Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la situation en Ukraine et en Syrie, à Kiev le 23 février 2016.

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Circonstance : Déplacement avec M. Frank-Walter Steinmeier, ministre des affaires étrangères allemand à Kiev (Ukraine), les 22 et 23 février 2016

Texte intégral

* Ukraine
Merci Monsieur le Ministre pour votre accueil,
Bonjour à toutes et à tous,
Avec Frank-Walter Steinmeier, nous avons eu, dès ma prise de fonction, un échange sur la situation en Ukraine. Comme Frank-Walter Steinmeier vient de le dire, nous allons nous retrouver à Paris le 3 mars dans le cadre du format Normandie au niveau ministériel, et nous avons pensé qu'il était utile d'aller à Kiev pour une visite sur le terrain, et contribuer ainsi à préparer la réunion du 3 mars.
Donc nous sommes là, nous avons été accueillis chaleureusement et les premiers contacts que nous avons eus sont très denses, constructifs et en même temps très sincères dans les échanges que nous avons eus et que nous allons poursuivre.
Ce que nous avons dit, d'abord, c'est notre soutien à l'Ukraine et c'est le sens de notre présence ici à Kiev. Nous sommes venus en amis et nous voulons voir l'Ukraine continuer à évoluer vers un État moderne et respectueux du droit, avec une économie ouverte et forte, avec une société qui se réforme et dans laquelle les citoyens trouvent leur place et de l'espoir. C'est notre objectif commun, les Français, les Allemands et les Ukrainiens. C'est donc, d'une certaine façon, la fidélité à l'esprit de Maïdan qui nous anime et qui vous anime.
La France et l'Allemagne vont donc continuer d'accompagner l'Ukraine en respectant la capacité des Ukrainiens à prendre eux-mêmes leurs responsabilités. Nous le savons, l'Ukraine est dans une situation encore difficile. La situation est loin d'être réglée à l'Est mais nous pensons que les voies d'une issue existent. Cela suppose d'oeuvrer concrètement à un cessez-le-feu effectif qui est la seule base possible pour avancer dans la mise en oeuvre des accords de Minsk. Toutes les parties doivent prendre leurs responsabilités dans ce domaine.
Le contexte de crise politique à Kiev, force est de le constater, ne facilite pas les choses et nous l'avons bien sûr évoqué avec nos interlocuteurs. Nous savons aussi, et nous le reconnaissons, que le gouvernement ukrainien a accompli déjà beaucoup de réformes depuis 14 mois mais l'Ukraine a encore beaucoup de travail sur la voie des réformes. Pour cela, elle a besoin d'un gouvernement qui soit en ordre de marche, totalement conscient de ses responsabilités et de ses devoirs, mais aussi d'un parlement - nous le diront dans quelques instants aux responsables politiques - qui délibère et qui adopte les lois nécessaires aux réformes pour le bien-être de tous les Ukrainiens. Les responsables politiques, s'ils veulent rester fidèles à l'esprit de Maïdan, le doivent au peuple ukrainien. C'est en tout cas le message que nous avons voulu passer ici et que nous passerons tout à l'heure à la Rada où nous nous rendrons.
Nous n'avons eu de cesse d'accompagner votre pays, Monsieur le Ministre, et nous allons continuer à le faire avec nos partenaires européens dans leur ensemble, mais aussi avec le soutien de la communauté internationale. Toutefois, je le répète, soyons clairs, vous avez besoin, nous avons besoin, la communauté internationale a besoin d'un gouvernement ukrainien qui conduise une politique déterminée, crédible et durable. À ce sujet, je voudrais rappeler que les réformes en cours, y compris la mise en oeuvre des accords de Minsk sont indispensables et nécessaires pour l'Ukraine et son peuple.
Le pire scénario pour l'Ukraine serait de rester au milieu du gué, au milieu de la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui, avec des réformes à moitié appliquées et une situation sans perspective dans le Donbass. Nous sommes donc à un moment crucial même si ce qui a été entrepris depuis les accords de Minsk, dans le cadre du format Normandie, s'inscrit dans la durée, nous en sommes bien conscients. Je pense toutefois qu'il est important de continuer d'avancer, qu'il n'y ait pas de rupture, d'interruption. Après cette visite, malgré les difficultés, nous restons confiants et nous restons à vos côtés.
Q - Hier le président Obama a appelé Vladimir Poutine à respecter le cessez-le-feu et j'imagine, à arrêter les livraisons d'armes. Après cette rencontre que vous avez eue avec les dirigeants ukrainiens, avez-vous l'impression également que l'Ukraine respecte bien le cessez-le-feu dans le Donbass ? La question de l'arrêt de ces livraisons d'armes est-elle essentielle pour vous ?
R - Soyons clairs, les accords de Minsk, c'est un engagement international, ce n'est pas une option. Tout doit être fait pour mettre ces accords en oeuvre et les respecter. Cela vaut pour l'Ukraine et pour la Russie, cela vaut pour toutes les parties. Il est vrai que la situation à l'Est est instable ; nous avons échangé à ce sujet et ce que nous souhaitons, c'est qu'elle ne dégénère pas, qu'elle ne devienne pas éruptive car il y a toujours un risque. Pour cela, nous disons clairement aux séparatistes et aux Russes que la tension doit redescendre.
Nous disons aussi que pour que la situation sécuritaire demeure stable, il faut qu'il y ait un horizon politique. Le dialogue a eu lieu, il doit se poursuivre à Minsk entre les différentes parties mais le dialogue n'est pas une fin en soi, il faut un objectif qui est la mise en oeuvre des accords.
Maintenant, on peut donc dire que tout est sur la table. Vous avez évoqué quelques points qui doivent être examinés précisément mais sur le plan politique, nous voyons les lignes d'un compromis sur le sujet. Il faut sortir des faux semblants.
Il y a un projet de loi électorale - nous l'avons évoqué -, plus tôt il sera établi, mieux ce sera. Ensuite, pour que les élections aient lieu, il faut que toutes les conditions de sécurité soient réunies sur l'ensemble des plans. La mission de la Mission Spéciale de Surveillance (SMM) doit justement pouvoir s'accomplir dans les meilleures conditions et que son mandat soit respecté totalement, ce qui veut dire des déplacements libres jusqu'à la frontière internationale, ce qui n'est pas toujours le cas loin de là.
Il n'y a aucune raison que cette mission, dont le cadre a été signé par les 57 États-membres de la SMM, continue de subir des entraves et des menaces. C'est une réalité que nous constatons et que nous ne pouvons pas accepter.
Je le répète, sans engagements constructifs, concrets, à la fois de l'Ukraine et de la Russie, sur les élections, sur le statut particulier de ces territoires - nos interlocuteurs en ont admis le principe -, la médiation de la France et de l'Allemagne va perdre de son efficacité ; nous ne sommes pas des décideurs, nous sommes des médiateurs. Ce sont donc maintenant aux acteurs, d'ici la réunion du 3 mars, à montrer les preuves de bonne volonté que nous avançons dans la bonne voie et en toute transparence.
Q - Pourquoi les séparatistes ne sont-ils pas présents à la réunion du 3 mars ?
R - Tout simplement parce que c'est le format Normandie ; il n'y a pas à inventer un autre format. Le format Normandie vous le connaissez, c'est ce qui a permis de faire des avancées et c'est dans ce cadre que nous voulons continuer à en faire. J'ai été très clair sur ce point. Je pense que les évolutions doivent se faire aussi dans le Donbass. Les atteintes au cessez-le-feu doivent cesser. La mission de l'OSCE doit pouvoir s'accomplir en totalité, jusqu'aux limites frontalières internationales. De son côté, le gouvernement ukrainien doit poursuivre les réformes, y compris institutionnelles, et la préparation d'une réforme électorale qui permette la stabilité politique dans le Donbass, avec la prise en compte de sa situation particulière.
Il y a encore beaucoup de travail à faire. C'était le sens de notre visite ici à Kiev, avec Frank-Walter Steinmeier, et je crois que nous avons bien fait de venir. C'est un signal fort, un signal de soutien à la mise en oeuvre des accords de Minsk, mais ce sont aussi des exigences car on voit qu'il y a un blocage politique à Kiev avec une crise gouvernementale. Nous l'avons évoquée avec le président et le Premier ministre, nous allons le faire avec le représentant des groupes parlementaires. Il y a urgence à un gouvernement stable qui continue les réformes et qui les poursuivent, à la fois pour l'Ukraine dans son ensemble, mais aussi pour le peuple ukrainien. C'est l'esprit de Maïdan qui doit l'emporter en permanence.
Nous avons senti cette volonté mais des difficultés aussi, il n'y a donc pas de temps à perdre. Il était nécessaire de venir avant le 3 mars, ce sera encore une nouvelle étape, c'est un processus long mais c'est la raison pour laquelle nous le soutenons, avec détermination et exigence, dans la franchise et la transparence. C'est ce que nous avons fait ici.
* Syrie
(...)
Q - (Sur l'accord de cessez-le-feu en Syrie)
R - Nous sommes ici en direct de Kiev. L'annonce de cet accord entre les Américains et les Russes est une annonce positive et dans l'esprit de ce que vient de dire mon ami Frank-Walter Steinmeier mais, évidemment, nous sommes attentifs à sa mise en oeuvre. Je rappelle qu'une semaine avant, il y avait eu aussi un engagement de cessation des hostilités et de l'arrêt des bombardements. Là, je pense que les discussions sont allées plus loin, ils sont arrivés à des conclusions plus précises et nous jugerons effectivement de leur mise en oeuvre sur l'ensemble des points qui font partie de la déclaration : le cessez-le-feu, l'arrêt des bombardements et l'accès immédiat et total des convois humanitaires et de l'aide humanitaire, y compris à Alep.
Aujourd'hui, je crois que quelques convois arrivent, mais au compte-gouttes ; c'est donc l'urgence absolue. Et puis ensuite, tout en rappelant la nécessité de combattre Daech comme priorité, doivent reprendre le plus vite possible les négociations de Genève pour un accord politique.
Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons. C'est une étape nouvelle c'est vrai : vigilance, exigence, mais espoir.
(...).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er mars 2016