Texte intégral
Monsieur le Président,
Madame la Présidente de la Commission,
Mesdames, Messieurs les Députés,
Je tiens tout d'abord à saluer l'initiative de la commission des affaires européennes d'inscrire ce débat à l'ordre du jour et à remercier toutes celles et tous ceux qui y participent et y prennent toute leur part, le sujet choisi étant en effet fondamental.
Depuis un an et demi, l'Union européenne vit une crise migratoire historique, vous l'avez tous souligné. Nous faisons face collectivement à une situation exceptionnelle et à un défi sans précédent, du moins dans l'histoire récente.
Si la France n'est pas dans la même situation que certains de ses voisins, notamment l'Allemagne, l'Autriche ou la Suède, elle a connu en 2015 une augmentation de 20% du nombre de demandeurs d'asile, qui est passé de 65.000 à 80.000. Aux réfugiés, principalement syriens et irakiens, qu'il est de notre devoir d'accueillir dans la dignité, s'ajoutent des migrants économiques, souvent leurrés par des marchands de rêves peu scrupuleux - vous avez insisté sur ce point, Monsieur le Député Gomes - et qui, tous, espèrent une vie meilleure en Europe.
Il a été question dans l'intervention de M. le député Asensi du caractère rétrograde de la politique de l'asile de ce gouvernement. Je rappellerai à cet égard un certain nombre de faits. Tout d'abord, la majorité actuelle et le gouvernement actuel ont mené la réforme la plus ambitieuse du droit d'asile depuis longtemps. Mme la députée Mazetier était la rapporteure de ce texte, et plusieurs députés ici présents se sont beaucoup impliqués dans son examen. La loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile a apporté un certain nombre de précisions et traduit en droit un certain nombre de décisions qui étaient attendues. En particulier, 13.500 places supplémentaires ont été créées en 2015 et en 2016 dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile, les procédures d'instruction se sont accélérées et les droits fondamentaux sont mieux garantis. Près de 100 postes ont été créés à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides pour instruire les dossiers et réduire les délais de traitement. Toutes ces mesures sont des avancées concrètes et constituent le premier levier de garantie de ce droit fondamental auquel notre pays est tant attaché depuis longtemps et qui est aussi au coeur d'une certaine conception de l'Europe, l'Europe des droits et des libertés.
L'Europe joue en effet son âme dans cette crise, et une part de son avenir. Elle doit faire face à ses responsabilités en conciliant le droit d'asile, l'hospitalité, qui sont au fondement même de nos valeurs, avec la nécessaire protection de son intégrité et de sa sécurité. C'est la réponse globale que l'Union européenne doit s'efforcer d'apporter à cette crise, et elle doit le faire en se réinventant, car elle n'a pas été conçue pour cela à l'origine.
La première urgence est d'apporter toute notre aide à la Grèce, qui est confrontée à une situation humanitaire sans précédent, et de garantir le respect du droit d'asile et des droits de l'Homme.
L'Union européenne a ainsi mis en place plusieurs mécanismes de solidarité pour apporter un soutien à la Grèce et à l'Italie, deux pays qui se trouvent en première ligne. Deux mécanismes de relocalisation d'urgence ont été mis en place en septembre dernier : ils visent à répartir entre les États membres 160.000 personnes en besoin manifeste de protection qui ont été enregistrées dans des zones d'attente - les fameux hot spots - en Italie et en Grèce.
Par ailleurs, le conseil Justice et affaires intérieures du 20 juillet dernier a décidé la réinstallation, à partir de pays tiers, de plus de 22.000 migrants. Dans ce cadre, notre pays accueillera au titre de la solidarité 30.000 personnes pour la relocalisation et 2.375 personnes pour la réinstallation sur une période de deux ans. Le Premier ministre a encore récemment confirmé cet objectif.
Ces mécanismes commencent à être opérationnels. À l'heure actuelle, 937 relocalisations ont été effectuées à l'échelle européenne, dont 242 relocalisations réalisées depuis la Grèce et 41 depuis l'Italie pour la France. Des progrès restent à faire, c'est le moins qu'on puisse dire, mais ces mécanismes commencent à fonctionner.
Pour permettre à la Grèce d'examiner la recevabilité des demandes d'asile dans les hot spots mais aussi l'aider à mieux assurer la protection de ses frontières, la solidarité de l'Union européenne s'est manifestée par la mise à disposition d'experts, de spécialistes et de policiers. Un besoin de 4.000 experts a été identifié. À la demande du président de la République et de la chancelière fédérale allemande, Bernard Cazeneuve et son homologue allemand Thomas de Maizière ont indiqué dans un courrier adressé à la Commission européenne que la France contribuera au soutien de la Grèce en mobilisant 200 policiers affectés à l'agence Frontex et 100 experts issus notamment de l'OFPRA, affectés au Bureau européen d'appui en matière d'asile. L'Allemagne contribuera au même niveau et la France et l'Allemagne fourniront ensemble un soutien additionnel de 600 agents sur les 2.300 qui seront mobilisés par les États membres.
La fermeture de la route des Balkans requiert d'apporter à la Grèce un soutien exceptionnel afin qu'elle accueille au mieux une population de plus de 50.000 personnes bloquées sur son territoire et prévienne le risque d'une dégradation rapide des conditions sanitaires. L'Union européenne a décidé la création d'un nouvel instrument d'aide humanitaire intra-européen, baptisé EURO-ECHO, doté de 700 millions d'euros pour la période 2016-2018. Pour aider la Grèce à faire face à cette situation exceptionnelle, la France s'engage à titre bilatéral auprès de ses amis grecs en leur fournissant une contribution matérielle comportant notamment des abris préfabriqués, des équipements de chauffage, des conteneurs sanitaires et des équipements destinés à la distribution d'eau potable, soit autant d'actes concrets qui changent la donne sur le terrain.
Pour mettre fin au drame du trafic d'êtres humains en mer Égée, odieux mais très lucratif, dont profitent d'ignobles passeurs, un accord avec la Turquie s'imposait. Il suppose une coopération opérationnelle renforcée avec ce pays mais certainement pas le silence de la France sur le sort des minorités comme la minorité kurde ni sur l'évolution de la situation intérieure de ce pays au regard du respect de l'État de droit, des libertés fondamentales, des droits de l'Homme, de l'égalité entre les femmes et les hommes et plus généralement de tous les standards en matière de droits et de libertés garantis par la convention européenne des droits de l'Homme, dont la Turquie est signataire. L'honnêteté force d'ailleurs à dire que la Turquie est aussi l'un des pays les plus condamnés par la Cour européenne des droits de l'Homme. Nous ferons donc preuve d'une vigilance forte et permanente sur ce point.
La Turquie étant le principal point de départ des migrants vers l'Europe, l'Union européenne a multiplié les efforts pour accroître la coopération avec elle depuis le sommet UE-Turquie du 29 novembre 2015, à l'issue duquel un plan d'action conjoint a été adopté en matière d'immigration. Ce plan d'action est articulé en deux volets, d'une part l'assistance à l'accueil et l'intégration des réfugiés et d'autre part le renforcement de la lutte contre les trafics, du contrôle des frontières et des réadmissions. Il ne résout évidemment pas tous les problèmes et sa mise en oeuvre suppose encore beaucoup de travail et d'ajustements.
Pour réaliser ses engagements, l'Union a décidé de soutenir financièrement la Turquie à hauteur de 3 milliards d'euros. Ces moyens très conséquents permettront à l'Union de porter assistance aux réfugiés accueillis en Turquie en soutenant des projets en matière de santé, d'éducation ou encore d'aide alimentaire. Ces fonds seront progressivement mobilisés sous forme de partenariats associant des ONG et la Commission européenne en fonction des efforts concrètement déployés par la Turquie. À cette fin, nous attendons une évaluation précise des besoins. C'est uniquement sur cette base que seront financés des projets, sans jamais perdre de vue ce qui se passe réellement sur le terrain. Il ne s'agit donc en aucun cas d'un chèque en blanc donné à la Turquie - je comprends parfaitement les inquiétudes et les préoccupations qui ont été soulevées à ce sujet.
Le plan d'action adopté en novembre dernier a été complété par l'adoption de mesures supplémentaires par les chefs d'État et de gouvernement lors du Conseil européen des 17 et 18 mars. La Turquie s'est engagée à réadmettre à partir du 20 mars toutes les personnes qui sont entrées irrégulièrement dans les îles grecques. Elle doit le faire, c'est la moindre des choses, en appliquant les standards internationaux du droit d'asile, en particulier le principe de non-refoulement. La France y a veillé et le Haut-commissariat aux réfugiés garantira le bon respect de ces principes. Vous avez, Madame la Présidente, soulevé cette question.
Par ailleurs, il s'agit bien, Monsieur le Député, d'un accord européen. Il est vrai que l'Allemagne a joué un rôle important dans sa préparation mais c'est le président du Conseil européen qui l'a négocié et il engage tous les pays membres de l'Union européenne. Il met en place un système de renvoi des migrants arrivant irrégulièrement en Grèce depuis la Turquie et prévoit en contrepartie la réinstallation en Europe des réfugiés qui se trouvent déjà dans des camps en Turquie.
Ce système est appelé «un pour un», soit un réfugié réinstallé pour un migrant renvoyé. Il vise à dissuader les départs qui mettent les migrants en danger. J'invite chacun d'entre vous à ne pas sous-estimer la dangerosité de certaines situations dans lesquelles sont placés les migrants par des passeurs sans scrupule. Face au trafic d'êtres humains et aux filières illégales, l'objectif de l'Union européenne est d'aménager une filière d'admission légale. Comme je l'ai indiqué, la France s'est engagée à accueillir 30.000 personnes relocalisées.
Vous êtes nombreux à vous interroger sur la légalité de l'accord avec la Turquie au regard du droit international et du droit européen. Le gouvernement comprend ces interrogations. Il faut savoir que quiconque le souhaite pourra déposer une demande d'asile en Grèce et que chaque demande sera examinée de façon personnalisée, droit de recours inclus. Toutes les demandes d'asile introduites en Grèce feront l'objet d'un traitement individuel et seront susceptibles de recours selon les voies juridiques appropriées. Il ne saurait y avoir en aucun cas d'expulsions collectives ni de dossiers non examinés, comme le stipule clairement le texte de la déclaration conjointe UE-Turquie. Les engagements pris avec la Turquie respecteront également le cadre existant des négociations d'adhésion et de la feuille de route qui comprend soixante-dix critères conditionnant la libéralisation des visas. Notre partenariat avec la Turquie est important, mais il n'est pas question de transiger avec le respect de ces critères. La Turquie doit les satisfaire pour obtenir la libéralisation des visas ou faire avancer les procédures d'ouverture de nouveaux chapitres du processus d'adhésion.
La décision d'ouvrir le chapitre 33 relatif aux dispositions budgétaires et financières est une décision pragmatique conciliant la demande de la Turquie d'une relance des négociations et la préservation des exigences légitimes de Chypre afin de ne pas obérer le processus de réunification en cours. Cette négociation sur de nouveaux chapitres ne préjuge en aucun cas d'une décision au sujet de l'adhésion de la Turquie. Sur les trente-cinq chapitres qui la conditionnent, quinze ont été ouverts depuis 2005 dont onze entre 2007 et 2012 et deux seulement depuis 2012. Comme l'a rappelé le président de la République, la conclusion éventuelle des discussions avec la Turquie n'est pas encore écrite et les Français seront consultés le jour venu à l'issue du processus, conformément à la Constitution. C'est d'ailleurs sous la présidence de Jacques Chirac que cette disposition a été introduite dans notre norme fondamentale.
Les prochaines semaines seront déterminantes pour rendre ces dispositions opérationnelles et atteindre les objectifs fixés, mais les défis sont considérables. Il est essentiel de veiller à la légalité du dispositif, compte tenu des critiques fortes du HCR et de plusieurs ONG. Cette crise ne nous met pas seulement au défi d'être fidèles à nos valeurs, elle exacerbe aussi les forces centrifuges, parfois populistes, qui menacent l'idée même de projet européen. Dans ce contexte, l'Union européenne doit garantir son intégrité et sa sécurité. Nous sommes nombreux à nous émouvoir, en Européens, du repli auquel nous assistons. Il s'agit d'une régression à laquelle nous ne devons pas céder. Gilles Savary, comme beaucoup d'entre vous, l'a dit, avec une conviction européenne particulièrement forte.
C'est pourquoi il est primordial d'assurer le contrôle des frontières extérieures de l'Union et de garantir le bon fonctionnement de l'espace Schengen. Après les attentats perpétrés l'an dernier, dans le contexte d'arrivées massives sur le territoire européen, il a été ainsi décidé de renforcer l'agence Frontex et de la transformer en agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l'UE. Elle formera un système européen de garde-frontières et de garde-côtes destiné à soutenir un État membre en difficulté et sera susceptible de proposer des mesures préventives aux frontières extérieures. Elle devrait être opérationnelle l'été prochain.
Pour garantir la sécurité de nos concitoyens, le Conseil de l'UE a par ailleurs adopté une modification ciblée du code frontières Schengen prévoyant des contrôles systématiques et coordonnés aux frontières extérieures. Nous appelons à son adoption par le Parlement européen dans les plus brefs délais. En outre, la Commission européenne présentera le 4 avril prochain à titre d'instrument complémentaire un paquet «Frontières intelligentes» qui fournira des outils technologiques permettant des contrôles automatisés systématiques à l'entrée et à la sortie de l'Union tout en garantissant la fluidité des passages de voyageurs.
Enfin, pour préserver l'intégrité de l'espace Schengen, tandis que plusieurs États membres, dont la France, ont rétabli des contrôles temporaires à leurs frontières, le Conseil a adopté le 12 février dernier des recommandations adressées à la Grèce, qui a connu au cours des derniers mois de grandes difficultés pour garantir le contrôle de ses frontières. Sur le fond, la Grèce doit bénéficier de toute l'assistance nécessaire pour exercer un contrôle effectif de ses frontières, et la France y contribue pleinement.
Plusieurs questions ont porté sur l'application de cet accord sur le terrain. Madame la Députée, vous avez cité le camp de Mauzac, situé dans votre circonscription. Ce camp est l'un des 121 centres d'accueil et d'orientation créés pour offrir une solution d'accueil temporaire aux personnes qui se trouvent à Calais. Telle est la solution privilégiée par l'État, conformément à la stratégie qui a été indiquée, au détriment de la création de campements comme celui de Grande-Synthe. Monsieur le Député, vous avez appelé l'attention sur le travail mené sur le terrain, notamment par les municipalités. Je salue au nom du gouvernement l'implication des élus locaux dans l'accueil des réfugiés. Le ministre de l'intérieur, Bernard Cazeneuve, a associé les maires dès le 12 septembre de l'année dernière à la stratégie d'accueil. Il a demandé aux maires et aux élus locaux leur appui. Lors de cette réunion comme toujours depuis, ils ont répondu présent, avec un grand sens des responsabilités.
L'État a mis en place un dispositif d'accompagnement des communes, consacré en particulier au logement. Le ministère de l'intérieur reste bien entendu à la disposition des élus pour faire le point sur toutes les situations, y compris les situations problématiques ou conflictuelles comme celles qui ont été évoquées. Quant à l'OFPRA, il est pleinement engagé dans la mise en oeuvre de l'accord UE-Turquie. Comme je l'ai indiqué, il enverra dès lundi en Grèce des officiers de protection afin de relocaliser en France et ailleurs en Europe tous les migrants ayant besoin de protection actuellement bloqués en Grèce, en lien avec le Bureau européen d'appui en matière d'asile.
L'OFPRA participe par ailleurs, dans le cadre du dispositif «un pour un», à des missions de réinstallation de migrants syriens vulnérables vivant en Turquie dans des conditions particulièrement difficiles. L'Office est donc pleinement partie prenante à la stratégie du gouvernement dans cette affaire. Il est vrai qu'il a refusé de participer aux missions de police, en précisant que tel n'est pas son rôle. Chacun est libre de penser ce qu'il veut de cette décision mais elle me semble, à titre personnel, recevable et défendable. Hormis cette réserve, l'OFPRA est pleinement impliqué dans notre stratégie, ce qui est d'ailleurs indispensable pour la garantie des droits.
Par-delà l'urgence, nous devons traiter les causes profondes du phénomène en lien étroit avec les pays d'origine et de transit. L'Union européenne a renforcé le dialogue et les actions menés avec les pays d'origine et de transit afin d'y ouvrir des perspectives pour les migrants économiques qui cherchent à rejoindre l'Europe. La conférence de haut niveau sur la route des Balkans occidentaux et de la Méditerranée orientale tenue le 8 octobre dernier a défini une feuille de route axée sur l'aide aux réfugiés et aux communautés hôtes en Turquie, au Liban et en Jordanie mais aussi sur la lutte contre les filières de passeurs et la surveillance des frontières. La coopération entre les pays de la région et les États membres de l'Union européenne est indispensable.
Pour venir en aide aux pays voisins du conflit syrien, une conférence des donateurs relative à la crise syrienne s'est tenue à Londres le 4 février dernier à l'initiative de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de la Norvège, du Koweït et des Nations unies. Plus de 10 milliards de dollars ont été promis, dont plus de 3 par les États membres de l'Union européenne. La France a promis 200 millions d'euros de dons pour la période 2016-2018. La Jordanie et le Liban devraient ainsi bénéficier de mesures de soutien de la part de l'Union, en matière notamment d'assistance financière mais aussi de relations commerciales, de sécurité et de mobilité. Il s'agit par ailleurs de promouvoir une stratégie globale visant à offrir aux réfugiés syriens un minimum de stabilité par l'accès à l'emploi et la scolarisation des enfants.
Par ailleurs, le Sommet UE-Afrique tenu à La Valette les 11 et 12 novembre 2015 a aussi jeté les bases d'un partenariat global avec les pays d'origine et de transit visant à trouver des solutions communes et durables face à l'enjeu migratoire. Dans ce cadre, une déclaration politique et un plan d'action comportant seize actions prioritaires à mettre en oeuvre avant la fin de cette année ont été agréés. À partir d'un fonds de 1,8 milliard d'euros, vingt projets viennent d'être approuvés, en décembre pour l'Afrique de l'Est et en janvier pour l'Afrique de l'Ouest. Toutefois, la Haute représentante souhaite lier la mise en oeuvre de ce fonds avec les dialogues politiques de haut niveau sur le retour et la réadmission.
La coopération des États tiers, y compris en matière de retour et de réadmission, est bien sûr un enjeu clé. Des dialogues ont ainsi été initiés avec le Sénégal, l'Éthiopie et le Niger et les discussions sont en cours s'agissant des paquets incitatifs pour identifier les leviers concrets qui peuvent être mobilisés pour encourager une meilleure coopération de la part de ces pays en matière de migration légale, conformément aux engagements pris dans le plan d'action de La Valette.
La lutte contre le trafic d'êtres humains et contre les réseaux fait partie intégrante de la réponse européenne. En Méditerranée centrale, depuis plus de neuf mois, l'opération navale au titre de la politique de sécurité et de défense commune appelée Sophia lutte contre les trafiquants de migrants et les réseaux de passeurs. Cette opération a pour objectif la neutralisation des navires de trafiquants et de passeurs avant même leur utilisation. La deuxième phase de l'opération, qui doit permettre l'arraisonnement et la saisie de navires uniquement en haute mer, a débuté le 7 octobre. Nous espérons fortement que Sophia pourra prochainement opérer dans les eaux territoriales libyennes, conformément à son mandat. Cela requiert toutefois un accord préalable du futur gouvernement libyen d'unité nationale ou le vote d'une nouvelle résolution du Conseil de sécurité.
Enfin, la France participe aux activités de l'OTAN visant à renforcer la surveillance et le suivi des flux de migrants en mer Égée. Comme l'a annoncé le président de la République le 4 mars, nous y avons déployé un patrouilleur de haute mer qui accomplit sa mission en coopération étroite avec les autres navires engagés dans ce cadre, envoyés par l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Turquie, le Canada, la Grèce et les Pays-Bas.
Mesdames et Messieurs les Députés, les défis immenses que révèle ce débat, la situation à laquelle l'Europe est confrontée, ne justifient ni le renoncement ni le repli national, qui n'apportent aucune solution. L'Europe a les moyens d'y faire face. Elle en sera d'autant plus capable qu'elle sera fidèle aux principes de solidarité, de responsabilité et d'hospitalité. La France ne ménage pas et ne ménagera pas ses efforts pour y contribuer pleinement.
(Intervention des parlementaires)
Monsieur le Député, je vous remercie d'abord pour le ton que vous employez, et pour le grand humanisme et l'équilibre qui imprégnaient votre intervention de tout à l'heure. Dans le contexte actuel et la tonalité générale du débat, cela me semble fondamental.
Le Premier ministre a effectivement indiqué que la France avait pour objectif d'accueillir 30.000 réfugiés, et cela a été confirmé encore récemment. S'agissant des chiffres, vous êtes dans les bons ordres de grandeur. Il n'existe pas de chiffrage précis, mais nous savons que la France a déjà accueilli 350 réfugiés et en accueillera 140 supplémentaires au titre de la relocalisation dans les jours qui viennent. Nous sommes effectivement bien loin de l'objectif final.
Quant à la proposition du groupe de l'UDI, elle n'est pas recevable car elle contrevient à de nombreux engagements européens et internationaux de la France. L'unité de la famille du réfugié est un principe fondamental dans notre droit, garanti notamment par la Convention européenne des droits de l'Homme et par la jurisprudence de la Cour européenne. Lorsqu'une personne est persécutée dans son pays en raison de ses origines ou de sa lutte pour la liberté, elle et sa famille ont droit à l'asile en Europe. Ce droit est placé tout en haut de la hiérarchie des normes.
Madame la Députée, le gouvernement partage vos préoccupations et est très attentif à la question du respect des droits de l'Homme et, en l'occurrence, du droit d'asile.
L'accord UE-Turquie est très précis à cet égard : il n'y aura pas de renvoi de masse de migrants et chacun pourra, s'il le souhaite, déposer une demande d'asile. Chaque demande sera examinée de manière individuelle, le droit de recours sera garanti. Nous serons très attentifs à ce que l'effectivité des droits soit respectée, aussi bien dans le texte de l'accord que dans la réalité des faits - puisque c'est finalement la seule chose qui compte.
La France se mobilise et assiste sur le terrain, avec des moyens humains supplémentaires, les services en charge du droit d'asile et du contrôle des frontières. Nous nous montrerons très attentifs à ce que, y compris en Turquie, un certain nombre d'adaptations législatives interviennent afin que les migrants soient effectivement protégés, conformément aux normes internationales applicables et dans le respect du principe de non-refoulement. Cela vaut aussi pour les Afghans, dont vous avez souligné la situation. Nous serons attentifs au principe, et à son respect effectif sur le terrain. À chaque fois que ce ne sera pas le cas, il y a aura des demandes très précises d'adaptation du droit et des pratiques constatées dans ces pays.
Monsieur le Député, le gouvernement partage votre préoccupation concernant le sort des enfants. Vous avez rappelé un cas qui a particulièrement frappé l'opinion internationale ; malheureusement, il y en a beaucoup d'autres.
L'Union européenne est engagée dans une stratégie globale sur la question des mineurs, qu'ils soient au sein de leur famille ou isolés. Plus de 200 millions d'euros sont mobilisés pour la période 2014-2020 afin de protéger les mineurs migrants, en Europe et dans les pays voisins. Par ailleurs, les paquets de soutien en faveur de la Jordanie et du Liban, auxquels travaille actuellement l'Union, seront consacrés principalement à la promotion d'une stratégie globale qui permettrait notamment la scolarisation généralisée des enfants syriens.
L'Union se mobilise également pour lutter contre le trafic d'enfants. Nous le savons bien, les mineurs peuvent constituer des cibles privilégiées et particulièrement vulnérables des réseaux de trafiquants. Europol et Eurojust oeuvrent au démantèlement de réseaux de trafiquants et de traite des mineurs. C'est une des priorités de la Plateforme européenne pluridisciplinaire contre les menaces des réseaux criminels de trafic d'êtres humains. La Plateforme européenne de la société civile de lutte contre la traite des êtres humains est également très impliquée sur ces questions, en lien avec les ONG de défense des droits des mineurs.
Enfin, la révision de l'article 8 du règlement Dublin II, proposée par la Commission européenne, en discussion avec le Parlement européen, vise à ce que les demandes d'asile des mineurs soient traitées dans l'État membre où elles ont été déposées, à moins que ce ne soit contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant.
La France suit cette stratégie globale et veille à ce que la question des mineurs soit particulièrement intégrée dans tous les débats en cours.
Monsieur le Député, je tiens tout d'abord à saluer votre implication au long cours dans ce sujet. Nous avons travaillé ensemble lorsque je siégeais sur vos bancs à la question de l'accueil des étrangers et, plus généralement, à celle des migrations et des réfugiés, toutes questions dans lesquelles vous êtes particulièrement impliqué.
Vous avez rappelé les critiques très fortes, virulentes même de l'accord, qui ont été formulées par des organisations non gouvernementales et par le HCR. Il est vrai que ces critiques doivent être entendues. Mais nous sommes attentifs à ce que, sur le plan des principes, le respect des droits fondamentaux soit assuré en permanence et à ce que le droit turc soit adapté lorsque cela se révèle nécessaire, et ce l'est dans bien des cas, afin d'assurer le respect du droit international dans le principe et dans les pratiques.
Quelques jours à peine après le début de l'entrée en vigueur de l'accord, il est un peu tôt pour dresser un bilan réaliste. Nous n'avons pas le recul suffisant. Nous attendons de cet accord l'amélioration de la situation trop souvent insupportable à laquelle des femmes et des hommes sont confrontés sur le terrain : progressivement, les choses doivent aller dans le bon sens. C'est également le sens de l'assistance très concrète qu'apporte la France, je l'ai déjà évoqué, avec l'acheminement de matériels ou d'eau potable par exemple, en vue d'améliorer la condition matérielle des réfugiés, une condition qui, dans bien des endroits, n'est pas digne d'une certaine idée de l'homme et de l'Europe.
Nous portons donc une attention particulière à tous ces points, sur lesquels je salue l'implication du Parlement. Le contrôle parlementaire tout au long des différentes étapes du processus me paraît une des clés du succès, qui repose sur la vigilance permanente de chacun.
Madame la Présidente, je salue votre travail sur ce thème. J'ai déjà évoqué votre travail de rapporteure sur le droit d'asile et la réforme très forte qui a été réalisée par la majorité sur ce thème fondamental, alors que la situation, il faut le reconnaître, s'était considérablement dégradée depuis des années. Grâce à la loi qui a été votée et aux différentes dispositions qui sont mises en oeuvre, notamment l'indépendance de l'OFPRA, la situation, sans être parfaite, est désormais bien encadrée au plan législatif. Je me joins à vous pour saluer le travail remarquable réalisé par les officiers de protection et toutes les équipes de l'OFPRA, qu'avec plusieurs parlementaires nous avons eu l'occasion, il y a quelques années, de rencontrer pour faire le point et juger concrètement de la situation.
Vous m'interrogez aussi sur la situation des mineurs. J'ai déjà indiqué les éléments de stratégie de l'Union sur ce sujet en termes d'aide matérielle et de ciblage de cette population particulièrement vulnérable. Compte tenu du peu de temps qui m'est imparti, je concentrerai ma réponse sur Calais.
Vous savez que le ministre de l'intérieur, qui est très impliqué sur ce sujet, a indiqué devant la commission des lois que la mise à l'abri des mineurs constitue une de ses priorités absolues. Le centre Jules Ferry permet d'accueillir les enfants accompagnés de leur mère. Quant aux mineurs isolés, particulièrement vulnérables, ils font l'objet d'un suivi spécifique. L'État a missionné l'association France terre d'asile pour le recensement et la mise à l'abri des mineurs isolés. Lors des maraudes, il leur est proposé de rejoindre un des deux centres qui leur sont dédiés : le centre de Saint-Omer pour les plus de 15 ans et le centre Georges-Brassens pour les plus jeunes. Pour les plus de 15 ans, cette orientation dépend de leur consentement, conformément au droit.
En outre, le ministre de l'intérieur a décidé de renforcer considérablement notre dispositif d'accueil des mineurs. Des places leur sont réservées dans le centre d'accueil provisoire et dans les tentes de la sécurité civile.
Enfin, j'ajoute que, lors du sommet franco-britannique d'Amiens, le 3 mars dernier, la France a obtenu du Royaume-Uni qu'il s'engage à accueillir sur son territoire les mineurs isolés présents à Calais ayant de la famille outre-Manche, dans le cadre de l'application rigoureuse du règlement européen de Dublin. C'est un sujet supplémentaire sur lequel notre coopération a permis d'avancer. En la matière, il est essentiel que le Royaume-Uni prenne toute sa part. Je vous remercie pour votre suivi attentif de ce sujet.
Je tiens également à saluer votre implication, Madame la Députée, sur tous ces sujets. Vous êtes depuis longtemps impliquée sur la question des droits de l'Homme et en particulier des droits des femmes, y compris à l'ONU. Vous avez raison de rappeler que le droit international fonde un grand nombre des engagements de la France ainsi que notre rayonnement. C'est vrai de notre place de membre permanent au Conseil de sécurité, c'est vrai du message universel de la France, c'est vrai de l'éminente contribution de juristes français à la Déclaration universelle de droits de l'Homme - je pense à René Cassin. Sur tous ces sujets, le message de la France est celui des droits de l'Homme et du respect des libertés partout dans le monde. Vous avez parfaitement raison de le rappeler dans le contexte général dans lequel se situe le débat public français. Il est salutaire que ce type de voix s'exprime dans toutes les familles politiques.
C'est vrai, le partenariat euro-méditerranéen, pour lequel vous vous impliquez, est d'une grande importance stratégique pour faire face aux défis communs aux deux rives de la Méditerranée. Si les problèmes ne sont pas réglés sur l'une des deux rives, ils rejailliront nécessairement sur l'autre à plus ou moins court terme, tant les choses sont désormais liées. C'est vrai tant sur le plan sécuritaire que sur les plans économique et social.
Des outils existent, dont certains ont déjà fait leur preuve. Je pense à la politique européenne de voisinage, qui vient d'être révisée, au dialogue 5+5, dont la France assure actuellement la coprésidence, à l'Union pour la Méditerranée, qui est aujourd'hui la seule enceinte de coopération régionale euro-méditerranéenne, ou encore à la coopération entre l'Union européenne et la Ligue des États arabes, marquée notamment par le récent lancement d'un dialogue stratégique sur de nombreux sujets.
Notre pays continuera d'oeuvrer en faveur du renforcement du partenariat euro-méditerranéen, en particulier autour de trois axes d'action : la jeunesse, le renforcement de l'intégration régionale, dans le souci que vous avez souligné de coopérer, et le dialogue sur les questions de sécurité, en particulier la lutte contre le terrorisme et la radicalisation.
Nous partageons au moins sur ces points le diagnostic que rien ne peut se faire si l'ensemble du pourtour méditerranéen n'est pas impliqué pour travailler ensemble, conformément au message de Fernand Braudel sur l'identité méditerranéenne.
Monsieur le Député, vous m'avez posé plusieurs questions. Qui va reconduire les réfugiés en Turquie ? C'est l'agence Frontex, dont c'est la mission, laquelle a d'ailleurs été récemment redéfinie et précisée.
Quant au durcissement du regroupement familial, il serait en contradiction flagrante avec les normes internationales et les engagements internationaux de la France, que votre collègue vient de nous appeler à respecter.
(...)
Puisque vous avez posé des questions précises, je vous apporte des réponses précises. S'agissant de la connexion entre le contrôle des nouveaux migrants et le système d'information Schengen, elle est assurée par la base Eurodac, installée dans les hot spots.
J'en viens à votre dernière question, là encore gravissime, qui est de savoir comment sera géré l'Euro, dont nous souhaitons la tenue et la réussite dans des conditions sécuritaires parfaites. Évidemment, le gouvernement étudiera de très près à la fois la question des frontières nationales et celle du maintien ou non de l'état d'urgence.
Ces questions sont laissées à l'appréciation des plus hautes autorités de ce pays, qui prendront à l'évidence, en temps utile, les décisions qui s'imposent.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 avril 2016