Texte intégral
ARLETTE CHABOT
Bonjour Thierry MANDON.
THIERRY MANDON
Bonjour.
ARLETTE CHABOT
Alors secrétaire d'Etat chargé de l'Enseignement supérieur et de la recherche. Alors, oui, il y a des syndicats lycéens et un syndicat, l'UNEF, qui appellent à manifester mercredi contre le projet de loi modifiant le code du travail. Ils ont raison de se mobiliser les jeunes ?
THIERRY MANDON
C'est plutôt l'expression, me semble-t-il, d'un malaise qu'on sent depuis des années, malaise de la jeunesse, et ce texte est l'occasion pour eux de dire un certain nombre de choses sur le monde dans lequel ils veulent vivre. Voilà.
ARLETTE CHABOT
Oui, parce que le Premier ministre disait en même temps dans le Journal du Dimanche hier : ce sont les jeunes qui doivent être les premiers gagnants de ce projet de loi ; vous êtes d'accord avec cette affirmation ?
THIERRY MANDON
Alors, le projet est fait au nom du travail, de ce qu'est en train de devenir le travail et des possibilités pour les entreprises d'embaucher plus qu'elles ne le font aujourd'hui. Et si ça marchait, alors, à l'évidence, c'est les jeunes notamment qui en bénéficieraient.
ARLETTE CHABOT
Alors visiblement, ils ne comprennent pas, ils comprennent plutôt que dans ce projet de loi, c'est plus de précarité pour eux demain.
THIERRY MANDON
Non, mais il y a deux choses, il y a d'abord un projet de loi qui continue à devoir être amélioré, et c'est un peu le type de travail qui s'engage aujourd'hui à Matignon avec les partenaires sociaux, et puis, un projet de loi qui doit être beaucoup mieux expliqué qu'il ne l'est aujourd'hui. Donc il faut faire et l'amélioration et l'explication, et si on fait les deux, je pense que la jeunesse comprendra le sens de ce projet.
ARLETTE CHABOT
Pour l'instant, à votre avis, elle manifeste parce qu'elle ne comprend pas, c'est ça
THIERRY MANDON
Non, non
ARLETTE CHABOT
Ce n'est pas qu'elle est vraiment hostile sur le fond, c'est qu'elle ne comprend pas ?
THIERRY MANDON
Non, mais il faut être lucide et juste, ce projet tel qu'il est, cet avant-projet peut être amélioré, pourquoi ? D'abord, parce que, il y a un souci de cohérence qui doit entrer en ligne de compte, ce texte est un texte sur le dialogue social, quand on fait du dialogue social, on donne des repères aux entreprises et aux salariés. Et il faut faire attention aux messages contradictoires, je prends des exemples, on élargit, à partir de ce que les tribunaux font déjà, la définition du licenciement économique, c'est d'une certaine manière logique, ce n'est pas aux tribunaux de dire ce qui doit être dans la loi, que le licenciement économique soit plus lisible pour les salariés, pour les entreprises, c'est une bonne chose. Mais si c'est ça, alors, on fait attention pour les licenciements abusifs, là, on est implacable, or, dans l'avant-projet, on pouvait avoir le sentiment qu'à la fois, on élargissait le licenciement économique, et qu'à la fois, on assouplissait les règles du licenciement abusif. Ça, ça ne va pas, et donc c'est typiquement des défauts de fabrique qui vont être améliorés, je n'en doute pas, dans les jours qui viennent, et qui rendront le projet plus lisible. Autre exemple, c'est un texte sur le dialogue social en entreprise, et on permet à une petite entreprise toute seule, par accord avec son salarié, de faire ce qu'on appelle le forfait jour, c'est-à-dire de dire à quelqu'un : vous avez travaillé douze heures, ça ne compte qu'une journée, et pas plus aujourd'hui. Là encore, c'est contradictoire. Donc il y a de l'amélioration, et si on améliore pour rendre le texte plus cohérent, plus lisible, alors, on l'expliquera beaucoup plus facilement.
ARLETTE CHABOT
Vous êtes en train de me dire que ce projet de loi est mal ficelé ?
THIERRY MANDON
Non, je suis en train de dire que, d'une certaine manière
ARLETTE CHABOT
C'est contradictoire
THIERRY MANDON
Non, oui, il y a des défauts de cohérence
ARLETTE CHABOT
Il y a des défauts de cohérence
THIERRY MANDON
Il y a des défauts de cohérence qui sont pris en compte par le gouvernement, puisque, on a repoussé le passage en Conseil des ministres pour auditionner les acteurs sociaux là-dessus. Et d'ailleurs, au passage, on est en train de parler d'un projet qui n'existe pas ou plus exactement, d'un avant-projet, c'est-à-dire quelque chose qui n'existera, qui sera projet du gouvernement, qui engagera le gouvernement, le jour où il passera au Conseil des ministres.
ARLETTE CHABOT
Le plafonnement des indemnités prudhommales, à votre avis, ce n'est pas une bonne idée ?
THIERRY MANDON
Mais, de mon point de vue, c'est une mauvaise idée, encore une fois, pourquoi ? Parce que si vous recadrez et d'une certaine manière facilitez la définition de ce qu'est un licenciement économique, un licenciement abusif, c'est de ça dont on parle, quand on dit : indemnités prudhommales, on veut dire un licenciement abusif, c'est un abus de droit, et un abus de droit, ça doit être sanctionné ! Voilà. Et il n'y a pas de dialogue social qui marche, il n'y a pas de bons comportements vertueux de la part des entreprises et donc au bénéfice des salariés, si quelqu'un qui est en contradiction avec la loi a, d'une certaine manière, un régime amélioré par rapport à aujourd'hui. Donc il faut que les choses soient lisibles, claires, les choses qui doivent être claires, c'est : les motifs de licenciement, ça, ça doit être vraiment très lisible, par tout le monde, et ça marchera mieux comme ça pour les entreprises et pour les salariés, et si on fraude, on est sanctionné durement.
ARLETTE CHABOT
D'une manière générale, vous êtes totalement solidaire du gouvernement, bien entendu, en tant que membre du gouvernement, totalement d'accord avec l'idée de la loi, mais pas avec le texte tel qu'il est, si je comprends bien, pour faire simple ?
THIERRY MANDON
Eh bien, le Premier ministre lui-même l'a expliqué hier que, il souhaitait que le texte soit amélioré, il a même indiqué des pistes pour l'améliorer. Donc tout le monde considère qu'il y a une sorte de "work in progress", comme on dit dans les entreprises, c'est-à-dire que, voilà, à l'écoute des syndicats, à l'écoute de ceux et de celles dans la société qui ont les compétences nécessaires, on peut améliorer ce texte, c'est ce qui va être fait dans les quinze jours qui viennent.
ARLETTE CHABOT
Vous qui avez été en charge pendant longtemps de la simplification administrative en général, la simplification des procédures, c'est un bon exemple, il faut le faire, mais qu'est-ce que c'est compliqué à faire !
THIERRY MANDON
Oui, mais alors, ça, je crois que, en France, on a vraiment des progrès à faire de manière générale, la gauche, la droite, la démocratie, sur la façon dont on fabrique la loi. Si je résume les choses très simplement, on confie à des gens super intelligents la préparation des textes de loi, enfin, super intelligents, qui considèrent qu'ils le sont et qu'ils savent tout
ARLETTE CHABOT
Vous avez un doute, vous, non ?
THIERRY MANDON
Qui écrivent les articles, qui s'apprêtent à passer le texte en Conseil des ministres et au Parlement, qui, alors, là, précipitamment, font une étude d'impacts sur ce qu'ils ont écrit, et puis, ensuite, on vote, on considère que le Parlement ne peut jamais se tromper, donc une fois que c'est voté, c'est bon, l'affaire est réglée. Et dans toutes les démocraties européennes aujourd'hui, on fabrique la loi différemment, d'abord, on écoute la société, ensuite, on commence par faire une étude d'impacts des décisions qu'on envisage de prendre. Puis, on rédige le texte de loi, puis, on le vote, puis, on l'évalue, puis, on le corrige. Voilà, c'est ce mode-là de gouvernance de nouvelle fabrique de la loi qui, à mon avis, doit maintenant être mis sur la table pour les années qui viennent.
ARLETTE CHABOT
Oui, parce que pour l'instant, visiblement, il n'est pas mis sur la table, et vos propositions et votre réflexion ne sont pas partagées par Matignon par exemple, pour faire simple ?
THIERRY MANDON
Eh bien, écoutez, chacun se rend bien compte qu'il y a quand même un sujet, ces dernières années, le nombre de textes de loi qui, avant même de devoir s'appliquer, ont dû être modifiés, est quand même très grand dans ce quinquennat, comme dans celui qui l'a précédé. Et donc on voit bien qu'on est au bout d'un système. Et pourquoi on est au bout d'un système ? Pour trois choses, d'abord, parce que l'expertise aujourd'hui, elle n'est plus dans telle ou telle grande école qui prépare les dirigeants du pays, qu'ils soient politiques ou administratifs
ARLETTE CHABOT
Genre ENA
THIERRY MANDON
Elle est dans toute par exemple elle est dans toute la société, voilà, et particulièrement dans les laboratoires de recherche, l'université, dans les grandes écoles, là, il y a des compétences qui doivent être plus sollicitées en amont. Deuxièmement, vous avez un outil qui s'appelle le numérique, qui permet d'organiser, si vous le souhaitez, des concertations, des évolutions, qui rendent meilleurs les textes qui sont adoptés. Et puis, troisièmement, personne au monde ne peut prétendre que ce qu'il décide, c'est vraiment l'alpha et l'oméga de ce qu'il fallait faire. Il faut observer la transcription des textes dans la société dans la réalité, et ne pas hésiter à corriger un an ou deux ans après ce que vous avez voté, voilà. Et donc, il y a une mutation culturelle et technique à mettre en place.
ARLETTE CHABOT
Alors, je reviens à la mobilisation de mercredi, des jeunes dans la rue, ça inquiète tous les gouvernements, je dirais même que c'est la première inquiétude d'un gouvernement, c'est de voir des lycéens ou des étudiants dans la rue. Vous êtes inquiet, vous ?
THIERRY MANDON
Inquiet, non, j'observe la mobilisation, et j'observerai mercredi ses résultats. En revanche, ce n'est jamais bon que les jeunes soient dans la rue, parce que ça veut dire une chose, ça veut dire un niveau d'angoisse et d'inquiétude pour leur avenir qui est réel. Ils ne se mobilisent pas par plaisir, il ne faut pas croire que leur objectif dans la vie, c'est d'aller faire des manifestations, ils le font parce que, ils estiment que c'est nécessaire. Et donc il faut prendre au sérieux ce signe de défiance que sont des manifestations.
ARLETTE CHABOT
Oui, ce qui est bizarre, c'est quand même avec l'UNEF, une partie de la gauche qui est contre la gauche, Caroline de HAAS, qui a lancé cette pétition : un million de signataires, elle a été responsable de l'UNEF entre 2006 et 2009, il y a des responsables de l'UNEF au cabinet de la ministre de l'Education aujourd'hui, on est gauche contre gauche aujourd'hui ?
THIERRY MANDON
Eh bien, on est dans un débat de société qui prend tout le monde un peu en oblique, la question du travail aujourd'hui, la question du travail demain, la question des nouvelles régulations et du droit des salariés, ça concerne toute la société, il ne faut donc pas s'étonner que ça traverse tous les camps.
ARLETTE CHABOT
Oui, vous n'êtes pas quelqu'un qui pense que c'est la gauche du Parti socialiste qui est en train de régler ses comptes avec le gouvernement, encore une fois, via l'UNEF et les organisations étudiantes ?
THIERRY MANDON
Non, parce que
ARLETTE CHABOT
Vous n'êtes pas parano, vous ?
THIERRY MANDON
Non, mais parce que ça ne marche plus comme ça dans la société, si même il y avait ce projet fou d'une partie de la gauche, de réveiller, je ne sais pas quelle catégorie sociale pour la faire manifester contre le gouvernement, si ça marche, c'est que, il y a un écho dans la société, sinon, ça reste un petit truc de chapelle et de "combinasionne", donc ce n'est pas comme ça que ça marche aujourd'hui ; les mouvements sociaux, ils expriment des choses, et nous, responsables politiques, on doit entendre le besoin de clarification, voire le besoin d'amélioration.
ARLETTE CHABOT
Quel échec pour François HOLLANDE, qui faisait de la jeunesse sa priorité en 2012.
THIERRY MANDON
Quand on fera le bilan, on se rendra compte que la jeunesse a quand même en termes par exemple de vie étudiante énormément eu d'acquis dans ce quinquennat, qu'il s'agisse des bourses
ARLETTE CHABOT
C'est l'emploi qui ne marche pas, quoi
THIERRY MANDON
Voilà, c'est la question économique qui ne marche pas, et le nouveau contrat, entre les acteurs économiques et la jeunesse, moi, par exemple, je pense que, on aurait dû ou on pourrait imaginer une obligation de négocier, ça existe dans le code du travail, comme contrepartie d'aide donnée au patronat, obligation de négocier sur la place des jeunes dans l'entreprise, leur statut, la reconnaissance des qualifications, c'est une cause nationale, l'emploi des jeunes, et ça devrait être traité par les entreprises et par tous les acteurs de la société comme telle.
ARLETTE CHABOT
D'un mot, vous avez reçu un rapport sur la radicalisation, l'islamisme, et le risque de violences, c'était jeudi dernier, vous allez prendre des décisions, on voit à quel point c'est nécessaire, il y a deux gamines lycéennes qui ont failli partir pour la Syrie. Qu'est-ce que vous allez faire pour l'université ou dans l'université ?
THIERRY MANDON
Alors, d'abord, on voulait avoir l'état exact des recherches pour comprendre ce processus de radicalisation, de montée de la fascination vers l'islam violent, et donc on a fait un inventaire complet de toutes les recherches. Et ça, c'est très important, parce que, on veut maintenant que ça pèse sur les politiques publiques, que les acquis de la recherche pèsent sur les politiques publiques. Ça veut dire très concrètement que, on organise toute la recherche pour qu'elle transfère systématiquement ce qu'elle découvre, ce qu'elle apprend, ce qu'elle comprend aux décideurs publics, et on fait changer, dans les administrations, les décideurs publics, notamment en recrutant des gens qui connaissent bien la recherche, pour que la définition des politiques publiques soit différente de ce qu'elle est aujourd'hui.
ARLETTE CHABOT
Ça veut dire des créations de postes ?
THIERRY MANDON
Ça veut dire quelques créations de postes, mais surtout, des profils différents, il ne faut pas qu'il y ait que des énarques, des gens qui savent, dans les administrations, il doit y avoir des gens qui se posent des questions, et c'est comme ça, parce qu'on se pose des questions, qu'on rend la décision publique meilleure.
ARLETTE CHABOT
Voilà, ça voudrait ou ça sous-entendrait que les énarques ne se posent pas toujours des questions. Merci Thierry MANDON.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 mars 2016