Interview de Mme Myriam El Khomri, Ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à France 2 le 3 mars 2016, sur la réforme du code du travail et le point sur la négociation avec les partenaires sociaux.

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Média : France 2

Texte intégral


WILLIAM LEYMERGIE
L'heure des « 4 vérités », et ce matin, Guillaume DARET, reçoit la ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, Myriam El KHOMRI.
GUILLAUME DARET
Bonjour à tous, bonjour Myriam El KHOMRI.
MYRIAM EL KHOMRI
Bonjour.
GUILLAUME DARET
Déjà, première question : comment allez-vous ?
MYRIAM EL KHOMRI
Je vais bien et je vous en remercie. Je m'excuse de vous avoir fait faux-bon, il y a deux jours. Je vais bien. J'ai été un peu impressionnée par cet emballement médiatique, autour d'un petit pépin de la vie quotidienne. Je suis tombée, je me suis cognée la tête et donc j'ai fait un malaise. Rien de bien grave, mais ce n'est pas un fait politique, et le fait politique c'est ma détermination à faire améliorer les choses sur le front de l'emploi dans notre pays.
GUILLAUME DARET
Alors, justement, sur cette question de la loi travail, vous êtes, et votre texte est toujours très critiqué. Est-ce que vous n'avez pas le sentiment de trahir la gauche ? Ce ne sont pas mes mots, ce sont ceux de l'un de vos conseillers qui a claqué la porte de votre cabinet.
MYRIAM EL KHOMRI
Ecoutez, s'agissant de ce conseiller, Pierre JACQUEMAIN, c'est un militant, c'est une démarche personnelle…
GUILLAUME DARET
Mais c'est une critique que l'on voit ailleurs.
MYRIAM EL KHOMRI
… c'est un militant, il a l'honnêteté de dire qu'il est proche de Jean-Luc MELENCHON, et pour ma part, il ne travaille plus.
GUILLAUME DARET
Vous, vous n'avez pas le sentiment de trahir la gauche.
MYRIAM EL KHOMRI
Non, je n'ai pas le sentiment de trahir la gauche, j'ai le sentiment de servir mon pays. Savez-vous pourquoi nous posons cette loi ? Aujourd'hui, dans notre pays, nous avons une situation qui est encourageante, nous avons une petite réduction du chômage, c'est important, le BIT le confirme ce matin, c'est une bonne chose, c'est encourageant, mais il y a un fait, c'est que nous créons beaucoup moins d'emplois que nos voisins européens. Et nous avons une source de complexité, le Code du travail, comme beaucoup de codes, est complexe, bien évidemment, sauf que cette complexité n'est pas toujours adaptée au monde d'aujourd'hui.
GUILLAUME DARET
Donc cette loi…
MYRIAM EL KHOMRI
Et donc, l'enjeu de cette loi, c'est justement, le droit du travail protège en théorie, mais dans les faits, il y a de vraies difficultés. Et concrètement, savez-vous que dans notre pays, près de 86 % des embauches se font en CDD, que près de 50 % de ces CDD sont des CDD de moins d'une semaine. C'est pas de la précarité, c'est de l'hyper précarité.
GUILLAUME DARET
C'est ça que vous allez essayer d'améliorer au travers de ce projet de loi.
MYRIAM EL KHOMRI
Et l'enjeu de ce projet de loi, c'est de répondre à ces questions, de traiter les problèmes qui sont posés aujourd'hui.
GUILLAUME DARET
Néanmoins, certains de vos amis disent ne plus vous reconnaitre. Ce projet de loi, il est totalement conforme à vos valeurs personnelles.
MYRIAM EL KHOMRI
Mais écoutez, ce projet de loi fait avancer notre pays.
GUILLAUME DARET
Mais vous, vous le partagez…
MYRIAM EL KHOMRI
Ce projet de loi, fait avancer, sans tourner le dos à mes convictions. Mes convictions, c'est le renforcement de la négociation collective. Ce projet de loi ne présente pas de la souplesse aux entreprises comme un chèque en blanc, ce projet de loi propose des souplesses qui sont négociées, au sein de l'entreprise, avec l'accord des salariés et des organisations syndicales.
GUILLAUME DARET
Justement, dans les négociations, vous allez continuer à rencontrer les syndicats, le patronat. Parmi les points les plus contestés, il y a notamment la question du plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement abusif. A quel montant fixer de plafond ? Le montant, vous êtes ouverts à la discussion, si j'ai bien compris.
MYRIAM EL KHOMRI
Ecoutez, je ne vais pas vous donner aujourd'hui l'issue des concertations, alors qu'elles s'engagent avec moi-même, avec le Premier ministre. Je crois qu'il était important, et je suis contente que nous ayons réadapté notre méthode et que nous ayons pris ces 15 jours…
GUILLAUME DARET
Ça veut dire qu'il y avait des erreurs de méthodes ?
MYRIAM EL KHOMRI
15 jours… c'est pas qu'il y a des erreurs de méthodes, c'est qu'on voit bien que le projet de loi, il y a eu des questionnements sincères qui sont posés, qui relèvent du débat, et il faut y répondre, et c'est le sens justement de retrouver un équilibre dans le cadre de ces concertations, et puis il y a eu de la désinformation, de la manipulation également sur ce projet de loi. Donc, la pire posture serait de dire : je reste tel quel et je fonce.
GUILLAUME DARET
Pas droit dans ses bottes comme Alain JUPPE, vous l'avez dit hier, donc sur les propositions…
MYRIAM EL KHOMRI
Oui, mais je pense que c'est la pire posture. Nous, le fait…
GUILLAUME DARET
Sur les propositions, vous avez dit, vous allez…
MYRIAM EL KHOMRI
Le fait de reprendre 15 jours, de concerter l'ensemble des partenaires sociaux, et aussi les parlementaires, permet de trouver le juste point d'équilibre…
GUILLAUME DARET
Et alors, malgré cette concertation…
MYRIAM EL KHOMRI
… sans dénaturer l'intégralité de cette loi.
GUILLAUME DARET
Malgré cette concertation, Myriam El KHOMRI, il y a toujours une volonté de mobilisation, des syndicats et notamment des jeunes. Qu'est-ce que vous leur dites, à ces jeunes, qui sont contre cette loi, si vous aviez un message pour eux ce matin, c'est quoi ? N'ayez pas peur ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ecoutez, je trouve que c'est absurde que les jeunes aient peur de cette loi, parce que les jeunes, ce sont eux les victimes de cette hyper-précarité, de ces CDD, de ces stages aussi. Ce gouvernement est celui qui a réglementé les stages au sein des entreprises. Ce gouvernement est celui qui a mis en place la garantie jeune, et dans cette loi, dans le cadre du compte personnel d'activité, ce gouvernement propose la mise en place d'un droit à la nouvelle chance c'est-à-dire que tous les jeunes qui sont sortis du système scolaire, qu'ils puissent bénéficier à l'accès à une première qualification. Et dans le cadre de cette loi, l'enjeu autour de, on va dire, de la sécurisation des ruptures, le plafonnement des indemnités prud'homales, le motif de licenciement économique, il y a des questionnements sincères sur ces questions-là.
GUILLAUME DARET
Donc vous comprenez parfois la crainte que les jeunes peuvent afficher. Parce que vous sentez bien…
MYRIAM EL KHOMRI
Mais pourquoi ? Pourquoi nous mettons en place un artisan, un commerçant, qui n'a pas une armée de DRH, une armée de services juridiques, il a besoin de comprendre ce que lui coutera la rupture d'un contrat.
GUILLAUME DARET
Il a besoin de visibilité.
MYRIAM EL KHOMRI
De visibilité.
GUILLAUME DARET
C'est ce que vous avez avancé.
MYRIAM EL KHOMRI
Et c'est à eux que cela s'adresse.
GUILLAUME DARET
Mais quand vous voyez ces jeunes, qui aujourd'hui se mobilisent, François HOLLANDE, il avait fait de la jeunesse sa priorité dans ce quinquennat, est-ce qu'avec ce texte, vous n'allez pas porter une responsabilité historique d'une rupture entre la jeunesse et la gauche ?
MYRIAM EL KHOMRI
Mais cette loi est faite justement pour que les jeunes qui sont victimes, de façon massive, du chômage, pour que les jeunes qui sont victimes des CDD renouvelables, qui n'ont pas accès à des crédits, à des logements, puissent rentrer plus facilement sur le marché du travail, en étant en CDI, c'est ça l'objectif de ce projet de loi. Et donc c'est absurde aujourd'hui de penser que les jeunes vont être victimes de ce projet de loi. Je crois que c'est essentiel de le comprendre. Nous avons aujourd'hui un système qui finalement ne protège pas les jeunes.
GUILLAUME DARET
Quand on voit que c'est le Premier ministre qui a annoncé ce report, qu'il va à son tour rencontrer les syndicats, vous ne vous sentez pas désavouée ?
MYRIAM EL KHOMRI
Absolument pas. Absolument, pas, c'est essentiel, c'est le sens, pour moi, d'une gouvernance à la fois ouverte et déterminée.
GUILLAUME DARET
Ce n'est pas une reprise en mains totale du Premier ministre ?
MYRIAM EL KHOMRI
Absolument pas. Il est tout à fait dans son rôle, et c'est essentiel. Vous savez, les mesures, comme le plafonnement des indemnités prud'homales était dans la loi Croissance et activité, portée par Emmanuel MACRON. Emmanuel MACRON sera aussi à mes côtés dans le cadre de ces concertations, c'est essentiel, et le Premier ministre est tout à fait dans son rôle, dans ce cadre-là. Nous souhaitons faire avancer notre pays, l'immobilisme c'est ça qui menace notre modèle social.
GUILLAUME DARET
Vous en avez parlé, il y a quand même quelques éclaircies, on vient d'apprendre que l'INSEE avait « corrigé » les chiffres du chômage pour le quatrième trimestre, avec une baisse. C'est un véritable signal ?
MYRIAM EL KHOMRI
C'est un signal qui est encourageant. J'ai lancé cette semaine un plan 500 000 formations supplémentaires, avec les présidents de région et avec Clotilde VALTER, secrétaire d'Etat, et les partenaires sociaux, ça va aussi dans le bon sens, nous devons tout faire pour accélérer l'emploi, et le chômage des jeunes a diminué en 2015.
GUILLAUME DARET
Face à cette question énorme depuis quelques jours, depuis quelques semaines, même depuis quelques mois, vous avez ces critiques, vous ne vous êtes jamais dit « qu'est-ce que je suis venue faire dans cette galère ? ».
MYRIAM EL KHOMRI
Non, vous savez, pour moi, ce qui m'affecte, c'est l'inertie dans mon pays, absolument pas, c'est un honneur, un honneur de servir mon pays, et donc je mets toute mon énergie, toute ma détermination pour qu'on avance.
GUILLAUME DARET
Pas un instant, contrairement à ce qu'on a pu lire, parfois entendre, l'idée d'une démission n'a pu vous traverser l'esprit ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non, la vie politique, ça demande de l'exigence, mais quand vous êtes convaincu aujourd'hui que nous n'avons pas tout essayé pour lutter contre le chômage, et je crois que les Français le savent et le comprennent bien, je crois qu'il faut rester déterminé, il faut aussi poser les débats tels qu'ils existent et non pas faire croire que tout va bien dans le meilleur des mondes. Aujourd'hui, notre modèle social il est menacé, et il est menacé par cet immobilisme. Il faut que nous avancions. Il faut que nous avancions de façon équilibrée et c'est le sens de ce projet de loi.
GUILLAUME DARET
Quand vos critiques disent : « Elle va démissionner », vous répondez quoi ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non, écoutez, moi je suis, je souhaite aller jusqu'au bout. Le temps de la concertation est nécessaire, le temps du débat, le temps du dialogue, et il permettra des amendements, il permettra de retrouver un juste point d'équilibre, bien évidemment. Je ne confonds pas persévérance, intransigeance. Néanmoins il faut avancer, il faut avancer pour les Français, c'est ce qu'ils attendent, et donc ce projet de loi permet de poser une bonne question, et les réponses à y apporter.
GUILLAUME DARET
Merci beaucoup Madame la Ministre.
MYRIAM EL KHOMRI
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 mars 2016