Texte intégral
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* Arménie - Azerbaïdjan - Incidents au Haut-Karabagh
Q - Concernant le Nagorno-Karabagh, Comment voyez-vous la situation à ce jour ? Il y a aujourd'hui une réunion à Vienne, craignez-vous qu'il y ait une sorte de jeu entre la Russie et la Turquie dans cette région pour alimenter cette nouvelle crise ?
R - Concernant cette question, nous avons la même approche. Nous voyons bien que la solution militaire ne peut être la solution, mais le statu quo non plus. Le président Hollande avait pris l'initiative de réunir à Paris les présidents d'Arménie et d'Azerbaïdjan pour prendre une initiative politique ; nous appelons cela le groupe de Minsk. Ceci se traduira notamment par des réunions au niveau des ambassadeurs qui vont se déplacer dans les capitales, à Bakou et à Erevan. Je me suis entretenu par téléphone avec mes homologues d'Arménie et d'Azerbaïdjan pour passer le même message : la demande d'arrêt des hostilités tout de suite pour reprendre un processus politique. Évidemment, on connaît le contexte, on connaît les tensions, mais je ne pense pas que la Russie ait intérêt à ce que l'on soit dans une spirale de la violence dans cette région et je partage le sentiment de Frank. Notre initiative de relance du travail accompli par le groupe de Minsk me paraît vraiment extrêmement utile.
Q - Et quel serait le rôle de la Turquie ?
R - On a vu les déclarations turques. Mais qui a intérêt à ce que s'ouvre un nouveau conflit ? Je pense qu'il faut que la raison l'emporte. En tout cas notre message est clair : l'arrêt immédiat des hostilités et la reprise des discussions politiques. Mes interlocuteurs n'ont pas dit non. En tout cas, nous prendrons des initiatives concrètes pour qu'il en soit ainsi. Il n'y a pas d'autre voie possible et c'est le message que nous adresserons aux Turcs comme aux Russes. Nous ne restons pas inertes et indifférents à ce qui se passe. (...).
* Réunion de travail franco-allemande - Relations bilatérales
Nous avons déjà évoqué la coopération franco-allemande, mais nous avons abordé aussi beaucoup de questions d'actualité : les questions européennes, bilatérales, bien sûr, mais aussi celles qui relèvent des situations de crise malheureusement trop nombreuses. Notre idée, c'est aussi de réfléchir sur le moyen terme.
On aura donc aujourd'hui cette séance qui sera assez intense, avec beaucoup de choses, de quoi faire, mais surtout beaucoup de sujets pour se revoir, avec aussi le plaisir d'une relation amicale et personnelle avec Frank que je connais maintenant depuis longtemps. Non seulement c'est un ministre et mon homologue, mais c'est aussi un ami que je suis très heureux de recevoir aujourd'hui ici à la Celle-Saint-Cloud.
Nous avons aussi envisagé des initiatives en commun puisque nous avons planifié un déplacement en Afrique, au Mali et au Niger, pour les volets sécurité et développement de notre coopération. Nous avons également des projets de conférence des ambassadeurs régionales communes. Nous allons travailler aussi sur la poursuite d'un programme d'installation d'ambassades communes dans un certain nombre de pays.
Donc, il y a beaucoup de choses en commun pour les deux ministères, au-delà des situations que Frank ou moi-même avons évoquées.
Quant au conseil des ministres franco-allemand de jeudi, ce que je voudrais dire, par rapport à une sorte de routine qui s'installe sur la relation franco-allemande et la perception d'un exercice qui ne serait plus que formel, je crois que c'est une erreur d'interprétation qu'il faut corriger. Bien sûr le conseil des ministres se déroule en une journée, il est assez rapide, mais c'est la relation entre deux pays, entre deux gouvernements, qui est la plus poussée de toutes les relations bilatérales qui existent. Les différents ministres vont faire le point sur leur action commune mais la relation franco-allemande qui sera évoquée dans ce conseil touche toute les politiques publiques. C'est rare et unique, que ce soit dans le domaine économique, scientifique, numérique, dans le domaine de la culture et bien sûr tout ce qui relève de la politique de défense et de sécurité. C'est donc une relation très riche et très intense.
Trois sujets, à mon avis, vont ressortir : l'un relève d'un rapport, auquel j'ai contribué avec Mme Kramp-Karrenbauer, pour promouvoir l'intégration des deuxièmes et troisièmes générations issues de l'immigration. C'est une problématique commune à nos deux pays, qui ne concerne pas la situation actuelle des réfugiés. Nous essayons de l'analyser mais aussi de faire des propositions. Il y aura un conseil restreint affaires étrangères-défense où, je dois dire que nous progresserons.
Je n'oublie pas la décision courageuse du gouvernement et du parlement allemands après les attentats du 13 novembre dernier où, après l'activation de l'article 47-2 du Traité sur l'Union européenne, nos partenaires allemands ont pris la décision de s'engager davantage ; c'est quelque chose que je tiens à saluer.
Et puis, bien sûr, il faudra que nous discutions ensemble, très concrètement de la mise en oeuvre des décisions européennes. Je pense en particulier à celles qui concernent les réfugiés, non pas pour trouver une nouvelle réponse mais pour mettre en oeuvre ce qui a déjà été convenu ; ce qui est complexe et difficile mais que nous abordons ensemble.
Notre relation est à la fois confiante, franche, c'est l'intérêt de ces rencontres et, en même temps, nous avons, les uns et les autres, conscience de notre responsabilité. On voit bien que l'Europe est inachevée. C'est vrai au niveau de la politique monétaire et économique. On le voit aussi à travers la crise des réfugiés, avec des décisions qui ne sont pas forcément exécutées. Mais en Europe, c'est le couple franco-allemand qui joue un rôle déterminant pour trouver les réponses ; pas en excluant les autres évidemment, mais quand le couple franco-allemand ne répond pas en commun, les choses n'avancent pas. C'est cela dont nous sommes conscients et que nous voulons renforcer, mais qui nécessite aussi, comme nous allons le faire aujourd'hui, à l'occasion de cette première rencontre informelle, avec des réflexions plus approfondies, parfois plus prospectives, et qui nous permettront, dans la durée, d'apporter des réponses convaincantes. (...).
* Réunion de travail franco-allemande - Migrations
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Q - M. Steinmeier compte sur la voie d'un dialogue plus constructif au sein de l'Union européenne sur la question des réfugiés. Peut-on imaginer qu'à l'issue du conseil des ministres franco-allemand, l'accord entre l'Union européenne et la Turquie soit illustré par un retour symbolique ? Aujourd'hui, dans la presse française, on a l'impression que c'est seulement l'Allemagne qui admet les réfugiés syriens dans le cadre de cet accord.
R - Nous l'évoquerons évidemment tout à l'heure, mais il est hors de question que la France ne s'associe pas à ce que l'Allemagne vient de faire. La France a pris des engagements, elle considère que cette question ne peut être traitée qu'à un niveau européen, mais en même temps, chaque pays doit prendre sa part de responsabilité. La France s'est engagée, elle tiendra ses engagements. Cela vaut pour les engagements que nous avons pris pour la relocalisation de réfugiés, notamment en provenance de Grèce, cela vaut aussi pour les engagements qui sont contenus dans l'accord Union européenne-Turquie. C'est donc très clair.
J'ai bien compris votre question, vous voudriez un acte symbolique, il n'était pas prêt mais nous n'excluons rien. Il faut que le message soit très clair, nous prenons nos responsabilités pour ne pas qu'on laisse aller une situation aussi difficile et périlleuse. Je sais bien que l'accord avec la Turquie a été critiqué mais peut-on s'imaginer laisser la Grèce dans la situation où elle se trouvait ? Il faut partir de cette réalité extrêmement difficile, déstabilisatrice, dangereuse, pour la Grèce d'abord, et pour les autres pays bien sûr. Donc, nous avons trouvé un chemin qui est difficile, exigeant, qui n'est pas, j'allais dire le plus satisfaisant, mais qui doit être respectueux du droit des personnes, ce qui est le cas. - Dans le cadre du respect des règles du droit d'asile, des procédures d'appel ont été mises en place ou doivent l'être ; c'est la condition de cet accord.
Je pense que cette situation, au-delà de la crise syrienne et des réfugiés qui fuient leur pays parce qu'ils sont sous les bombes, il y a aussi cette obligation morale de combattre des trafiquants humains qui continuent d'organiser, dans la mer Égée, le trafic des réfugiés. C'est donc aussi à cette situation à laquelle nous devons mettre fin. L'accord qui a été conclu a pour objectif de traiter aussi la source. La source, c'est à la fois la guerre mais c'est aussi l'exploitation inhumaine de personnes en situation de détresse. Cela fait partie de ce qui doit être fait. Même si c'est commencé, c'est encore insuffisant.
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Q - Partagez-vous le sentiment de solitude relative qu'a eu Berlin dans cette crise des migrants ? Et que peut-faire concrètement la France, justement, pour montrer que...
R - La France a pris des positions politiques, je les ai exprimées en ce qui me concerne, le président de la République l'a fait aussi ainsi que le Premier ministre et tout le gouvernement.
La réponse est européenne. Elle ne peut pas être « chacun se débrouille ». Elle part d'un principe qui est le respect des engagements que nous avons pris, qui est le respect du droit d'asile contenu dans les valeurs de l'Europe. C'est cela qu'il faut que nous respections. C'est le message que nous devons adresser à nos concitoyens dans nos pays respectifs.
Q - Mais la France, vu le rapport franco-allemand dont vous parliez tout à l'heure, que pourrait-elle faire comme geste plus concret pour montrer, justement, qu'il y a cette relation privilégiée ?
R - La relation privilégiée se traduit par le fait l'Allemagne et la France ont pris des engagements clairs. L'Allemagne prend largement sa part dans l'accueil des réfugiés et, je l'ai dit plusieurs fois, dans des conditions extraordinaires de mobilisation des pouvoirs publics et aussi des citoyens allemands. L'arrivée massive de réfugiés, ce n'est pas simple dans certaines villes. J'ai pu personnellement me rendre compte, dans certaines villes allemandes, des efforts considérables qui sont faits à la fois par les services publics mais aussi par les citoyens volontaires.
En France, nous avons pris une position très claire, c'est-à-dire de nous engager à respecter ce qui a été décidé au niveau européen c'est-à-dire une répartition des réfugiés entre les pays. La France s'y est engagée. C'est un discours politique qui est clair et que nous assumons pleinement, sans réticence, pour tous ceux qui peuvent bénéficier du droit d'asile. Le nombre de personnes accueillies est encore très insuffisant par rapport aux engagements pris. Il va falloir que nous redoublions d'efforts pour organiser cet accueil. Mais nous nous en tenons à nos engagements et sans revenir en arrière.
Aussi, par rapport à nos partenaires allemands, c'est un message très clair. Puisque nous savons bien qu'un certain nombre de pays s'exonèrent de ces engagements qui ont été pris au niveau européen. Ce n'est pas juste même si chaque pays à ses difficultés propres, ce qui peut se comprendre. Mais le «non» absolu ne correspond ni aux valeurs de l'Europe, ni aux engagements que chaque pays a pris concernant le droit d'asile, ni aux engagements pris en commun au Conseil européen.
Très concrètement, nous avons décidé d'aider la Grèce et nous allons mettre à leur disposition 300 personnes de chaque pays soit un total de 600 personnels qui vont aider à mettre en oeuvre ce que Frank vient de rappeler.
Ce que j'évoquais tout à l'heure lorsque j'ai dit quelques mot d'accueil pour Frank, c'est qu'effectivement, nous avons créé l'espace Schengen, mais nous ne sommes pas allés jusqu'au bout de ce processus et l'on voit bien que, si nous voulons avoir la confiance des peuples européens, il faut que les engagements pris pour la protection de nos frontières soient effectifs et l'on voit bien qu'il y avait du retard. Maintenant, des décisions seront prises, on ne peut pas reprocher à l'Europe de ne rien faire, et il a été décidé que nous allions protéger les frontières et nous sommes dans cette phase de la concrétisation des décisions politiques. Si nous voulons que les citoyens européens aient confiance, il faut que l'on garantisse leur protection et leur sécurité. Après, évidemment, lorsque l'on fait face à des crises comme celle des réfugiés syriens, il y a aussi la cause pour laquelle il faut apporter la solution. C'est notre mobilisation commune pour la paix en Syrie. Tout se tient. (...)./.
* Réunion de travail franco-allemande - Libye
Q - Une question sur la Libye. Vous avez dit à plusieurs reprises que vous soutiendriez et répondriez à l'aide demandée par le nouveau chef de gouvernement d'unité nationale. Quel type d'aide ? Et demandez-vous justement sur ce chapitre-là un plus grand engagement également de vos partenaires européens ?
R - Nous sommes en phase avec nos partenaires européens sur la situation libyenne qui était extrêmement préoccupante. Nous avons défendu la même position, c'est-à-dire la nécessité de mettre en place un gouvernement d'unité nationale qui soit reconnu par la communauté internationale et qui puisse s'installer à Tripoli, dans la capitale, et commencer son travailler. Rien n'est possible avec la Libye si cette étape n'est pas franchie.
Moi-même, j'ai rencontré M. Sarraj à Tunis lorsque je suis allé en visite officielle dans ce pays et j'ai vu quelqu'un de solide et de déterminé. Et, là, je dois dire avec satisfaction qu'il a décidé de se rendre à Tripoli alors qu'il y avait énormément d'obstacles, y compris en mettant en péril sa propre sécurité. C'est quelqu'un d'extrêmement courageux.
Aujourd'hui, il est là-bas, nous devons absolument le soutenir. Des décisions importantes ont été prises, notamment par la Banque centrale et la Compagnie nationale de pétrole qui le soutiennent et c'étaient les conditions aussi pour qu'il puisse agir. Ceci est extrêmement important parce que ce sont les avoirs libyens qui déterminent énormément de choses pour que soit entrepris un certain nombre d'actions.
Nous avons noté, avec une très grande satisfaction, que la Tunisie a décidé de rouvrir son ambassade à Tripoli. La question du retour de nos ambassades est évidemment d'actualité. Nous souhaitons que cette situation se consolide. Et, si le gouvernement libyen nous demande de l'aider pour assurer sa sécurité, nous sommes évidemment disponibles. Mais la Libye, c'est d'abord l'affaire des Libyens eux-mêmes, il n'est pas question de décider quoique ce soit à leur place, surtout éclairés par l'expérience du passé, avec les bombardements aériens qui ne peuvent pas être, une nouvelle fois, une option.
Nous avons récemment tenu une réunion à Paris avec nos amis britanniques et italiens sur la question libyenne. Je crois que Frank a raison : la question libyenne est une question-clé pour la sécurité de toute une région. J'étais à Alger récemment et nous avons passé beaucoup de temps sur la question libyenne, nous étions en phase là-aussi. J'ai évoqué la Tunisie mais je pense que, maintenant, il y a une étape qui vient d'être franchie ; il faut la consolider, notamment continuer nos échanges avec nos amis égyptiens, c'est très important.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 avril 2016