Texte intégral
MICHEL GROSSIORD
L'Amérique a donc déclaré la guerre du bien contre le mal, après les attentats effroyables de mardi à New York et à Washington, les Etats-Unis veulent mobiliser leurs alliés. JEAN-LUC MELENCHON, bonsoir.
JEAN-LUC MELENCHON
Bonsoir.
MICHEL GROSSIORD
Nous sommes tous bien sûr sous le choc de ce que nous avons vécu en direct, cette tragédie, l'autre jour. Une tragédie vécue en direct, par les plus jeunes notamment. En tant que ministre de l'Enseignement professionnel, est-ce que là vous avez pris certaines dispositions pour apporter des éléments de réponse ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui. Le ministère de l'Education nationale, d'une manière générale, Jack LANG en particulier, a adressé une circulaire à l'ensemble des chefs d'établissement pour demander qu'on trouve, d'abord, le temps de faire cette minute de silence, puis un moment de réflexion pour nos jeunes. Qu'on prenne le temps de s'expliquer avec eux sur le sens de ce qu'ils ont vu. Il y va de l'élévation morale de notre peuple, dont nous sommes en charge à travers notre jeunesse. Je vais faire mettre à l'ordre du jour un nouvel enseignement qui commence dans l'enseignement professionnel (c'est une éducation civique, juridique et sociale) la question du terrorisme.
MICHEL GROSSIORD
En la circonstance, quel message vous voulez faire passer ?
JEAN-LUC MELENCHON
Le message essentiel, c'est qu'il n'y a aucune fin qui justifie l'utilisation de tels moyens. Voilà. C'est cela qu'il faut qu'on fasse bien comprendre. Ce que nous avons vu à la télé, ce n'est pas un film, ce n'est pas un jeu : c'est vrai, ça s'est passé réellement, il y a des milliers de gens qui sont morts, d'une manière abominable, et il n'y a aucune cause qui justifie qu'on fasse recours à de tels procédés.
MICHEL GROSSIORD
Est-ce que selon vous, aujourd'hui, nous sommes dans un état de guerre mondiale, comme le laissent supposer les déclarations du président américain ?
JEAN-LUC MELENCHON
Des mots, tout ça ! Je pense que quand les situations sont graves, l'honneur d'un esprit libre c'est de réagir d'après le principe de discernement. C'est vrai qu'on n'est pas encore, là, deux jours après. On est tous sous le choc. On n'est pas dans la phase où on a des opinions. On est dans une phase où on essaye d'analyser, de comprendre, et comme toujours dans c e genre de contextes, des contextes de violence on doit aller au meilleur de soi-même. Qu'est-ce qui nous paraît important face à ça ? Qu'est-ce que nous voulons ? De quel côté, devant la déstabilisation, voulions nous tirer le cours des évènements ? Alors, " guerre mondiale " ? Je comprends que quand on est américain on ait ce sentiment-là. Nous, on doit regarder ça avec un peu plus de sang-froid.
MICHEL GROSSIORD
On va y revenir. Georges-Marc BENAMOU
GEORGES-MARC BENAMOU(Editorialiste "LA PROVENCE" et "NICE-MATIN")
Est-ce que vous pourriez souscrire aux propos de Jean-Marie COLOMBANI qui disait : Nous sommes tous des Américains, à la une du " Monde ". Est-ce que vous le dites aussi ?
JEAN-LUC MELENCHON
Emotivement, oui. Quelle est la personne humaine qui n'a pas été glacée d'horreur en voyant ça, qui n'aurait pas eu envie d'être immédiatement là pour porter secours, pour aider, pour réconforter ?
GEORGES-MARC BENAMOU
Emotivement oui, et " civilisationnellement ", selon vous ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je dirais que, là, les choses doivent être maniées avec précaution. Solidaires, il faut l'être absolument. En tant qu'être humain, déjà. Ca a son importance dans le monde dans lequel on vit. Politiquement, on doit l'être, contre.. contre quoi, au juste, contre qui ?
MICHEL GROSSIORD
On en parlera.
JEAN-LUC MELENCHON
On va en parler. Mais déjà, voyez, il y a une question ! Là il n'y a pas de certitude. Gardons-nous d'aller bondissant d'une certitude à l'autre qui désigne celui-ci ou celui-là. Ensuite, je pense - pardon de produire une analyse alors qu'on est dans l'émotion- qu'il faut que nous soyons très vigilants pour ne pas.
MICHEL GROSSIORD
Là vous faites surtout beaucoup de précautions de langage, face à la situation !
JEAN-LUC MELENCHON
Non, je vous dis les choses comme je les ressens. J'en suis au même point que vous. C'est complexe, c'est compliqué, c'est violent, donc il faut prendre sur soi-même ! Il ne faut pas courir à la première impression qu'on peut avoir. Ce n'est pas précaution de langage.
MICHEL GROSSIORD
Donc là vous faites éventuellement un procès à la presse, parce que ce mot de " guerre ", il apparaît, vous l'avez vu, à la Une de tous les journaux.
JEAN-LUC MELENCHON
Je ne fais de procès à personne. Je comprends. Ce sont des images terrifiantes. C'est au-delà de ce qu'on avait connu jusqu'à présent. Mais je voudrais finir ma phrase de tout à l'heure. Je dis qu'il faut faire bien attention, en tout cas pour un homme comme moi, ce sera le fil dans lequel je m'inscrirai. On ne peut pas accepter que le nouveau paysage intellectuel, ce soit d'un côté le monde libre, de l'autre les terroristes ; entre tout ça aucun choix.
AGNES ROTIVEL
Justement vous parlez de terminologie, de mots, on utilise beaucoup les termes, " le bien contre le mal ", est-ce que vous souscrivez à cette terminologie qui est utilisée souvent du côté américain par le président BUSH notamment ?
JEAN-LUC MELENCHON
Non ! Je comprends qu'ils en parlent de cette manière-là : ça correspond à leur culture, à leur vision des choses. Mais je pense que ça ne nous aidera pas beaucoup à avancer . Il est clair, si on veut parler en termes de morales, que le mal est évidemment du côté de ceux qui se livrent à des actes de barbarie pareils. Mais en termes de politique, le bien, le mal sont des notions qui n'ont pas forcément leur place dans une analyse. Ce n'est pas le bien contre le mal. Et voyez-vous, si je dis ça, c'est parce que je pense qu'il faut être précis dans l'analyse de ce qu'on combat, sinon on a vite fait de déraper.
GEORGES-MARC BENAMOU
Alors d'après vous, c'est qui qu'on.
JEAN-LUC MELENCHON
On peut déjà dire qui on ne combat pas : on ne combat pas le monde musulman ! Parce que là, aussitôt, c'était les terroristes islamistes, l'islamisme, ce sont les musulmans et les musulmans, vous savez comment finit l'équation, ce sont les Arabes.
MICHEL GROSSIORD
Il y a effectivement une thèse qui reprend beaucoup de vigueur en ce moment, c'est cette guerre des civilisations.
JEAN-LUC MELENCHON
Je trouve ça lamentable ! C'est méconnaître la réalité humaine qui est quand même la dimension la plus forte, qui traverse toutes les communautés philosophiques et religieuses. Un bouddhiste, c'est peut-être un bouddhiste mais c'est d'abord un être humain et c'est un homme, une femme qui pense dans les catégories de la politique avec des raisons, des arguments qui ne sont pas forcément ceux de la religion. Arrêtons de faire de tout croyant un fondamentaliste et c'est moi qui ne suis pas croyant qui vous le dis.
GEORGES-MARC BENAMOU
On ne peut pas bien sûr globaliser le monde arabo-musulman mais on ne peut pas nier non plus qu'il y ait des poussées intégristes et vous qui êtes à la fois un laïc et un anti-mondialiste, comment vous regardez tout ça ? Qu'est-ce que dit le laïc, qu'est-ce que dit l'anti-mondialiste, est-ce qu'ils sont en phase ?
JEAN-LUC MELENCHON
Le laïc, ça y est, il a dit ce qu'il avait à dire ! Et c'est une position laïque
GEORGES-MARC BENAMOU
On ne la pas vraiment entendu.
JEAN-LUC MELENCHON
Je le dis avec précaution parce que je sais que dans les situations de guerre, tout devient simple, tout devient manichéen, il y a le noir, le blanc, il n'y plus de place pour l'intelligence.
MICHEL GROSSIORD
Je parlais des faits effroyables, il faut effectivement prendre position.
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, absolument ! Vous avez dit " on va en parler tout à l'heure " : Il faudra bien qu'à un moment donné, on en parle ! Il faut analyser ! Moi j'ai des choses à dire là-dessus. Mais déjà nous tous : faisons cet effort de discernement. Moi qui suis un ministre de l'Education, je dois faire cet effort de toujours plaider pour le principe de discernement, comprendre, ne pas globaliser. Voilà. Ca fait deux jour que ça dure : ce sont les islamistes ! ! C'est peut-être bien en effet des islamistes. Il y a de grandes chances, semble-t-il . Mais je vois le dérapage. Faisons très attention pour amour de notre pays.
MICHEL GROSSIORD
Tout le monde prend des précautions quand même.
JEAN-LUC MELENCHON
Eh bien tant mieux ! Eh bien j'en rajoute ! Voilà : j'en rajoute ! Dans les précautions et on n'en fera jamais trop ! Par contre après, je voudrais tenir un autre propos un instant si vous le permettez. J'ai dit tout à l'heure : il n'y a aucune fin qui justifie l'utilisation des moyens pareils. Je pense qu'il faut être catégorique sur ce sujet parce que le risque là aussi, c'est la dérive de penser que dorénavant, pour les illuminés, pour des excités, la vraie politique, cette qui obtient des résultats, c'est celle-là. Donc nous devons être catégoriques. Pour pouvoir être catégorique, il faut là aussi appliquer le principe de discernement. Il n'y a pas d'excuses à cette barbarie !
GEORGES-MARC BENAMOU
C'est ce que vous dites, vous, également pour le terrorisme du Hamas ou du Djihad islamique en Israël, par exemple dans les territoires occupés ?
JEAN-LUC MELENCHON
Mais n'importe quelle forme de terrorisme est inacceptable ! Inacceptable ! Il n'y a pas de cause qui justifie le recours à des moyens pareils. Et à partir de là, on peut dire autre chose de plus : l'ethnicisme, le fondamentalisme qu'il soient religieux ou autres, ne tombent pas du ciel. Il y a des acteurs, il y a des stratégies, il y a des moyens. Donc ne faisons pas l'erreur de dire que quelque part, le recours à des moyens pareils serait le résultat de telle ou telle oppression ici ou là. Non, non ! Non, il n'y a aucune excuse.
NICOLAS DOMENACH
S'il n'y a pas de justification, aucune, il y a des explications, déjà.
JEAN-LUC MELENCHON
Voilà, disons-le comme ça, oui, ça me convient.
NICOLAS DOMENACH
Et alors lesquelles ?
JEAN-LUC MELENCHON
Depuis toujours vous avez toujours eu des fanatiques constitués en parti politique qui trouvent des circonstances plus ou moins favorables pour gagner du terrain et mener leur stratégie. Par exemple l'extrême droite ; pendant les années c'était 0,1%, 0,2%, rien du tout. Et puis à un moment donné, des conditions ont été réunies qui leur ont procuré une certaine écoute. Et à partir de là, ils ont déroulé leur propre stratégie. S'agissant de certains fondamentalistes religieux, je dis bien certains, ils ont trouvé des conditions qui étaient plus favorables.
MICHEL GROSSIORD
Alors attendez, Georges-Marc vous a présenté comme un anti-mondialisation. Alors on entend aujourd'hui un procès fait à certains mouvements anti-mondisalisation, est-ce qu'ils n'ont pas trop dénoncé l'Amérique, est-ce qu'ils n'ont pas trop tenu un discours anti-américain. Nous avons un journaliste américain avec nous, John VINOCUR du HERALD TRIBUNE. JOHN VINOCUR, bonsoir, Vous avez le ministre JEAN-LUC MELENCHON qui vous écoute et que vous pouvez interroger.
JOHN VINOCUR
Oui, vous ne voulez pas faire le rapprochement entre l'anti-américanisme caractérisé, je dirais même dans un certain sens à un niveau moindre bien sûr le fanatisme, l'obscurantisme de certaines de ces protestations extrêmement violentes, dangereuses, et tout ce qui se passe. L'attaque contre le World Trade Center, les attaques verbales bien sûr contre l'OMC, la banque mondiale, est-ce que ce n'est pas quelque chose qui vous frappe ?
JEAN-LUC MELENCHON
Non ! Mais je comprends très bien qu'un Américain considère que tous ceux qui ne sont pas d'accord avec la politique du gouvernement des Etats-Unis sont des déviants
JOHN VINOCUR
Je ne parle pas de déviants, je parle de terrorisme et vous changez le propos.
JEAN-LUC MELENCHON
Monsieur, est-ce que vous vous rendez compte de l'énormité de ce que vous dites ? Est-ce que vous croyez qu'il y a seule personne dans mon pays
JOHN VINOCUR
Quel pays est votre pays ?
JEAN-LUC MELENCHON
Qu'une seule personne dans mon pays.
JOHN VINOCUR
Quel pays ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je suis Français ! une seule personne qui ait manifesté contre un certain nombre
JOHN VINOCUR
Je ne parle pas de manifestation
JEAN-LUC MELENCHON
Et qui par là-même se trouverait d'une quelconque façon solidaire d'assassins de la nature de ceux qu'on vient de voir aux Etats-Unis. Comment pouvez-vous avoir une idée pareille !
MICHEL GROSSIORD
JOHN VINOCUR parle de ce climat anti-américain et de ces discours anti-américains et de ces actions violentes dans la rue effectivement.
JOHN VINOCUR
Effectivement, vous déformez totalement la question. Je ne dis pas qu'il y a disons un lien, mais est-ce qu'il y a néanmoins une association entre cette attitude de fanatisme qui a mené à l'attaque contre le World Trade Center et le Pentagone et tous ces innocents aux Etats-Unis.
JEAN-LUC MELENCHON
Je vais vous répondre " non " de la manière la plus catégorique si votre question est bien une question et pas une affirmation. Si c'est une question, je vous réponds de la manière la plus catégorique : moi-même, Monsieur, je suis extrêmement critique à l'égard de la politique du gouvernement de votre pays en tant qu'homme politique dans mon pays mais pas un instant, sous quelque forme que ce soit, je ne peux me sentir lié d'une quelconque manière à cette ignominie. Et j'avoue qu'en posant des questions comme celle que vous faites, vous me mettez très mal à l'aise car à cette heure, moi je n'ai envie d'exprimer que de la compassion pour nos amis américains.
MICHEL GROSSIORD
Mais sans aller jusqu'à cette espèce d'union sacrée qui se dessine aujourd'hui dans les capitales occidentales.
JEAN-LUC MELENCHON
Attendez, une union sacrée pour frapper des groupes terroristes qui seraient clairement désignés ? Bien sûr que oui ! Bien sûr que oui qu'il faut que tous on s'y mette.
MICHEL GROSSIORD
Quel forme de riposte américain redoutez-vous ?
JEAN-LUC MELENCHON
Attendez, il faut finir avec cette affaire-là ! Si ça veut dire qu'au nom du fait qu'on est solidaire, que l'on cherche à éradiquer le terrorisme, il faut avaler tout le reste avec, alors là c'est non ! J'espère que personne n'aura la sottise de nous demander ça.
MICHEL GROSSIORD
Vous craignez la riposte qu'on est en train d'élaborer aujourd'hui à la Maison Blanche ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je pense que cette riposte, elle est nécessaire, bien sûr
GEORGES-MARC BENAMOU
Elle est nécessaire dans le cadre collectif de l'OTAN.
JEAN-LUC MELENCHON
Ca, c'est une deuxième question.
GEORGES-MARC BENAMOU
Elle est nécessaire pour qui ?
JEAN-LUC MELENCHON
Pour tous ceux qui n'admettent pas que le terrorisme puisse croire qu'il peut frapper qui il veut, quand il veut, où il veut, de la manière qu'il veut.
GEORGES-MARC BENAMOU
Donc la France avec.
JEAN-LUC MELENCHON
Attendez. Chaque idée doit être bien précisée. Moi, je suis un homme politique, je suis un démocrate : Je crois aux assemblées , je crois aux programmes politiques, je crois aux partis politiques ; je crois que c'est comme ça que se règle les questions. Si nous sommes en désaccord avec les Américains sur un certain nombre de sujets, ça se règle dans les enceintes prévues pour ça. On peut d'ailleurs, des fois, commettre quelques excès de langage mais ça se règle comme ça. Ca ne se règle pas avec ces méthodes-là. Il faut que ceux qui utilisent ces méthodes-là soient mis hors d'état de pouvoir le faire parce qu'il n'y a plus de vie démocratique possible avec des gens pareils.
INTERVENANT
Et les Etats qui les protègent ?
JEAN-LUC MELENCHON
Ceux qui les protègent, ont pris leurs risques ! Par conséquent, s'il est prouvé que tel ou tel Etat a directement contribué à la formation de commandos, qu'ils soient punis derrière ça, c'est quand même le minimum. Nous ne pouvons pas l'accepter !
MICHEL GROSSIORD
Vous n'auriez rien contre une action contre un Etat, pas seulement des actions style Mossad contre des groupes très ciblés ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je ne sais pas. Nous en sommes tout au même point : nous ne savons pas qui sont les auteurs de cette affaire. On va peut-être bientôt le savoir. Mais lorsqu'on le saura et qu'on sera en état de savoir qui a aidé qui, oui, il faut frapper les terroristes bien sûr.
GEORGES-MARC BENAMOU
Avec la France, vous n'avez pas répondu au deuxième point ?
JEAN-LUC MELENCHON
Attendez, moi je suis un gradualiste. Je vous comprends Je signe de chèque en blanc à personne et surtout pas dans les périodes d'émotion. Donc ça se juge sur pièce.
AGNES ROTIVEL
Moi, je voudrais revenir un petit peu sur la réflexion de tout ce qui se passe actuellement. On a vu depuis des mois et des mois un discours dans le monde qui est doit très anti-américain, soit très anti-occidental.
MICHEL GROSSIORD
JOHN VINOCUR d'ailleurs voudrait intervenir sur le sujet.
AGNES ROTIVEL
Quelles réflexions vous avez, vous par rapport à ça, qu'est-ce qu'il faut faire ? Est-ce que vous êtes d'accord ? Est-ce que vous comprenez pourquoi il peut y avoir ce discours anti-américain, anti-occidental, est-ce que vous avez une idée des raisons de ce discours et qu'est ce qu'on peut faire éventuellement aller contre ça ? Est-ce qu'il n'y a pas un risque de radicalisation ?
JEAN-LUC MELENCHON
Mais bien sûr ! Et c'est pour ça que j'ai commencé par dire tout à l'heure : Si on laisse le tableau s'installer, d'un côté les terroristes, de l'autre côté, tous les autres qui sont d'accord sur tout, c'est clair que ça tournera mal pour nous, les démocrates et ceux qui croient à ce mode de fonctionnement de la vie politique. N'oublions pas- et encore une fois sans rien mélanger- n'oublions pas que nous vivons dans un monde injuste et brutal, que d'innombrables masses humains ont le sentiment d'être les jouets d'une histoire qu'ils ne contrôlent plus et qui les oppriment.
MICHEL GROSSIORD
Alors, JOHN VINOCUR, vous êtes toujours là ?
JOHN VINOCUR
Oui Monsieur MELENCHON disait tout à l'heure : pas de chèque en blanc, il me faut des preuves. Alors ma question est : quelles seront les preuves suffisantes, si le président BUSH annonce : nous avons la certitude que c'était machin ou machin. Ou comme Monsieur CHIRAC vous le dit, est-ce que c'est suffisant ? Quelles seront les preuves qui vont vous convaincre.
JEAN-LUC MELENCHON
Monsieur, je suis membre d'un gouvernement. Les preuves qui me convaincront seront celles qui convaincront les autorités de mon pays.
JOHN VINOCUR
Ce n'est pas une réponse qui me donne un indice ou une idée de quoi vous parlez, franchement.
JEAN-LUC MELENCHON
Ca vous donne un indice sur la manière dont mon esprit est fait.
MICHEL GROSSIORD
Vous avez du mal, manifestement, à vous comprendre. Merci JOHN VINOCUR, d'avoir été en ligne avec nous. NICOLAS DOMENACH.
NICOLAS DOMENACH(" MARIANNE ")
Oui, mais plus qu'un front des alliés, JEAN-LUC MELENCHON, l'arc qui se dessine semble presque, semble beaucoup plus vaste. Puisqu'au fond, POUTINE dit aux Etats-Unis : voilà, il arrive au fond ce qui je vous avais dit qu'il arriverait, et si vous m'aviez laissé exterminer les Tchétchènes tranquillement, et si on avait fait front commun contre l'Islam on n'en serait pas là, donc allons-y tout ensemble. Alors là, qu'est-ce qu'en dit le.
MICHEL GROSSIORD
On peut dire la même chose du pouvoir algérien, par exemple.
NICOLAS DOMENACH
Voilà, pareil
AGNES ROTIVEL (" LA CROIX ")
On peut dire aussi la même chose du gouvernement israélien qui n'arrête pas de dire : c'est ARAFAT, par son discours, etc qui encourage ce genre de choses
NICOLAS DOMENACH
Est-ce que vous dites : principe de discernement, là ?
JEAN-LUC MELENCHON
Vous voyez pourquoi c'est moi qui ai raison ? Bien sûr ! Pourquoi il faut faire très attention. Parce que tout le monde ramène sa petite marchandise. Alors, est-ce qu'au nom du fait qu'on lutte contre le terrorisme, on va dire à Monsieur POUTINE : vous avez raison, en Tchétchénie faites ce que vous voulez ? vous voyez bien que c'est moi qui ai raison. Il faut donc bien cibler qui et quoi.
INTERVENANT
Alors, qui et quoi ?
JEAN-LUC MELENCHON
Par exemple, on parle beaucoup de Monsieur BEN LADEN en ce moment. Enfin, personne ne peut oublier qu'à un moment donné il était une pièce du dispositif des Américains contre les communistes, qu'il a été formé dans les camps de la CIA. Vous savez.
MICHEL GROSSIORD
Les Américains ont joué aux apprentis sorciers ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je pense qu'on joue aux apprentis sorcier quand on prend appui sur des fanatiques. Voilà. Ces gens-là sont absolument imperméables à la raison, et vous croyez un jour les avoir avec vous, le lendemain ils sont contre vous, parce qu'ils suivent leur obsession. Je crois que je dis là des choses, quand même, qui sont assez évidentes.
AGNES ROTIVEL
Vous dites : j'ai raison. Mais on a du mal à voir la traduction de tout ce que vous dites dans les discours par exemple de l'Europe. On est assez bluffé voir par exemple dans ce conflit israélo-palestinien, l'Europe n'existe quasiment pas, tire la sonnette d'alarme en disant : les Etats-Unis devraient être plus présents. Mais il n'y a rien l'Europe n'est dans cette région. Donc comme est-ce que..
JEAN-LUC MELENCHON
C'est vrai ! Je vous donne raison. C'est pourquoi j'ai commencé par dire : je ne veux pas de ce paysage figé à l'avance. Parce qu'il y a un absent dans ce paysage, et je vais vous dire, ce n'est pas que l'Europe. Je suis socialiste. On pourrait dire : où est passé l'Internationale socialiste ? quand a-t-elle pu dire à des peuples, : écoutez, non, le terrorisme ça ne débouche sur rien ! Et l'Europe ! Nous sommes une grande puissance tout ensemble. Qu'est-ce qu'on fait, qu'est-ce qu'on dit ? Rien. Inconnue au bataillon.
MICHEL GROSSIORD
Vous avez dit : on ne peut pas laisser POUTINE faire n'importe quoi. Vous pourriez dire la même chose de Georges BUSH ?
JEAN-LUC MELENCHON
Ecoutez, on est 48 heures après cette affaire. Comment voulez vous faire dire à un ministre de l'Enseignement professionnel : on va dire à BUSH ceci ou cela ? Soyons raisonnables.
MICHEL GROSSIORD
Non mais, a priori, vous avez confiance ? il a été critiqué pour ses premières réactions, ces premières attitudes.
JEAN-LUC MELENCHON
Moi je disça vaut pour tous : solidaires oui, alignés non.
NICOLAS DOMENACH
Vous dites la même chose par rapport au président de la République française ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, parce que c'est assez général pour s'appliquer à tout le monde.
NICOLAS DOMENACH
Mais en l'occurrence, qui détermine et qui déterminera l'attitude de la France face à la riposte américaine ? C'est le président ou c'est le Premier ministre ?
JEAN-LUC MELENCHON
Moi, je pense qu'au minimum, ce sera les deux parce que d'abord la Constitution prévoit ça ! Nous serons dans un moment de l'histoire où nous serons, nous qui sommes des démocrates, qui avons donc une démocratie représentative, nous serons engagés par ceux qui nous dirigent, que nous avons choisis et que nous avons élus.
MICHEL GROSSIORD
Il y a quand même une prééminence du président de la République
JEAN-LUC MELENCHON
Une prééminence ? Ce n'est pas ce qui est marqué dans la Constitution. C'est le gouvernement qui conduit et dirige la politique de la Nation, article 20. Le président de la République a des pouvoirs qui sont définis par la Constitution, qui ne prévoit pas de domaine réservé. Je pense que ce qui se passe en général dans ce genre de situation, fonctionnera de nouveau là. C'est-à-dire que ceux qui représentent la France vont mettre leur point d'honneur à bien se comprendre et à travailler ensemble. Et ils le font d'ailleurs ! Je crois que c'est ce qu'on voit.
MICHEL GROSSIORD
C'est l'image qu'ils tentent de donner en tous les cas..
JEAN-LUC MELENCHON
Eh bien, je pense qu'ils le font en toute sincérité parce qu'il y va de l'intérêt de notre patrie bien sûr et de comment elle va se disposer dans le monde. Mais après, des décisions seront prises et nous, nous sommes un peuple libre, chacun aura une appréciation sur ces décisions.
GEORGES-MARC BENAMOU
Vous étiez opposé à l'engagement de la France dans la guerre du Golfe je crois, et si demain se produit une grande alliance qui inclurait selon des modalités à prévoir y compris la Russie, l'Allemagne, qui est beaucoup plus nette d'ailleurs que la France, l'Angleterre etc, est-ce que vous souhaitez si Jacques CHIRAC et Lionel JOSPI vous demandent conseil, vous souhaitez que la France rejoigne cette alliance ou pas ?
JEAN-LUC MELENCHON
Ca dépend pour quoi faire.
GEORGES-MARC BENAMOU
Pour faire une frappe déterminée par l'OTAN dans le cadre.
JEAN-LUC MELENCHON
Mais vous êtes incroyable ! vous demandez à un responsable politique Mais quel genre d'homme je serai si.
GEORGES-MARC BENAMOU
On leur demande parfois d'avoir des idées
MICHEL GROSSIORD
On sent quand même une demande pressante des Etats-Unis de s'appuyer sur des alliés européens.
JEAN-LUC MELENCHON
Les idées précises s'appuient sur les faits précis ! D'accord ! A quel genre de responsable croyez-vous avoir affaire ? Vous êtes d'accord pour une frappe ? " Oui, oui, oui " " N'importe où, ça m'est égal " Non ! Pas moi !
GEORGES-MARC BENAMOU
Je n'ai pas dit ça comme ça.
JEAN-LUC MELENCHON
Donc on ne sait pas. Demain, on va nous dire, les américains vont dire à nos dirigeants : voilà, nous avons établi que les coupables, c'est celui-ci et celui-là ; on vous propose de les punir de telle et telle manière. Et le président de la République, le Premier ministre vont dire ou ne vont pas dire : on le fait.
GEORGES-MARC BENAMOU
Dans cette hypothèse, si les objectifs vous semblent raisonnables, est-ce que vous êtes favorable à ce que la France rentre dans une telle alliance ?
JEAN-LUC MELENCHON
Evidemment. S'il s'agit de frapper les terroristes, c'est-à-dire ceux qui ont commis ce crime abominable
INTERVENANT
Et ceux qui les protègent
JEAN-LUC MELENCHON
Et ceux qui les protègent. Il faut leur montrer que nous ne tolérons pas que ce soit ça l'ordre du monde, d'accord ! Mais en même temps, je suis français moi, donc je me dis : oui oui, riposter, mais avec discernement. Vous avez vu, là le chroniqueur américain, il en est déjà à dire : alors bon, comme on a eu un attentat, vous trouvez normal de critiquer la banque mondiale, le FMI
MICHEL GROSSIORD
Non, non attendez
JEAN-LUC MELENCHON
IL faudrait avaler tout catéchisme ! Non, ça ce n'est pas la peine d'essayer ! Solidaires, oui, alignés, non : je répète ma phrase.
MICHEL GROSSIORD
Une question sur les répercussions de cette crise sur la cohabitation. Vous le dites que donc les deux têtes de l'exécutif se partagent équitablement le pouvoir sur ce dossier. Alors nous avons en ligne Hervé CHABAUD, notre confrère de l'UNION DE REIMS. Hervé CHABAUD, bonsoir. Le Ministre vous écoute.
HERVE CHABAUD
Alors vous avez beaucoup parlé, Monsieur le Ministre, de l'union nécessaire dans une situation difficile comme celle-là, entre le président et le Premier ministre, seulement on a quand même eu l'impression ces deux derniers jours qu'ils se couraient un peu tous les deux après, à savoir que l'un fait une déclaration, que l'autre veut réagir quelque part sur le même sujet. Alors est-ce que pour vous, c'est tout à fait logique dans la Constitution, dans les institutions de la Ve République ou bien est-ce que l'on est, malgré tout ce qui se passe, tout de même déjà en campagne électorale ?
JEAN-LUC MELENCHON
Non. Honnêtement, n'y voyez pas réponse dilatoire de ma part. Vous savez, quand on a l'honneur de servir ce pays, on sait s'arrêter. On sait les moments où c'est grave, où on engage la vie du pays. Vous n'avez aucune raison de croire que l'un ou l'autre ait une autre idée en tête.
MICHEL GROSSIORD
Alors comme ça, les arrières pensées disparaissent d'un coup ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui. Eh bien oui ! Vous le voyez bien !
MICHEL GROSSIORD
Hervé CHABAUD nous dit, effectivement, on l'a constaté, qu'il y a une espèce de course quand même notamment pour passer devant les médias, pour dire qu'on a eu la veille au soir Tony BLAIR ou qu'on va avoir Georges BUSH au téléphone etc.
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, mais qu'est-ce que vous voudriez ? Allez, allez ! Qu'est-ce qu'il faudrait faire ? ! Qu'il y en ait un qui reste dans son bureau, l'autre qui parle tout le temps ou l'inverse ! Non il faut montrer la cohésion. Ils parlent tous les deux, ils disent tous les deux la même chose ! Ils montrent donc que la République française se tient les coudes serrés pour faire face à un événement qui est un défi au monde entier. Voilà ce que ça montre !
HERVE CHABAUD
Monsieur le Ministre, est-ce que vous ne croyez pas, peut-être pour marquer l'opinion, qu'il y aurait pu avoir une déclaration commune, Jacques CHIRAC et Lionel JOSPIN côte à côte ?
JEAN-LUC MELENCHON
Non, parce que les déclarations de l'un engagent l'autre. On parle du pays, bon sang ! On parle de la France. On parle de notre patrie. Elle s'exprime dans un moment gravissime. Pourquoi voudriez-vous que ceux qui ont l'honneur de la diriger n'aient que des préoccupations mesquines ! ? Vous croyez que l'élection présidentielle est en train de se jouer là, en ce moment, là ? On ne vote pas dimanche prochain ! C'est dans huit mois !
NICOLAS DOMENACH
Oui. La pré-campagne se joue en partie maintenant. Alors on peut légèrement corriger la question qui vous était posée il y a un instant
JEAN-LUC MELENCHON
Elle était bien.
NICOLAS DOMENACH
Ce n'est pas la campagne présidentielle qui continue sous la cohabitation c'est la pré-campagne qui persiste sous d'autres formes ; simplement nous ne sommes pas dans une campagne guerre ouverte ; chacun campe sur un positionnement, une hauteur qui est nécessaire.
JEAN-LUC MELENCHON
J'ai compris. Si c'est ça, alors la vie démocratique est une campagne permanente. C'est-à-dire que, c'est vrai, vous regardez vos responsables, vous vous dites : est-ce qu'ils sont à la hauteur ? Est-ce qu'ils interviennent bien ?
MICHEL GROSSIORD
Surtout à huit mois d'une échéance primordiale, oui
JEAN-LUC MELENCHON
Eh bien, ça c'est normal, Mais il n'y a pas un couac ! Il n'y a pas divergence d'avis.
MICHEL GROSSIORD
Non, mais alors on juge, effectivement NICOLAS DOMENACH le dit, sur cette façon de prendre de la hauteur. On juge donc Lionel JOSPIN, Jacques CHIRAC, notamment sur cette question aujourd'hui, au-delà de leur position commune.
JEAN-LUC MELENCHON
Je ne sais pas si les Français sont en train de les comparer, ils regardent en se disant
MICHEL GROSSIORD
Ils regardent le style !
JEAN-LUC MELENCHON
en se disant : est-ce qu'ils font ce qu'il faut pour le pays ?
MICHEL GROSSIORD
Et alors à l'Elysée certains disent que Jacques CHIRAC a quand même une longueur d'avance en la matière, dans la prestance, l'autorité naturelle, qu'est-ce que vous en pensez, vous qui les avez regardés discuter ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je pense que c'est une considération misérable, voilà ! Ce n'est pas le sujet. Aujourd'hui là, dans le moment dans lequel on est, ce n'est pas comme ça qu'il faut qu'on réfléchisse.
MICHEL GROSSIORD
Oui, mais si c'est comme ça que les Français réagissent ?
JEAN-LUC MELENCHON
Vous n'en savez rien !
MICHEL GROSSIORD
Si ! j'ai dit : " si " !
JEAN-LUC MELENCHON
Mais je vous dis, les Français ne réagissent pas comme ça, parce que les Français sont un peuple intelligent ! C'est un peuple plus politique que ce qu'on croit ! Il regarde, il est attentif ! Et vous verrez que ma formule : " solidaire, oui, aligné, non ", c'est celle qui est dans la plupart des têtes de Français ! Parce qu'ils ont une expérience politique. C'est un des peuples les plus politiques du Monde. Ne les prenons pas pour des gens faciles, qu'on amuse avec des images, hein !
MICHEL GROSSIORD
Non, non, ce n'est pas notre intention. Agnès ROTIVEL
AGNES ROTIVEL
Est-ce que vous avez peur que les Français se sentent menacés eux aussi par éventuellement des décisions qui seraient prises par le gouvernement français de s'aligner par exemple ? On a une communauté musulmane qui est très importante en France, est-ce que vous ne craignez pas que, de s'associer aux Etats-Unis de trop près, fasse naître quand même dans le pays des craintes par rapport à
JEAN-LUC MELENCHON
Je pense qu'il faut être prudent dans tout ce qu'on dit ! Mais la premières des précautions c'est déjà de refuser d'assimiler d'une quelconque manière la communauté musulmane de France à cette racaille de terroristes. Parce que là bas dans les deux grandes tours, il y a des musulmans qui sont morts aussi, les terroristes frappent tout le monde, il n'y a pas de détails.
MICHEL GROSSIORD
Ce qui montre bien la folie totale de ce geste.
JEAN-LUC MELENCHON
Absolument. Donc les musulmans de France, comme les chrétiens de France, les gens qui ne croient pas, sont tous d'abord confrontés à leur réflexion de citoyen ! Maintenant faisons attention à ce qu'on dit ! Parce que si on passe son temps à laisser entendre que les terroristes sont par définition des islamistes et que les islamistes, par définition, sont des musulmans, c'est clair qu'au bout d'un moment ça finit par énerver deux millions, trois millions de personnes qui n'ont pas droit à la parole et qui ont envie de dire : " attendez, on n'a rien à voir avec ça nous ! Nous on vit nos religions, on la vit à notre manière, qui est une religion de paix, d'amour et pas du tout de cette horreur là ".
MICHEL GROSSIORD
Mais on n'en est pas quand même au stade américain où on a entendu aujourd'hui le président dire à ces concitoyens : " n'agressez pas les personnes arabes " par exemple " ou les personnes étrangères ".
JEAN-LUC MELENCHON
Oui parce que la tradition française est plus ferme. Je veux dire ce problème se pose moins chez nous : nous vivons tous ensemble, nous avons une tradition républicaine. Eux ils vivent beaucoup par ghettos, par communautés. C'est leur mode de vie. Donc je comprends que quand il y a des tensions ils sont moins bien équipés que nous pour y résister.
GEORGES-MARC BENAMOU
Plus d'un an après, qu'est-ce que vous pensez, monsieur le ministre, de la position et de la sensibilité de Lionel JOSPIN sur la question du Proche-Orient ? On se souvient du caillassage de Birzheim où il avait dénoncé le Hezbollah et le Djihad islamique comme des mouvements terroristes, ce qui avait scandalisé. Aujourd'hui, on voit quelques porosités même si ces mouvements là ne sont pas associés, semble-t-il, au massacre de New York.
JEAN-LUC MELENCHON
Donc il n'y a pas de porosités !
GEORGES MARC BENAMOU
Oui. Mais est-ce que vous pensez qu'il y a, est-ce que vous êtes d'accord avec Lionel JOSPIN sur la phrase de Birzheim ?
JEAN-LUC MELENCHON
Ca remonte à il y a un an
GEORGES MARC BENAMOU
Est-ce que vous pensez que le Djihad islamique et le Hamas sont des mouvements terroristes ? Comme Lionel JOSPIN !
JEAN-LUC MELENCHON
Moi, je ne suis pas en état de vous dire. Terroristes ? Bon ! Je sais moi qui est un terroriste, celui qui jette une grenade dans un restaurant, celui qui envoie
GEORGES MARC BENAMOU
Qu'est ce que vous pensiez au moment de Birzheim quand votre premier ministre a prononcé ?
JEAN-LUC MELENCHON
Moi, j'avais de la peine, mais .
GEORGES MARC BENAMOU
Sur le fond ?
JEAN-LUC MELENCHON
J'ai bien reconnu Lionel JOSPIN, c'est un homme qui dit ce qu'il pense, ce qu'est son analyse, quoi qu'il lui en coûte.
GEORGES MARC BENAMOU
Est-ce que c'est la position des socialistes français ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je ne sais pas. Je crois pas qu'on ait jamais discuté de savoir si le Hezbollah était terroriste ou pas. Je ne crois pas qu'on en ait jamais discuté. On a toujours essayé, mais c'est la tradition de la sociale démocratie française, dont tout le monde connaît les liens historiques, qui n'ont pas bougé, avec le parti travailliste israélien et avec la naissance de l'Etat d'Israël, on a toujours essayés d'être ceux qui faciliteraient le dialogue. Vous savez ce sont même des socialistes qui ont commencé le travail à Oslo. On a toujours été dans cette posture là ! Mais cette posture c'est une posture sans complaisance pour les meurtriers. D'où la difficulté qu'on a des fois, quand on a le sentiment que Israël a la main lourde. C'est qu'on ne sait pas comment le lui dire.
AGNES ROTIVEL
Vous dites que les socialistes ont été à l'avant-garde du dialogue de ce côté là, est-ce que justement dans ce qui se passe actuellement dans la confrontation entre le monde occidental et le monde musulman, les sociales ne devraient pas être un petit plus actifs aussi ?
JEAN-LUC MELENCHON
Quelle confrontation ?
AGNES ROTIVEL
Dans cette confrontation qui apparaît
JEAN-LUC MELENCHON
Non, il n'y en a pas.
AGNES ROTIVEL
Non, mais qui apparaît, qui apparaît dans les termes, qui apparaît dans les déclarations
JEAN-LUC MELENCHON
Où ? Où ?
AGNES ROTIVEL
Qui apparaît aussi lors de la Conférence de Durban, vous ne pouvez pas le nier. Il y a eu des invectives qui ont été lancées de part et d'autre, donc est-ce que ce n'est pas le rôle
JEAN-LUC MELENCHON
Mais attendez ! Le monde musulman ce n'es pas une poignée de fanatiques, fussent-ils déguisés en associatifs, qui représentent les musulmans du monde. Il n'y a pas de confrontation entre le monde occidental, le monde musulman. Parce que le monde musulman c'est aussi le monde occidental. Les deux millions de nos compatriotes qui sont musulmans sont des occidentaux ! Pardon madame de réagir comme ça, mais dans les heures dans lesquelles on est, vous me trouverez toujours les nerfs à vif sur des questions comme celles là. Il n'y a pas de confrontation entre le monde occidental et le monde musulman ! Il y a une confrontation entre les riches et les pauvres, ça c'est sûr ! Ca c'est sûr, ça existe !
AGNES ROTIVEL
Vous ne m'avez pas laissé finir ma question
JEAN-LUC MELENCHON
Pardon madame.
AGNES ROTIVEL
Est-ce qu'il n'y a pas un rôle pour la société française, alors un rôle qui peut être dévolu au Parti socialiste, d'expliquer les différences culturelles qu'on peut rencontrer entre un monde musulman, des gens qui vivent dans un monde occidental, plus largement même qu'en France ?
JEAN-LUC MELENCHON
C'est bien que vous le disiez vous-même, parce que moi, j'y crois profondément. Je pense que nous sommes équipés de la potion magique, les Français.
MICHEL GROSSIORD
Expliquez-vous.
JEAN-LUC MELENCHON
C'est la République, voilà ! C'est-à-dire une République qui d'abord est fondée sur le droit du sol et non pas le droit du sang. Deuxièmement, qui est égalitaire, qui refuse absolument de trier ses enfants d'après leur religion, qui a un Etat laïque, je pense que nous avons, nous, c'est le hasard de l'histoire, nous, nous avons la potion magique, c'est la République ! L'esprit de la République, tel que les Français l'ont fait naître, oui c'est une alternative pour le monde. Moi, j'y crois. Mais quand je le dis ont dit : " hola la, monsieur Mélenchon est devenu chauvin ". Non, il est toujours républicain universaliste.
NICOLAS DOMENACH
Ca implique, Jean-Luc Mélenchon, d'être beaucoup plus exigeant peut-être que nous ne le sommes, en tous les cas c'est ce que disait Jean-Pierre CHEVENEMENT, dans l'exigence de laïcité au fond, d'être intransigeant dans le combat contre tous les fondamentalismes. Est ce que vous pensez qu'il a raison, Jean-Pierre CHEVENEMENT, de dire que nous ne le sommes plus assez ? Exigeants.
JEAN-LUC MELENCHON
Vous savez, moi je n'aime pas les remèdes de cheval, parce que ce n'est pas toujours très bon pour celui à qui on l'applique. S'il y a des défaillances, il faut dire lesquelles, et on voit comment travailler et remettre les choses à leur place. Le fait d'être laïque c'est toujours un chemin de crête, parce qu'on peut vite être entraîné dans des choses qui sont contraires à l'esprit de la laïcité. Par exemple, se transformer en ennemi de la religion et des croyants, ce qui n'est pas une position de laïque, c'est autre chose. d'accord ? Donc moi, je suis pour le traitement au cas par cas. Il y a un problème ? Lequel ? Comment on le règle ? Parce que le principe on le connaît, et on va le régler le problème en application du principe. Des fois, c'est très compliqué ! Par exemple l'histoire du foulard à l'école : elle était très compliquée à gérer. On doit toujours essayer d'avancer en se disant, comment fait-on pour que nous puissions tous vivre ensemble dans le respect de ce que chacun d'entre nous est, et dans le respect qu'on doit aux autres.
MICHEL GROSSIORD
Je peux vous demander comment vous avez vécu l'après-midi de mardi ? Vous étiez dans votre bureau ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, j'étais en train de parler d'enseignement professionnel avec justement une de vos consurs et on m'a informé. On a donc allumé aussitôt la télévision, on était absolument stupéfaits ! En même temps le petit recul que chacun peut instantanément avoir, on se dit c'est une image, et c'est une image comme on en voyait dans les fictions, et tout d'un coup elle a cette réalité. Et on pense à ces 40 000 personnes qui sont là !
MICHEL GROSSIORD
La réalité a eu du mal à s'imposer ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, oui. Je vous assure que comme beaucoup de gens j'ai mis un moment à me dire
MICHEL GROSSIORD
C'est un cauchemar !
JEAN-LUC MELENCHON
Quelque part, oui ! Et en même temps on sent que c'est un événement d'une telle importance ! Parce que frapper les Etats-Unis c'est vraiment frapper quelque chose qui surdétermine notre temps et notre époque. Les frapper là, de cette manière là. Oui, on était quelques-uns à se dire il y aura un " avant " et un " après ". C'est pourquoi je peux vous paraître si précautionneux. Comme il y aura un après, il faut peser sur cet " après " et ne pas le régler comme ça, à l'émotion.
MICHEL GROSSIORD
Mais alors vous êtes quand même resté devant votre poste de télévision, tard dans la soirée, non ?
JEAN-LUC MELENCHON
Non, parce que (enfin oui, tard dans la soirée ça c'est sûr) mon activité ne permet pas de rester devant la télévision ! Donc de temps à autres, je regarde
MICHEL GROSSIORD
Mais on continue, on peut reprendre les dossiers de l'enseignement professionnel quand on assiste à une scène comme celle ci ?
JEAN-LUC MELENCHON
Honnêtement ? C'est dur ! Mais en même temps les choses doivent être faites. On ne peut pas non plus, comme ça rester cloué ! Les choses doivent être faites
MICHEL GROSSIORD
Et comment est-ce qu'on vit cela au sein du gouvernement ? Vous étiez au Conseil hier. Ca ajoute bien sûr une dimension dramatique ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, ça glace les gens ! Ca glace chacun d'entre nous. On sent aussi que le pays attend de nous qu'on fasse ce qu'on a à faire, qu'on sache lui parler, lui répondre. Oui, on a le sentiment tout d'un coup d'avoir une responsabilité plus lourde que d'habitude, sur les épaules.
MICHEL GROSSIORD
Hervé CHABAUD veut poser une question.
HERVE CHABAUD
Oui, monsieur le ministre, lorsque vous avez vu ces images absolument terrifiantes, un petit peu après le recul, est-ce que vous avez vous-même envisagé que la question puisse être évoquée dans les lycées professionnels dont vous avez la responsabilité ?
MICHEL GROSSIORD
Alors on avait un petit peu parlé en début d'émission
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, on a donné une consigne générale. Et moi je vais donner une consigne particulière pour la date du 21 septembre, qui est l'anniversaire de la fondation de notre République, la première. J'ai demandé que ce jour là on commence, pour la première fois, le nouveau cours d'éducation civique, juridique et sociale, et je pense qu'un des thèmes çà pourrait être précisément cette question de la place du terrorisme comme moyen d'action pour certains. D'autant que les maîtres m'avaient alerté dans la phase préparatoire, avant la mise en place. On évoquait tous les sujets qui peuvent être mis en discussion, et à plusieurs reprises était venu dans la discussion le fait que, par exemple, la question des attentats et du terrorisme, on avait une difficulté à la manier, à la présenter et à produire une discussion argumentée qui soit naturellement de nature à bien faire acquérir par chacun le fait que évidemment c'est une méthode détestable.
MICHEL GROSSIORD
Vous pensez que les médias ne sont pas suffisants pour former les jeunes justement, pour les aider ?
JEAN-LUC MELENCHON
Les médias font ce qu'ils doivent faire mais rien ne remplacera jamais la place du maître, du professeur qui va aider le jeune. Vous savez, c'est une masse terrifiante d'informations. Il y en a de tous les côtés. L'éducation à l'image ce n'est pas spontané. Vous, vous êtes des professionnels. Nous les politiques on finit par le devenir. Mais ce n'est pas spontané d'être capable de décrypter une image, de la comprendre. Vous savez, un des risques pour les plus jeunes esprits, c'est soit d'être écrasé par l'horreur de l'affaire ou bien l'inverse, de trouver à tout ça un caractère irréel. Parce que là nous sommes dans une violence réelle qui s'est exprimée dans les termes où d'habitude s'expriment la fiction et l'irréel. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre
MICHEL GROSSIORD
Ce sont des images qui sont d'ordinaire jubilatoires au cinéma ?
JEAN-LUC MELENCHON
Par exemple. Voilà ! On va au cinéma, on paye pour aller voir des choses comme ça pour se faire peur. Là, il s'agit de la réalité. Donc on a pour les plus jeunes une éducation à faire, il y en aura beaucoup qui seront traumatisés. Vous savez cette image avec cet homme qui tombe du haut de la tour, c'est quelque chose de terrible dont il faut parler avec les petits ! Là dans l'enseignement professionnel ce ne sont pas des petits, ce sont des jeunes adultes
MICHEL GROSSIORD
Vous n'irez pas jusqu'au soutien psychologique ?
JEAN-LUC MELENCHON
Non, il ne faut pas exagérer ! Si il y besoin, oui ! Vous savez, des fois, la blessure est plus profonde que ce qu'on ne croit. Vous tombez sur un être un peu fragile, il est meurtri. Bon ! Je pense que partout on va faire attention.
MICHEL GROSSIORD
Alors une question de Agnès ROTIVEL.
AGNES ROTIVEL
J'avoue que j'ai perdu ma question.
MICHEL GROSSIORD
Vous vouliez revenir sur les dossiers du Proche-Orient
AGNES ROTIVEL
Non je ne voulais pas revenir sur les dossiers du Proche-Orient, mais il y a quelque chose qui m'intéressait beaucoup c'est quand vous étiez mardi devant votre écran, quelle était la réaction de vos collègues ministres ? Est-ce que vous vous êtes réunis tout de suite et est-ce que la première réaction a été de dire : Et si la France suivait ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je ne peux témoigner pour eux. D'abord, la première chose, c'est vraiment le sentiment d'horreur. On pense aux gens ! Là nous étions deux à regarder, et on se dit : " mais on a déjà vécu ça nous, pas aussi énorme mais donc ça pourrait revenir ".
AGNES ROTIVEL
Mais est-ce que, dans l'instant, vous vous êtes dit, bon, il y a des immeubles qui s'écroulent à New York et à Washington, est-ce qu'à Paris, dans l'instant ou dans la minute qui va suivre, il se produira peut-être la même chose.
JEAN-LUC MELENCHON
Non, je n'ai pas pensé ça. Je me suis dis : c'est tellement énorme, ça se suffit à soit. Mais je sais que nous ne sommes pas sur une autre planète. Nous avons déjà connu ça, nous les Français, on a déjà vécu ça une fois, pas à cette échelle. Mais l'échelle, vous savez, ça ne veut rien dire, celui qui est mort est mort, celui qui a peur a peur. Nous ne sommes pas nous sur une autre planète. C'est pourquoi ce que je vous disais tout à l'heure vaut par rapport à la situation aux Etats-Unis mais vaut pour nous. Il faut que ceux qui utilisent ce genre de méthode sachent que nous sommes capables de nous défendre. Ce n'est pas parce que nous sommes démocrates que nous allons nous contenter de pleurer et d'avoir notre mouchoir à la main. Non, nous sommes capables de les frapper.
MICHEL GROSSIORD
Une question de NICOLAS DOMENACH
NICOLAS DOMENACH
Oui, j'aurais aimé, si c'était possible, riper un peu là pour revenir chez nous deux minutes à des questions d'ordre plus intérieur, plus politique.
MICHEL GROSSIORD
Vous nous ramenez à la campagne
NICOLAS DOMENACH
A la campagne, mais un par un biais au fond qui intéressera, je crois, les téléspectateurs, et vous aussi JEAN-LUC MELENCHON. Il y a un livre qui sort ces jours-ci, d'Edwy PLENEL, l'un des dirigeants du MONDE important, qui s'appelle " secrets de jeunesse " dans ce livre Edwy PLENEL évoque longuement sa propre jeunesse à la Ligue communiste révolutionnaire, donc ce mouvement trotskiste qui n'était pas le vôtre, ni celui du Premier ministre, puisque vous étiez à l'OCI il dit deux choses, il écrit notamment deux choses sur lesquelles je voudrais
JEAN-LUC MELENCHON
Je me demande qui comprend quelque chose à ça.
NICOLAS DOMENACH
Beaucoup de gens ! Non non non, ne nous faites pas le coup " ça n'intéresse personne ". Il y a de très très bonnes biographies qui sont sorties ces temps-ci, qui racontent tout ça.
JEAN-LUC MELENCHON
Ah non non ! Moi je suis très heureux que les engagements de ma jeunesse, deviennent tout d'un coup des faits d'intérêt publics.
NICOLAS DOMENACH
Non non, c'est important les secrets, c'est important les secrets de jeunesse, ce qui dit très très bien Edwy PLENEL d'ailleurs. Il dit que cette façon d'écarter au fond la révélation comme non essentielle est une façon un peu trouble de ne pas vouloir regarder son passé en face et donc l'avenir puisque l'un déterminant l'autre.
MICHEL GROSSIORD
Alors, votre question.
NICOLAS DOMENACH
Deux questions, deux appréciations
JEAN-LUC MELENCHON
Psychanalyste de surcroît !
NICOLAS DOMENACH
Non non non non, vous ne jouerez pas comme ça JEAN-LUC MELENCHON, il y a deux questions qu'il dit, la première, il dit JOSPIN depuis la confirmation officielle de son passé trotskiste, on le sent encore plus noué que d'habitude. Est-ce que c'est un jugement qui vous semble à l'emporte-pièce ou bien, au fond, vous le partageriez presque ? Pas vraiment.
JEAN-LUC MELENCHON
Non, je plaisantais. Edwy PLENEL est un brillant esprit. Alors le voilà d'abord psychanalyste et maintenant peintre en caractère ! Vous êtes capables, vous, de dire quand Lionel JOSPIN est noué ou pas ? C'est un des hommes les plus flegmatiques que je n'ai jamais rencontré. Après, qu'est-ce que ça veut dire ça ?
MICHEL GROSSIORD
Flegmatique, qu'est-ce que ça veut dire ?
JEAN-LUC MELENCHON
Attendez, je vais quand même placer une petite perfidie dans la discussion. Notre jeunesse a été très ardente aux uns et aux autres. Nous avons échangé des arguments et, des fois, des arguments un peu musclés. Et je me demande si on n'est pas en train de continuer, une fois devenue quinquagénaires, des batailles commencées il y a30 ans, dont on ne se rappelle plus très bien d'ailleurs sur quoi elles portaient sur tous les points, mais qu'il est toujours agréable de continuer. Alors peut-être que monsieur PLENEL qui était à la Ligue communiste continue les polémiques de l'époque.
MICHEL GROSSIORD
Non non, il pose une question, traduite par NICOLAS DOMENACH, sur le style de Lionel JOSPIN. Est-ce que effectivement, on parlait du style du Premier ministre tout à l'heure, est-ce que ce long silence.
JEAN-LUC MELENCHON
C'est autre chose, ça encore.
MICHEL GROSSIORD
Non, mais est-ce que ce long silence peut expliquer certains traits de caractère aujourd'hui de Lionel JOSPIN ? Ce passé enfoui, qu'il a vu ressortir.
JEAN-LUC MELENCHON
Enfoui, enfoui, il n'est pas enfoui pour lui hein, c'était son réel. Non ?
MICHEL GROSSIORD
Oui, mais il a dû quand même avouer la chose.
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, ça doit changer un homme comme toutes les expériences de l'existence.
MICHEL GROSSIORD
Est-ce que ça explique aujourd'hui ?
JEAN-LUC MELENCHON
Aujourd'hui ?
MICHEL GROSSIORD
Oui.
JEAN-LUC MELENCHON
Mais qu'est-ce qu'il y a de différent aujourd'hui avec ce qu'il était hier ? C'est là que je n'ai pas très bien compris la différence.
MICHEL GROSSIORD
Non, mais je voulais savoir si le fait qu'il avait caché ce passé trotskiste pouvait expliquer certaines de ses attitudes aujourd'hui, une certaine raideur parfois
JEAN-LUC MELENCHON
Ah ce qu'on connaît de lui maintenant qu'il est un personnage public ?
MICHEL GROSSIORD
Oui.
JEAN-LUC MELENCHON
Sans doute, oui ! Sans doute que ça a dû peser aussi sur sa manière d'être, sur cette forme de retenue qu'il a, qu'on sent, que pour ma part, mais là nos avis sont différents, monsieur PLENEL dit " noué ", moi je dis " maîtrise de soi ". Mais ça ne m'étonne pas parce que, il y a 30 ans déjà, on nous trouvait " noués ".
MICHEL GROSSIORD
Deuxième question.
NICOLAS DOMENACH
La deuxième chose que dit Edwy PLENEL, il décrit donc les militants de l'OCI, le Premier ministre, et donc vous-même, il dit " ils vivaient la politique dans un détachement complaisant des contingences morales et dans l'affichage, complaisant également, d'un cynisme qui n'excluait ni la brutalité, ni la grossièreté " Alors est-ce que vous avez un autre commentaire ?
JEAN-LUC MELENCHON
C'est ce que j'ai dis : monsieur PLENEL continue ses polémiques d'il y a 30 ans.
GEORGES-MARC BENAMOU
Alors on va expliquer aux téléspectateurs
JEAN-LUC MELENCHON
Je ne sais pas ce que vous allez pouvoir leur expliquer.
GEORGES-MARC BENAMOU
C'est quoi les trotskistes de l'OCI dont vous êtes et est-ce que vous ce n'est pas des vieilles rivalités qui remontent et en un mot pourriez-vous les définir ? les trotskistes façon PLENEL de la LCR
JEAN-LUC MELENCHON
Non non, écoutez, ce sont des choses qui remontent à trop loin pour que je puisse les expliquer. Je ne dis pas qu'elles ne m'ont pas influencé, mais que je puisse les dire avec le scrupule de discernement auquel je suis attaché
MICHEL GROSSIORD
Vous n'y êtes pas arrivé en 30 ans, à y voir clair ?
JEAN-LUC MELENCHON
Eh bien écoutez, la preuve que oui c'est que je suis socialiste ! A un moment donné tout ça m'a paru, important, intéressant, mais pas décisif pour ma vie.
MICHEL GROSSIORD
Bon alors revenons, on ne va pas refaire toute l'histoire du mouvement trotskiste
JEAN-LUC MELENCHON
Non, mais le passage de PLENEL honnêtement est assez odieux ! Assez odieux ! Moi je peux témoigner pour moi mais pour d'autres aussi, l'engagement de ma jeunesse ce n'était pas ça. On luttait pour la révolution, on pensait qu'on allait faire naître un monde meilleur. A l'époque, il y avait la guerre du Vietnam, il y avait la révolution en Amérique Latine
GEORGES-MARC BENAMOU
On disait à la Ligue communiste révolutionnaire, l'OCI c'est l'extrême droite de l'extrême gauche, vous vous souvenez de cette phrase ?
JEAN-LUC MELENCHON
C'est honteux ! c'est minable !
MICHEL GROSSIORD
C'est Georges-Marc qui puise dans ses propres souvenirs militants maintenant. Quand même, une question sur le style, de Lionel JOSPIN
JEAN-LUC MELENCHON
Ah ! Vous aussi ?
MICHEL GROSSIORD
Les Français ne le voient pas comme leur intime, il y a un sondage qui est paru la semaine dernière dans LE POINT
JEAN-LUC MELENCHON
Quelle question ?
MICHEL GROSSIORD
Un sondage IPSOS
JEAN-LUC MELENCHON
Intime ? Non mais, enfin, c'est incroyable !
MICHEL GROSSIORD
Non, mais quand on aspire à la fonction suprême ?
JEAN-LUC MELENCHON
C'est vraiment un choc de cultures ça !
MICHEL GROSSIORD
Le voilà, celui que vous contestez.
JEAN-LUC MELENCHON
Avec Lionel JOSPIN vous ne vous entendriez jamais ! Même quand je fais une élection locale, moi je ne demande pas des marques d'amour. Je dis, voilà, je vous propose mon programme, voilà ce qui je sais faire, je vais vous rendre des comptes, voilà comment je m'y suis pris etc. mais du diable si j'ai envie d'être l'intime de mes électeurs. Et du diable si mes électeurs ont envie d'être intimes avec moi ! Enfin ce ne sont pas des épousailles ! c'est la politique !
AGNES ROTIVEL
Mais vous avez envie que vos électeurs vous trouvent sympa quand même ?
JEAN-LUC MELENCHON
Non pas spécialement, ça m'est égal !
MICHEL GROSSIORD
Vous ne pensez pas que la présidentielle c'est la rencontre entre un peuple effectivement et un homme ? Pour faire simple.
JEAN-LUC MELENCHON
Ah oui je connais ce discours là ! oui oui : la rencontre d'un peuple avec un homme, un homme qui regarde un peuple au fond des yeux : Tout ça c'est un discours de métaphysique monarchique qui n'a rien à voir avec les esprits libres que doivent être les esprits républicains. Quand on est un bon républicain et un bon citoyen, on écoute ce qui dit le monsieur, on vérifie s'il l'a fait, on sait si on est d'accord ou pas on fait fonctionner sa raison ! Il n'y a pas besoin en plus d'être sympathique ! Parce qu'après ça va continuer : il faut être télégénique, il faut être comme ceci ou cela, c'est-à-dire que l'apparence finie par occuper plus d'espace que le contenu.
MICHEL GROSSIORD
Ca compte, ça compte. On en est conscient à Matignon.
JEAN-LUC MELENCHON
Oui mais attendez, dire " ça compte " et dire " il faut que ça compte ", c'est deux choses différentes.
MICHEL GROSSIORD
Revenons aux dossiers et ceux de votre ministère.
JEAN-LUC MELENCHON
C'est intéressant pour la campagne.
MICHEL GROSSIORD
On aborde maintenant quand même, attendez, nous avons Rémy BARROUX qui est en ligne avec nous, notre confrère du " Monde de l'Education ", bonsoir.
REMY BARROUX
Attendez. Chaque idée doit être bien précisée. Moi, je suis un homme politique, je suis un Oui, bonsoir.
MICHEL GROSSIORD
Alors on va quand même avec vous, grâce à vous qui êtes un spécialiste, aborder les dossiers du ministre
REMY BARROUX
Oui, bonjour monsieur MELENCHON
JEAN-LUC MELENCHON
Bonjour.
REMY BARROUX
Je voulais vous demander, suite à la conférence de presse de rentrée, vous avez avancé avec satisfaction le bilan de l'enseignement professionnel en disant qu'après plusieurs années d'hémorragie la tendance était inversée, que vous aviez aujourd'hui un solde presque positif en termes d'inscriptions cette année.
MICHEL GROSSIORD
Et que vous étiez fou de joie d'ailleurs, grâce à cela, vous l'avez dit.
REMY BARROUX
Assez content. Est-ce que ça veut dire que la France, l'Education Nationale d'abord, les enseignants de l'Education Nationale, l'ensemble du système, les familles et la société se réconcilieraient avec l'enseignement professionnel qui retrouverait des lettres de noblesse qu'il avait perdues étant souvent considéré, de manière non dite, comme une voie de garage.
JEAN-LUC MELENCHON
Eh bien je le souhaite !
MICHEL GROSSIORD
C'est votre grand combat !
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, je suis là pour ça ! Il y a des indices extrêmement flatteurs. Le fait que la demande des familles ait augmenté, c'est quand même ça le plus grand révélateur, c'est quand on commence à vouloir pour ses propres enfants quelque chose ! Les parents y réfléchissent en général. Deuxièmement, l'institution Education Nationale. Parce que c'est vrai que dans le milieu des enseignants de collèges, on n'a pas une très claire conscience de la place particulière qu'occupe l'enseignement professionnel. On continue à vivre sur des vieux schémas : c'est l'enseignement court. Moi ça m'amuse d'entendre ça ! C'est plus long de préparer un Bac pro que de préparer un Bac général ! Mais on continue à dire " l'enseignement court " qui renvoie au passé, c'est-à-dire à l'époque il n'y avait pas le Bac professionnel. En effet c'était l'enseignement cour. On allait faire un CAP ! Je vais vous dire une bonne chose, il est temps de faire changer les mentalités, les amis ! Pour les dix prochaines années, pour remplacer les départs à la retraite, il nous faut deux millions sept cent cinquante mille personnes. C'est-à-dire que, après que pendant des années, on a eu en France d'une part chômage et d'autre part des jeunes générations qui entraient nombreuses. On est dans une situation où le chômage diminue et où les départs à la retraite sont massifs. Donc quand on est une grande nation développée, comme nous le sommes, une grande nation industrielle, c'est quand même de ça qu'on tire notre richesse, on a intérêt à être vigilant sur la manière dont cette nouvelle transition démographique va être faite. Donc il est temps de comprendre que cet enseignement professionnel, eh bien, c'est de lui que dépend notre avenir.
MICHEL GROSSIORD
En ouvrant au besoin de nouvelles filières ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui bien sûr,
MICHEL GROSSIORD
Professionnelles, pour les Bac ou les.
JEAN-LUC MELENCHON
Il faut ouvrir de nouvelles filières ! Il faut créer de nouveaux diplômes ! Il faut refaire la carte des formations ! Je découvre dans des endroits des BEP qui ne débouchent sur aucun Bac pro ! Ailleurs, il manque telle ou telle filière alors qu'il y a besoin localement. Il faut moderniser certains diplômes. Moi j'en ai fait réactualiser plus de 100 depuis que je suis dans ce ministère ! Voilà tous les moyens à mettre en marche. Et puis il faut surtout faire évoluer les mentalités. Parce que vous avez encore des tas de gens qui croient que l'enseignement professionnel c'est quelque chose qui prépare à la production.
MICHEL GROSSIORD
Alors ça va dans le bon sens ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui ça va dans le bon sens ! Je suis très content. Mais en même temps je me dis : ça ne suffit pas, il faut continuer, il faut aller plus loin, ça ne peut pas rester comme ça. Sinon, mes amis, nous allons nous retrouver dans la situation que vous avez vue : on va chercher des infirmières espagnoles. Il n'y aura plus qu'à chercher des malades qui parlent espagnol, pour que ça fonctionne !
MICHEL GROSSIORD
Vous ne vous dispersez pas trop parce que je crois que vous exportez la formule de la filière professionnelle dans d'autres pays.
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, oui oui, je ne me disperse pas, là il y a des enjeux économiques, je ne sais pas combien de temps on a pour en parler, mais le modèle français
MICHEL GROSSIORD
Quelques minutes.
JEAN-LUC MELENCHON
Le modèle français est considéré à l'extérieur, pas en France parce qu'en France nous sommes les champions de l'auto-flagellation et de l'auto-dénigrement.
MICHEL GROSSIORD
Ah bon ! Ce sont les étrangers qui jugent le mieux notre système professionnel, d'enseignement professionnel ?
JEAN-LUC MELENCHON
Quand les mexicains viennent nous demander de signer une convention globale pour réorganiser leur système du second degré, on peut quand même penser qu'ils se sont dit, mais comment font ces gens ? Ils ne sont que 60 millions, ils n'ont aucune matière première et c'est la quatrième puissance du monde. Pareil pour le Venezuela ! Nous amis italiens ont repris des choses ! Oui, on a le droit de temps à autre de dire les Français travaillent bien ! Ils savent bien faire leur travail et ils ont un bon système d'enseignement. C'est ce qui se passe en ce moment. Et de mon côté aussi, c'est vrai, avec les branches professionnelles, nous installons à l'étranger ici et là, à la demande de nos partenaires en général, des centres de formation professionnelle. Oui. Et ça marche bien.
MICHEL GROSSIORD
Et Jack LANG n'est pas trop pesant ? Dans votre environnement proche. Parce que je disais que vous étiez fou de joie effectivement à l'annonce des effectifs de l'enseignement professionnel en cette rentrée, pour la première fois ils sont à la hausse.
JEAN-LUC MELENCHON
Oui.
MICHEL GROSSIORD
Mais alors je vous ai vu un peu renfrogné à côté du ministre de l'Education Nationale lors de la conférence de presse de rentrée, non ?
JEAN-LUC MELENCHON
La vie médiatique devient de plus en plus intimiste ! Renfrogné, grand dieu ! Vous savez pendant des années je portais la barbe et on me disait pourquoi tu es en colère ? Bon, je ne suis pas en colère, c'est ma figure. Donc ma figure est peut-être Je ne suis pas du tout renfrogné !
MICHEL GROSSIORD
Non parce que Jack LANG, pour reparler de l'espace médiatique, qui vous tient aussi à cur, comme tous les ministres ; l'espace médiatique est quand même sacrement rempli par Jack LANG.
JEAN-LUC MELENCHON
Ah oui oui ! Mais je dois être un cas à part : je trouve ça très bien.
MICHEL GROSSIORD
Vous parliez de l'image, l'homme politique ne doit pas se soucier de son image, me dites-vous, mais regardez Jack LANG, lui a commandé un sondage à la SOFRES pour savoir qu'elle était son image auprès des Français. Le résultat est très bon pour lui d'ailleurs.
JEAN-LUC MELENCHON
Eh bien, moi, en tout cas je sais une chose, c'est que c'est très efficace sa façon de faire. Lui, il a en charge tout l'Education Nationale, moi j'ai en charge l'enseignement professionnel du secondaire au supérieur. Je dis par parenthèse, pour que chacun visualise bien le chiffre, ça représente la moitié de chaque classe d'âges des jeunes Français, bon bref ! Alors, Jack LANG il a en charge la totalité ! Donc moi je suis très content que ça se passe bien. Parce que ça crée une situation politique qui est positive pour faire avancer ce qu'on a à faire avancer. Quant au reste, l'image, je trouve que la mienne n'est pas mauvaise, qu'est-ce que vous en pensez ?
MICHEL GROSSIORD
Oui oui, elle sera renforcée à l'issue de cette émission, c'est sûr
JEAN-LUC MELENCHON
Les frictions éventuellement avec Jack LANG, ça peut aider à faire progresser la réflexion ?
JEAN-LUC MELENCHON
Dans toutes les équipes, il y a toujours des frictions, je ne vais pas vous dire non nos, tous les jours nous sommes d'accord du matin au soir, non, il arrive des fois qu'on mai c'est la vie ! Ca n'a rien de dramatique. En tout cas ça ne s'est jamais posé sur un sujet où on se soit affronté. Par exemple, sur le collège unique, on ne s'est pas affronté.
MICHEL GROSSIORD
Mais il y a eu quand même là une divergence de vue importante.
JEAN-LUC MELENCHON
Ah bien, écoutez, bien sûr qu'il y a eu une divergence de point de vue ! Mais il y a surtout eu le fait que 14 organisations syndicales ont dit : monsieur MELENCHON a tort ! A partir de là, le ministre Jack LANG qui a en charge l'ensemble de l'Education Nationale, eh bien il me dit " écoutes, voilà, tu as peut-être raison mais si toutes ces organisations syndicales disent que tu as tort, je ne peux pas ne pas en tenir compte " Vous savez, je dis ça pour que aussi chacun soit confronté à ses responsabilités. Moi j'appartiens à cette école politique là : la responsabilité des actes que l'on pose. Ceux qui se sont opposés à moi, sur cette affaire là, qui m'ont fait les procès qu'on sait sur ma position, assument la suite. C'est leur uvre !
MICHEL GROSSIORD
Une question, une dernière question politicienne
NICOLAS DOMENACH
A propos, de responsabilités politiques,
JEAN-LUC MELENCHON
pour la campagne présidentielle qui ne va pas manquer de s'ouvrir quand même vraiment un jour, vous souhaitez, un, que la gauche socialiste y soit à fond et deux, que vous-même jouiez quel rôle ?
JEAN-LUC MELENCHON
Moi, personnellement ?
NICOLAS DOMENACH
Oui.
JEAN-LUC MELENCHON
La gauche socialiste ça c'est clair, elle va être à fond
NICOLAS DOMENACH
Elle y sera ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui oui
NICOLAS DOMENACH
Avec des réticences
JEAN-LUC MELENCHON
Non non. Comme toujours, la difficulté quand on est un mouvement
MICHEL GROSSIORD
Turbulent.
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, et puis impliqué dans des tas de lutte, parce que c'est un petit peu notre style, on aime ça, on pense que c'est par-là que la société bouge, il y a toujours un moment un peu délicat qui est celui où on doit, tirer avec tout le monde, dans le même sens.
MICHEL GROSSIORD
C'est plus facile maintenant que vous êtes ministre.
JEAN-LUC MELENCHON
Peut-être. Pas forcément vous savez ! Parce que c'est quand même des rebelles, fondamentalement ! Ne croyez pas d'ailleurs que ce soit toujours facile pour moi : j'ai ça aussi au cur, bon ! Alors après ; mon rôle personnel ? Celui qui est utile. Moi j'aimerai bien qu'on me confie des tâches dans le domaine qui est le mien, parce que je le maîtrise bien, je sais de quoi je parle et je pense être convaincant.
MICHEL GROSSIORD
Merci monsieur le ministre d'avoir été avec nous ce soir. A la semaine prochaine pour un nouveau "Face à la presse"
(source http://www.gauche-socialiste.com, le 24 septembre 2001)
L'Amérique a donc déclaré la guerre du bien contre le mal, après les attentats effroyables de mardi à New York et à Washington, les Etats-Unis veulent mobiliser leurs alliés. JEAN-LUC MELENCHON, bonsoir.
JEAN-LUC MELENCHON
Bonsoir.
MICHEL GROSSIORD
Nous sommes tous bien sûr sous le choc de ce que nous avons vécu en direct, cette tragédie, l'autre jour. Une tragédie vécue en direct, par les plus jeunes notamment. En tant que ministre de l'Enseignement professionnel, est-ce que là vous avez pris certaines dispositions pour apporter des éléments de réponse ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui. Le ministère de l'Education nationale, d'une manière générale, Jack LANG en particulier, a adressé une circulaire à l'ensemble des chefs d'établissement pour demander qu'on trouve, d'abord, le temps de faire cette minute de silence, puis un moment de réflexion pour nos jeunes. Qu'on prenne le temps de s'expliquer avec eux sur le sens de ce qu'ils ont vu. Il y va de l'élévation morale de notre peuple, dont nous sommes en charge à travers notre jeunesse. Je vais faire mettre à l'ordre du jour un nouvel enseignement qui commence dans l'enseignement professionnel (c'est une éducation civique, juridique et sociale) la question du terrorisme.
MICHEL GROSSIORD
En la circonstance, quel message vous voulez faire passer ?
JEAN-LUC MELENCHON
Le message essentiel, c'est qu'il n'y a aucune fin qui justifie l'utilisation de tels moyens. Voilà. C'est cela qu'il faut qu'on fasse bien comprendre. Ce que nous avons vu à la télé, ce n'est pas un film, ce n'est pas un jeu : c'est vrai, ça s'est passé réellement, il y a des milliers de gens qui sont morts, d'une manière abominable, et il n'y a aucune cause qui justifie qu'on fasse recours à de tels procédés.
MICHEL GROSSIORD
Est-ce que selon vous, aujourd'hui, nous sommes dans un état de guerre mondiale, comme le laissent supposer les déclarations du président américain ?
JEAN-LUC MELENCHON
Des mots, tout ça ! Je pense que quand les situations sont graves, l'honneur d'un esprit libre c'est de réagir d'après le principe de discernement. C'est vrai qu'on n'est pas encore, là, deux jours après. On est tous sous le choc. On n'est pas dans la phase où on a des opinions. On est dans une phase où on essaye d'analyser, de comprendre, et comme toujours dans c e genre de contextes, des contextes de violence on doit aller au meilleur de soi-même. Qu'est-ce qui nous paraît important face à ça ? Qu'est-ce que nous voulons ? De quel côté, devant la déstabilisation, voulions nous tirer le cours des évènements ? Alors, " guerre mondiale " ? Je comprends que quand on est américain on ait ce sentiment-là. Nous, on doit regarder ça avec un peu plus de sang-froid.
MICHEL GROSSIORD
On va y revenir. Georges-Marc BENAMOU
GEORGES-MARC BENAMOU(Editorialiste "LA PROVENCE" et "NICE-MATIN")
Est-ce que vous pourriez souscrire aux propos de Jean-Marie COLOMBANI qui disait : Nous sommes tous des Américains, à la une du " Monde ". Est-ce que vous le dites aussi ?
JEAN-LUC MELENCHON
Emotivement, oui. Quelle est la personne humaine qui n'a pas été glacée d'horreur en voyant ça, qui n'aurait pas eu envie d'être immédiatement là pour porter secours, pour aider, pour réconforter ?
GEORGES-MARC BENAMOU
Emotivement oui, et " civilisationnellement ", selon vous ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je dirais que, là, les choses doivent être maniées avec précaution. Solidaires, il faut l'être absolument. En tant qu'être humain, déjà. Ca a son importance dans le monde dans lequel on vit. Politiquement, on doit l'être, contre.. contre quoi, au juste, contre qui ?
MICHEL GROSSIORD
On en parlera.
JEAN-LUC MELENCHON
On va en parler. Mais déjà, voyez, il y a une question ! Là il n'y a pas de certitude. Gardons-nous d'aller bondissant d'une certitude à l'autre qui désigne celui-ci ou celui-là. Ensuite, je pense - pardon de produire une analyse alors qu'on est dans l'émotion- qu'il faut que nous soyons très vigilants pour ne pas.
MICHEL GROSSIORD
Là vous faites surtout beaucoup de précautions de langage, face à la situation !
JEAN-LUC MELENCHON
Non, je vous dis les choses comme je les ressens. J'en suis au même point que vous. C'est complexe, c'est compliqué, c'est violent, donc il faut prendre sur soi-même ! Il ne faut pas courir à la première impression qu'on peut avoir. Ce n'est pas précaution de langage.
MICHEL GROSSIORD
Donc là vous faites éventuellement un procès à la presse, parce que ce mot de " guerre ", il apparaît, vous l'avez vu, à la Une de tous les journaux.
JEAN-LUC MELENCHON
Je ne fais de procès à personne. Je comprends. Ce sont des images terrifiantes. C'est au-delà de ce qu'on avait connu jusqu'à présent. Mais je voudrais finir ma phrase de tout à l'heure. Je dis qu'il faut faire bien attention, en tout cas pour un homme comme moi, ce sera le fil dans lequel je m'inscrirai. On ne peut pas accepter que le nouveau paysage intellectuel, ce soit d'un côté le monde libre, de l'autre les terroristes ; entre tout ça aucun choix.
AGNES ROTIVEL
Justement vous parlez de terminologie, de mots, on utilise beaucoup les termes, " le bien contre le mal ", est-ce que vous souscrivez à cette terminologie qui est utilisée souvent du côté américain par le président BUSH notamment ?
JEAN-LUC MELENCHON
Non ! Je comprends qu'ils en parlent de cette manière-là : ça correspond à leur culture, à leur vision des choses. Mais je pense que ça ne nous aidera pas beaucoup à avancer . Il est clair, si on veut parler en termes de morales, que le mal est évidemment du côté de ceux qui se livrent à des actes de barbarie pareils. Mais en termes de politique, le bien, le mal sont des notions qui n'ont pas forcément leur place dans une analyse. Ce n'est pas le bien contre le mal. Et voyez-vous, si je dis ça, c'est parce que je pense qu'il faut être précis dans l'analyse de ce qu'on combat, sinon on a vite fait de déraper.
GEORGES-MARC BENAMOU
Alors d'après vous, c'est qui qu'on.
JEAN-LUC MELENCHON
On peut déjà dire qui on ne combat pas : on ne combat pas le monde musulman ! Parce que là, aussitôt, c'était les terroristes islamistes, l'islamisme, ce sont les musulmans et les musulmans, vous savez comment finit l'équation, ce sont les Arabes.
MICHEL GROSSIORD
Il y a effectivement une thèse qui reprend beaucoup de vigueur en ce moment, c'est cette guerre des civilisations.
JEAN-LUC MELENCHON
Je trouve ça lamentable ! C'est méconnaître la réalité humaine qui est quand même la dimension la plus forte, qui traverse toutes les communautés philosophiques et religieuses. Un bouddhiste, c'est peut-être un bouddhiste mais c'est d'abord un être humain et c'est un homme, une femme qui pense dans les catégories de la politique avec des raisons, des arguments qui ne sont pas forcément ceux de la religion. Arrêtons de faire de tout croyant un fondamentaliste et c'est moi qui ne suis pas croyant qui vous le dis.
GEORGES-MARC BENAMOU
On ne peut pas bien sûr globaliser le monde arabo-musulman mais on ne peut pas nier non plus qu'il y ait des poussées intégristes et vous qui êtes à la fois un laïc et un anti-mondialiste, comment vous regardez tout ça ? Qu'est-ce que dit le laïc, qu'est-ce que dit l'anti-mondialiste, est-ce qu'ils sont en phase ?
JEAN-LUC MELENCHON
Le laïc, ça y est, il a dit ce qu'il avait à dire ! Et c'est une position laïque
GEORGES-MARC BENAMOU
On ne la pas vraiment entendu.
JEAN-LUC MELENCHON
Je le dis avec précaution parce que je sais que dans les situations de guerre, tout devient simple, tout devient manichéen, il y a le noir, le blanc, il n'y plus de place pour l'intelligence.
MICHEL GROSSIORD
Je parlais des faits effroyables, il faut effectivement prendre position.
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, absolument ! Vous avez dit " on va en parler tout à l'heure " : Il faudra bien qu'à un moment donné, on en parle ! Il faut analyser ! Moi j'ai des choses à dire là-dessus. Mais déjà nous tous : faisons cet effort de discernement. Moi qui suis un ministre de l'Education, je dois faire cet effort de toujours plaider pour le principe de discernement, comprendre, ne pas globaliser. Voilà. Ca fait deux jour que ça dure : ce sont les islamistes ! ! C'est peut-être bien en effet des islamistes. Il y a de grandes chances, semble-t-il . Mais je vois le dérapage. Faisons très attention pour amour de notre pays.
MICHEL GROSSIORD
Tout le monde prend des précautions quand même.
JEAN-LUC MELENCHON
Eh bien tant mieux ! Eh bien j'en rajoute ! Voilà : j'en rajoute ! Dans les précautions et on n'en fera jamais trop ! Par contre après, je voudrais tenir un autre propos un instant si vous le permettez. J'ai dit tout à l'heure : il n'y a aucune fin qui justifie l'utilisation des moyens pareils. Je pense qu'il faut être catégorique sur ce sujet parce que le risque là aussi, c'est la dérive de penser que dorénavant, pour les illuminés, pour des excités, la vraie politique, cette qui obtient des résultats, c'est celle-là. Donc nous devons être catégoriques. Pour pouvoir être catégorique, il faut là aussi appliquer le principe de discernement. Il n'y a pas d'excuses à cette barbarie !
GEORGES-MARC BENAMOU
C'est ce que vous dites, vous, également pour le terrorisme du Hamas ou du Djihad islamique en Israël, par exemple dans les territoires occupés ?
JEAN-LUC MELENCHON
Mais n'importe quelle forme de terrorisme est inacceptable ! Inacceptable ! Il n'y a pas de cause qui justifie le recours à des moyens pareils. Et à partir de là, on peut dire autre chose de plus : l'ethnicisme, le fondamentalisme qu'il soient religieux ou autres, ne tombent pas du ciel. Il y a des acteurs, il y a des stratégies, il y a des moyens. Donc ne faisons pas l'erreur de dire que quelque part, le recours à des moyens pareils serait le résultat de telle ou telle oppression ici ou là. Non, non ! Non, il n'y a aucune excuse.
NICOLAS DOMENACH
S'il n'y a pas de justification, aucune, il y a des explications, déjà.
JEAN-LUC MELENCHON
Voilà, disons-le comme ça, oui, ça me convient.
NICOLAS DOMENACH
Et alors lesquelles ?
JEAN-LUC MELENCHON
Depuis toujours vous avez toujours eu des fanatiques constitués en parti politique qui trouvent des circonstances plus ou moins favorables pour gagner du terrain et mener leur stratégie. Par exemple l'extrême droite ; pendant les années c'était 0,1%, 0,2%, rien du tout. Et puis à un moment donné, des conditions ont été réunies qui leur ont procuré une certaine écoute. Et à partir de là, ils ont déroulé leur propre stratégie. S'agissant de certains fondamentalistes religieux, je dis bien certains, ils ont trouvé des conditions qui étaient plus favorables.
MICHEL GROSSIORD
Alors attendez, Georges-Marc vous a présenté comme un anti-mondialisation. Alors on entend aujourd'hui un procès fait à certains mouvements anti-mondisalisation, est-ce qu'ils n'ont pas trop dénoncé l'Amérique, est-ce qu'ils n'ont pas trop tenu un discours anti-américain. Nous avons un journaliste américain avec nous, John VINOCUR du HERALD TRIBUNE. JOHN VINOCUR, bonsoir, Vous avez le ministre JEAN-LUC MELENCHON qui vous écoute et que vous pouvez interroger.
JOHN VINOCUR
Oui, vous ne voulez pas faire le rapprochement entre l'anti-américanisme caractérisé, je dirais même dans un certain sens à un niveau moindre bien sûr le fanatisme, l'obscurantisme de certaines de ces protestations extrêmement violentes, dangereuses, et tout ce qui se passe. L'attaque contre le World Trade Center, les attaques verbales bien sûr contre l'OMC, la banque mondiale, est-ce que ce n'est pas quelque chose qui vous frappe ?
JEAN-LUC MELENCHON
Non ! Mais je comprends très bien qu'un Américain considère que tous ceux qui ne sont pas d'accord avec la politique du gouvernement des Etats-Unis sont des déviants
JOHN VINOCUR
Je ne parle pas de déviants, je parle de terrorisme et vous changez le propos.
JEAN-LUC MELENCHON
Monsieur, est-ce que vous vous rendez compte de l'énormité de ce que vous dites ? Est-ce que vous croyez qu'il y a seule personne dans mon pays
JOHN VINOCUR
Quel pays est votre pays ?
JEAN-LUC MELENCHON
Qu'une seule personne dans mon pays.
JOHN VINOCUR
Quel pays ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je suis Français ! une seule personne qui ait manifesté contre un certain nombre
JOHN VINOCUR
Je ne parle pas de manifestation
JEAN-LUC MELENCHON
Et qui par là-même se trouverait d'une quelconque façon solidaire d'assassins de la nature de ceux qu'on vient de voir aux Etats-Unis. Comment pouvez-vous avoir une idée pareille !
MICHEL GROSSIORD
JOHN VINOCUR parle de ce climat anti-américain et de ces discours anti-américains et de ces actions violentes dans la rue effectivement.
JOHN VINOCUR
Effectivement, vous déformez totalement la question. Je ne dis pas qu'il y a disons un lien, mais est-ce qu'il y a néanmoins une association entre cette attitude de fanatisme qui a mené à l'attaque contre le World Trade Center et le Pentagone et tous ces innocents aux Etats-Unis.
JEAN-LUC MELENCHON
Je vais vous répondre " non " de la manière la plus catégorique si votre question est bien une question et pas une affirmation. Si c'est une question, je vous réponds de la manière la plus catégorique : moi-même, Monsieur, je suis extrêmement critique à l'égard de la politique du gouvernement de votre pays en tant qu'homme politique dans mon pays mais pas un instant, sous quelque forme que ce soit, je ne peux me sentir lié d'une quelconque manière à cette ignominie. Et j'avoue qu'en posant des questions comme celle que vous faites, vous me mettez très mal à l'aise car à cette heure, moi je n'ai envie d'exprimer que de la compassion pour nos amis américains.
MICHEL GROSSIORD
Mais sans aller jusqu'à cette espèce d'union sacrée qui se dessine aujourd'hui dans les capitales occidentales.
JEAN-LUC MELENCHON
Attendez, une union sacrée pour frapper des groupes terroristes qui seraient clairement désignés ? Bien sûr que oui ! Bien sûr que oui qu'il faut que tous on s'y mette.
MICHEL GROSSIORD
Quel forme de riposte américain redoutez-vous ?
JEAN-LUC MELENCHON
Attendez, il faut finir avec cette affaire-là ! Si ça veut dire qu'au nom du fait qu'on est solidaire, que l'on cherche à éradiquer le terrorisme, il faut avaler tout le reste avec, alors là c'est non ! J'espère que personne n'aura la sottise de nous demander ça.
MICHEL GROSSIORD
Vous craignez la riposte qu'on est en train d'élaborer aujourd'hui à la Maison Blanche ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je pense que cette riposte, elle est nécessaire, bien sûr
GEORGES-MARC BENAMOU
Elle est nécessaire dans le cadre collectif de l'OTAN.
JEAN-LUC MELENCHON
Ca, c'est une deuxième question.
GEORGES-MARC BENAMOU
Elle est nécessaire pour qui ?
JEAN-LUC MELENCHON
Pour tous ceux qui n'admettent pas que le terrorisme puisse croire qu'il peut frapper qui il veut, quand il veut, où il veut, de la manière qu'il veut.
GEORGES-MARC BENAMOU
Donc la France avec.
JEAN-LUC MELENCHON
Attendez. Chaque idée doit être bien précisée. Moi, je suis un homme politique, je suis un démocrate : Je crois aux assemblées , je crois aux programmes politiques, je crois aux partis politiques ; je crois que c'est comme ça que se règle les questions. Si nous sommes en désaccord avec les Américains sur un certain nombre de sujets, ça se règle dans les enceintes prévues pour ça. On peut d'ailleurs, des fois, commettre quelques excès de langage mais ça se règle comme ça. Ca ne se règle pas avec ces méthodes-là. Il faut que ceux qui utilisent ces méthodes-là soient mis hors d'état de pouvoir le faire parce qu'il n'y a plus de vie démocratique possible avec des gens pareils.
INTERVENANT
Et les Etats qui les protègent ?
JEAN-LUC MELENCHON
Ceux qui les protègent, ont pris leurs risques ! Par conséquent, s'il est prouvé que tel ou tel Etat a directement contribué à la formation de commandos, qu'ils soient punis derrière ça, c'est quand même le minimum. Nous ne pouvons pas l'accepter !
MICHEL GROSSIORD
Vous n'auriez rien contre une action contre un Etat, pas seulement des actions style Mossad contre des groupes très ciblés ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je ne sais pas. Nous en sommes tout au même point : nous ne savons pas qui sont les auteurs de cette affaire. On va peut-être bientôt le savoir. Mais lorsqu'on le saura et qu'on sera en état de savoir qui a aidé qui, oui, il faut frapper les terroristes bien sûr.
GEORGES-MARC BENAMOU
Avec la France, vous n'avez pas répondu au deuxième point ?
JEAN-LUC MELENCHON
Attendez, moi je suis un gradualiste. Je vous comprends Je signe de chèque en blanc à personne et surtout pas dans les périodes d'émotion. Donc ça se juge sur pièce.
AGNES ROTIVEL
Moi, je voudrais revenir un petit peu sur la réflexion de tout ce qui se passe actuellement. On a vu depuis des mois et des mois un discours dans le monde qui est doit très anti-américain, soit très anti-occidental.
MICHEL GROSSIORD
JOHN VINOCUR d'ailleurs voudrait intervenir sur le sujet.
AGNES ROTIVEL
Quelles réflexions vous avez, vous par rapport à ça, qu'est-ce qu'il faut faire ? Est-ce que vous êtes d'accord ? Est-ce que vous comprenez pourquoi il peut y avoir ce discours anti-américain, anti-occidental, est-ce que vous avez une idée des raisons de ce discours et qu'est ce qu'on peut faire éventuellement aller contre ça ? Est-ce qu'il n'y a pas un risque de radicalisation ?
JEAN-LUC MELENCHON
Mais bien sûr ! Et c'est pour ça que j'ai commencé par dire tout à l'heure : Si on laisse le tableau s'installer, d'un côté les terroristes, de l'autre côté, tous les autres qui sont d'accord sur tout, c'est clair que ça tournera mal pour nous, les démocrates et ceux qui croient à ce mode de fonctionnement de la vie politique. N'oublions pas- et encore une fois sans rien mélanger- n'oublions pas que nous vivons dans un monde injuste et brutal, que d'innombrables masses humains ont le sentiment d'être les jouets d'une histoire qu'ils ne contrôlent plus et qui les oppriment.
MICHEL GROSSIORD
Alors, JOHN VINOCUR, vous êtes toujours là ?
JOHN VINOCUR
Oui Monsieur MELENCHON disait tout à l'heure : pas de chèque en blanc, il me faut des preuves. Alors ma question est : quelles seront les preuves suffisantes, si le président BUSH annonce : nous avons la certitude que c'était machin ou machin. Ou comme Monsieur CHIRAC vous le dit, est-ce que c'est suffisant ? Quelles seront les preuves qui vont vous convaincre.
JEAN-LUC MELENCHON
Monsieur, je suis membre d'un gouvernement. Les preuves qui me convaincront seront celles qui convaincront les autorités de mon pays.
JOHN VINOCUR
Ce n'est pas une réponse qui me donne un indice ou une idée de quoi vous parlez, franchement.
JEAN-LUC MELENCHON
Ca vous donne un indice sur la manière dont mon esprit est fait.
MICHEL GROSSIORD
Vous avez du mal, manifestement, à vous comprendre. Merci JOHN VINOCUR, d'avoir été en ligne avec nous. NICOLAS DOMENACH.
NICOLAS DOMENACH(" MARIANNE ")
Oui, mais plus qu'un front des alliés, JEAN-LUC MELENCHON, l'arc qui se dessine semble presque, semble beaucoup plus vaste. Puisqu'au fond, POUTINE dit aux Etats-Unis : voilà, il arrive au fond ce qui je vous avais dit qu'il arriverait, et si vous m'aviez laissé exterminer les Tchétchènes tranquillement, et si on avait fait front commun contre l'Islam on n'en serait pas là, donc allons-y tout ensemble. Alors là, qu'est-ce qu'en dit le.
MICHEL GROSSIORD
On peut dire la même chose du pouvoir algérien, par exemple.
NICOLAS DOMENACH
Voilà, pareil
AGNES ROTIVEL (" LA CROIX ")
On peut dire aussi la même chose du gouvernement israélien qui n'arrête pas de dire : c'est ARAFAT, par son discours, etc qui encourage ce genre de choses
NICOLAS DOMENACH
Est-ce que vous dites : principe de discernement, là ?
JEAN-LUC MELENCHON
Vous voyez pourquoi c'est moi qui ai raison ? Bien sûr ! Pourquoi il faut faire très attention. Parce que tout le monde ramène sa petite marchandise. Alors, est-ce qu'au nom du fait qu'on lutte contre le terrorisme, on va dire à Monsieur POUTINE : vous avez raison, en Tchétchénie faites ce que vous voulez ? vous voyez bien que c'est moi qui ai raison. Il faut donc bien cibler qui et quoi.
INTERVENANT
Alors, qui et quoi ?
JEAN-LUC MELENCHON
Par exemple, on parle beaucoup de Monsieur BEN LADEN en ce moment. Enfin, personne ne peut oublier qu'à un moment donné il était une pièce du dispositif des Américains contre les communistes, qu'il a été formé dans les camps de la CIA. Vous savez.
MICHEL GROSSIORD
Les Américains ont joué aux apprentis sorciers ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je pense qu'on joue aux apprentis sorcier quand on prend appui sur des fanatiques. Voilà. Ces gens-là sont absolument imperméables à la raison, et vous croyez un jour les avoir avec vous, le lendemain ils sont contre vous, parce qu'ils suivent leur obsession. Je crois que je dis là des choses, quand même, qui sont assez évidentes.
AGNES ROTIVEL
Vous dites : j'ai raison. Mais on a du mal à voir la traduction de tout ce que vous dites dans les discours par exemple de l'Europe. On est assez bluffé voir par exemple dans ce conflit israélo-palestinien, l'Europe n'existe quasiment pas, tire la sonnette d'alarme en disant : les Etats-Unis devraient être plus présents. Mais il n'y a rien l'Europe n'est dans cette région. Donc comme est-ce que..
JEAN-LUC MELENCHON
C'est vrai ! Je vous donne raison. C'est pourquoi j'ai commencé par dire : je ne veux pas de ce paysage figé à l'avance. Parce qu'il y a un absent dans ce paysage, et je vais vous dire, ce n'est pas que l'Europe. Je suis socialiste. On pourrait dire : où est passé l'Internationale socialiste ? quand a-t-elle pu dire à des peuples, : écoutez, non, le terrorisme ça ne débouche sur rien ! Et l'Europe ! Nous sommes une grande puissance tout ensemble. Qu'est-ce qu'on fait, qu'est-ce qu'on dit ? Rien. Inconnue au bataillon.
MICHEL GROSSIORD
Vous avez dit : on ne peut pas laisser POUTINE faire n'importe quoi. Vous pourriez dire la même chose de Georges BUSH ?
JEAN-LUC MELENCHON
Ecoutez, on est 48 heures après cette affaire. Comment voulez vous faire dire à un ministre de l'Enseignement professionnel : on va dire à BUSH ceci ou cela ? Soyons raisonnables.
MICHEL GROSSIORD
Non mais, a priori, vous avez confiance ? il a été critiqué pour ses premières réactions, ces premières attitudes.
JEAN-LUC MELENCHON
Moi je disça vaut pour tous : solidaires oui, alignés non.
NICOLAS DOMENACH
Vous dites la même chose par rapport au président de la République française ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, parce que c'est assez général pour s'appliquer à tout le monde.
NICOLAS DOMENACH
Mais en l'occurrence, qui détermine et qui déterminera l'attitude de la France face à la riposte américaine ? C'est le président ou c'est le Premier ministre ?
JEAN-LUC MELENCHON
Moi, je pense qu'au minimum, ce sera les deux parce que d'abord la Constitution prévoit ça ! Nous serons dans un moment de l'histoire où nous serons, nous qui sommes des démocrates, qui avons donc une démocratie représentative, nous serons engagés par ceux qui nous dirigent, que nous avons choisis et que nous avons élus.
MICHEL GROSSIORD
Il y a quand même une prééminence du président de la République
JEAN-LUC MELENCHON
Une prééminence ? Ce n'est pas ce qui est marqué dans la Constitution. C'est le gouvernement qui conduit et dirige la politique de la Nation, article 20. Le président de la République a des pouvoirs qui sont définis par la Constitution, qui ne prévoit pas de domaine réservé. Je pense que ce qui se passe en général dans ce genre de situation, fonctionnera de nouveau là. C'est-à-dire que ceux qui représentent la France vont mettre leur point d'honneur à bien se comprendre et à travailler ensemble. Et ils le font d'ailleurs ! Je crois que c'est ce qu'on voit.
MICHEL GROSSIORD
C'est l'image qu'ils tentent de donner en tous les cas..
JEAN-LUC MELENCHON
Eh bien, je pense qu'ils le font en toute sincérité parce qu'il y va de l'intérêt de notre patrie bien sûr et de comment elle va se disposer dans le monde. Mais après, des décisions seront prises et nous, nous sommes un peuple libre, chacun aura une appréciation sur ces décisions.
GEORGES-MARC BENAMOU
Vous étiez opposé à l'engagement de la France dans la guerre du Golfe je crois, et si demain se produit une grande alliance qui inclurait selon des modalités à prévoir y compris la Russie, l'Allemagne, qui est beaucoup plus nette d'ailleurs que la France, l'Angleterre etc, est-ce que vous souhaitez si Jacques CHIRAC et Lionel JOSPI vous demandent conseil, vous souhaitez que la France rejoigne cette alliance ou pas ?
JEAN-LUC MELENCHON
Ca dépend pour quoi faire.
GEORGES-MARC BENAMOU
Pour faire une frappe déterminée par l'OTAN dans le cadre.
JEAN-LUC MELENCHON
Mais vous êtes incroyable ! vous demandez à un responsable politique Mais quel genre d'homme je serai si.
GEORGES-MARC BENAMOU
On leur demande parfois d'avoir des idées
MICHEL GROSSIORD
On sent quand même une demande pressante des Etats-Unis de s'appuyer sur des alliés européens.
JEAN-LUC MELENCHON
Les idées précises s'appuient sur les faits précis ! D'accord ! A quel genre de responsable croyez-vous avoir affaire ? Vous êtes d'accord pour une frappe ? " Oui, oui, oui " " N'importe où, ça m'est égal " Non ! Pas moi !
GEORGES-MARC BENAMOU
Je n'ai pas dit ça comme ça.
JEAN-LUC MELENCHON
Donc on ne sait pas. Demain, on va nous dire, les américains vont dire à nos dirigeants : voilà, nous avons établi que les coupables, c'est celui-ci et celui-là ; on vous propose de les punir de telle et telle manière. Et le président de la République, le Premier ministre vont dire ou ne vont pas dire : on le fait.
GEORGES-MARC BENAMOU
Dans cette hypothèse, si les objectifs vous semblent raisonnables, est-ce que vous êtes favorable à ce que la France rentre dans une telle alliance ?
JEAN-LUC MELENCHON
Evidemment. S'il s'agit de frapper les terroristes, c'est-à-dire ceux qui ont commis ce crime abominable
INTERVENANT
Et ceux qui les protègent
JEAN-LUC MELENCHON
Et ceux qui les protègent. Il faut leur montrer que nous ne tolérons pas que ce soit ça l'ordre du monde, d'accord ! Mais en même temps, je suis français moi, donc je me dis : oui oui, riposter, mais avec discernement. Vous avez vu, là le chroniqueur américain, il en est déjà à dire : alors bon, comme on a eu un attentat, vous trouvez normal de critiquer la banque mondiale, le FMI
MICHEL GROSSIORD
Non, non attendez
JEAN-LUC MELENCHON
IL faudrait avaler tout catéchisme ! Non, ça ce n'est pas la peine d'essayer ! Solidaires, oui, alignés, non : je répète ma phrase.
MICHEL GROSSIORD
Une question sur les répercussions de cette crise sur la cohabitation. Vous le dites que donc les deux têtes de l'exécutif se partagent équitablement le pouvoir sur ce dossier. Alors nous avons en ligne Hervé CHABAUD, notre confrère de l'UNION DE REIMS. Hervé CHABAUD, bonsoir. Le Ministre vous écoute.
HERVE CHABAUD
Alors vous avez beaucoup parlé, Monsieur le Ministre, de l'union nécessaire dans une situation difficile comme celle-là, entre le président et le Premier ministre, seulement on a quand même eu l'impression ces deux derniers jours qu'ils se couraient un peu tous les deux après, à savoir que l'un fait une déclaration, que l'autre veut réagir quelque part sur le même sujet. Alors est-ce que pour vous, c'est tout à fait logique dans la Constitution, dans les institutions de la Ve République ou bien est-ce que l'on est, malgré tout ce qui se passe, tout de même déjà en campagne électorale ?
JEAN-LUC MELENCHON
Non. Honnêtement, n'y voyez pas réponse dilatoire de ma part. Vous savez, quand on a l'honneur de servir ce pays, on sait s'arrêter. On sait les moments où c'est grave, où on engage la vie du pays. Vous n'avez aucune raison de croire que l'un ou l'autre ait une autre idée en tête.
MICHEL GROSSIORD
Alors comme ça, les arrières pensées disparaissent d'un coup ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui. Eh bien oui ! Vous le voyez bien !
MICHEL GROSSIORD
Hervé CHABAUD nous dit, effectivement, on l'a constaté, qu'il y a une espèce de course quand même notamment pour passer devant les médias, pour dire qu'on a eu la veille au soir Tony BLAIR ou qu'on va avoir Georges BUSH au téléphone etc.
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, mais qu'est-ce que vous voudriez ? Allez, allez ! Qu'est-ce qu'il faudrait faire ? ! Qu'il y en ait un qui reste dans son bureau, l'autre qui parle tout le temps ou l'inverse ! Non il faut montrer la cohésion. Ils parlent tous les deux, ils disent tous les deux la même chose ! Ils montrent donc que la République française se tient les coudes serrés pour faire face à un événement qui est un défi au monde entier. Voilà ce que ça montre !
HERVE CHABAUD
Monsieur le Ministre, est-ce que vous ne croyez pas, peut-être pour marquer l'opinion, qu'il y aurait pu avoir une déclaration commune, Jacques CHIRAC et Lionel JOSPIN côte à côte ?
JEAN-LUC MELENCHON
Non, parce que les déclarations de l'un engagent l'autre. On parle du pays, bon sang ! On parle de la France. On parle de notre patrie. Elle s'exprime dans un moment gravissime. Pourquoi voudriez-vous que ceux qui ont l'honneur de la diriger n'aient que des préoccupations mesquines ! ? Vous croyez que l'élection présidentielle est en train de se jouer là, en ce moment, là ? On ne vote pas dimanche prochain ! C'est dans huit mois !
NICOLAS DOMENACH
Oui. La pré-campagne se joue en partie maintenant. Alors on peut légèrement corriger la question qui vous était posée il y a un instant
JEAN-LUC MELENCHON
Elle était bien.
NICOLAS DOMENACH
Ce n'est pas la campagne présidentielle qui continue sous la cohabitation c'est la pré-campagne qui persiste sous d'autres formes ; simplement nous ne sommes pas dans une campagne guerre ouverte ; chacun campe sur un positionnement, une hauteur qui est nécessaire.
JEAN-LUC MELENCHON
J'ai compris. Si c'est ça, alors la vie démocratique est une campagne permanente. C'est-à-dire que, c'est vrai, vous regardez vos responsables, vous vous dites : est-ce qu'ils sont à la hauteur ? Est-ce qu'ils interviennent bien ?
MICHEL GROSSIORD
Surtout à huit mois d'une échéance primordiale, oui
JEAN-LUC MELENCHON
Eh bien, ça c'est normal, Mais il n'y a pas un couac ! Il n'y a pas divergence d'avis.
MICHEL GROSSIORD
Non, mais alors on juge, effectivement NICOLAS DOMENACH le dit, sur cette façon de prendre de la hauteur. On juge donc Lionel JOSPIN, Jacques CHIRAC, notamment sur cette question aujourd'hui, au-delà de leur position commune.
JEAN-LUC MELENCHON
Je ne sais pas si les Français sont en train de les comparer, ils regardent en se disant
MICHEL GROSSIORD
Ils regardent le style !
JEAN-LUC MELENCHON
en se disant : est-ce qu'ils font ce qu'il faut pour le pays ?
MICHEL GROSSIORD
Et alors à l'Elysée certains disent que Jacques CHIRAC a quand même une longueur d'avance en la matière, dans la prestance, l'autorité naturelle, qu'est-ce que vous en pensez, vous qui les avez regardés discuter ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je pense que c'est une considération misérable, voilà ! Ce n'est pas le sujet. Aujourd'hui là, dans le moment dans lequel on est, ce n'est pas comme ça qu'il faut qu'on réfléchisse.
MICHEL GROSSIORD
Oui, mais si c'est comme ça que les Français réagissent ?
JEAN-LUC MELENCHON
Vous n'en savez rien !
MICHEL GROSSIORD
Si ! j'ai dit : " si " !
JEAN-LUC MELENCHON
Mais je vous dis, les Français ne réagissent pas comme ça, parce que les Français sont un peuple intelligent ! C'est un peuple plus politique que ce qu'on croit ! Il regarde, il est attentif ! Et vous verrez que ma formule : " solidaire, oui, aligné, non ", c'est celle qui est dans la plupart des têtes de Français ! Parce qu'ils ont une expérience politique. C'est un des peuples les plus politiques du Monde. Ne les prenons pas pour des gens faciles, qu'on amuse avec des images, hein !
MICHEL GROSSIORD
Non, non, ce n'est pas notre intention. Agnès ROTIVEL
AGNES ROTIVEL
Est-ce que vous avez peur que les Français se sentent menacés eux aussi par éventuellement des décisions qui seraient prises par le gouvernement français de s'aligner par exemple ? On a une communauté musulmane qui est très importante en France, est-ce que vous ne craignez pas que, de s'associer aux Etats-Unis de trop près, fasse naître quand même dans le pays des craintes par rapport à
JEAN-LUC MELENCHON
Je pense qu'il faut être prudent dans tout ce qu'on dit ! Mais la premières des précautions c'est déjà de refuser d'assimiler d'une quelconque manière la communauté musulmane de France à cette racaille de terroristes. Parce que là bas dans les deux grandes tours, il y a des musulmans qui sont morts aussi, les terroristes frappent tout le monde, il n'y a pas de détails.
MICHEL GROSSIORD
Ce qui montre bien la folie totale de ce geste.
JEAN-LUC MELENCHON
Absolument. Donc les musulmans de France, comme les chrétiens de France, les gens qui ne croient pas, sont tous d'abord confrontés à leur réflexion de citoyen ! Maintenant faisons attention à ce qu'on dit ! Parce que si on passe son temps à laisser entendre que les terroristes sont par définition des islamistes et que les islamistes, par définition, sont des musulmans, c'est clair qu'au bout d'un moment ça finit par énerver deux millions, trois millions de personnes qui n'ont pas droit à la parole et qui ont envie de dire : " attendez, on n'a rien à voir avec ça nous ! Nous on vit nos religions, on la vit à notre manière, qui est une religion de paix, d'amour et pas du tout de cette horreur là ".
MICHEL GROSSIORD
Mais on n'en est pas quand même au stade américain où on a entendu aujourd'hui le président dire à ces concitoyens : " n'agressez pas les personnes arabes " par exemple " ou les personnes étrangères ".
JEAN-LUC MELENCHON
Oui parce que la tradition française est plus ferme. Je veux dire ce problème se pose moins chez nous : nous vivons tous ensemble, nous avons une tradition républicaine. Eux ils vivent beaucoup par ghettos, par communautés. C'est leur mode de vie. Donc je comprends que quand il y a des tensions ils sont moins bien équipés que nous pour y résister.
GEORGES-MARC BENAMOU
Plus d'un an après, qu'est-ce que vous pensez, monsieur le ministre, de la position et de la sensibilité de Lionel JOSPIN sur la question du Proche-Orient ? On se souvient du caillassage de Birzheim où il avait dénoncé le Hezbollah et le Djihad islamique comme des mouvements terroristes, ce qui avait scandalisé. Aujourd'hui, on voit quelques porosités même si ces mouvements là ne sont pas associés, semble-t-il, au massacre de New York.
JEAN-LUC MELENCHON
Donc il n'y a pas de porosités !
GEORGES MARC BENAMOU
Oui. Mais est-ce que vous pensez qu'il y a, est-ce que vous êtes d'accord avec Lionel JOSPIN sur la phrase de Birzheim ?
JEAN-LUC MELENCHON
Ca remonte à il y a un an
GEORGES MARC BENAMOU
Est-ce que vous pensez que le Djihad islamique et le Hamas sont des mouvements terroristes ? Comme Lionel JOSPIN !
JEAN-LUC MELENCHON
Moi, je ne suis pas en état de vous dire. Terroristes ? Bon ! Je sais moi qui est un terroriste, celui qui jette une grenade dans un restaurant, celui qui envoie
GEORGES MARC BENAMOU
Qu'est ce que vous pensiez au moment de Birzheim quand votre premier ministre a prononcé ?
JEAN-LUC MELENCHON
Moi, j'avais de la peine, mais .
GEORGES MARC BENAMOU
Sur le fond ?
JEAN-LUC MELENCHON
J'ai bien reconnu Lionel JOSPIN, c'est un homme qui dit ce qu'il pense, ce qu'est son analyse, quoi qu'il lui en coûte.
GEORGES MARC BENAMOU
Est-ce que c'est la position des socialistes français ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je ne sais pas. Je crois pas qu'on ait jamais discuté de savoir si le Hezbollah était terroriste ou pas. Je ne crois pas qu'on en ait jamais discuté. On a toujours essayé, mais c'est la tradition de la sociale démocratie française, dont tout le monde connaît les liens historiques, qui n'ont pas bougé, avec le parti travailliste israélien et avec la naissance de l'Etat d'Israël, on a toujours essayés d'être ceux qui faciliteraient le dialogue. Vous savez ce sont même des socialistes qui ont commencé le travail à Oslo. On a toujours été dans cette posture là ! Mais cette posture c'est une posture sans complaisance pour les meurtriers. D'où la difficulté qu'on a des fois, quand on a le sentiment que Israël a la main lourde. C'est qu'on ne sait pas comment le lui dire.
AGNES ROTIVEL
Vous dites que les socialistes ont été à l'avant-garde du dialogue de ce côté là, est-ce que justement dans ce qui se passe actuellement dans la confrontation entre le monde occidental et le monde musulman, les sociales ne devraient pas être un petit plus actifs aussi ?
JEAN-LUC MELENCHON
Quelle confrontation ?
AGNES ROTIVEL
Dans cette confrontation qui apparaît
JEAN-LUC MELENCHON
Non, il n'y en a pas.
AGNES ROTIVEL
Non, mais qui apparaît, qui apparaît dans les termes, qui apparaît dans les déclarations
JEAN-LUC MELENCHON
Où ? Où ?
AGNES ROTIVEL
Qui apparaît aussi lors de la Conférence de Durban, vous ne pouvez pas le nier. Il y a eu des invectives qui ont été lancées de part et d'autre, donc est-ce que ce n'est pas le rôle
JEAN-LUC MELENCHON
Mais attendez ! Le monde musulman ce n'es pas une poignée de fanatiques, fussent-ils déguisés en associatifs, qui représentent les musulmans du monde. Il n'y a pas de confrontation entre le monde occidental, le monde musulman. Parce que le monde musulman c'est aussi le monde occidental. Les deux millions de nos compatriotes qui sont musulmans sont des occidentaux ! Pardon madame de réagir comme ça, mais dans les heures dans lesquelles on est, vous me trouverez toujours les nerfs à vif sur des questions comme celles là. Il n'y a pas de confrontation entre le monde occidental et le monde musulman ! Il y a une confrontation entre les riches et les pauvres, ça c'est sûr ! Ca c'est sûr, ça existe !
AGNES ROTIVEL
Vous ne m'avez pas laissé finir ma question
JEAN-LUC MELENCHON
Pardon madame.
AGNES ROTIVEL
Est-ce qu'il n'y a pas un rôle pour la société française, alors un rôle qui peut être dévolu au Parti socialiste, d'expliquer les différences culturelles qu'on peut rencontrer entre un monde musulman, des gens qui vivent dans un monde occidental, plus largement même qu'en France ?
JEAN-LUC MELENCHON
C'est bien que vous le disiez vous-même, parce que moi, j'y crois profondément. Je pense que nous sommes équipés de la potion magique, les Français.
MICHEL GROSSIORD
Expliquez-vous.
JEAN-LUC MELENCHON
C'est la République, voilà ! C'est-à-dire une République qui d'abord est fondée sur le droit du sol et non pas le droit du sang. Deuxièmement, qui est égalitaire, qui refuse absolument de trier ses enfants d'après leur religion, qui a un Etat laïque, je pense que nous avons, nous, c'est le hasard de l'histoire, nous, nous avons la potion magique, c'est la République ! L'esprit de la République, tel que les Français l'ont fait naître, oui c'est une alternative pour le monde. Moi, j'y crois. Mais quand je le dis ont dit : " hola la, monsieur Mélenchon est devenu chauvin ". Non, il est toujours républicain universaliste.
NICOLAS DOMENACH
Ca implique, Jean-Luc Mélenchon, d'être beaucoup plus exigeant peut-être que nous ne le sommes, en tous les cas c'est ce que disait Jean-Pierre CHEVENEMENT, dans l'exigence de laïcité au fond, d'être intransigeant dans le combat contre tous les fondamentalismes. Est ce que vous pensez qu'il a raison, Jean-Pierre CHEVENEMENT, de dire que nous ne le sommes plus assez ? Exigeants.
JEAN-LUC MELENCHON
Vous savez, moi je n'aime pas les remèdes de cheval, parce que ce n'est pas toujours très bon pour celui à qui on l'applique. S'il y a des défaillances, il faut dire lesquelles, et on voit comment travailler et remettre les choses à leur place. Le fait d'être laïque c'est toujours un chemin de crête, parce qu'on peut vite être entraîné dans des choses qui sont contraires à l'esprit de la laïcité. Par exemple, se transformer en ennemi de la religion et des croyants, ce qui n'est pas une position de laïque, c'est autre chose. d'accord ? Donc moi, je suis pour le traitement au cas par cas. Il y a un problème ? Lequel ? Comment on le règle ? Parce que le principe on le connaît, et on va le régler le problème en application du principe. Des fois, c'est très compliqué ! Par exemple l'histoire du foulard à l'école : elle était très compliquée à gérer. On doit toujours essayer d'avancer en se disant, comment fait-on pour que nous puissions tous vivre ensemble dans le respect de ce que chacun d'entre nous est, et dans le respect qu'on doit aux autres.
MICHEL GROSSIORD
Je peux vous demander comment vous avez vécu l'après-midi de mardi ? Vous étiez dans votre bureau ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, j'étais en train de parler d'enseignement professionnel avec justement une de vos consurs et on m'a informé. On a donc allumé aussitôt la télévision, on était absolument stupéfaits ! En même temps le petit recul que chacun peut instantanément avoir, on se dit c'est une image, et c'est une image comme on en voyait dans les fictions, et tout d'un coup elle a cette réalité. Et on pense à ces 40 000 personnes qui sont là !
MICHEL GROSSIORD
La réalité a eu du mal à s'imposer ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, oui. Je vous assure que comme beaucoup de gens j'ai mis un moment à me dire
MICHEL GROSSIORD
C'est un cauchemar !
JEAN-LUC MELENCHON
Quelque part, oui ! Et en même temps on sent que c'est un événement d'une telle importance ! Parce que frapper les Etats-Unis c'est vraiment frapper quelque chose qui surdétermine notre temps et notre époque. Les frapper là, de cette manière là. Oui, on était quelques-uns à se dire il y aura un " avant " et un " après ". C'est pourquoi je peux vous paraître si précautionneux. Comme il y aura un après, il faut peser sur cet " après " et ne pas le régler comme ça, à l'émotion.
MICHEL GROSSIORD
Mais alors vous êtes quand même resté devant votre poste de télévision, tard dans la soirée, non ?
JEAN-LUC MELENCHON
Non, parce que (enfin oui, tard dans la soirée ça c'est sûr) mon activité ne permet pas de rester devant la télévision ! Donc de temps à autres, je regarde
MICHEL GROSSIORD
Mais on continue, on peut reprendre les dossiers de l'enseignement professionnel quand on assiste à une scène comme celle ci ?
JEAN-LUC MELENCHON
Honnêtement ? C'est dur ! Mais en même temps les choses doivent être faites. On ne peut pas non plus, comme ça rester cloué ! Les choses doivent être faites
MICHEL GROSSIORD
Et comment est-ce qu'on vit cela au sein du gouvernement ? Vous étiez au Conseil hier. Ca ajoute bien sûr une dimension dramatique ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, ça glace les gens ! Ca glace chacun d'entre nous. On sent aussi que le pays attend de nous qu'on fasse ce qu'on a à faire, qu'on sache lui parler, lui répondre. Oui, on a le sentiment tout d'un coup d'avoir une responsabilité plus lourde que d'habitude, sur les épaules.
MICHEL GROSSIORD
Hervé CHABAUD veut poser une question.
HERVE CHABAUD
Oui, monsieur le ministre, lorsque vous avez vu ces images absolument terrifiantes, un petit peu après le recul, est-ce que vous avez vous-même envisagé que la question puisse être évoquée dans les lycées professionnels dont vous avez la responsabilité ?
MICHEL GROSSIORD
Alors on avait un petit peu parlé en début d'émission
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, on a donné une consigne générale. Et moi je vais donner une consigne particulière pour la date du 21 septembre, qui est l'anniversaire de la fondation de notre République, la première. J'ai demandé que ce jour là on commence, pour la première fois, le nouveau cours d'éducation civique, juridique et sociale, et je pense qu'un des thèmes çà pourrait être précisément cette question de la place du terrorisme comme moyen d'action pour certains. D'autant que les maîtres m'avaient alerté dans la phase préparatoire, avant la mise en place. On évoquait tous les sujets qui peuvent être mis en discussion, et à plusieurs reprises était venu dans la discussion le fait que, par exemple, la question des attentats et du terrorisme, on avait une difficulté à la manier, à la présenter et à produire une discussion argumentée qui soit naturellement de nature à bien faire acquérir par chacun le fait que évidemment c'est une méthode détestable.
MICHEL GROSSIORD
Vous pensez que les médias ne sont pas suffisants pour former les jeunes justement, pour les aider ?
JEAN-LUC MELENCHON
Les médias font ce qu'ils doivent faire mais rien ne remplacera jamais la place du maître, du professeur qui va aider le jeune. Vous savez, c'est une masse terrifiante d'informations. Il y en a de tous les côtés. L'éducation à l'image ce n'est pas spontané. Vous, vous êtes des professionnels. Nous les politiques on finit par le devenir. Mais ce n'est pas spontané d'être capable de décrypter une image, de la comprendre. Vous savez, un des risques pour les plus jeunes esprits, c'est soit d'être écrasé par l'horreur de l'affaire ou bien l'inverse, de trouver à tout ça un caractère irréel. Parce que là nous sommes dans une violence réelle qui s'est exprimée dans les termes où d'habitude s'expriment la fiction et l'irréel. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre
MICHEL GROSSIORD
Ce sont des images qui sont d'ordinaire jubilatoires au cinéma ?
JEAN-LUC MELENCHON
Par exemple. Voilà ! On va au cinéma, on paye pour aller voir des choses comme ça pour se faire peur. Là, il s'agit de la réalité. Donc on a pour les plus jeunes une éducation à faire, il y en aura beaucoup qui seront traumatisés. Vous savez cette image avec cet homme qui tombe du haut de la tour, c'est quelque chose de terrible dont il faut parler avec les petits ! Là dans l'enseignement professionnel ce ne sont pas des petits, ce sont des jeunes adultes
MICHEL GROSSIORD
Vous n'irez pas jusqu'au soutien psychologique ?
JEAN-LUC MELENCHON
Non, il ne faut pas exagérer ! Si il y besoin, oui ! Vous savez, des fois, la blessure est plus profonde que ce qu'on ne croit. Vous tombez sur un être un peu fragile, il est meurtri. Bon ! Je pense que partout on va faire attention.
MICHEL GROSSIORD
Alors une question de Agnès ROTIVEL.
AGNES ROTIVEL
J'avoue que j'ai perdu ma question.
MICHEL GROSSIORD
Vous vouliez revenir sur les dossiers du Proche-Orient
AGNES ROTIVEL
Non je ne voulais pas revenir sur les dossiers du Proche-Orient, mais il y a quelque chose qui m'intéressait beaucoup c'est quand vous étiez mardi devant votre écran, quelle était la réaction de vos collègues ministres ? Est-ce que vous vous êtes réunis tout de suite et est-ce que la première réaction a été de dire : Et si la France suivait ?
JEAN-LUC MELENCHON
Je ne peux témoigner pour eux. D'abord, la première chose, c'est vraiment le sentiment d'horreur. On pense aux gens ! Là nous étions deux à regarder, et on se dit : " mais on a déjà vécu ça nous, pas aussi énorme mais donc ça pourrait revenir ".
AGNES ROTIVEL
Mais est-ce que, dans l'instant, vous vous êtes dit, bon, il y a des immeubles qui s'écroulent à New York et à Washington, est-ce qu'à Paris, dans l'instant ou dans la minute qui va suivre, il se produira peut-être la même chose.
JEAN-LUC MELENCHON
Non, je n'ai pas pensé ça. Je me suis dis : c'est tellement énorme, ça se suffit à soit. Mais je sais que nous ne sommes pas sur une autre planète. Nous avons déjà connu ça, nous les Français, on a déjà vécu ça une fois, pas à cette échelle. Mais l'échelle, vous savez, ça ne veut rien dire, celui qui est mort est mort, celui qui a peur a peur. Nous ne sommes pas nous sur une autre planète. C'est pourquoi ce que je vous disais tout à l'heure vaut par rapport à la situation aux Etats-Unis mais vaut pour nous. Il faut que ceux qui utilisent ce genre de méthode sachent que nous sommes capables de nous défendre. Ce n'est pas parce que nous sommes démocrates que nous allons nous contenter de pleurer et d'avoir notre mouchoir à la main. Non, nous sommes capables de les frapper.
MICHEL GROSSIORD
Une question de NICOLAS DOMENACH
NICOLAS DOMENACH
Oui, j'aurais aimé, si c'était possible, riper un peu là pour revenir chez nous deux minutes à des questions d'ordre plus intérieur, plus politique.
MICHEL GROSSIORD
Vous nous ramenez à la campagne
NICOLAS DOMENACH
A la campagne, mais un par un biais au fond qui intéressera, je crois, les téléspectateurs, et vous aussi JEAN-LUC MELENCHON. Il y a un livre qui sort ces jours-ci, d'Edwy PLENEL, l'un des dirigeants du MONDE important, qui s'appelle " secrets de jeunesse " dans ce livre Edwy PLENEL évoque longuement sa propre jeunesse à la Ligue communiste révolutionnaire, donc ce mouvement trotskiste qui n'était pas le vôtre, ni celui du Premier ministre, puisque vous étiez à l'OCI il dit deux choses, il écrit notamment deux choses sur lesquelles je voudrais
JEAN-LUC MELENCHON
Je me demande qui comprend quelque chose à ça.
NICOLAS DOMENACH
Beaucoup de gens ! Non non non, ne nous faites pas le coup " ça n'intéresse personne ". Il y a de très très bonnes biographies qui sont sorties ces temps-ci, qui racontent tout ça.
JEAN-LUC MELENCHON
Ah non non ! Moi je suis très heureux que les engagements de ma jeunesse, deviennent tout d'un coup des faits d'intérêt publics.
NICOLAS DOMENACH
Non non, c'est important les secrets, c'est important les secrets de jeunesse, ce qui dit très très bien Edwy PLENEL d'ailleurs. Il dit que cette façon d'écarter au fond la révélation comme non essentielle est une façon un peu trouble de ne pas vouloir regarder son passé en face et donc l'avenir puisque l'un déterminant l'autre.
MICHEL GROSSIORD
Alors, votre question.
NICOLAS DOMENACH
Deux questions, deux appréciations
JEAN-LUC MELENCHON
Psychanalyste de surcroît !
NICOLAS DOMENACH
Non non non non, vous ne jouerez pas comme ça JEAN-LUC MELENCHON, il y a deux questions qu'il dit, la première, il dit JOSPIN depuis la confirmation officielle de son passé trotskiste, on le sent encore plus noué que d'habitude. Est-ce que c'est un jugement qui vous semble à l'emporte-pièce ou bien, au fond, vous le partageriez presque ? Pas vraiment.
JEAN-LUC MELENCHON
Non, je plaisantais. Edwy PLENEL est un brillant esprit. Alors le voilà d'abord psychanalyste et maintenant peintre en caractère ! Vous êtes capables, vous, de dire quand Lionel JOSPIN est noué ou pas ? C'est un des hommes les plus flegmatiques que je n'ai jamais rencontré. Après, qu'est-ce que ça veut dire ça ?
MICHEL GROSSIORD
Flegmatique, qu'est-ce que ça veut dire ?
JEAN-LUC MELENCHON
Attendez, je vais quand même placer une petite perfidie dans la discussion. Notre jeunesse a été très ardente aux uns et aux autres. Nous avons échangé des arguments et, des fois, des arguments un peu musclés. Et je me demande si on n'est pas en train de continuer, une fois devenue quinquagénaires, des batailles commencées il y a30 ans, dont on ne se rappelle plus très bien d'ailleurs sur quoi elles portaient sur tous les points, mais qu'il est toujours agréable de continuer. Alors peut-être que monsieur PLENEL qui était à la Ligue communiste continue les polémiques de l'époque.
MICHEL GROSSIORD
Non non, il pose une question, traduite par NICOLAS DOMENACH, sur le style de Lionel JOSPIN. Est-ce que effectivement, on parlait du style du Premier ministre tout à l'heure, est-ce que ce long silence.
JEAN-LUC MELENCHON
C'est autre chose, ça encore.
MICHEL GROSSIORD
Non, mais est-ce que ce long silence peut expliquer certains traits de caractère aujourd'hui de Lionel JOSPIN ? Ce passé enfoui, qu'il a vu ressortir.
JEAN-LUC MELENCHON
Enfoui, enfoui, il n'est pas enfoui pour lui hein, c'était son réel. Non ?
MICHEL GROSSIORD
Oui, mais il a dû quand même avouer la chose.
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, ça doit changer un homme comme toutes les expériences de l'existence.
MICHEL GROSSIORD
Est-ce que ça explique aujourd'hui ?
JEAN-LUC MELENCHON
Aujourd'hui ?
MICHEL GROSSIORD
Oui.
JEAN-LUC MELENCHON
Mais qu'est-ce qu'il y a de différent aujourd'hui avec ce qu'il était hier ? C'est là que je n'ai pas très bien compris la différence.
MICHEL GROSSIORD
Non, mais je voulais savoir si le fait qu'il avait caché ce passé trotskiste pouvait expliquer certaines de ses attitudes aujourd'hui, une certaine raideur parfois
JEAN-LUC MELENCHON
Ah ce qu'on connaît de lui maintenant qu'il est un personnage public ?
MICHEL GROSSIORD
Oui.
JEAN-LUC MELENCHON
Sans doute, oui ! Sans doute que ça a dû peser aussi sur sa manière d'être, sur cette forme de retenue qu'il a, qu'on sent, que pour ma part, mais là nos avis sont différents, monsieur PLENEL dit " noué ", moi je dis " maîtrise de soi ". Mais ça ne m'étonne pas parce que, il y a 30 ans déjà, on nous trouvait " noués ".
MICHEL GROSSIORD
Deuxième question.
NICOLAS DOMENACH
La deuxième chose que dit Edwy PLENEL, il décrit donc les militants de l'OCI, le Premier ministre, et donc vous-même, il dit " ils vivaient la politique dans un détachement complaisant des contingences morales et dans l'affichage, complaisant également, d'un cynisme qui n'excluait ni la brutalité, ni la grossièreté " Alors est-ce que vous avez un autre commentaire ?
JEAN-LUC MELENCHON
C'est ce que j'ai dis : monsieur PLENEL continue ses polémiques d'il y a 30 ans.
GEORGES-MARC BENAMOU
Alors on va expliquer aux téléspectateurs
JEAN-LUC MELENCHON
Je ne sais pas ce que vous allez pouvoir leur expliquer.
GEORGES-MARC BENAMOU
C'est quoi les trotskistes de l'OCI dont vous êtes et est-ce que vous ce n'est pas des vieilles rivalités qui remontent et en un mot pourriez-vous les définir ? les trotskistes façon PLENEL de la LCR
JEAN-LUC MELENCHON
Non non, écoutez, ce sont des choses qui remontent à trop loin pour que je puisse les expliquer. Je ne dis pas qu'elles ne m'ont pas influencé, mais que je puisse les dire avec le scrupule de discernement auquel je suis attaché
MICHEL GROSSIORD
Vous n'y êtes pas arrivé en 30 ans, à y voir clair ?
JEAN-LUC MELENCHON
Eh bien écoutez, la preuve que oui c'est que je suis socialiste ! A un moment donné tout ça m'a paru, important, intéressant, mais pas décisif pour ma vie.
MICHEL GROSSIORD
Bon alors revenons, on ne va pas refaire toute l'histoire du mouvement trotskiste
JEAN-LUC MELENCHON
Non, mais le passage de PLENEL honnêtement est assez odieux ! Assez odieux ! Moi je peux témoigner pour moi mais pour d'autres aussi, l'engagement de ma jeunesse ce n'était pas ça. On luttait pour la révolution, on pensait qu'on allait faire naître un monde meilleur. A l'époque, il y avait la guerre du Vietnam, il y avait la révolution en Amérique Latine
GEORGES-MARC BENAMOU
On disait à la Ligue communiste révolutionnaire, l'OCI c'est l'extrême droite de l'extrême gauche, vous vous souvenez de cette phrase ?
JEAN-LUC MELENCHON
C'est honteux ! c'est minable !
MICHEL GROSSIORD
C'est Georges-Marc qui puise dans ses propres souvenirs militants maintenant. Quand même, une question sur le style, de Lionel JOSPIN
JEAN-LUC MELENCHON
Ah ! Vous aussi ?
MICHEL GROSSIORD
Les Français ne le voient pas comme leur intime, il y a un sondage qui est paru la semaine dernière dans LE POINT
JEAN-LUC MELENCHON
Quelle question ?
MICHEL GROSSIORD
Un sondage IPSOS
JEAN-LUC MELENCHON
Intime ? Non mais, enfin, c'est incroyable !
MICHEL GROSSIORD
Non, mais quand on aspire à la fonction suprême ?
JEAN-LUC MELENCHON
C'est vraiment un choc de cultures ça !
MICHEL GROSSIORD
Le voilà, celui que vous contestez.
JEAN-LUC MELENCHON
Avec Lionel JOSPIN vous ne vous entendriez jamais ! Même quand je fais une élection locale, moi je ne demande pas des marques d'amour. Je dis, voilà, je vous propose mon programme, voilà ce qui je sais faire, je vais vous rendre des comptes, voilà comment je m'y suis pris etc. mais du diable si j'ai envie d'être l'intime de mes électeurs. Et du diable si mes électeurs ont envie d'être intimes avec moi ! Enfin ce ne sont pas des épousailles ! c'est la politique !
AGNES ROTIVEL
Mais vous avez envie que vos électeurs vous trouvent sympa quand même ?
JEAN-LUC MELENCHON
Non pas spécialement, ça m'est égal !
MICHEL GROSSIORD
Vous ne pensez pas que la présidentielle c'est la rencontre entre un peuple effectivement et un homme ? Pour faire simple.
JEAN-LUC MELENCHON
Ah oui je connais ce discours là ! oui oui : la rencontre d'un peuple avec un homme, un homme qui regarde un peuple au fond des yeux : Tout ça c'est un discours de métaphysique monarchique qui n'a rien à voir avec les esprits libres que doivent être les esprits républicains. Quand on est un bon républicain et un bon citoyen, on écoute ce qui dit le monsieur, on vérifie s'il l'a fait, on sait si on est d'accord ou pas on fait fonctionner sa raison ! Il n'y a pas besoin en plus d'être sympathique ! Parce qu'après ça va continuer : il faut être télégénique, il faut être comme ceci ou cela, c'est-à-dire que l'apparence finie par occuper plus d'espace que le contenu.
MICHEL GROSSIORD
Ca compte, ça compte. On en est conscient à Matignon.
JEAN-LUC MELENCHON
Oui mais attendez, dire " ça compte " et dire " il faut que ça compte ", c'est deux choses différentes.
MICHEL GROSSIORD
Revenons aux dossiers et ceux de votre ministère.
JEAN-LUC MELENCHON
C'est intéressant pour la campagne.
MICHEL GROSSIORD
On aborde maintenant quand même, attendez, nous avons Rémy BARROUX qui est en ligne avec nous, notre confrère du " Monde de l'Education ", bonsoir.
REMY BARROUX
Attendez. Chaque idée doit être bien précisée. Moi, je suis un homme politique, je suis un Oui, bonsoir.
MICHEL GROSSIORD
Alors on va quand même avec vous, grâce à vous qui êtes un spécialiste, aborder les dossiers du ministre
REMY BARROUX
Oui, bonjour monsieur MELENCHON
JEAN-LUC MELENCHON
Bonjour.
REMY BARROUX
Je voulais vous demander, suite à la conférence de presse de rentrée, vous avez avancé avec satisfaction le bilan de l'enseignement professionnel en disant qu'après plusieurs années d'hémorragie la tendance était inversée, que vous aviez aujourd'hui un solde presque positif en termes d'inscriptions cette année.
MICHEL GROSSIORD
Et que vous étiez fou de joie d'ailleurs, grâce à cela, vous l'avez dit.
REMY BARROUX
Assez content. Est-ce que ça veut dire que la France, l'Education Nationale d'abord, les enseignants de l'Education Nationale, l'ensemble du système, les familles et la société se réconcilieraient avec l'enseignement professionnel qui retrouverait des lettres de noblesse qu'il avait perdues étant souvent considéré, de manière non dite, comme une voie de garage.
JEAN-LUC MELENCHON
Eh bien je le souhaite !
MICHEL GROSSIORD
C'est votre grand combat !
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, je suis là pour ça ! Il y a des indices extrêmement flatteurs. Le fait que la demande des familles ait augmenté, c'est quand même ça le plus grand révélateur, c'est quand on commence à vouloir pour ses propres enfants quelque chose ! Les parents y réfléchissent en général. Deuxièmement, l'institution Education Nationale. Parce que c'est vrai que dans le milieu des enseignants de collèges, on n'a pas une très claire conscience de la place particulière qu'occupe l'enseignement professionnel. On continue à vivre sur des vieux schémas : c'est l'enseignement court. Moi ça m'amuse d'entendre ça ! C'est plus long de préparer un Bac pro que de préparer un Bac général ! Mais on continue à dire " l'enseignement court " qui renvoie au passé, c'est-à-dire à l'époque il n'y avait pas le Bac professionnel. En effet c'était l'enseignement cour. On allait faire un CAP ! Je vais vous dire une bonne chose, il est temps de faire changer les mentalités, les amis ! Pour les dix prochaines années, pour remplacer les départs à la retraite, il nous faut deux millions sept cent cinquante mille personnes. C'est-à-dire que, après que pendant des années, on a eu en France d'une part chômage et d'autre part des jeunes générations qui entraient nombreuses. On est dans une situation où le chômage diminue et où les départs à la retraite sont massifs. Donc quand on est une grande nation développée, comme nous le sommes, une grande nation industrielle, c'est quand même de ça qu'on tire notre richesse, on a intérêt à être vigilant sur la manière dont cette nouvelle transition démographique va être faite. Donc il est temps de comprendre que cet enseignement professionnel, eh bien, c'est de lui que dépend notre avenir.
MICHEL GROSSIORD
En ouvrant au besoin de nouvelles filières ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui bien sûr,
MICHEL GROSSIORD
Professionnelles, pour les Bac ou les.
JEAN-LUC MELENCHON
Il faut ouvrir de nouvelles filières ! Il faut créer de nouveaux diplômes ! Il faut refaire la carte des formations ! Je découvre dans des endroits des BEP qui ne débouchent sur aucun Bac pro ! Ailleurs, il manque telle ou telle filière alors qu'il y a besoin localement. Il faut moderniser certains diplômes. Moi j'en ai fait réactualiser plus de 100 depuis que je suis dans ce ministère ! Voilà tous les moyens à mettre en marche. Et puis il faut surtout faire évoluer les mentalités. Parce que vous avez encore des tas de gens qui croient que l'enseignement professionnel c'est quelque chose qui prépare à la production.
MICHEL GROSSIORD
Alors ça va dans le bon sens ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui ça va dans le bon sens ! Je suis très content. Mais en même temps je me dis : ça ne suffit pas, il faut continuer, il faut aller plus loin, ça ne peut pas rester comme ça. Sinon, mes amis, nous allons nous retrouver dans la situation que vous avez vue : on va chercher des infirmières espagnoles. Il n'y aura plus qu'à chercher des malades qui parlent espagnol, pour que ça fonctionne !
MICHEL GROSSIORD
Vous ne vous dispersez pas trop parce que je crois que vous exportez la formule de la filière professionnelle dans d'autres pays.
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, oui oui, je ne me disperse pas, là il y a des enjeux économiques, je ne sais pas combien de temps on a pour en parler, mais le modèle français
MICHEL GROSSIORD
Quelques minutes.
JEAN-LUC MELENCHON
Le modèle français est considéré à l'extérieur, pas en France parce qu'en France nous sommes les champions de l'auto-flagellation et de l'auto-dénigrement.
MICHEL GROSSIORD
Ah bon ! Ce sont les étrangers qui jugent le mieux notre système professionnel, d'enseignement professionnel ?
JEAN-LUC MELENCHON
Quand les mexicains viennent nous demander de signer une convention globale pour réorganiser leur système du second degré, on peut quand même penser qu'ils se sont dit, mais comment font ces gens ? Ils ne sont que 60 millions, ils n'ont aucune matière première et c'est la quatrième puissance du monde. Pareil pour le Venezuela ! Nous amis italiens ont repris des choses ! Oui, on a le droit de temps à autre de dire les Français travaillent bien ! Ils savent bien faire leur travail et ils ont un bon système d'enseignement. C'est ce qui se passe en ce moment. Et de mon côté aussi, c'est vrai, avec les branches professionnelles, nous installons à l'étranger ici et là, à la demande de nos partenaires en général, des centres de formation professionnelle. Oui. Et ça marche bien.
MICHEL GROSSIORD
Et Jack LANG n'est pas trop pesant ? Dans votre environnement proche. Parce que je disais que vous étiez fou de joie effectivement à l'annonce des effectifs de l'enseignement professionnel en cette rentrée, pour la première fois ils sont à la hausse.
JEAN-LUC MELENCHON
Oui.
MICHEL GROSSIORD
Mais alors je vous ai vu un peu renfrogné à côté du ministre de l'Education Nationale lors de la conférence de presse de rentrée, non ?
JEAN-LUC MELENCHON
La vie médiatique devient de plus en plus intimiste ! Renfrogné, grand dieu ! Vous savez pendant des années je portais la barbe et on me disait pourquoi tu es en colère ? Bon, je ne suis pas en colère, c'est ma figure. Donc ma figure est peut-être Je ne suis pas du tout renfrogné !
MICHEL GROSSIORD
Non parce que Jack LANG, pour reparler de l'espace médiatique, qui vous tient aussi à cur, comme tous les ministres ; l'espace médiatique est quand même sacrement rempli par Jack LANG.
JEAN-LUC MELENCHON
Ah oui oui ! Mais je dois être un cas à part : je trouve ça très bien.
MICHEL GROSSIORD
Vous parliez de l'image, l'homme politique ne doit pas se soucier de son image, me dites-vous, mais regardez Jack LANG, lui a commandé un sondage à la SOFRES pour savoir qu'elle était son image auprès des Français. Le résultat est très bon pour lui d'ailleurs.
JEAN-LUC MELENCHON
Eh bien, moi, en tout cas je sais une chose, c'est que c'est très efficace sa façon de faire. Lui, il a en charge tout l'Education Nationale, moi j'ai en charge l'enseignement professionnel du secondaire au supérieur. Je dis par parenthèse, pour que chacun visualise bien le chiffre, ça représente la moitié de chaque classe d'âges des jeunes Français, bon bref ! Alors, Jack LANG il a en charge la totalité ! Donc moi je suis très content que ça se passe bien. Parce que ça crée une situation politique qui est positive pour faire avancer ce qu'on a à faire avancer. Quant au reste, l'image, je trouve que la mienne n'est pas mauvaise, qu'est-ce que vous en pensez ?
MICHEL GROSSIORD
Oui oui, elle sera renforcée à l'issue de cette émission, c'est sûr
JEAN-LUC MELENCHON
Les frictions éventuellement avec Jack LANG, ça peut aider à faire progresser la réflexion ?
JEAN-LUC MELENCHON
Dans toutes les équipes, il y a toujours des frictions, je ne vais pas vous dire non nos, tous les jours nous sommes d'accord du matin au soir, non, il arrive des fois qu'on mai c'est la vie ! Ca n'a rien de dramatique. En tout cas ça ne s'est jamais posé sur un sujet où on se soit affronté. Par exemple, sur le collège unique, on ne s'est pas affronté.
MICHEL GROSSIORD
Mais il y a eu quand même là une divergence de vue importante.
JEAN-LUC MELENCHON
Ah bien, écoutez, bien sûr qu'il y a eu une divergence de point de vue ! Mais il y a surtout eu le fait que 14 organisations syndicales ont dit : monsieur MELENCHON a tort ! A partir de là, le ministre Jack LANG qui a en charge l'ensemble de l'Education Nationale, eh bien il me dit " écoutes, voilà, tu as peut-être raison mais si toutes ces organisations syndicales disent que tu as tort, je ne peux pas ne pas en tenir compte " Vous savez, je dis ça pour que aussi chacun soit confronté à ses responsabilités. Moi j'appartiens à cette école politique là : la responsabilité des actes que l'on pose. Ceux qui se sont opposés à moi, sur cette affaire là, qui m'ont fait les procès qu'on sait sur ma position, assument la suite. C'est leur uvre !
MICHEL GROSSIORD
Une question, une dernière question politicienne
NICOLAS DOMENACH
A propos, de responsabilités politiques,
JEAN-LUC MELENCHON
pour la campagne présidentielle qui ne va pas manquer de s'ouvrir quand même vraiment un jour, vous souhaitez, un, que la gauche socialiste y soit à fond et deux, que vous-même jouiez quel rôle ?
JEAN-LUC MELENCHON
Moi, personnellement ?
NICOLAS DOMENACH
Oui.
JEAN-LUC MELENCHON
La gauche socialiste ça c'est clair, elle va être à fond
NICOLAS DOMENACH
Elle y sera ?
JEAN-LUC MELENCHON
Oui oui
NICOLAS DOMENACH
Avec des réticences
JEAN-LUC MELENCHON
Non non. Comme toujours, la difficulté quand on est un mouvement
MICHEL GROSSIORD
Turbulent.
JEAN-LUC MELENCHON
Oui, et puis impliqué dans des tas de lutte, parce que c'est un petit peu notre style, on aime ça, on pense que c'est par-là que la société bouge, il y a toujours un moment un peu délicat qui est celui où on doit, tirer avec tout le monde, dans le même sens.
MICHEL GROSSIORD
C'est plus facile maintenant que vous êtes ministre.
JEAN-LUC MELENCHON
Peut-être. Pas forcément vous savez ! Parce que c'est quand même des rebelles, fondamentalement ! Ne croyez pas d'ailleurs que ce soit toujours facile pour moi : j'ai ça aussi au cur, bon ! Alors après ; mon rôle personnel ? Celui qui est utile. Moi j'aimerai bien qu'on me confie des tâches dans le domaine qui est le mien, parce que je le maîtrise bien, je sais de quoi je parle et je pense être convaincant.
MICHEL GROSSIORD
Merci monsieur le ministre d'avoir été avec nous ce soir. A la semaine prochaine pour un nouveau "Face à la presse"
(source http://www.gauche-socialiste.com, le 24 septembre 2001)