Texte intégral
* Afrique - RCA - RDC - Tchad - Libye - Mali - Côte d'Ivoire
Q - Vous venez d'assister à l'investiture du nouveau président en Centrafrique. Faustin-Archange Touadéra qui a exprimé ses priorités. Pour cela, il va falloir de l'argent, un soutien financier. Dans quelle mesure la France peut-elle s'engager aux côtés de la Centrafrique ?
R - La France fait confiance à la Centrafrique et ce qui vient de se passer est un signe majeur : les Centrafricains veulent tourner la page et construire un nouvel avenir. Il faut donc continuer à les aider. Il faut aider les autorités à installer une force de sécurité pour qu'elles puissent contrôler, éviter tout affrontement - donc, il faut désarmer les milices. Il faut aider ce pays à mettre en place les institutions et, surtout, à mettre en oeuvre des projets de développement économique. Il est évident que nous n'avons pas le droit de laisser tomber la République centrafricaine.
Q - Une fois que les milices seront désarmées, il faut que les forces de sécurité centrafricaines soient capables d'assurer la sécurité justement sur le territoire centrafricain. Quelles mesures peuvent prendre la France et l'Union européenne pour soutenir cette armée en reconstruction ?
R - La France et l'Union européenne vont, d'ici l'été, mettre en place une action de formation des forces de Centrafrique, non pas seulement à Bangui dans la capitale, mais sur l'ensemble du pays, dans les provinces. Ce qui veut dire aider à l'installation de cantonnements, même simples. Nous voulons faire tout ce travail avec les Centrafricains. L'Union européenne est prête, la décision est prise et le calendrier sera fixé avant l'été.
Q - De nombreuses élections sont prévues cette année en Afrique, notamment au Tchad la semaine prochaine. Certains militants de la société civile doivent comparaître ce jeudi devant la justice. Ils avaient été arrêtés alors qu'ils s'apprêtaient à manifester contre la candidature du président Idriss Déby. Comment s'annoncent ces élections, selon vous ?
R - Ce qui est important au Tchad, c'est d'observer si l'opposition participe à ces élections. Si elle boycottait les élections, ce serait un signe très inquiétant. Ce n'est pas le cas puisque l'opposition a décidé de participer aux élections qui auront lieu le 10 avril. Le souhait que nous pouvons exprimer, c'est que ces élections se passent dans le calme. Chaque fois qu'une élection a lieu et qu'elle se déroule normalement, démocratiquement dans la transparence et le débat, c'est un plus pour le pays.
Q - Il y a eu une élection aussi récemment au Congo-Brazzaville. La France a parlé de climat préoccupant. La France en revanche n'a pas parlé ouvertement d'irrégularités lors du scrutin, ce qu'ont fait par exemple les États-Unis. Comment expliquer cette différence de ton ?
R - Chaque pays s'exprime à sa façon. Ce qui est sûr c'est que la France n'est pas favorable à ces modifications constitutionnelles permanentes qui ont pour objet de maintenir au pouvoir un chef d'État qui est là depuis des dizaines et des dizaines d'années. Ce n'est bon pour aucun pays. Il y a des pays - je pense au Burundi, à la République démocratique du Congo - qui sont tentés par des réformes constitutionnelles de même nature. On voit bien que cela crée des troubles, de la tension et des dangers. Il faut vraiment que, dans tous ces pays, la raison démocratique l'emporte.
Q - Je reviens sur la République démocratique du Congo. Des élections sont prévues cette année, une présidentielle en principe avant la fin de l'année 2016. Avez-vous l'espoir de voir se tenir ce scrutin dans les délais constitutionnels ?
R - Il faut le souhaiter, mais à condition qu'aucun obstacle n'y soit mis. Encore une fois, l'objet de ces élections, ce n'est pas de modifier les règles et de maintenir au pouvoir telle ou telle personnalité mais c'est de donner la parole au peuple. C'est cela la priorité.
Q - Vous vous êtes rendu récemment en Côte d'Ivoire après l'attentat à Grand-Bassam. Vous aviez promis un soutien de la France dans la lutte contre le terrorisme. Quelle forme peut prendre ce soutien français ?
R - D'abord, il y a énormément d'engagements pris en matière de renseignements et d'échanges de renseignements, des aides techniques aussi. Il faut poursuivre dans cette direction et, en même temps, il ne faut pas oublier que ces terroristes circulent. Ils venaient du nord du Mali, ils peuvent venir aussi de Libye. Il faut donc continuer à régler les conflits qui génèrent du terrorisme. Il faut maintenant mettre en oeuvre les Accords d'Alger qui visent à la réconciliation entre le nord et le reste du Mali. C'est un facteur de stabilité pour ce pays.
Et puis il y a la Libye : c'est un sujet central de préoccupation. Sans gouvernement légal et sans gouvernement d'union nationale, rien n'est possible. Aujourd'hui, c'est le chaos pour le peuple libyen et c'est Daech qui en profite. Daech menace la Tunisie, le Niger, l'Égypte, l'Algérie. Nous avons déjà discuté avec tous ces pays. Puisque cela ne bouge pas assez, nous allons prendre encore de nouvelles initiatives parce qu'il y a urgence, parce que les choses avancent en Libye.
Q - De nouvelles initiatives, cela signifie des sanctions par exemple ?
R - Les sanctions font partie du dispositif. Maintenant, l'Union européenne est d'accord et il faut passer à l'acte.
Q - On a beaucoup parlé de politique, je voulais vous parler d'économie. Votre prédécesseur comptait miser sur l'Afrique. Comptez-vous poursuivre dans cette voie ? Et avez-vous déjà quelques projets identifiés ?
R - En matière de transition énergétique, il est vrai que le continent africain, pour ses propres besoins et aussi en s'inscrivant avec un temps d'avance par rapport à de nouvelles donnes mondiales climatiques, fait partie des chantiers prioritaires. Mais il y en a d'autres : les communications, le numérique...
Nous devons aussi avoir une approche globale de l'Afrique, pas seulement l'Afrique de l'Ouest. Je pense au Nigeria, à l'Afrique du Sud, à l'Angola, à l'Éthiopie, au Kenya, à la Tanzanie. D'ailleurs, concrètement, nos entreprises y sont déjà.
* Libye
Q - (Sur l'installation de M. Sarraj et de membres du conseil présidentiel à Tripoli)
R - Jusqu'à présent, il y a énormément d'entraves, d'opposants qui, pour des raisons diverses, ont tout fait pour que ne soit pas possible l'installation d'un gouvernement d'unité nationale à Tripoli. Le Premier ministre, M. Sarraj, avec qui je m'étais entretenu à Tunis, est très déterminé. Il a décidé, puisque l'aéroport était fermé, de passer par la mer, en bateau, pour aller à Tripoli où il a réussi à accoster et à s'installer. Il a aussitôt adressé un message de réconciliation et de rassemblement national.
Il faut donc saluer cette étape qui est extrêmement importante. Tous les pays de la région attendent une nouvelle donne politique en Libye. C'est une question vitale, c'est une question de sécurité, sinon, c'est Daech qui continue de progresser et qui menace, non seulement la Tunisie, le Niger, l'Égypte ou l'Algérie, mais qui menace aussi l'Europe.
Je pense que c'est une étape importante mais, en même temps, on sait qu'elle est fragile. Si d'autres entraves, d'autres obstacles s'immiscent contre le gouvernement, alors il faudrait mettre en oeuvre des sanctions.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 avril 2016