Point de presse de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, sur les relations franco-algériennes, la situation en Libye, la question du Sahara occidental, les musulmans en France et sur le conflit israélo-palestinien, à Alger le 29 mars 2016.

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Circonstance : Déplacement à Alger-entretien avec son homologue, le 29 mars 2016

Texte intégral


* Libye
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Q - Une question sur la Libye, est-ce que la France croit encore que la solution du dialogue est la plus porteuse pour la Libye ?
R - S'agissant de la Libye, je pense, mais le ministre dira s'il partage mon analyse, qu'il n'y a pas d'autre solution que politique. Il faut tirer les leçons de 2011, soyons francs. Il ne s'agit pas de recommencer des initiatives qui n'apportent pas de solution durable et qui, au contraire, créent un état de chaos et de désordre qui est préjudiciable au peuple libyen d'abord, qui en est la première victime, et qui permet aussi la progression de groupes terroristes comme Daech et qui menace tous les États de la région.
J'étais récemment en Tunisie, qui a subi des attentats à sa frontière, mais l'Algérie aussi est bien placée. Je me souviens des premiers échanges que j'avais eus avec M. Sellal en 2012 au moment d'In Amenas. Aussi nous avons là une situation extrêmement dangereuse, mais c'est par la voie politique que nous souhaitons l'aborder. C'est pourquoi nous soutenons la constitution d'un gouvernement d'unité nationale avec, à sa tête, M. Sarraj, que j'ai eu l'occasion de rencontrer lors de mon voyage en Tunisie il y a quelques jours, qui est prêt et qui souhaite installer son gouvernement à Tripoli, la capitale, et que sa sécurité soit assurée non pas vers l'extérieur mais par un accord qui doit être trouvé sur place. Et à partir de là, nous pourrons construire avec la Libye une relation, construire avec elle une solution qui permette à ce pays de se réconcilier mais aussi de se reconstruire et de maîtriser ce danger qui le guette et qui guette les puissances de la région, les pays de la région, c'est-à-dire la progression de Daech. Voilà l'état d'esprit qui est le nôtre. Il y a urgence à ce que ce gouvernement soit installé. Il y a vraiment urgence. Je le répète à chaque fois que je peux, je redis quelle est la ligne de la France, mais je crois que c'est aussi la ligne de l'Algérie. Donc cela fait que sur bien des sujets, nous avons des approches communes.
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* Algérie - Relations bilatérales - Lutte contre le terrorisme
Merci beaucoup, Monsieur le Ministre d'État de votre accueil. C'est un accueil chaleureux dès mes premiers pas, ici en Algérie, mais ce n'est pas la première fois puisque je suis heureux de revenir ici à Alger, cette fois comme ministre des affaires étrangères, pour renouveler un message qui est celui de l'amitié et d'une coopération de plus en plus étroite et confiante, dans le cadre du partenariat d'exception qui a été décidé par le président Hollande et le président Bouteflika, et qu'il nous appartient de mettre en oeuvre.
Je viens aussi à quelques jours de la réunion du comité intergouvernemental de haut niveau qui a été mis en place dans ce cadre. J'avais eu l'honneur de le coprésider avec mon collègue Sellal à l'époque comme Premier ministre. Nous allons nous revoir, dans quelques instants, et nous aborderons les questions bilatérales qui sont nombreuses tant du point de vue des projets économiques, des projets de développements et des projets dans les domaines de la jeunesse, de l'éducation et dans le domaine de la santé. Et puis nous aborderons toutes les questions régionales, qui concernent l'avenir de l'Afrique en général, et du Maghreb en particulier. Nous avons déjà commencé à aborder la question du Mali, la question de la Libye. Et puis nous partageons un même objectif, qui est celui de la stabilité de toute cette région avec la construction d'une paix durable et aussi la même préoccupation de lutter avec acharnement contre le terrorisme. Il nous faut présenter à la jeunesse de nos pays des perspectives d'avenir et d'espoir. Et c'est ce que nous voulons construire ensemble.
Je viens ici en tant qu'ami de l'Algérie, en tant que partenaire de la relation franco-algérienne. Et je suis heureux d'être à nouveau ici à Alger, de rencontrer de nombreuses personnalités, des chefs d'entreprises français qui sont installés ici, qui investissent ici, qui veulent encore faire davantage. C'est un signe positif. Et puis ensuite, j'aurai l'occasion de rencontrer le Premier ministre et le président Bouteflika.
Voilà un moment important dans la relation entre nos deux pays, et le plaisir encore une fois, je le répète, d'être accueilli par vous avec beaucoup de gentillesse, beaucoup d'amitié, et je vous en remercie Monsieur le Ministre.
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Q - M. le ministre des affaires étrangères algérien, M. Lamamra, vient d'annoncer dans son petit discours la préparation de la prochaine visite du Premier ministre, et un ensemble d'accords, et on voudrait se renseigner. Qu'est-ce que cela va apporter à la coopération bilatérale ? Peut-on déjà savoir quels types d'accords feront l'objet de signature lors de la prochaine visite ?
R - La réunion de haut niveau sera l'occasion d'aborder plusieurs dossiers économiques, dont les rôles de PSA, de Renault et d'Alstom. Et j'espère qu'à cette occasion seront annoncées d'importantes décisions qui seront utiles pour l'Algérie mais aussi pour la France, puisqu'il s'agit d'une véritable coopération économique dans les deux sens qui bénéficie à l'Algérie et qui bénéficie aussi à la France, puisqu'une partie de la production dans certaines usines se fait en France, de la création, de l'innovation et du développement. C'est dans ce sens qu'il faut aller et c'est dans ce sens que nous allons depuis plusieurs années, mais que nous pouvons parfaitement amplifier au moment où l'Algérie est engagée dans un processus important de diversification économique. Seront aussi signés sans doute des accords en matière de santé, en matière d'éducation.
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* Sahara occidental
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Q - Ma question concerne le processus de décolonisation du Sahara occidental : comment expliquez-vous que vous, la France, soutenez encore le refus d'autonomie alors que les Nations unies s'appliquent à défendre (inaudible) ?
R - Concernant le Sahara occidental, la position de la France est toujours la même. Nous sommes pour que la MINURSO puisse mettre en oeuvre sa mission. C'est là tout le travail de dialogue que nous avons entrepris ces dernières semaines, pour que la relation entre tous les partenaires régionaux, notamment le Maroc et les Nations unies, s'apaisent, puisque nous avons assisté à des tensions que nous ne pouvons pas ignorer. C'est le travail que nous avons fait. Parfois, on nous a reproché d'entreprendre cette démarche, mais cette démarche avait un but d'apaisement.
D'ailleurs, j'ai noté les déclarations du secrétaire général des Nations unies qui vont aussi dans ce sens et j'ai pu m'entretenir avec mon homologue marocain, comme j'ai pu m'entretenir avec le secrétaire général des Nations unies dans cet esprit. Bientôt va arriver une échéance qui est le renouvellement du mandat. Nous souhaitons que ce mandat soit renouvelé. Voilà la position de la France. Nous en avons parlé en toute franchise avec mon collègue algérien et nous souhaitons que cette question délicate, difficile, qui dure, comme vous le disiez Monsieur le Ministre, depuis 40 ans, ne soit pas une pierre d'achoppement dans l'amitié entre l'Algérie et la France. En tout cas, c'est l'état d'esprit qui est le mien et celui de tout le gouvernement, du président Hollande, et nous veillerons à ce qu'il en soit ainsi dans la durée.
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* Lutte contre le racisme
(...)
Q - Monsieur le Ministre, ma question concerne les musulmans de France. Qu'ont fait les autorités françaises pour protéger les musulmans de France concernant les actes d'islamophobie ?
R - Vous avez posé une question concernant ce que vous avez appelé l'islamophobie en France. Qu'est-ce que nous faisons ? Nous sommes en France un pays qui est attaché à la liberté de conscience et à la liberté religieuse, à la liberté des cultes, et nous veillons à ce qu'il en soit ainsi pour tous les croyants comme pour les incroyants qui doivent aussi être respectés. C'est le rôle de l'État, c'est le rôle de la République d'y veiller. Et nous faisons en sorte que nous n'entrions pas dans une forme de spirale absurde qui consisterait, parce qu'il y a des attentats et que certains qui les pratiquent se réclament de l'islam, à ce que tous les musulmans soient mis dans cet opprobre. C'est pour cela que nous voulons, en permanence, rappeler que l'immense majorité des Français qui sont musulmans, croyants et pratiquants, n'adhèrent absolument pas à cette radicalité et qu'ils doivent être respectés. C'est pour cela, d'ailleurs, que le gouvernement et en particulier le ministère de l'intérieur a pris des mesures pour protéger les lieux de cultes. Il en va de même pour les lieux de cultes juifs ou les lieux de cultes chrétiens lorsqu'ils sont menacés.
Il faut que chacun, dans la République française, puisse vivre en paix, dans la sérénité et ne se sente pas en permanence visé s'il n'a rien à se reprocher du point de vue du respect des lois. Mais c'est vrai que ce à quoi nous assistons aujourd'hui et pas seulement en France, partout dans le monde, c'est l'utilisation de l'islam pour tuer, assassiner et imposer un mode de vie que l'immense majorité des peuples n'accepte pas. Et c'est vrai encore ce week-end dans différents endroits de la planète.
Qui sont souvent les premières victimes en nombre des attentats ? Ce sont souvent des personnes de confession musulmane, il ne faut pas l'oublier. Mais ceux qui sont visés, ce sont tous ceux qui adhèrent à un certain mode de vie. Et cela vaut pour les pays arabes et aussi pour les pays comme la France ou la Belgique encore récemment atteints en leur coeur. Nous devons nous défendre, nous défendre pour assurer la sécurité de nos compatriotes, chacun dans nos pays et, pour cela, coopérer. C'est ce que nous faisons pour lutter contre le terrorisme. Nous l'avons évoqué pour les dossiers régionaux, mais cela vaut aussi dans la coopération franco-algérienne, en matière de renseignement par exemple que nous pouvons renforcer, je pense, sur le plan militaire.
Ce que nous pouvons faire aussi, c'est échanger nos expériences en matière de lutte contre la radicalisation d'une petite partie de la jeunesse qui est tentée par cette aventure et qui conduit à la pire des horreurs. Et c'est une tache commune que nous avons.
En tout cas, je le dis ici à Alger, nous devons en permanence nous rappeler les valeurs fondamentales, celles du respect de l'Homme, celle du respect des individus, celle du respect de la liberté. Et sans cesse nous devons nous mobiliser pour que ces principes et ces valeurs soient une réalité. Voilà ce que je pouvais vous dire sur ce point. (...).
* Israël - Territoires palestiniens
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Q - Sur le processus de paix au Proche Orient.
R - Je redis ici que la France est engagée pour que nous n'acceptions pas le statu quo qui prévaut dans cette région et qui conduit à la désespérance et à la violence. On ne cesse de voir depuis quelque temps des violences en Palestine et des violences en Israël. Il ne faut pas sous-estimer le risque d'explosion qui existe dans cette région. Nous ne voulons pas nous résigner à ne rien faire. Puisqu'il n'y a plus d'initiative, il n'y a plus de dialogue ni de négociation.
Il est donc important de reprendre ce chemin et la France ne pourra pas le faire seule bien entendu. Elle a eu cette initiative. Je me suis rendu au Caire pour rencontrer les responsables de la Ligue arabe qui ont approuvé la démarche. Ils sont prêts à s'y inscrire. Nous en avons parlé à nos amis algériens - ce que le ministre vient de dire va dans ce sens. J'étais à Tunis, j'ai eu le même accueil. La Conférence islamique qui s'est réuni à Jakarta a approuvé la démarche. Au niveau européen, j'ai défendu aussi cette proposition auprès des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne et de la Haute représentante qui se sont inscrits aussi dans cette démarche, à laquelle nous allons associer tous les autres partenaires, les États-Unis notamment, et le Quartet.
Nous avons besoin de toutes les forces qui seront prêtes à faire reculer cette situation dramatique et s'inscrire dans la perspective, qui est la seule possible, de deux États, Israël et la Palestine, vivant en sécurité. C'est cela notre mission. Et il ne faut pas y renoncer.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 avril 2016