Texte intégral
HELENE LECOMTE
C'est un mardi marqué par une nouvelle journée de mobilisation contre la loi travail, le texte qui arrive par ailleurs à l'Assemblée, il sera débattu en Commission par les députés, et votre invitée, ce matin, Arlette CHABOT, est prête à le défendre bec et ongles, vous recevez la ministre du Travail.
ARLETTE CHABOT
Bonjour Myriam El KHOMRI.
MYRIAM EL KHOMRI
Bonjour.
ARLETTE CHABOT
Merci d'être là, en ce jour qui est important pour nous, évidemment, mais qui est aussi important pour vous. Il y a à la fois la mobilisation des jeunes dans les rues, il y a au Parlement la Commission des affaires sociales qui commence à examiner votre texte, évidemment. Je voudrais d'abord savoir : est-ce que vous avez reçu la lettre que Jean-Claude MAILLY vous a adressée, le secrétaire général de Force ouvrière, qui vous accuse tout simplement de ne pas avoir respecté l'article L1 du Code du travail, qui exige que les organisations syndicales soient consultées avant toute modification de ce Code du travail ?
MYRIAM EL KHOMRI
Alors, j'ai reçu la lettre de Jean-Claude MAILLY, mais c'est un faux débat, puisque le Conseil d'Etat a clairement affirmé, dans l'examen de l'avant-projet de loi, que j'avais respecté toutes les procédures. Et puis je suis ministre du Dialogue social, j'ai concerté avec l'ensemble des organisations syndicales et patronales, sauf sur un article qui était celui relatif aux licenciements économiques, qui a été rajouté tardivement, et c'est pour ça que nous avons pris ces 15 jours. Mais la loi que je porte, justement, elle vise à promouvoir de la démocratie sociale, justement, à développer le dialogue social. Donc, pas de faux procès, je respecte les procédures et je respecte le dialogue social.
ARLETTE CHABOT
Mais, vous venez de dire vous-même, la loi ou les morceaux de loi dont ont disposé les organisations syndicales, eh bien c'était pas la totalité de la loi, donc c'est la raison pour laquelle il n'était pas content.
MYRIAM EL KHOMRI C'est pour ça qu'on a pris les 15 jours. Mais quand on m'a remis le rapport, Jean-Denis COMBREXELLE, j'ai adressé un courrier à l'ensemble des partenaires sociaux, et puis après je les ai rencontrés, je leur ai posé la question s'ils souhaitaient ouvrir une négociation, ils ne l'ont pas souhaité, et voilà, depuis, nous avons travaillé, à la fois mes équipes, moi-même, je les ai rencontrés, à la fois pour donner des suites au rapport de Jean-Denis COMBREXELLE. C'est un peu un faux débat aujourd'hui. Ce qui est important
ARLETTE CHABOT
Donc il ne vous trainera pas en justice, il ne va pas porter plainte, d'une manière ou d'une autre, envoyer un recours contre vous, contre le ministère.
MYRIAM EL KHOMRI
Jean-Claude MAILLY peut tout à fait faire ce qu'il souhaite et il est libre de le faire. Pour moi, c'est pas le sujet aujourd'hui, c'est comment on renforce la démocratie sociale, notamment dans l'entreprise et comment on revivifie cette démocratie sociale, c'est le sens de cette loi, et donc j'entends bien qu'on a une divergence, sur à la fois entre ceux qui sont pour un peu le culte de la loi et ceux qui veulent développer les accords d'entreprise, les accords de branches. Voilà. Nous avons une divergence sur ce point de vue là, ayons le débat sur cette divergence-là, s'il le faut.
ARLETTE CHABOT
Oui, mais ça c'est une divergence de fond, qui est irréconciliable, c'est pas possible de trouver un compromis entre FO, la CGT et vous, sur ce point, la CFDT étant aussi en désaccord avec eux d'ailleurs.
MYRIAM EL KHOMRI
Il y a une part des, notamment ceux qu'on appelle les syndicats dits réformistes, qui représentent la majorité aussi des salariés, qui sont en attente justement, qu'il y ait un développement de la négociation collective au plus près du terrain. Moi, quel est mon constat aujourd'hui ? C'est que notre Code du travail, s'il est épais, c'est parce qu'on a demandé beaucoup de dérogations, notamment par les organisations patronales, pour s'adapter à toutes les situations. Moi je pense aujourd'hui que ce système est à bout de souffle, et qu'il convient, pour mieux répondre à un pic d'activité, à un pic de commandes, de laisser les acteurs de terrain au plus près de l'entreprise, les représentants des salariés, des chefs d'entreprise, de se mettre d'accord sur les modalités, et ceci à travers des accords qui seront majoritaires, c'est-à-dire avec plus de 50 % des organisations syndicales, représentant plus de 50 % des voix, qui est la meilleure garantie des salariés. Voilà quel est le projet aujourd'hui que je porte, qui vise à apporter une autre forme de régulation sociale, à mieux répondre justement à ses attentes, ses pics d'activités, ses pics de commandes, à améliorer la compétitivité de notre économie, tout en protégeant les salariés, en renforçant les acteurs du dialogue social.
ARLETTE CHABOT
Quand un texte de loi comme le vôtre est contesté, qui a le dernier mot ? La rue ou le Parlement ?
MYRIAM EL KHOMRI
Là, nous entamons le débat parlementaire, et c'est important.
ARLETTE CHABOT
Et il y a la rue toujours, mobilisation aujourd'hui des jeunes, samedi celui des organisations syndicales.
MYRIAM EL KHOMRI
Mais, vous savez, moi je suis attentive à toutes les interpellations, c'est un large spectre, il y a ceux qui se mobilisent dans la rue, il y a les jeunes qui se mobilisent actuellement place de la République, il y a également d'autres personnes qui veulent continuer à enrichir, à amender le texte, je pense par exemple aux syndicats réformistes, je pense aussi à d'autres organisations comme la FAGE, des organisations étudiantes, qui ont souligné certaines des avancées de ce texte, mais là, nous sommes dans une phase du débat parlementaire. Aujourd'hui, les députés de la Commission Affaires sociales, vont examiner les amendements sur le texte, ils sont nombreux, il y en a plus de 1 000, c'est un débat important et pour moi c'est un débat qui va nous permettre justement de rentrer dans le centre de la loi, c'est-à-dire qu'on va sortir un petit peu des postures et rentrer sur chacun des articles de la loi. Moi j'attends ce débat avec beaucoup d'enthousiasme, de convictions et de détermination.
ARLETTE CHABOT
Oui, mais là, vous faites une croix, vous avez l'air de, ou vous feignez d'oublier qu'il y a une mobilisation dans la rue.
MYRIAM EL KHOMRI
Non, je
ARLETTE CHABOT
Aujourd'hui, samedi, elle existe, il y a une pression forte, on a déjà vu des gouvernements retirer une loi, même quand elle a été votée.
MYRIAM EL KHOMRI
Elle existe, bien évidemment, et j'y suis attentive. J'y suis attentive et nous continuons à travailler, par exemple, demain, avec Najat VALLAUD-BELKACEM, avec Patrick KANNER, nous recevrons l'ensemble des organisations jeunesse. Donc, nous y sommes attentifs. Mais je veux ce que je veux vous dire, c'est que l'opinion ne peut pas être la seule boussole de l'action gouvernementale, il faut Voilà, nous sommes la dernière année du quinquennat, le président de la République a dit qu'il fallait réformer jusqu'au bout, nous ne réformons pas pour réformer, nous réformons pour apporter un nouveau mode de transformation des relations sociales et un nouveau projet de société, notamment à travers le compte personnel d'activité, qui est essentiel également dans cette loi, mais nous devons réformer, parce que notre pays, en effet, il faut avoir un diagnostic lucide, nous créons moins d'emploi que nos voisins européens, nous avons neuf embauches sur dix qui se font en CDD, et dont nous voulons favoriser l'emploi durable, et pour se faire, il faut que nous apportions de nouveaux modes de régulation, plus de clarté et de prévisibilité aux chefs d'entreprise, et en même temps des nouveaux droits, notamment sur la formation, puisque nous sommes, notre pays n'est pas un très bon élève en matière de formation, notamment des salariés les moins qualifiés, et les demandeurs d'emploi.
ARLETTE CHABOT
Le président de l'UNEF qui était là tout à l'heure, disait : « Il faut mettre fin au bizutage social des plus jeunes », il demande notamment une surtaxation des CDD, vous connaissez ses demandes. C'est envisageable ou pas ? Est-ce qu'on peut aussi envisager une augmentation de la rémunération des apprentis par exemple ?
MYRIAM EL KHOMRI
Alors, nous allons avoir cette discussion demain avec l'UNEF. S'agissant de la question de la surtaxation des CDD, ça relève des partenaires sociaux dans le cadre de la convention assurance chômage. La convention assurance chômage, bien sûr, ça a un impact sur le monde du travail, sur l'effet sur le retour à l'emploi, et donc cette question elle est débattue dans ce cadre-là, il y a des syndicats qui proposent un bonus/malus, ce n'est pas à moi de rentrer, ça relève véritablement des partenaires sociaux.
ARLETTE CHABOT
Et le gouvernement peut avoir un avis.
MYRIAM EL KHOMRI
Le gouvernement prendra en tout cas ses responsabilités s'il n'y a pas d'accord avec les partenaires sociaux, nous devrons prendre un décret, mais donc ça relève des partenaires sociaux, et ça c'est quelque chose qui me parait essentiel. Après, sur d'autres propositions, notamment la question du statut de l'apprenti, ça fait en effet plusieurs mois que les partenaires sociaux travaillent cette question-là, moi je suis prête vraiment à regarder. Il y a parfois un manque de visibilité, de lisibilité autour de l'apprentissage, et nous en avons fait, nous souhaitons en faire un vrai développement. D'ailleurs, dans la loi que je porte, il y a des mesures comme l'obligation de mettre le taux d'insertion de chacune des voix, pour mieux orienter les familles et les jeunes, il y a également notre volonté d'avoir plus de simplicité en direction des chefs d'entreprise, dans ce cadre-là.
ARLETTE CHABOT
Mais il y aura des mesures en direction des jeunes, c'est promis ? Toutes les mesures sont sur la table, tout est envisageable, ce qui relève de l'éducation ou ce qui relève du travail.
MYRIAM EL KHOMRI
Tout est Si nous nous concertons avec les organisations jeunesse, c'est bien parce que nous avons fait de la jeunesse une priorité. D'ailleurs, nous n'avons pas rien fait, nous avons réglementé les stages, nous avons mis en place la prime d'activité, nous avons augmenté de 400 millions d'euros les bourses, et nous avons développé la garantie jeunes. Dans ma loi, actuellement, il y a le droit à la nouvelle chance pour les jeunes, ça veut dire, les jeunes qui ne sont pas qualifiés auront le droit à l'accès à un premier niveau de qualifications et à la généralisation de la garantie jeunes. Il y a des avancées importantes pour les jeunes
ARLETTE CHABOT
Oui mais ça, ça ne leur convient pas, ils veulent plus, là.
MYRIAM EL KHOMRI
mais nous continuons à travailler avec les organisations jeunesse, dans le cadre de leurs propositions.
ARLETTE CHABOT
Alors, si on vient au débat parlementaire, il y a un sujet qui est venu, comme ça, un peu de côté, c'est celui de la laïcité. On dit, avec la loi travail, on va remettre le fait religieux dans l'entreprise. C'est lié aux principes définis par Robert BADINTER, qui doivent présider la réforme du travail, hop on met tout ça de côté pour que, enlever ce débat, sur la reconnaissance au droit religieux, à l'expression de ses convictions religieuses, ça ne vous gêne pas que l'on mette tout de côté pour éviter cette polémique inutile, dit même la CFDT aujourd'hui ?
MYRIAM EL KHOMRI
La mission de Robert BADINTER visait à sortir les grands principes du droit, en l'état actuel du droit. Donc, ma loi, et ce principe de changer absolument rien à l'état actuel du droit. Il y a un débat, parce que certains de ces principes sont d'un niveau supra législatif, et donc certains députés s'interrogent : pourquoi on le met dans la loi, s'il ne rentre pas derrière, dans le Code du travail, voilà, c'est les parlementaires aujourd'hui qui ont la main sur cette question.
ARLETTE CHABOT
Oui, mais si c'est sorti, ça ne vous gêne pas du tout cette disposition, vous n'y voyez aucun inconvénient qui on l'oublie.
MYRIAM EL KHOMRI
Non, c'est l'état actuel du droit, donc de ce point de vue là, pour ma part, il n'y a aucune difficulté, j'ai toujours dit que j'étais ouverte, mais je refuse toute instrumentalisation politique qui vise à dire que ma loi favorise le communautarisme religieux, alors que c'est l'état actuel du droit. C'est important.
ARLETTE CHABOT
Alors, petite proposition, enfin, quand elle vient du premier secrétaire du Parti socialiste, elle n'est pas négligeable, il propose notamment pour les filiales de grands groupes internationaux, c'est sur les conditions de licenciements, gros sujet de débat sur la loi, qu'on ne regarde pas juste au niveau national la situation de l'entreprise, mais bien l'ensemble de la situation des usines du groupe, en Europe. Est-ce que vous pensez que c'est une évolution acceptable pour vous ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ecoutez, on aura ce débat dans l'enceinte de l'Assemblée nationale. Je pense que c'est important. Il y a beaucoup de propositions, d'amendements, autour de cet article 30, sur le licenciement économique. Permettez-moi juste de vous dire pourquoi il y a cet article dans la loi. Aujourd'hui, à peu près 5 % des personnes qui s'inscrivent à Pôle emploi, font suite à un licenciement économique. La loi ne favorise pas le licenciement, elle l'encadre, c'est-à-dire qu'elle rappelle ce que peuvent être des difficultés économiques. Pourquoi nous faisons cela ? C'est parce qu'aujourd'hui on a un contournement des procédures, par exemple 20 % des TPE font, utilisent des ruptures conventionnelles, alors que les entreprises de plus de 250 salariés, c'est 7 %. Donc on voit bien qu'on a un détournement des procédures sur la rupture conventionnelle ou le licenciement pour motif personnel, alors même, que quand on a une baisse de chiffre d'affaires, ça devrait être un licenciement économique, et surtout, le salariés est beaucoup mieux protégé, si c'est un licenciement économique, puisqu'il a droit à un contrat de sécurisation professionnelle. Donc c'est pour cela que nous le mettons dans ce cadre-là. Nous avons mis un article, un alinéa, qui rappelle que le juge a des pouvoirs, pour vérifier qu'il n'y a pas une baisse de chiffre d'affaires qui soit créée artificiellement. Il y a un débat sur le périmètre, nous allons regarder cela. Moi, ce qui me semble important, et il y a une autre proposition faite par d'autres députés, c'est de différencier selon la taille des entreprises
ARLETTE CHABOT
La taille des entreprises, ça vous avez dit que c'était ouvert.
MYRIAM EL KHOMRI
de préciser le nombre de trimestres.
ARLETTE CHABOT
Je retiens que tout est ouvert, au fond, sur la table, et tout peut être examiné positivement par le gouvernement.
MYRIAM EL KHOMRI
Si nous avons mis quand même le périmètre national, c'est pour nous aligner aussi sur les autres pays européens, et donc il est important pour nous, d'avoir une explication par rapport à cela. Cette explication je la dois aux députés et nous aurons un échange là-dessus. Mais je crois qu'il est important de séparer la distinction entre le TPE PME et les grands groupes.
ARLETTE CHABOT
Alors dernière question, vous aurez une majorité pour voter ce texte ou bien vous devrez recourir au 49.3 ?
MYRIAM EL KHOMRI
Non, je pense que nous avons
ARLETTE CHABOT
Vous pensez convaincre comme vous le disiez, convaincre et éviter le 49.3, il y aura une majorité ?
MYRIAM EL KHOMRI
Oui, oui, pour moi, il n'y a aucune difficulté, je pense que nous aurons une majorité sur ce texte.
ARLETTE CHABOT
Aucune difficulté
MYRIAM EL KHOMRI
Il y a des questionnements, il y a des débats, ceci doit se faire à la fois dans l'enceinte de l'Assemblée et en même temps, moi ce que je ressens aujourd'hui c'est que ce texte, ce compromis que nous avons trouvé après ces 15 jours est aujourd'hui équilibré. Quand même les témoignages sont assez savoureux, vous avez une partie de la droite ou du patronat qui disent que le texte a été vidé de son contenu et vous avez une autre partie de certains syndicats ou du Front de gauche qui dit que la loi reste la même. Bon, quelque part je pense qu'on a trouvé le bon point d'équilibre. Donc ce texte est important. Moi, je ne souhaite pas que la philosophie de ce texte soit dénaturée, il est très important pour notre pays, cette réforme pour moi elle est juste nécessaire, donc nous allons continuer à convaincre, mais ce que je ressens c'est qu'il y a de plus en plus de députés qui sont convaincus par ce texte.
ARLETTE CHABOT
Donc pas de 49.3 ?
MYRIAM EL KHOMRI
Le 49.3 existe bien évidemment, c'est un élément de procédure, mais je ne souhaite absolument pas utiliser le 49.3.
ARLETTE CHABOT
Vous êtes d'une nature optimiste, merci Myriam El KHOMRI.
MYRIAM EL KHOMRI
Il le faut.
ARLETTE CHABOT
Merci beaucoup.
MYRIAM EL KHOMRI
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 8 avril 2016