Déclaration de M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger, sur le commerce extérieur de la France, au Sénat le 8 mars 2016.

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Circonstance : Audition au Sénat, le 8 mars 2016

Texte intégral


Merci pour votre accueil. J'ai souhaité qu'une feuille de route stratégique du commerce extérieur français soit définie, qui engage tous les acteurs. Je l'ai présentée devant l'Assemblée nationale à la fin de l'année dernière. Ce rapport a été élaboré en commun par le conseil stratégique de l'export et le conseil de suivi des politiques commerciales créé par Nicole Bricq et que j'ai réformé notamment pour inclure les ONG. Il est l'aboutissement des réflexions des services de l'État, mais aussi des différentes filières économiques, des syndicats, des ONG et des parlementaires. Pour la première fois nous sommes parvenus à bâtir une stratégie cohérente à l'export, sujet fondamental pour notre économie : un quart des emplois salariés en France, en effet, dépend des exportations, et un tiers des exportations sont réalisées par des filiales d'entreprises étrangères installées en France.
Ce rapport dresse le bilan de notre commerce extérieur filière par filière. Il montre le lien entre les politiques industrielles internes menées par le ministre de l'économie, comme la stratégie des filières ou les politiques industrielles, et leur projection à l'export, grâce à la définition de filières sectorielles prioritaires, stratégie imaginée par Nicole Bricq et que j'ai poursuivie. Le gouvernement est d'ailleurs prêt à créer de nouvelles filières. J'ai ainsi nommé de nouveaux fédérateurs, comme M. Duportet sur le numérique. Nous travaillons aussi continent par continent et pays par pays pour identifier les barrières tarifaires mais aussi non tarifaires. Le rapport fait aussi le point sur notre diplomatie des terroirs à laquelle je suis très attaché, vu les effets des négociations commerciales sur notre agriculture, notre manière de produire et notre alimentation.
Le déficit de notre commerce extérieur s'est réduit : 45 milliards en 2015 contre 70 milliards en 2011. Rien qu'entre 2014 et 2015, le solde s'est amélioré de 20%. Pas de quoi pavoiser cependant, vu l'ampleur du déficit, mais la situation s'améliore. Cette amélioration est due à 80% à des facteurs exogènes - prix de l'énergie, cours de l'euro -, et à 20% à des efforts de compétitivité - CICE, pacte de responsabilité, stratégie des filières, etc. L'aéronautique constitue de loin le premier secteur excédentaire, avec un excédent de 23 milliards, suivi par l'agro-alimentaire, avec un excédent de 9 milliards, preuve que notre agriculture est puissante et conquérante. Ceux qui prétendent que l'on pourrait résoudre les difficultés que nous traversons en nous repliant sur nous-mêmes ne font que mentir à des fins politiciennes et abusent de la détresse des agriculteurs. Se couper du monde serait un mirage qui se révélerait rapidement désastreux pour notre agriculture. La Commission européenne doit certes évoluer et entendre nos demandes, mais sortir de la politique agricole commune (PAC) reviendrait à nous tirer une balle dans le pied.
Q - Dites-le au président de la République !
R - Il en est convaincu. C'est pour cela qu'il s'est toujours battu dans les sommets européens pour défendre la PAC.
Le faible nombre d'entreprises exportatrices est un handicap structurel pour notre commerce. La France en compte deux fois moins que l'Italie et trois fois moins que l'Allemagne. Toutefois, là encore, la tendance est à l'amélioration, puisqu'elles sont passées de 121.000 en 2014 à 125.000 en 2015. Mon ministère est très mobilisé sur ce sujet. Le forum des PME à l'international, que nous avions organisé en mars 2015 au Quai d'Orsay, se poursuit par le tour de France des PME exportatrices, avec des forums dans toutes les régions, en lien avec les régions, les CCI, et tous les acteurs. Business France accompagne déjà 3.000 entreprises à l'export. Notre stratégie de soutien aux PME porte ses fruits. Les grands contrats, aussi importants soient-ils pour notre balance commerciale, notamment en matière de défense, ne suffisent pas. Il est aussi essentiel d'aider les PME, qui n'ont pas toujours les ressources nécessaires pour se déployer à l'export. C'est pourquoi nous le faisons en simplifiant le dispositif d'accompagnement à l'export. Comme le président de la République l'avait souhaité lors du Conseil stratégique de l'attractivité en février 2014, l'Agence française des investissements internationaux et Ubi France ont été fusionnés au sein de Business France le 1er janvier 2015. En outre, avec Stéphane Le Foll, nous avons décidé la semaine dernière que Business France et la Sopexa coordonneront leur action lors des foires, promotions et événements à l'étranger, pour que la France présente un visage uni à l'export.
Nous avons fixé des objectifs ambitieux en matière d'accompagnement à l'export : ainsi les volontaires internationaux en entreprise (VIE), passeront de 8.000 à 10.000 en 2017, et seront davantage mis à disposition des PME. De même, le réseau des conseillers du commerce extérieur de la France, constitué de bénévoles en entreprises dans le monde entier, a désigné 155 référents PME afin d'assurer un tutorat et un accompagnement à l'exportation.
Ainsi nous combinons stratégie de filière, stratégie géographique, et mettons l'accent sur les PME, créatrices d'emploi et de valeur. Ce rapport fait aussi un point sur les négociations commerciales internationales en cours. C'est l'Union européenne qui mène les négociations mais nous suivons les discussions avec attention. Le multilatéralisme, auquel la France a toujours été très attachée, quels que soient les gouvernements, s'essouffle, au profit de négociations bilatérales ou régionales. À Nairobi, où je représentais la France en décembre à un sommet de l'OMC dans le cadre du cycle de Doha, les discussions ont été laborieuses. Il faut leur redonner du souffle en abordant de nouveaux sujets comme la transparence ou les liens entre commerce et environnement. La France porte l'idée de rendre contraignantes les normes environnementales et sociales, au même titre que les normes commerciales. La mondialisation de l'économie doit s'accompagner d'une mondialisation des règles ; après 30 ans de dérégulation, il est temps de rendre à la puissance publique le droit d'intervenir pour fixer des règles.
Des négociations sont en cours avec des pays d'Asie, ou avec le Mercosur. À cet égard, le président de la République a récemment réaffirmé que la France souhaitait des accords mais qu'elle serait vigilante quant à la défense de ses intérêts, en particulier, en matière agricole. Ainsi, nous portons une grande attention à la question des quotas globaux, afin que la superposition de quotas issus de différents accords ne déstabilise pas notre agriculture et nos filières.
Lorsque j'ai été nommé, la fin des négociations sur le Comprehensive Economic and Trade Agreement, dit CETA, avait été annoncée lors du sommet entre l'Union européenne et le Canada fin 2014. À l'époque, j'avais présenté au Parlement la position du gouvernement. L'ouverture des marchés publics canadiens, tant au niveau national, qu'infranational, ainsi que la reconnaissance de 42 nouvelles indications géographiques françaises charcutières et laitières, qui s'ajoutaient à la vaste reconnaissance d'appellations de vins et spiritueux de 2004, constituaient des avancées significatives. J'avais aussi indiqué nos réserves sur le chapitre 33 relatif au mécanisme d'arbitrage privé ISDS (Investor-state dispute settlement) qui autorise des entreprises privées à faire valoir leurs droits contre des États devant des tribunaux privés. Destiné à protéger les entreprises contre des expropriations illégitimes ou le pillage des brevets, il a donné lieu à des dérives, de très grands groupes attaquant des États non pour des décisions arbitraires mais en raison de leurs politiques publiques (santé publique, énergétique, environnementale...) élaborées démocratiquement. La France s'est battue contre ce mécanisme. C'est au Sénat, fin 2014, que j'ai évoqué, lors d'échanges avec différentes commissions et le sénateur Daniel Raoul, l'idée de remplacer ce mécanisme de tribunaux d'exception par une cour publique de justice commerciale internationale. La France était seule à l'époque. La précédente Commission européenne ne voulait pas en entendre parler. J'ai défendu cette position avec l'Allemagne et nous avons fini par convaincre les autres États et la Commission. Le Canada a accepté cette idée la semaine dernière. C'est une avancée majeure qui garantit la transparence des procédures, la prévention des conflits d'intérêts et la déontologie des juges. Le droit des États à définir des politiques publiques est reconnu et il est interdit d'attaquer des choix démocratiques. Après trente ans de dérégulation, la souveraineté, comme capacité à édicter des règles, est reconnue. Aujourd'hui, nous considérons que cet accord est un bon accord.
Les négociations transatlantiques sur le TTIP sont engagées depuis plusieurs années. J'ai eu plusieurs fois l'occasion de dénoncer le manque de transparence des discussions. Comment prétendre aboutir à un accord majeur en cachette ? C'est impossible, Pascal Lamy l'a bien dit. La France a exigé que les documents de la négociation puissent être consultables dans des locaux relevant de l'administration française, et non simplement à l'ambassade des États-Unis. C'était inacceptable : le contrôle des parlementaires est indispensable. C'est désormais possible depuis le début de l'année. Toutefois nous n'avons toujours pas accès aux propositions américaines et les conditions de consultation restent trop restrictives. À la différence des accords de défense ou de lutte contre le terrorisme, toutes les données relatives à des négociations commerciales devraient être en open data. Les citoyens ont le droit d'être informés, tout comme le sont les lobbys. À l'heure des réseaux sociaux, c'est la meilleure garantie contre la défiance permanente. Cela suppose cependant de revoir de nombreuses règles, dans les États ou à l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Sur le fond, le douzième round s'est tenu à Bruxelles. Il semble peu encourageant. Les négociations sont bloquées sur l'agriculture et les indications géographiques. Or il s'agit pour nous d'une condition fondamentale. Nous attachons une grande importance à notre diplomatie des terroirs. Soyons clairs : si la France n'a pas d'intérêt à signer cet accord, nous ne le signerons pas et il n'y aura pas d'accord (Applaudissements). L'agenda en dépend. Nous prendrons le temps qu'il faut pour parvenir à un bon accord ; la date de signature importe peu. La France n'est pas favorable à un accord bâclé, pour conclure à tout prix. Si rien ne bouge, nous demanderons la fin des négociations. Il n'y a pas eu d'avancées non plus sur les services. Nous avons besoin d'une régulation des services et des services financiers. À cet égard, il est dans notre intérêt de négocier, faute de quoi les États-Unis feront prévaloir leurs règles grâce à la puissance extra-territoriale de leur droit. Rien non plus sur l'accès aux marchés publics. Ainsi d'une certaine manière le TTIP est l'anti-CETA.
(Interventions des parlementaires)
Oui, la qualité de l'agriculture française est importante. Si les négociations mettent en concurrence deux modèles agricoles et alimentaires totalement différents, le nôtre ne résistera pas. Nos agriculteurs mais aussi les consommateurs veulent un autre modèle alimentaire spécifique. Il n'y aura d'accord que s'il respecte nos convictions. Je l'ai dit en septembre, Stéphane Le Foll également ; le consensus est très large, y compris sur vos bancs, et le combat est commun.
La Commission européenne se montre beaucoup plus ferme dans les négociations. D'emblée, elle a saisi les difficultés et son approche est beaucoup plus politique qu'auparavant. J'ai déploré que l'Union européenne ait multiplié les offres tandis que les États-Unis restaient sur leurs positions. Désormais, c'est à ce pays de se positionner et chacun doit faire preuve de bonne volonté. La balle n'est plus dans notre camp. Si rien ne bouge, ne faisons pas semblant de poursuivre les négociations.
Les régions, membres du comité stratégique de l'export, sont au coeur de la stratégie de l'export. Les forums sont toujours organisés avec elles. La loi NOTRe leur a donné une compétence de coordination et de pilotage sur l'exportation avec les Plans régionaux à l'internationalisation des entreprises (PRIE).
Je suis prêt à analyser et à vous présenter les effets de l'accord Ceta, avant que vous n'ayez à vous prononcer. Nous manquons d'études sur le sujet, comme sur bien d'autres, d'ailleurs. Ce sont souvent les mêmes écoles de pensées économiques qui produisent des études, sans débat contradictoire. Réhabilitons la science économique : ceux qui n'ont pas su prévoir les crises des dernières décennies n'ont pas de leçons de morale à nous donner.
Madame Durrieu, j'attends votre dossier sur les satellites : les enjeux sont en effet cruciaux, d'autant que notre savoir-faire est exceptionnel.
Les exigences sociales et environnementales me tiennent à coeur. Nous y avons travaillé au sein du comité de suivi stratégique des politiques commerciales. Je souhaite que désormais les accords commerciaux comprennent un volet développement durable, en particulier sur les aspects sociaux et environnementaux : ils doivent devenir opposables, au même titre que les chapitres commerciaux. C'est un enjeu important après la COP21.
Ma mobilisation est totale dans le combat pour les IGP. L'arrangement de Lisbonne, qui rassemble vingt-huit États, les protège. Bientôt, l'Union européenne pourra le signer. Cet accord reconnaît le lien entre les produits, les hommes et les terroirs.
(Interventions des parlementaires)
Même si je ne suis pas directement en charge du sujet, nous travaillons au sein du gouvernement sur le projet Lyon-Turin. Les infrastructures ferroviaires, routières, aériennes permettent de connecter notre territoire au reste de l'Europe, ce qui favorise bien sûr le commerce extérieur et le tourisme.
La balance des services est très importante. Pour la première fois, nous avons présenté cette année tous les chiffres du commerce extérieur (balance du commerce extérieur, services, négoce international...) qui, pris de façon globale, sont à l'équilibre. Pour les grandes institutions internationales, cet équilibre est un indicateur macroéconomique de stabilité durable d'un pays dans son ensemble régional.
Les infrastructures sont un sujet central : nous devons développer les liaisons aériennes et ferroviaires - intra européennes et au-delà. Les décisions et les travaux ne sont pas toujours simples mais les enjeux sont fondamentaux.
Je ne suis pas sûr de bien comprendre l'idée d'un traité morcelé. Nous ne sommes pas favorables à un traité ponctuel qui ne serait pas gagnant-gagnant. J'ai dit aux agriculteurs que nous n'échangerions pas nos indications géographiques contre des importations agricoles massives dans notre pays. Nous combattrons, jusqu'au bout, en faveur des IGP tout en restant vigilants sur les quotas.
La consultation des documents marque un progrès, mais ce n'est qu'un début. Plus on mettra de documents sur la place publique, mieux ce sera, pour plus de transparence. Sinon, à quoi bon négocier ?
Je ne suis pas en charge des affaires européennes, mais pour avancer sur les normes sociales et environnementales, la France et l'Allemagne doivent travailler de concert avec quelques autres pays. On ne pourra le faire de suite à 28. Si je suis un européen convaincu - par construction ! - l'Europe ne fonctionne hélas plus ainsi.
Oui, l'agriculture est plurielle, et je ne visais pas votre famille politique, Monsieur Le Scouarnec. Chez vous comme chez moi dans le Lot-et-Garonne, il existe des choses extraordinaires à valoriser : circuits courts, agriculture durable, agritourisme... Ce n'est pas contradictoire avec une agriculture conquérante, innovante et de qualité.
Nous négocions avec le monde entier - Mercosur, Japon, Vietnam, Singapour, Canada... - et pas seulement avec les États-Unis. Je souhaite davantage de priorités dans les négociations, au lieu d'ouvrir frénétiquement toujours plus de nouvelles négociations sans s'interroger sur leur réelle utilité. Parfois, la machine s'emballe...
Oui, les positions de l'Ofac sont inacceptables, avec une application internationale du droit américain. Ce n'est pas notre conception d'une véritable communauté internationale. J'ai engagé des négociations avec l'Ofac pour protéger nos entreprises, pour savoir ce qui peut ou non être fait, surtout pour ce qui concerne l'Iran. On ne doit pas demander à chaque pays quel droit s'applique, cela doit relever du droit international. Un membre de mon cabinet a même été bloqué parce qu'il était allé en Iran !
Nous avons rouvert le dossier du Ceta. Sur nombre de sujets, on m'avait dit qu'il n'y avait plus rien à faire. Ce n'est pas comme cela que les choses doivent se passer : il revient aux élus et aux membres du Gouvernement de fixer les priorités. C'est une position de principe et non dirigée contre tel ou tel pays, et cela a fonctionné avec le Canada. Il est inacceptable que des intérêts privés remettent en cause des décisions démocratiques. Ce point, non négociable, doit être repris dans tous les accords commerciaux futurs, y compris avec les États-Unis, sinon nous ne signerons pas. Progressivement, la centaine d'accord signés précédemment comportant le mécanisme ISDS et les 3.500 existant dans le monde devront entrer dans ce cadre.
Il s'agit bien d'accords mixtes, y compris pour le Ceta ou le futur accord avec les États-Unis. Je regrette la saisine de la CJUE par la Commission européenne sur l'accord avec Singapour ; c'est le Conseil, à l'unanimité, qui se prononce pour savoir si un accord est mixte ou non. Pour la France, Ceta et TTIP sont des accords mixtes et devront être votés par le Parlement. Le contraire serait un coup d'État démocratique.
Nous avons obtenu des levées d'embargos pour offrir des débouchés alternatifs aux agriculteurs sur les produits frappés par l'embargo russe : ainsi en est-il au Vietnam, en Afrique du sud, au Canada, à Singapour et en Arabie Saoudite... L'accès au marché, produit par produit, est très important. Nous travaillons en partenariat avec l'Union européenne, et en particulier avec les Allemands, partenaires stratégiques, afin de former des consensus européens. Nous tiendrons bon sur nos fondamentaux. Parfois, nous sommes seuls, mais quand nous sommes justes sur le fond, ce n'est pas rédhibitoire.
Nous manquons d'études économiques crédibles, fiables et contradictoires. Ceux qui prônent une concurrence libre et non faussée en économie devraient se l'appliquer pour le débat intellectuel. Beaucoup reste à faire sur la culture de l'export. Nous essayons de le faire dans notre tour de France des PME exportatrices afin qu'elles puissent s'exprimer et se faire connaître. Certaines sont des pépites qui font vivre des territoires entiers.
Je reste bien sûr à votre disposition. J'ai demandé que nos échanges soient annexés au rapport puisqu'il s'agit d'un rapport devant le Parlement.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mars 2016