Déclaration de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur la situation en Libye, la coopération franco-tunisienne face au terrorisme, le conflit israélo-palestinien et sur l'avenir de la Syrie, à Tunis le 19 mars 2016.

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Circonstance : Déplacement en Tunisie les 17 et 18 mars-conférence de presse conjointe avec son homologue tunisien, à Tunis le 19 mars 2016

Texte intégral


* Déplacement en Tunisie - Relations bilatérales - Libye
Q - Comment la Tunisie et la France peuvent-elles soutenir le transfert du gouvernement à Tripoli en Libye ?
R - Je vous l'ai dit, je vais rencontrer M. Sarraj dans quelques instants, profitant ainsi de ma visite à Tunis, et j'ai déjà rencontré M. Kobler qui est l'envoyé spécial des Nations unies. Lundi dernier à Bruxelles, avec mes collègues européens des affaires étrangères, j'ai participé à plusieurs réunions sur cette question avec les britanniques, les allemands, les italiens, les américains. Je le répète, il y a urgence à ce que soit installé et reconnu un gouvernement d'unité nationale en Libye. Rien ne peut se faire et ne peut être entrepris sans cette étape.
Alors, les conditions sont presque réunies puisque M. Sarraj a composé un gouvernement et 109 parlementaires de la chambre des représentants ont donné un avis favorable à son approbation. Mais, pour l'instant, l'Assemblée n'a pas pu encore se réunir à Tobrouk parce qu'un certain nombre de personnes se mettent en travers de ce processus. L'objectif c'est que ce gouvernement soit reconnu par la communauté internationale, et qu'il puisse s'installer à Tripoli en toute sécurité.
Vous m'avez posé la question « que faire ? ». Dans le cadre de ce qui sera décidé par le conseil de sécurité, la France est prête à apporter ce qu'il faut pour assurer sa sécurité. Je termine pour vous dire que la France est très engagée pour que ce gouvernement libyen soit installé et qu'il travaille comme un partenaire et je pense que nos amis tunisiens sont dans le même état d'esprit. Je pense qu'il y a urgence et la Tunisie est en première ligne face à cette situation chaotique et dangereuse en Libye. J'ai eu la possibilité d'évoquer moi-même la possibilité de sanctions de personnes, plus précisément de quelques personnes qui se mettent en travers ce processus. Et donc cette proposition a été faite et évoquée par les ministres des affaires étrangères européens lundi dernier et c'est une proposition qui fait son chemin.
Si rien ne bouge, il faut s'attendre à ce que ceux qui ont empêché ce processus soient tenus pour responsables
Q - Est-ce qu'il y a des accords entre la Tunisie et la France pour les renseignements et pour l'entrainement militaire suite à ce qui se passe en Libye ?
R - Pour la période 2016 - 2017, la France a décidé d'augmenter sa contribution financière à 20 millions d'euros, contribution qui est destinée à l'acquisition d'équipement, à la formation des forces armées et aussi au renforcement de la coopération dans le domaine du renseignement. Des actions de conseils et de formation ont été déjà été menées en 2015, un premier lot d'équipement va être livré aux forces spéciales de l'armée et un deuxième lot, comprenant de l'armement, va leur être livré dans les prochaines semaines. En ce qui concerne les mobilisations des partenaires, nous avons la responsabilité de les coordonner pour soutenir la Tunisie en matière de sécurité à travers des groupes de travail en G7+3 c'est-à-dire l'UE, la Belgique et l'Espagne. Cela porte sur plusieurs domaines : la protection des frontières, la protection des sites touristiques sensibles, la lutte antiterroriste et la sureté aéroportuaire. Quant à la France pour y revenir, elle a quadruplé son offre de coopération sécuritaire en 2015 par rapport à 2014, et par ailleurs - et c'est dans l'esprit de la Constitution tunisienne - avec tous nos partenaires nous restons vigilants par rapport aux respects des droits de l'Homme y compris en matière de lutte contre le terrorisme.
(...)
Q - Quelles aides concrètes pour la Tunisie économiquement de la part de la France ?
R - Sans entrer dans les détails des projets, je rappelle que les aides financières de la France à travers l'AFD, mais aussi l'aide européenne, et l'aide spécifique du président de la république française atteignent de 1 milliard d'euros.
Nous avons travaillé avec le chef du gouvernement, sur les blocages qui peuvent exister pour les projets portés par les entreprises qu'elles soient des grandes entreprises, des PME ou des projets individuels. Nous avons parlé de choses très concrètes comme les micro-crédit, l'accès aux crédits, les micro-financements, pour que les sommes qui sont déjà débloquées, soient totalement utilisées. Elles ne le sont pas encore, il y a encore des montants disponibles. Certaines réformes administratives que les autorités tunisiennes mettent en oeuvre avec l'appui du Parlement, devraient contribuer à accélérer ce processus, mais je suis conscient que c'est une priorité pour la Tunisie et pour le peuple tunisien. Les régions sont fragiles et c'est aussi une priorité pour la jeunesse tunisienne et je pense à ces jeunes sans emploi.
Je voudrais simplement dire, que renforcement si nécessaire de l'aide financière européenne à la Tunisie se fera en fonction de l'évolution des besoins. Si la Tunisie le demande et si les projets se débloquent, la France sera aux côtés de la Tunisie, pour amplifier l'aide dont elle bénéficiera. Il ne s'agit pas de dire que l'on s'occupe de la Tunisie et que l'on oublie les autres pays. Mais, c'est que la Tunisie a choisi une voie qui est observée et qui est remarquable partout dans le monde, pas seulement dans le monde arabe, et en Afrique. En Europe bien sûr, c'est la voie de la démocratie, de la liberté, du pluralisme, c'est une voie courageuse et originale et c'est la voie de la révolution du peuple tunisien. Nous qui sommes des partenaires de la Tunisie nous devons aider la Tunisie mais pas seulement sur un plan politique - et cette Constitution qui a été votée et qui est extraordinaire, donne appui très fort la Tunisie - et il faut aider de toutes nos forces la Tunisie à réussir ces projets de redressement économique pour que la confiance soit toujours là. Le risque, on le comprend : je suis dans un pays avec un taux de chômage des jeunes qui est insupportable, je comprends bien que pour la jeunesse tunisienne ça l'est également, nous devons nous battre et nous battre ensemble. Merci.
* Israël - Territoires palestiniens
Q - Quoi de neuf dans votre initiative pour la paix au Moyen-Orient ?
R - On ne peut pas rester en observant une situation qui se dégrade de jour en jour. Le processus de colonisation se poursuit, il y a un désespoir qui s'installe au Proche-Orient notamment chez les jeunes Palestiniens qui ne voient pas d'issue, pas de perspectives, et cela se traduit aussi par la violence. C'est un enchaînement de violence, en Palestine comme en Israël, et cette violence est particulièrement dangereuse, elle n'est pas acceptable, il faut la stopper mais pour la stopper, il faut donner des perspectives.
En ce sens, la France a pris cette initiative avec mon prédécesseur, que j'ai prise à mon compte et que j'essaie de faire prospérer, de faire vivre. C'est pourquoi, depuis ma prise de fonctions le 13 février - notamment à Munich lorsque nous avions tenu cette réunion sur la Libye - j'ai pu m'entretenir en bilatéral avec mon collègue égyptien et depuis j'ai multiplié les contacts. Je suis allé au Caire, j'ai rencontré M. John Kerry, mes amis européens - allemands, britanniques et italiens - et la réunion des ministres des affaires étrangères lundi dernier à Bruxelles, a abordé cette question.
Je vais vous présenter l'initiative française. Le représentant spécial, l'ambassadeur M. Pierre Vimont, a commencé sa tournée d'explications. Nous voulons convaincre toutes les parties qu'il faut bouger et pour cela nous allons procéder en deux temps : créer un consensus avec un maximum de pays qui seraient favorables à la reprise d'un consensus de négociation et, dans un deuxième temps, les parties seront réunies dans une conférence internationale. Nous ne voulons pas perdre de temps, notre objectif c'est l'été. Évidemment, il y a des conditions à remplir car il faut rassurer et il ne faut pas donner de prétexte pour ne rien faire. Israël dit qu'il faut négocier directement avec la Palestine mais il ne passe rien. De plus, les élections américaines auront lieu en novembre, peut-être qu'il y aura des initiatives américaines, je n'en sais rien. Il n'est pas question de laisser de côté les travaux du Quartet. Tout cela fait partie de la démarche que je veux construire avec le maximum de partenaires.
Les premières démarches sont encourageantes, la Tunisie s'est montrée très favorable, le ministre vient de le rappeler, tous ceux que j'ai rencontrés ont montré que si on ne fait rien, la situation va se dégrader. Certes, dans l'opinion publique mondiale, on parle plus du drame syrien qui est terrible, mais on oublie que sur place, la situation peut dégénérer. Moi, je ne veux pas que le désespoir s'installe. J'ai vu le secrétaire général des Nations unies, M. Ban Kimoon, qui m'a encouragé, sachant que c'était un chemin long et difficile semé d'embuches, mais qu'il fallait emprunter. C'est la volonté de la France, et je remercie encore une fois la Tunisie d'y contribuer.
(...)
* Syrie - Tunisie
(...)
Q - Quel est votre position concernant la Syrie et est-ce que cette position a changé récemment ?
R - Nous souhaitons la paix en Syrie. Nous souhaitons que la paix permette à ce pays de se reconstruire et aux Syriens qui ont fui la guerre de retourner dans leur pays, c'est le souhait d'une grande majorité d'entre eux. Nous ferons tout pour que ce qui a commencé à Genève débouche sur une solution politique, mais c'est difficile, il y a des conditions à remplir. Les choses évoluent dans la bonne direction puisqu'il y a une trêve mais nous devons rester vigilants pour son respect intégral, ce n'est pas encore le cas.
J'avais organisé, dimanche dernier à Paris, une réunion avec mes homologues américain, allemand, britannique, italien, et la haute-représentante de l'Union européenne, pour analyser la situation. Nous, responsables européens, avons demandé à être impliqués étroitement dans le contrôle du cessez le feu. On voulait être sûrs qu'il soit réellement effectif et qu'il n'y ait pas de manoeuvre. Nous devons continuer à nous battre contre Daech et al Nosra. La bataille doit se poursuivre, c'est indispensable.
Vigilance du cessez le feu donc, et la deuxième exigence, c'est l'accès de l'aide humanitaire. Pour l'instant, l'aide humanitaire n'arrive pas partout et c'est d'ailleurs le régime qui l'empêche qui met des entraves. Ce sont nos deux exigences, et la troisième exigence, c'est que le processus politique, animé par l'envoyé spécial des Nations unies, reprenne. Il a repris, mais nous voulons une solution politique qui ne fasse pas oublier les crimes qui ont causé la mort de 270.000 syriens, dont le régime est responsable.
Et puis nous voulons une solution politique qui ne conduise pas au chaos, comme malheureusement nous en avons eu l'expérience en Irak. Nous voulons la stabilité pour la Syrie, mais aussi que les forces d'opposition, celles qui ne sont pas terroristes, puissent trouver leur place et puissent y être intégrées. C'est vers ce processus qu'il faut aller, il est complexe certes, mais il faut qu'il se mettre en place rapidement. Il ne faut pas laisser la situation se dégrader à nouveau et il faut tout faire pour éviter que la guerre reprenne. Si la guerre reprenait, elle reprendrait sous une forme encore plus violente et provoquerait une déstructuration complète de cette région. Notre volonté c'est la paix et il faut discuter avec tout le monde : avec les Américains, mais aussi avec les Russes et avec les autres pays de la région : l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et l'Iran. La France est dans cet état d'esprit en associant le plus étroitement possible les pays européens dans cette démarche. Le président Hollande est aujourd'hui au conseil européen, il a profité de cette occasion pour rediscuter avec les Britanniques et les Allemands.
(...)
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mars 2016