entre demandeurs d'asile et immigration irrégulière.
Q - Il va y avoir un nouveau sommet européen sur ces sujets ?
R - Oui, il y en aura deux même parce que vous le savez, il était prévu une rencontre avec le Premier ministre turc juste avant le Conseil européen jeudi matin. Or, à cause de l'attentat d'Ankara, il n'a pas été en mesure de venir à Bruxelles. Une nouvelle réunion aura donc lieu au tout début mars. Et puis le Conseil européen qui était prévu les 17 et 18 mars, se réunira de nouveau sur ces sujets. Donc c'est une situation d'urgence. Il est nécessaire de se réunir beaucoup, non pas pour changer de stratégie mais pour vérifier et pour se donner les moyens de mettre en oeuvre tous les éléments, en particulier le contrôle aux frontières extérieures communes.
Q - Et il y a la question de la Grèce aussi Harlem Désir, la Grèce qui ne protège pas assez ses frontières, c'est la Commission européenne qui le dit. La Commission européenne a laissé trois mois à la Grèce pour pallier les défaillances constatées, et du coup il y a une idée qui surgit : cette idée, c'est celle de faire sortir la Grèce de l'espace Schengen.
R - Alors d'un côté, vous avez raison, il y a eu le constat que la Grèce n'avait pas été en mesure - c'est un rapport qui a été établi au mois de novembre, donc avant l'ouverture des hotspots - d'assurer la mise en place du contrôle de ses frontières. Un suivi doit donc être fait des progrès qui ont été réalisés. La commission a donné trois mois, s'est donné trois mois d'une certaine façon, pour vérifier les progrès. Il y a eu des progrès puisque vous l'avez dit, il y a maintenant quatre hotspots qui sont fonctionnels, il y en a d'ailleurs un cinquième qui doit l'être prochainement. Une des choses qui est extrêmement importante, compte tenu du risque terroriste, même s'il ne faut pas faire d'amalgame, on le sait les terroristes peuvent aussi essayer d'utiliser la route des réfugiés pour faire passer un certain nombre...
Q - Il y en a ?
R - Il y en a eu, puisque parmi les auteurs des attentats de Paris et de Saint-Denis, deux étaient porteurs de faux passeports récupérés en Syrie parce que l'organisation État islamique a fait main basse sur un certain nombre de stocks de passeports syriens et irakiens et qu'elle les attribue à un certain nombre de combattants pour essayer de les faire revenir en Europe. Il est nécessaire de mettre en place, dans les centres d'enregistrement dont nous parlions, un système de vérification des documents d'identité, pour lutter contre la fraude documentaire. Cela suppose qu'il y ait ce qu'on appelle des bornes Eurodac connectées aux fichiers européens et qui permettent de vérifier que les personnes qui passent sont détenteurs d'abord du bon passeport et qu'elles ne sont pas par ailleurs déjà identifiées comme étant par exemple des gens qui auraient quitté la Belgique ou la France pour se rendre en Syrie et qui essaieraient de revenir sous une fausse identité...
Q - Le problème, c'est l'administration syrienne continue de faire des passeports dans les territoires occupés par Daech.
R - En tout cas, Daech a récupéré des stocks de passeports qui avaient été faits par l'administration syrienne auparavant et d'une façon générale, effectivement, il y a un contrôle très minutieux qui doit être fait de chaque personne qui rentrera et qui sera accueillie comme réfugiée. Tout cela demande beaucoup de moyens que nous sommes en train de mobiliser. Nous avons envoyé plusieurs missions du ministère de l'intérieur, d'ailleurs Bernard Cazeneuve s'est lui-même rendu sur place, mais surtout il a envoyé des personnels de la police de l'air et des frontières, des personnels de l'OFPRA. Nous aidons la Grèce, mais il faudra vérifier si tout cela est bien mis en oeuvre. Je crois que la solution n'est surtout pas de faire sortir la Grèce de Schengen, parce que c'est le fait que la Grèce est dans Schengen, qui fait qu'aujourd'hui, elle met en place ces centres d'enregistrement, qu'elle met en place ces bornes Eurodac, qu'elle met en place le contrôle des empreintes digitales, la lutte contre les faux documents. Il faut donc renforcer la coopération pour préserver l'intégrité de l'espace Schengen et notre propre sécurité.
Q - Harlem Désir, EUROPOL tire la sonnette d'alarme : cinq mille djihadistes entraînés pourraient se trouvait en Europe, selon l'organisation. Qu'en est-il ?
R - J'ai eu moi-même l'occasion de participer à une réunion à EUROPOL il y a quelques semaines, avec des ministres des affaires étrangères, des ministres de l'intérieur et des responsables des services de sécurité de l'Union européenne mais aussi d'autres pays parce qu'INTERPOL participait également à cette réunion. Il y a aujourd'hui plusieurs milliers de citoyens des pays de l'Union européenne dont probablement plus de 500 Français et beaucoup venant de Belgique, du Royaume-Uni, d'Allemagne, etc., qui se sont rendus sur les zones de conflits en Syrie et en Irak. Certains sont restés là-bas pour se battre et beaucoup d'ailleurs y ont perdu la vie. D'autres sont renvoyés ou tentent de revenir en Europe, peut-être aussi parce que Daech perd du terrain, parce que Daech subit le contrecoup des bombardements de la coalition. Il existe évidemment un risque que, parmi eux, certains reviennent avec l'intention de commettre des attentats terroristes. Donc la coordination internationale dans l'échange d'informations est absolument indispensable. C'est pourquoi, aujourd'hui, dans cette lutte pour la sécurité, contre le terrorisme, ce dont nous avons besoin, ce n'est pas de moins de coopération. Même si nous avons rétabli des contrôles aux frontières nationales, la vraie réponse, c'est de renforcer les échanges d'informations, c'est de partager davantage nos capacités.
Q - Fin janvier, EUROPOL a annoncé le déploiement à La Haye, d'un nouveau centre européen de contre-terrorisme afin de mieux partager les informations entre les pays européens. Pourquoi est-ce qu'on ne partage pas toutes les données ?
R - C'est la grande question qui a été posée après les attentats du 13 novembre...
Q - On a vu qu'il y avait des défaillances dans la communication des différents pays européens...
R - Par exemple nous avons constaté qu'il n'y avait au fond, à la fin de l'année dernière, pour l'essentiel, que cinq pays qui véritablement transmettaient aux bases de données EUROPOL l'ensemble des informations qui étaient en leur possession sur les personnes à risques. C'était le cas de la France.
Q - Faut-il tout partager ?
R - Il faut tout partager. Il y a un autre fichier très important qui est contrôlé quand il y a des franchissements de frontières, qui s'appelle le SIS, le Système d'information Schengen. Mais quand un policier de l'air et des frontières en Grèce, en Italie ou ailleurs, consulte ce fichier, il n'a pas accès aux données de tous les pays parce que tous les pays n'ont pas alimenté le fichier. Évidemment ce n'est pas efficace. Il y a eu, je crois, une prise de conscience, les choses progressent et aujourd'hui, beaucoup plus de pays transmettent les informations de leurs services de police, de renseignement, des casiers judiciaires aussi, car il y a un fichier qui s'appelle ECRIS. C'est ainsi que nous serons efficaces dans cette lutte. Nous avons affaire à des réseaux internationaux, non seulement parce qu'ils ont un commandement qui est loin, qui est en Syrie, mais aussi parce qu'ils s'installent dans plusieurs pays d'Europe - on l'a vu dans les attentats du 13 novembre. Il faut donc que la coordination dans la lutte contre le terrorisme soit elle aussi, beaucoup plus internationale et beaucoup plus européenne.
Q - J moins 6 avant l'ouverture du Salon de l'agriculture et ça fait maintenant plus d'un mois que les agriculteurs manifestent. Toujours pas de solution, Harlem Désir ?
R - Il y a une très grande inquiétude évidemment dans le monde agricole, notamment à cause de la crise dans le domaine du lait, qui est une crise des prix, qui est une crise de la surproduction, dans le domaine du porc, dans le domaine de l'élevage, et vous le savez, le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll, a demandé une réunion exceptionnelle des ministres de l'agriculture et il a obtenu qu'il y ait un accord d'une très grande majorité d'États membres pour partager avec nous ce diagnostic. Ce n'est pas simplement une crise française et il est donc nécessaire que l'Europe maintienne ou recrée des outils d'intervention. On ne peut pas continuer, en particulier dans le domaine du lait, à avoir une production qui est de plus en plus importante alors que les prix s'effondrent pour des raisons qui sont liées à la situation internationale, ce sont des répercussions pour une part par exemple de la crise des pays émergents...
Q - Mais pas que... aussi parce qu'on a supprimé les quotas laitiers, c'est ça aussi qui entre en compte !
R - Effectivement, nous, quand nous sommes arrivés, il y avait eu une réforme des quotas laitiers et leur suppression, ce qui fait qu'un des outils de la régulation...
Q - Et c'est une décision européenne...
R - C'est une décision qui avait été prise au niveau européen mais enfin, il a fallu qu'il y ait un accord des différents gouvernements. C'était avant 2012, on ne va pas revenir en arrière, mais nous, nous pensons effectivement qu'il faut qu'il y ait des outils d'intervention dans certains domaines. Par exemple le stockage privé, qui a été utilisé dans le domaine du porc, permet de retirer un certain nombre de quantités produites du marché pour éviter que les cours ne s'effondrent, pour faire remonter les coûts. Cette première mesure qui avait été décidée au mois de septembre, nous demandons à ce qu'elle soit reconduite. Elle a peut-être d'ailleurs été insuffisamment utilisée en France. Il faut relever ce qu'on appelle le prix d'intervention sur le lait. Il y a aussi la responsabilisation de toutes les filières, y compris celle de la distribution et le Premier ministre, vous le savez, a rencontré la grande distribution, mais aussi les intermédiaires, pour leur demander de ne pas baisser les prix, parce qu'on ne peut pas continuer à vendre aux consommateurs à des prix qui ne sont pas rémunérateurs pour les producteurs. Il y a un moment où il faut que le prix corresponde au véritable coût de la production et permette aux exploitants agricoles de vivre.
Le commissaire européen en charge de l'agriculture, Phil Hogan, sera à Paris cette semaine, le Premier ministre le rencontrera, pour que soient examinées les mesures qui doivent permettre d'avoir une réponse européenne. Il y a également une question qui est celle de l'embargo, il y a deux embargos russes, il y a un embargo sanitaire et un embargo qui est lié à des sanctions politiques. L'embargo sanitaire est lié à une maladie, la peste porcine africaine, qui concernait quelques pays de l'Union européenne, mais du coup, c'est l'ensemble des pays de l'Union européenne qui ont été frappés par ces restrictions. Donc il faut discuter avec les Russes de la levée de cet embargo sanitaire qui date d'avant la crise ukrainienne, dans la mesure où la France et un certain nombre d'autres pays ne sont pas concernés par cette peste porcine. Deuxièmement, il y a des mesures qui ont été prises par les Russes en rétorsion des sanctions adoptées par l'Union européenne et de la communauté internationale suite à ce qui se passait dans l'est de l'Ukraine et à l'annexion de la Crimée. Là, ce qui est en jeu, c'est l'application des accords de Minsk, mais ça je crois que les agriculteurs le comprennent. Simplement ils demandent à ce qu'il y ait des aides en compensation parce qu'ils ne sont pas responsables...
Q - Donc il faut davantage d'aides compte tenu de l'embargo russe.
R - Il faut davantage d'aides. Et c'est pourquoi il y a un deuxième volet de la réponse qui a été apportée sur le plan national, ce sont les mesures que le Premier ministre a rendu publiques cette semaine, en particulier la baisse de 7 points des charges pour les agriculteurs, c'est considérable parce que ça s'ajoute au CICE. Au total, c'est une baisse de 700 millions d'euros des charges pour les agriculteurs, plus une année blanche sociale, c'est-à-dire le fait de ne pas avoir à payer maintenant, pour les agriculteurs qui sont en difficulté, un certain nombre de charges. Tout cela va donner je crois quand même, de l'oxygène aux exploitants agricoles.
Q - Sauf que beaucoup disent que cela ne suffira pas. Est-ce que vous craignez que cela renforce la désaffection de l'Europe auprès des agriculteurs ?
R - Les agriculteurs savent que c'est la politique agricole commune qui est l'instrument principal...
Q - La PAC... dont le budget est en diminution...
R - Dont le budget a été préservé dans la programmation budgétaire pluriannuelle dans laquelle nous sommes...
Q - 2014-2020, budget en baisse de 30 milliards d'euros.
R - Mais pas pour la France, nous avons préservé la PAC pour la France, c'est 9 milliards d'euros par an, c'est considérable et ça a été la première bataille qu'a menée le président de la République avec le ministre de l'agriculture quand nous sommes arrivés parce que cette négociation a eu lieu à partir de la fin de l'année 2012. Mais c'est vrai qu'il faut toujours être attentif parce qu'à un moment, il faudra rediscuter de l'avenir de la politique agricole commune. La réponse n'est pas de dire «nous n'avons pas besoin de l'Europe». Personne ne le dit d'ailleurs, même s'il y a des insatisfactions ou des mécontentements dans le monde agricole. La question est de savoir comment nous adaptons la PAC et les instruments d'intervention sur les marchés agricoles pour être plus réactifs aux crises. Déjà la PAC a évolué, elle a pris en compte davantage par exemple les situations des agriculteurs qui sont dans des zones de montagne, elle a pris en compte la dimension environnementale, elle a pris en compte le développement rural, il y a ce qu'on appelle le FEADER qui est très important...
Q - Mais on voit bien que cela ne suffit pas pour le moment.
R - Quand on fait face à des crises qui sont des crises de marché à l'échelle internationale, les outils de la politique agricole semblent finalement ne pas être assez réactifs, ne pas être assez adaptés. C'est en ce sens qu'il va falloir faire évoluer la PAC. (...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er mars 2016