Interview de Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social à RTL le 8 mars 2016, sur le projet de loi sur la réforme du code du travail et la précarité.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


OLIVIER MAZEROLLE
Bonjour Myriam El KHOMRI.
MYRIAM EL KHOMRI
Bonjour.
OLIVIER MAZEROLLE
On entend beaucoup de choses sur vous à gauche, elle est sympa, elle est sincère, mais elle n'a pas suffisamment d'expérience pour livrer cette bagarre au sommet qui concerne l'identité de la gauche, l'avenir de François HOLLANDE, l'avenir de Manuel VALLS. Vous n'avez pas envie de dire aux crocodiles de la politique : écoutez, si c'est comme ça, faites ça sans moi ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non, je pense que c'est une vraie chance de servir mon pays. J'ai pris ces fonctions il y a six mois, je me suis attelée à la fois à améliorer la formation, la formation notamment des demandeurs d'emploi, je me suis attelée également à améliorer notre système d'apprentissage, parce que je crois beaucoup à l'apprentissage. Et puis, il y a cette loi. Je crois que notre pays a besoin de réformes structurelles, d'autres pays européens sont allés dans cette voie…
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, mais enfin, attendez, on va en parler, mais vous voyez bien que vous êtes dans un marigot qui dépasse largement la loi elle-même !
MYRIAM EL KHOMRI
Mais, vous savez, pourquoi cette loi ? Cette loi, elle répond à la situation de notre pays, nous avons un taux de chômage qui va au-delà des 10 %, c'est le même taux de chômage qu'il y a vingt ans. Ça s'est amélioré sur le dernier mois, néanmoins, ce n'est pas satisfaisant. Notre pays crée moins d'emplois que d'autres pays européens. Donc pour moi, c'est ça le sujet, et l'enjeu de cette réforme, c'est de pouvoir justement améliorer l'accès à l'emploi, notamment en CDI, des personnes les plus fragiles dans notre pays.
OLIVIER MAZEROLLE
On y vient dans une seconde, mais est-il exact que Manuel VALLS, dans un dîner qui réunissait plusieurs ministres dont vous, a dit qu'il était prêt à démissionner si le président reculait trop sur ce texte ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non, absolument pas.
OLIVIER MAZEROLLE
C'est faux. Quand Emmanuel MACRON dit publiquement que le projet a été mal emmanché, parce que vous avez évoqué le 49.3, c'est de la solidarité gouvernementale ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ah oui, il y a une totale solidarité gouvernementale…
OLIVIER MAZEROLLE
Ah, oui, quand il dit ça : Myriam, elle a mal emmanché le projet…
MYRIAM EL KHOMRI
Il y a une totale solidarité gouvernementale, je ne nie pas que cette séquence n'a pas été… a été difficile, en effet, parce que les arbitrages sont venus tardivement, et en même temps, il y avait déjà un avant-projet de loi qui était dans la presse, donc c'est vrai que pour démarrer et pour expliquer le sens de cette loi, ça rend les choses compliquées. Mais Emmanuel MACRON était avec moi et le Premier ministre hier pour relancer l'ensemble des concertations avec les partenaires sociaux. Il y a des mesures que je porte dans ma loi qui étaient issues d'autres lois qui la portaient, je pense par exemple aux barèmes des indemnités prudhommales ou à la question du licenciement économique. Donc il y a une totale solidarité, je pense que l'un et l'autre, nous aurions aussi préféré annoncer cette loi d'une manière différente, et pouvoir faire un peu plus de pédagogie que de la manière dont c'est parti, mais personne n'est infaillible.
OLIVIER MAZEROLLE
Quelqu'un a voulu torpiller cette loi, en la faisant sortir…
MYRIAM EL KHOMRI
Non, non, écoutez, la séquence est ce qu'elle est, aujourd'hui, le sujet, c'est comment nous répondons à cette situation de chômage dans notre pays, voilà le sujet.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors, hier, on a vu des photos, il y a beaucoup de sourires, même monsieur MARTINEZ, de la CGT, sourit quand il vous rencontre, mais tous, y compris Laurent BERGER, vous ont dit : votre texte, tel qu'il est là, on n'en veut pas. Laurent BERGER, pourtant réformiste, CFDT, dit : moi, je suis prêt à mobiliser si vous ne m'écoutez pas. Martine AUBRY vous dit : vous ressortez les vieux fonds de tiroirs du CNPF, vous savez, c'est l'ancien patronat. Comment vous allez faire, il n'est pas mort-né votre projet ?
MYRIAM EL KHOMRI
Alors, non, il n'est absolument pas mort-né. Il y a actuellement des concertations avec l'ensemble des organisations syndicales et patronales, pour apporter des améliorations à ce texte, qui, je le rappelle, est un avant-projet qui est actuellement en Conseil d'Etat, et que le texte n'a toujours pas été présenté en Conseil des ministres, il le sera le 24 mars prochain. Donc ce temps, ce temps de dialogue, d'amélioration, est nécessaire. S'agissant de Martine AUBRY, j'étais hier au bureau national du Parti socialiste, nous avons eu trois heures de débat, un débat d'idées intéressant, constructif, une grande majorité des socialistes présents, qui ne sont pas pour le retrait…
OLIVIER MAZEROLLE
Et ce n'est pas intimidant pour vous, quand même, Martine AUBRY, c'est une icône !
MYRIAM EL KHOMRI
Ce n'est absolument pas intimidant !
OLIVIER MAZEROLLE
C'est une icône dans l'histoire de la gauche, et vous, vous arrivez, et vous combattez avec elle !
MYRIAM EL KHOMRI
Mais, ce n'est absolument pas intimidant, moi, je n'ai de leçons à recevoir de personne, je viens avec mon histoire, mon parcours personnel, et aussi, ma vision de la société aujourd'hui, en 2015, et sur laquelle, je pense qu'il faut que nous améliorions les choses. Martine AUBRY a eu des propositions constructives, hier, lors des débats au bureau national…
OLIVIER MAZEROLLE
Par exemple ?
MYRIAM EL KHOMRI
Notamment sur des aspects sur l'amélioration de la formation, c'est quelque chose que je partage aussi, d'ailleurs, j'ai porté avec le président de la République le plan de 500.000 formations prioritaires, porté également avec Clotilde VALTER, secrétaire d'Etat à la Formation professionnelle, et donc il y a des points d'amélioration, qui visent justement à améliorer la protection en direction des salariés. Mais je suis convaincue que cette loi, notre pays en a besoin, en a besoin justement pour lutter, pour lutter contre cette précarité, contre ces recrutements en CDD, qui sont très importants dans notre pays. Et donc il faut que nous fassions des réformes à la mesure des attentes des Français.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors, il y a des points de blocage, par exemple, Laurent BERGER dit : moi, les barèmes sur les licenciements d'indemnités concernant les licenciements, je n'en veux pas. Vous êtes prête à les retirer ?
MYRIAM EL KHOMRI
Cher Olivier MAZEROLLE, quand on mène des concertations, je ne suis pas là, ici, pour faire les conclusions de ces concertations. Nous avons encore demain et aujourd'hui des partenaires sociaux à rencontrer, et nous leur ferons une restitution de l'ensemble de ces concertations…
OLIVIER MAZEROLLE
Mais sur quels points peut-il y avoir des modifications alors, les barèmes et la prise en compte par exemple des activités des filiales des entreprises dans toute l'Europe, pour savoir quel est le bilan réel des entreprises ? C'est possible qu'il y ait des modifications là-dessus ?
MYRIAM EL KHOMRI
Il y a des discussions en effet sur les modalités de deux mesures, qui font débat, qui portent des questionnements sincères, légitimes, qui sont celles relatives aux licenciements. Pourquoi ces mesures sont dans ce projet de loi ? Nous le voyons bien aujourd'hui, il y a dans notre pays, notamment de la part des artisans, des commerçants, une réticence à embaucher en CDI, si bien que, ils préfèrent embaucher en CDD, qui sont des contrats plus chers, parce que, ils savent que quand ça se passe mal, les procédures aux Prud'hommes peuvent être lourdes, et parfois incertaines. Et donc l'objectif, comme d'autres pays européens l'ont fait, est d'apporter un peu plus de prévisibilité et de clarté. Le barème des Prud'hommes, qui est proposé aujourd'hui dans la loi n'est pas un barème au rabais, il est la moyenne des indemnités prudhommales. Il y a aussi un sujet d'équité qui est porté en direction des salariés, est-il normal que, pour un salarié qui a moins de deux ans d'ancienneté, nous ayons une indemnisation des dommages et intérêts qui va de 1 à 7 ? Est-ce qu'il y a de l'équité ? Non, c'est la réalité. Donc l'objectif, c'est, parce que ceux qui font la création d'emplois dans notre pays, ce sont les petites entreprises, les TPE et les PME, c'est de pouvoir leur donner plus de clarté et de la prévisibilité…
OLIVIER MAZEROLLE
Les petites entreprises, les syndicats ne sont pas présents…
MYRIAM EL KHOMRI
Et donc, d'encourager aux recrutements en CDI, parce que, aujourd'hui, la réalité de notre pays, c'est que 50 % des CDD sont des CDD de moins d'une semaine, et que ceux qui subissent cette situation, ce sont les jeunes, ce sont les femmes, ce sont les moins qualifiés.
OLIVIER MAZEROLLE
Alors justement les jeunes, comment expliquez-vous que les étudiants, les lycéens, en tout cas, certains d'entre eux, sont prêts à se mobiliser contre votre projet de loi, parce qu'ils disent : c'est la précarité, ils n'entendent pas ce que vous dites !
MYRIAM EL KHOMRI
Mais j'entends bien qu'ils n'entendent pas ce que je dis, moi, je suis très attentive par exemple au mouvement « On Vaut Mieux que Cela ! », parce qu'il dit : parfois, le malaise dans le monde du travail, il dit : cette hyper flexibilité dont souffrent notamment les plus précaires, et l'objectif de ce projet de loi, c'est justement d'améliorer le recrutement en CDI, il n'y a pas que moi qui le dis, la semaine dernière, 32 économistes dont certains de renom, comme Jean TIROLE, ont montré que cette loi était aussi là pour… enfin, était là pour les plus précaires. Vous savez, on fait un parallèle entre le CPE et ma loi, mais ce n'est absolument pas la même chose, le CPE…
OLIVIER MAZEROLLE
Oui, monsieur MAILLY dit : VILLEPIN aussi y croyait que ça allait tenir !
MYRIAM EL KHOMRI
Le CPE, moi aussi, j'avais manifesté, il s'agissait d'un contrat…
OLIVIER MAZEROLLE
Ah, vous étiez dans la rue contre le CPE ?
MYRIAM EL KHOMRI
D'un contrat et d'un salaire au rabais en direction des jeunes. Aujourd'hui, dans ma loi, il y a par exemple le droit à la nouvelle chance pour les jeunes à travers le compte personnel d'activité. C'est-à-dire que tout jeune qui n'a pas eu accès à un premier niveau de qualification pourra avoir accès tout au long de sa vie à une formation. Voilà ce que porte ma loi. Et je le dis vraiment, sincèrement, aux jeunes, ce gouvernement qui a régularisé la question des stages, notamment en les limitant dans les entreprises, qui a mis en place la prime d'activité, ce n'est pas moins d'un million de jeunes qui pourront l'utiliser dès le 1er janvier 2016. Voilà, ce gouvernement n'est pas là contre les jeunes, il est là justement pour favoriser l'emploi, mais l'emploi durable.
OLIVIER MAZEROLLE
Merci Myriam El KHOMRI.
MYRIAM EL KHOMRI
Merci à vous.
YVES CALVI
Ce qui est important, c'est comment nous répondons au chômage dans notre pays, vient de dire Myriam El KHOMRI, qui rappelle que son texte n'est pas encore passé en Conseil des ministres, et qui ajoute : je n'ai de leçons à recevoir de personne. Une dernière question, Myriam El KHOMRI, est-ce que, comme Manuel VALLS, au micro de RTL, récemment, vous nous dites ce matin : j'irai jusqu'au bout ?
MYRIAM EL KHOMRI
J'irai jusqu'au bout en effet pour porter une réforme dans mon pays, parce que je crois que mon pays, aujourd'hui, a besoin de cette réforme. Il y a bien sûr des améliorations à apporter dans ce texte, il y a des équilibres à trouver, c'est le sens des concertations qui sont menées.
YVES CALVI
Mais pas de recul ?
MYRIAM EL KHOMRI
Mais je pense, en effet, qu'il faut que cette réforme puisse être adoptée. Le projet n'a pas encore été présenté en Conseil des ministres, il le sera le 24 mars, et actuellement, nous cherchons le bon point d'équilibre.
YVES CALVI
Bonne journée Madame la Ministre.
MYRIAM EL KHOMRI
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 mars 2016