Entretien de M. Jean-Marc Ayrault, ministre des affaires étrangères et du développement international, dans "Ouest-France" du 1er avril 2016, sur la situation en Libye, en Syrie et en Centrafrique.

Prononcé le 1er avril 2016

Intervenant(s) : 

Média : Ouest France

Texte intégral


* Libye - Daech
Q - La situation est très chaotique en Libye, avec trois gouvernements et la présence de Daech. La France affirme soutenir le gouvernement d'union nationale de Fayez al-Sarraj, arrivé mercredi à Tripoli. En quels termes ?
R - J'ai récemment rencontré M. Sarraj à Tunis. C'est un homme très solide, très courageux. Il m'avait dit sa détermination à se rendre à Tripoli et à organiser lui-même sa sécurité avec des forces locales. Il veut pouvoir affirmer une légitimité appuyée par les parlementaires, reconnue par la communauté internationale. Sa décision d'aller dès maintenant à Tripoli est encourageante.
Q - La France va-t-elle contribuer à assurer sa sécurité ?
R - Pas seulement la France. Il n'y a rien de possible sans ce gouvernement légal reconnu par la communauté internationale. La Libye est un sujet de préoccupation partagé par tous les pays de la région et bien au-delà. Le chaos qui y règne aujourd'hui favorise le développement rapide du terrorisme. C'est une menace directe pour la région et pour l'Europe. Daech recule en Syrie et en Irak, mais progresse sur le terrain en Libye. Il faut se préparer à répondre présent si le gouvernement d'union nationale de Sarraj demande de l'aide, y compris sur le plan militaire.
Q - Présent, c'est-à-dire prêt à une intervention ?
R - Cela dépendra de ce que nous demandera le gouvernement légal. Imaginer qu'on pourrait se lancer dans des frappes aériennes hors de tout processus politique n'est pas une option. Les Algériens, qui n'étaient pas favorables aux frappes en 2011, comme les Russes, ne se privent jamais de nous rappeler l'opération en Libye. Il faut éviter de répéter les erreurs du passé et ne pas oublier ce qui s'est produit en Irak. La responsabilité de l'intervention américaine sous George W. Bush est dramatique. Cela a bouleversé la région et fait naître l'extrémisme et Daech. Tous ceux qui réfléchissent à des solutions, aussi bien en Syrie qu'en Libye, savent qu'il ne faut pas refaire ces erreurs. (...).
* Syrie
(...)
Q - Justement, est-ce que la position française évolue sur la Syrie ?
R - Notre position est qu'il n'y a pas de sortie de crise sans solution politique. Le cessez-le-feu, qui est globalement respecté depuis un mois, est un progrès que nous veillons à préserver. C'était inespéré. Même si de nouveaux rapports de forces, avec les bombardements russes, peuvent être affichés, cette trêve doit absolument être consolidée. Mais l'urgence sur le terrain, aujourd'hui, c'est d'obtenir que l'aide humanitaire parvienne à l'ensemble des populations syriennes qui en ont besoin. C'est le régime qui l'empêche. On ne cesse de faire pression pour cela. Enfin, le processus politique, sous l'égide du représentant spécial de l'ONU, Staffan de Mistura, a repris. Nous avions encouragé l'opposition à participer aux pourparlers. Elle a joué le jeu dans les négociations.
Q - Le régime aussi ?
R - Non, il n'a pas joué le jeu.
Q - Qu'attendez-vous du régime ?
R - La France attend du régime syrien qu'il cesse de bombarder les civils et qu'il s'engage sans arrière-pensée dans un processus de transition politique conforme à la résolution 2554.
Q - Avec ou sans Assad ?
R - Il faut garder des institutions qui soient acceptables par l'opposition et un certain nombre d'éléments du régime, mais à terme, Bachar al-Assad devra partir. À l'issue du processus, il est très clair qu'il ne pourra pas rester à la tête du pays. Il va y avoir beaucoup de points à négocier, la question territoriale, les minorités, pour pouvoir reconstruire le pays. Et permettre aux réfugiés de revenir. Car l'immense majorité d'entre eux ont l'espoir de revenir.
Q - A-t-on fait une erreur en liant notre diplomatie au sort d'Assad ?
R - Ce qui compte, c'est la reprise du processus politique. Staffan de Mistura avance pas à pas avec l'objectif que personne ne quitte la table des discussions. Il faudrait qu'avant le mois d'août on aboutisse à une formule institutionnelle permettant d'organiser des élections. (...).
* République centrafricaine
(...)
Q - Vous revenez de Bangui. La mission de la France touche à sa fin en Centrafrique. Mission accomplie ?
R - Lorsque l'opération Sangaris a été décidée, j'étais à Matignon. La situation était extrêmement délicate. Nous avons pris nos responsabilités. Il fallait éviter des massacres. Notre intervention a permis de pacifier la situation et de créer des conditions qui ont rendu possible le processus de transition politique. On revient de loin, et la France et l'Union européenne ont joué un rôle important. (...).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 avril 2016