Déclaration de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur le message laissé par les militants communistes et responsables syndicaux assassinés par les nazis le 22 octobre 1941, Chateaubriant le 21 octobre 2001.

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Circonstance : Commémoration du 60ème anniversaire de l'exécution par les nazis de 27 militants communistes et responsables syndicaux le 22 octobre 1941, à Chateaubriant le 21 octobre 2001

Texte intégral

Madame la Ministre, Monsieur le Secrétaire général de la C.G.T., Mesdames, Messieurs, Chers ami(e)s et camarades,
Permettez-moi de débuter mon propos en saluant chaleureusement l'immense travail de préservation de la mémoire, réalisé depuis sa création, en 1945, par l'Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé, et son président, mon ami Maurice Nilès.
Je salue également mon collègue, Monsieur Alain Hunaut, maire de Châteaubriant, qui, avec la municipalité, apporte son concours à ce travail, ainsi que Mesdames et Messieurs les élu-e-s et responsables d'associations d'anciens combattants et de résistants.
Et je vous remercie, vous toutes et tous qui participez à ce rendez-vous du souvenir, en particulier les jeunes collégiens et lycéens.
C'est avec une vive émotion que je participe aujourd'hui, au nom des communistes français, à cette cérémonie organisée en hommage aux vingt-sept martyrs de Châteaubriant.
Soixante ans se sont écoulés depuis le crime perpétré par les occupants nazis et leurs complices de Vichy. Que d'évolutions depuis et, en même temps, que d'obstacles encore pour faire de ce monde l'idéal de bonheur dont ils rêvaient, pour lequel ils sont tombés.
Les vingt-sept assassinés à Châteaubriant ont voulu que leur mort serve à quelque chose, contre la barbarie, contre le fascisme. Ils l'ont voulu porteuse d'espoir pour les vivants, eux dont le " crime " était d'aimer leur patrie, de refuser l'esclavage et le nazisme, de vouloir un monde meilleur pour tous.
Permettez-moi de citer quelques-unes des phrases admirables d'espérance qu'ils écrivirent peu avant leur mort :
Jean-Pierre Timbaud : " J'ai la grande confiance que vous verrez réaliser mon rêve ; ma mort aura servi à quelque chose ".
Jean Poulmarch écrit à son épouse : " Ton mari tombera la tête haute, le cur solide, confiant dans l'avenir de bonheur qui régnera dans le monde ".
" C'est pour vous, pour que vous soyez libres, que je meurs plein de moral et de courage ", nous dit Maurice Gardette.
Et Guy Môquet, l'adolescent surprend de courage, dans une formule parmi les plus belles et les plus fortes de notre langue : " Vous qui restez, soyez dignes de nous, les vingt-sept qui allons mourir ".
Cette volonté de vivre la tête haute, ils la mirent aussi en oeuvre dans l'enceinte du camp de Choisel : ils y partagèrent dignité, fraternité, solidarité, espoir. Durant leur détention, ils continuèrent de s'instruire, de se cultiver.
Ainsi que l'écrivit Jean Marcenac en avant-propos au remarquable ouvrage de Fernand Grenier : " Ceux de Châteaubriant sont tombés dans la pire nuit, et l'aurore n'était qu'en eux. Et ce qu'il y a de plus grand chez ces hommes, c'est d'avoir su défendre, comme ils l'ont fait, leur mort contre le désespoir et le néant ".
Les nazis les voulaient à genoux ; comme ils voulaient à genoux la France et l'Europe. En assassinant vingt-sept otages, ils crurent faire un exemple destiné à instaurer la terreur dans tout le pays, et à donner un coup d'arrêt aux actes de résistance, aidés dans leur ignoble tâche par l'Etat français de l'époque. Le comportement magnifique des vingt-sept fusillés, unis jusqu'au bout, eu l'effet inverse : il contribua à ce que s'embrase la flamme de la Résistance.
Face à l'énorme machine de guerre allemande, à la collaboration du gouvernement de Vichy, et alors que l'Europe était sous le joug allemand, leur confiance, leur foi en l'avenir sonneront comme un vibrant appel à ne pas subir.
Le Ministre de l'Intérieur de Pétain, Pucheu, ne les choisit pas au hasard : ils étaient syndicalistes, communistes, tous engagés dans le combat contre l'occupant. Ils étaient des militants de la liberté, il fallait donc qu'ils succombent.
Arracher la vie de ces vingt-sept hommes ne 6suffisait pas. Le même jour, seize autre Français furent assassinés au champ de tir de Bèle, à Nantes, et cinq Nantais furent conduits au Mont Valérien pour y être fusillés.
Quarante-huit heures après, ce fut au tour de cinquante otages d'être lâchement exécutés à Souges, près de Bordeaux.
Rapidement connus, ces massacres provoquèrent indignation, révolte. Le dimanche suivant, des fleurs furent déposées à l'emplacement de chacun des neuf poteaux d'exécution par une foule formée d'habitants de Châteaubriant et des environs. Les signes de solidarité, les marques de sympathie s'affirmèrent envers les internés du camp de Choisel. Les Castelbriantais payèrent un lourd tribut à l'envahisseur : cent d'entre eux seront déportés.
Solidarité toujours, quand, le 31 octobre, une grève symbolique de cinq minutes est déclenchée sur tout le territoire français, en hommage aux martyrs, signe que les Français, les travailleurs, n'étaient pas décidés à se plier à l'ultimatum sanglant des nazis.
Dans les mois qui suivirent, les nazis, toujours aidés de leurs collaborateurs vichystes parachevèrent leur uvre de mort. Le 15 décembre, neuf otages sont fusillés à la Blisière, et le même jour : Gabriel Péri et Lucien Sampaix tombent sous les balles allemandes.
Cette fois encore, loin de faiblir, la Résistance s'amplifia.
Il y a soixante ans, il moururent pour avoir refusé la barbarie. Ils furent de ceux qui se battirent pour le Front populaire, contre le fascisme en Espagne.
Je ne peux m'empêcher de penser que les attentats terroristes d'une effroyable sauvagerie qui ont frappé les Etats-Unis sont eux aussi, comme le fut le nazisme dès les années trente, fondés sur une idéologie totalitaire, qui nourrit la haine, la peur de l'autre, la violence et qui trouve, pour se répandre, un terreau propice dans les frustrations, les inégalités, les discriminations engendrées par la société capitaliste.
Mon amie Madeleine Vincent, rappelait, le week-end dernier, au carré militaire d'Ivry : " Le terrorisme n'a rien a voir avec les combats de la Résistance, même si les hitlériens et les vichystes nous classaient, à l'heure de nos arrestations, comme terroristes ". J'ajoute qu'il est la négation même de l'émancipation humaine, du progrès humain, qui fondaient le combat des résistants.
Il faut résolument faire reculer tous les fanatismes intégristes, porteurs des mêmes idéologies, des mêmes préjugés, des mêmes brutalités criminelles.
Je suis convaincu que, plus que jamais peut-être, l'Europe a un grand rôle à jouer pour que les périodes sombres de notre histoire, pour que l'inacceptable, ne puissent se reproduire, pour développer la fraternité, la paix entre les peuples. C'est pourquoi je suis inquiet qu'elle ait en son sein des hommes comme Haider et Berlusconi. Comment ne pas voir dans la " préférence nationale " des relents nauséabonds vieux de soixante ans ?
Décidément, il ne peut y avoir de répit contre la barbarie, contre les idéologies qui distillent la violence, la haine entre les peuples, qui en sont toujours les premières victimes.
C'est pour avoir refusé cela que les vingt-sept sont morts.
Certains auraient souhaité les ensevelir dans l'oubli, parce qu'ils ont combattu pour la libération nationale, parce qu'ils étaient porteurs d'idéaux de justice, d'égalité, de fraternité, parce qu'ils étaient communistes. Leurs paroles, leurs actes, nous atteignent au plus profond de nous-mêmes, et leur survivent.
Certains auraient voulu qu'on les oublie, parce qu'ils ont su dire non. D'autres ont fait ce même choix, et parmi eux, des préfets, qui ont -au péril de leur vie- refusé de se mettre au service de l'occupant, comme l'exigeaient les autorités de Vichy. Mais il aura fallu plusieurs décennies pour que le procès de Maurice Papon ait enfin lieu, et que grandisse l'idée que les hommes sont responsables de leurs actes, et qu'ils ont toujours le choix.
Il est nécessaire que ces épisodes de l'Histoire soient mieux connus. Les présentes commémorations contribuent à répondre à la légitime demande de savoir, de comprendre.
Ce devoir de mémoire est indispensable pour développer la démocratie et le progrès humain, pour permettre à notre société d'avancer. Des citoyens informés, responsables, qui savent affronter leur passé sont mieux en capacité de maîtriser leur avenir, de mettre en uvre une citoyenneté constructive, au service de tous. Ce devoir de mémoire, nous l'avons notamment au regard des jeunes, qui eux aussi, à leur manière, combattent les dominations et veulent bâtir eux-mêmes leur vie.
Devoir de mémoire également pour que les citoyens européens fassent de l'Europe une communauté de nations, vivant en paix.
Devoir de mémoire enfin, quand l'atroce sauvagerie du terrorisme frappe aveuglément.
Cette exigence donne d'autant plus d'importance au travail de l'Amicale de Châteaubriant-Voves-Rouillé.
Les vingt-sept de Châteaubriant sont morts pour que nous puissions vivre dignement. Ils ont combattu pour une société dans laquelle les femmes, les hommes connaîtraient le bonheur. Or, aujourd'hui, nous vivons un grand paradoxe : alors que notre société n'a jamais connu autant de possibilités de développement, les fractures n'ont jamais été aussi béantes, les régressions aussi importantes.
Alors, oui, il nous faut poursuivre l'uvre des vingt-sept de Châteaubriant, et construire, avec tous, une société de partage, de solidarité, de justice. Non, leur mort n'a pas été vaine, et, même bousculée, l'espérance demeure.
(Source http://www.pcf.fr, le 23 octobre 2001)